L'abaissement de l'âge de la retraite
Jadis, nous étions animateurs de villages de vacances ; nous étions payés pour amuser les gens, pour essayer d'amuser les gens. Plus tard, mariés (le plus souvent divorcés), nous sommes retournés en village de vacances, en tant que clients cette fois. Des jeunes, d'autres jeunes ont tenté de nous amuser. Pour notre part, nous avons tenté d'établir des relations sexuelles avec certains membres du village de vacances (parfois d'ex-animateurs, parfois non). Nous avons quelquefois réussi ; le plus souvent nous avons échoué. Nous ne nous sommes pas beaucoup amusés. Aujourd'hui, conclut l'ex-animateur de village de vacances, il n'y a vraiment plus aucun sens à donner à notre vie.
Construit en 1995, le Holiday Inn Resort de Safaga, sur les côtes de la mer Rouge, offre 327 chambres et 6 suites spacieuses et agréables. Parmi les équipements on peut citer le hall d'accueil, le coffee-shop, le restaurant, le restaurant de plage, la discothèque et la terrasse d'animation. L'arcade commerciale comporte différentes boutiques, banque, coiffeur. L'animation est assurée par une sympathique équipe franco-italienne (soirées dansantes, jeux divers). En résumé, et pour reprendre l'expression du voyagiste, on a affaire à une « très belle unité ».
L'abaissement de l'âge de la retraite à cinquante-cinq ans, reprit l'ex-animateur de villages de vacances, serait une mesure favorablement accueillie par les professionnels du tourisme. Il est difficile de rentabiliser une structure de cette taille sur la base d'une saison courte et discontinue, essentiellement limitée à la période estivale – dans une moindre mesure aux vacances d'hiver. La solution passe évidemment par la constitution de charters de retraités jeunes, bénéficiant de tarifs préférentiels, qui permettraient d'harmoniser les flux. Après la disparition du conjoint, le retraité se retrouve un peu dans la situation de l'enfant : il voyage en groupe, il doit se faire des camarades. Mais alors que les garçons jouent entre garçons, que les filles bavardent entre filles, les retraités se retrouvent volontiers sans distinction de sexe. De fait, on constate qu'ils multiplient les allusions et les sous-entendus à caractère sexuel ; leur lubricité verbale est proprement stupéfiante. Aussi pénible qu'elle puisse être sur le moment, force est de constater que la sexualité semble être une chose qu'on regrette par la suite, un thème sur lequel on aime à broder des variations nostalgiques. Ainsi des amitiés se nouent, à deux ou à trois. C'est ensemble qu'on découvre les taux de change, qu'on programme une excursion en 4 x 4. Un peu tassés, les cheveux courts, les retraités ressemblent à des gnomes grincheux ou gentils, suivant leur personnalité propre. Leur robustesse est souvent étonnante, conclut l'ex-animateur.
« Moi je dis à chacun sa religion, et toutes les religions sont respectables » intervint sans réel à-propos le responsable du réveil musculaire. Vexé par cette interruption, l'ex-animateur se réfugia dans un silence peiné. Agé de cinquante-deux ans, il était en cette fin janvier l'un des plus jeunes clients. Du reste il n'était pas en retraite mais en préretraite, ou en convention de conversion, quelque chose dans ce genre. Faisant état auprès de tous de sa qualité d'ex-professionnel du tourisme, il avait su se créer un personnage auprès de l'équipe d'animation. «J'ai fait l'ouverture du premier Club Med au Sénégal» aimait-il à rappeler. Puis il chantonnait, esquissant un pas de danse : «J'vais aller m'éclater au Sééé-né-gal / Avec une copiii-ne de cheval. » Enfin, c'était un type très chouette. Je ne fus cependant nullement surpris quand le lendemain matin on retrouva son cadavre, flottant entre deux eaux dans la piscine-lagon.