ÉPILOGUE

Jadée laissa pensivement courir ses ongles sur le dos lacéré de cicatrices de son compagnon, cherchant à deviner l’origine de chacune. Traces de griffes, de crocs, de lames, d’armes diverses… Le commerce qu’entretenait Graymes avec les puissances des ténèbres était inscrit en stigmates effrayants sur tout son corps. Il la laissa faire, les yeux mi-clos, indifférent, à la façon des chats. Son souffle était profond, régulier.

— Bientôt, murmura-t-elle, ma charge au sein du Cercle de Fer prendra fin. Je serai de nouveau libre. Je pourrais venir vivre ici, avec toi, si tu voulais. Qu’en dis-tu ? Tu te souviens d’Ankara ? Le temple caché d’Amnon-Athal ? Le Serpent-Gardien ? Je n’ai pas oublié cette époque. On pourrait…

Elle sut qu’il ne dormait pas, malgré les apparences, et n’avait rien perdu de ses paroles.

— Tu ne veux pas répondre ?

Il ouvrit un œil, se dressa sur ses coudes. D’une main distraite, il caressa les épaules nues de la jeune femme, avec une insistance qui disait déjà son refus. Il avait aimé la posséder. Avec la même voracité qu’autrefois, bien qu’elle n’eût plus tout à fait la grâce de ses vingt ans. Mais à présent, son désir s’était éteint. Son esprit vagabondait ailleurs.

— Je me souviens d’Ankara. Mais il y a eu d’autres temples cachés, d’autres Serpents-Gardiens, depuis.

— C’est non ?

— Tu ne devrais pas poser la question.

— Pourquoi fais-tu tout ça ? Qu’est-ce que ça te rapporte ?

— On m’a déjà posé la question.

— Qu’as-tu répondu la première fois ?

Il haussa les épaules. Une ombre passa sur son visage. Le souvenir des paroles d’Aviathan était gravé au fer dans sa mémoire. Et sa réponse. La réponse qui avait jailli hors de lui.

— Il faut bien tuer le temps.

Il s’écarta de sa compagne et enfila promptement ses vêtements. Elle n’insista pas. Elle avait le sentiment de se trouver au pied d’un mur infranchissable, que le moment de leur séparation était arrivé, elle le savait. Et elle en éprouvait une tristesse sourde. Il jeta son macfarlane sombre sur ses épaules et planta son chapeau à larges bords sur un coin de son crâne, redevenant en un clin d’œil l’effrayante silhouette du Commandeur, du prédateur nocturne en quête de maléfices.

— À plus tard, lança-t-il.

— Plus tard, renvoya-t-elle en le saluant à la façon du Cercle de Fer.

Dehors, les ténèbres avaient déjà englouti la ville.

Graymes huma l’air vif à la façon d’un animal, avant de repartir au hasard, dans les méandres de son cauchemar…

 

FIN.