Ligne Paradis
16 h 01
— Allô, la gendarmerie de Saint-Gilles ?
Christos a pris le temps de décapsuler une bouteille de Dodo puis a décroché avec paresse.
— Ouais… Du moins ce qu’il en reste…
— Christos ? C’est Moussa Dijoux. Police municipale de Saint-Pierre. Tu me situes ?
Christos visualise un grand type jovial doté d’une forte propension à appeler les gendarmes au moindre problème, à leur coller de grandes claques dans le dos et à conclure l’entretien par une phrase du genre : « Bon, ben maintenant, je vous laisse faire votre travail. »
Moussa Dijoux enchaîne :
— Je pensais tomber sur un répondeur. Vous êtes pas tous partis à la chasse à l’ours ?
— Ben non, tu vois. Faut croire que j’ai passé l’âge de jouer les trappeurs…
Dijoux n’esquisse même pas un semblant d’éclat de rire. Mauvais signe.
— Coup de bol alors que je sois tombé sur toi, Christos. C’est la série ! J’ai un cadavre sur les bras, figure-toi. Kartié Ligne Paradis. Tiens-toi bien, c’est un gosse de onze ans qui jouait au foot qui m’a appelé avec son portable. Une Cafrine, balancée dans la ravine, sans doute par un type qui s’est arrêté au-dessus avec sa caisse et qui l’a directement vidée de son coffre. Un coup de couteau plein cœur. T’imagines ?
Avant de réagir, Christos prend le temps de boire une rasade de Dodo. Aux dernières nouvelles, Bellion cavale toujours quelque part autour du volcan. On pourra difficilement lui coller ce crime-là sur le dos. Il répond avec lassitude :
— Une pute ?
— Non, je ne crois pas. La fille n’est plus toute jeune, genre mère de famille si tu vois ce que je veux dire. Plutôt mignonne, mais avec des formes, beaucoup de formes. Tu peux venir ?
Christos vide la bouteille. Il sent qu’il va devoir jouer serré pour s’éviter cette corvée. Il n’a même pas eu le temps de téléphoner à Aja ou à Imelda pour leur raconter sa promenade nostalgique en compagnie d’Eve-Marie.
— Je suis tout seul pour garder la maison. Vu le contexte, le plan Papangue et tout le tintouin, tu comprends que c’est pas facile de tout laisser.
Dijoux monte d’un ton.
— Attendez, les gars ! J’suis qu’employé municipal, moi. Vous allez pas me laisser là avec le macchabée sur les bras…
Christos soupire.
— Bordel. C’est la loi des séries. T’as des détails ?
— Pas des masses. Aucune pièce d’identité. Aucun sac à main. On a juste retrouvé les clés d’une Volkswagen dans sa poche, et à trois cents mètres, une Polo rouge avec une portière orange défoncée mal garée, sans proprio. Tu veux le numéro de la plaque ?
La bouteille glisse des mains de Christos, tombe, presque au ralenti, explose sur le carrelage de la gendarmerie. Un liquide poisseux inonde ses pieds.
Christos n’esquisse pas le moindre geste. Toutes les veines qui relient son cœur aux autres organes se sont brisées net. Comme si sa vie avait d’un coup largué les amarres.
— Allô, Christos ? Allô, t’es encore, là ? Alors, qu’est-ce que tu décides ? Tu rappliques, oui ou merde ?