CHAPITRE XIX
Les dernières lueurs du jour filtraient par l'étroite fenêtre. L'après-midi avait paru interminable à Marc.
-Les pirates ne semblent guère nombreux, résuma Ray. Je n'en ai compté que sept, y compris les deux que nous avons rencontrés sur Armina.
-Sais-tu où ils détiennent les prisonniers?
-Je n'en ai vu aucun. Ils peuvent être enfermés dans une baraque ou être restés sur l'astronef. Comment envisages-tu la suite des événements ? Attaquons-nous en force ?
Marc avait étudié tous les aspects du problème pendant des heures.
-Si les pirates se sentent menacés, ils se serviront des prisonniers comme boucliers, ce qui nous réduira à l'impuissance. Nous devons leur faire croire à une simple révolte de leurs esclaves. Peux-tu m'aider à communiquer avec ceux-ci ?
-Le traducteur n'a assimilé que quelques mots. Détends-toi, je vais te les transmettre par induction psychique. Cela ne sera pas long.
Le Terrien ferma les yeux et sentit la pensée de Ray s'infiltrer dans ses neurones. Lorsqu'il rouvrit les paupières, la nuit était tombée.
-Essayons maintenant de discuter, dit-il.
Il s'approcha d'un grand gaillard qu'il avait remarqué, car les autres primitifs le laissaient toujours se servir le premier et semblaient le respecter. Il regarda venir le Terrien d'un oeil méfiant.
-Moi... vouloir... partir, déclara Marc.
Le primitif secoua la tête et désigna son collier.
-Impossible ! Si nous désobéissons, les démons nous... punir.
-Mon ami enlever...
Ray sectionna aussitôt le collier de son laser digital. Une lueur d'espoir brilla dans les yeux du primitif.
-Et les autres? demanda-t-il.
-Nous... les libérer...
Comme l'androïde esquissait un mouvement, l'indigène étendit la main en murmurant :
-Attendre... un démon toujours venir nous voir après coucher du soleil... Ensuite nous agir...
Ils patientèrent ainsi une bonne demi-heure. Enfin, la porte s'ouvrit et Bob passa la tête par l'entrebâillement. Apparemment satisfait de son inspection, il referma et s'éloigna. L'ouïe électronique de Ray perçut encore :
-C'est O.K., Milce. Nos pensionnaires sont sages. Tu resteras de garde jusqu'à minuit. Igor te relèvera à ce moment-là.
-Pourquoi s'astreindre à ce jeu ? rouspéta le cosmatelot. Que pouvons-nous craindre avec un champ de force ?
-Ce sont les ordres du capitaine et il n'aime pas être contrarié. Bonne nuit !
Dans la baraque régnait une agitation silencieuse. Ray acheva de libérer les prisonniers de leur collier, puis il s'attaqua à la serrure qui ne résista que deux secondes à l'action de son laser. Le battant pivota silencieusement. Du doigt, l'androïde désigna la sentinelle qui déambulait lentement sur la petite place. Un seul projecteur, installé sur la baraque, dispensait une lueur blanchâtre.
-Il faut l'éliminer, chuchota Marc.
Aussitôt le chef des primitifs se glissa à l'extérieur... Profitant des zones d'ombre, il avança silencieusement. « Un fauve guettant sa proie », songea Marc.
Le dénommé Mike marchait paisiblement, un cigare à la bouche. Il songeait à la manière dont il dépenserait la fabuleuse prime que Joë lui avait promise. Il s'offrirait des tas de filles ! Pas seulement des prostituées à deux dois comme celles qu'il fréquentait dans les bars des astroports, mais de vraies femmes de la bonne société ! Celles qui demandaient au moins cent dois pour une seule nuit ! Un léger bruit le fit émerger de son rêve. Il voulut se retourner, mais n'en eut pas le temps. Un bras encercla son cou, écrasant son larynx, bloquant le cri qu'il allait pousser. Une force irrésistible l'obligea à tourner la tête. Il eut la brève vision du visage grimaçant d'un primitif, puis il ressentit un sourd craquement et tout devint noir.
Le chef tira vers une zone d'ombre le cadavre du garde et fit signe à ses compagnons que la voie était libre. Aussitôt les primitifs traversèrent en courant l'esplanade.
-Vite, Ray, nous devons atteindre l'astronef ! souffla Marc. C'est le point le plus dangereux.
Les deux amis détalèrent au pas de course. Hors d'haleine, Marc s'arrêta à l'abri des étais télescopiques.
-Nous avons de la chance, émit Ray. La porte de la soute inférieure est restée ouverte.
-Normal, tous les générateurs sont arrêtés. L'équipage n'a que ce moyen d'entretenir une certaine aération. Avec tes antigrav, tu vas me hisser à bord.
Ray saisit son ami sous les bras et s'envola lentement. Deux minutes plus tard, ils pénétraient dans la soute obscure. Ils la traversèrent pour gagner l'escalier de secours, car ils ne voulaient pas utiliser l'ascenseur intérieur trop bruyant.
Brusquement, Ray plongea en avant. Marc perçut un petit râle, puis le silence revint.
-Désolé, Marc. Il y avait un type qui somnolait dans ce coin. A cause de la masse magnétique des moteurs, mes détecteurs biologiques n'ont pas fonctionné. Comme il allait crier, j'ai été obligé de serrer son cou un peu fort et il est mort.
-Aucune importance ! Nous ne devons prendre aucun risque. Gagnons maintenant le poste de pilotage.
Ils escaladèrent l'étroite échelle de secours. Couvert de sueur, Marc s'arrêta enfin devant une porte métallique. Ray posa doucement la main sur la poignée et ouvrit vivement. Un seul cosmatelot était installé devant des écrans de surveillance. Le bruit le fit se retourner et... il mourut, un trou noir au milieu de son front.
Marc contempla un instant la console de pilotage. Les inscriptions étaient rédigées dans une langue inconnue.
-C'est un vaisseau solanien, affirma Ray. Depuis notre mission sur Hark, je possède quelques rudiments de cette langue.
Il bascula plusieurs interrupteurs, allumant tous les réseaux de surveillance intérieure.
-Il n'y a plus personne à bord, dit-il.
-Parfait ! Saurais-tu piloter cet engin ?
-Sans aucune difficulté ! C'est un astronef identique aux nôtres.
-Dans ce cas, programme le pilote automatique pour un décollage dans une demi-heure. Cap sur le soieil ! Une façon élégante de nous débarrasser de l'astronef sans risque d'explosion prématurée.
Ray pianota rapidement sur le clavier de l'ordinateur. Enfonçant une dernière touche, il annonça :
-Le processus est engagé. J'ai également supprimé le champ de force. Ainsi nos amis pourront regagner leur village. Dépêchons-nous de sortir. Les portes seront verrouillées dans quatre minutes.
***
Marc s'arrêta dans l'ombre d'un baraquement.
-Il s'agit maintenant d'éliminer les pirates avant qu'ils réalisent qu'ils n'ont pas des primitifs en face d'eux murmura Marc.
A ce moment, la porte d'une bâtisse s'ouvrit et un cosmatelot en sortit. Il avança d'une démarche légèrement titubante et lança :
-Mike ! Tu n'as pas dix dois à me prêter ? Je me suis fait ratisser au poker. Demain je ferai la corvée d'eau à ta place.
Etonné par le silence de son camarade, il appela d'une voix forte :
-Mike ! Mike...
Ce furent ses dernières paroles. Sollicité par Marc, Ray avait actionné son laser.
-Il ne faut pas laisser aux autres le temps de réagir ! marmonna Marc.
Il s'élança vers la baraque préfabriquée. Ray le suivit, ramassant au passage le pistolaser du mort qu'il tendit à Marc.
-Cela peut être utile en cas de mauvaise rencontre.
La pièce où ils pénétrèrent était éclairée par deux ampoules suspendues au plafond. Tout le fond était occupé par un appareillage radio.
Trois cosmatelots étaient assis autour d'une table, occupés à jouer aux cartes. L'irruption de ce qu'ils crurent être deux primitifs les fit sursauter. En bons professionnels de la bagarre, ils réagirent avec promptitude. L'un se précipita vers le poste radio pour donner l'alerte. Le faisceau laser de Ray le toucha à la nuque avant qu'il ait pu achever son geste.
Les deux autres avaient déjà leur arme à la main. Marc tira au jugé sur le plus proche, le touchant à la poitrine, tandis que Ray se débarrassait du dernier.
A ce moment, le grondement des réacteurs de décollage de l'astronef se fit entendre.
-Vite ! souffla Marc. Terminons notre besogne avant que les survivants songent à menacer les otages.
-Ils ne doivent plus être très nombreux, remarqua placidement Ray. Deux dans l'astronef, deux sur la place et trois ici !
-Il reste le chef et c'est le plus dangereux.
Ils sortirent au pas de course pour voir le capitaine Smith émerger de sa baraque, serrant Nancy contre lui.
-Profitons de notre aspect de primitifs, dit Marc en dissimulant le pistolaser derrière son dos.
Il avança en poussant des grognements inarticulés. Joë, persuadé qu'il n'avait affaire qu'à , deux primitifs, écarta Nancy qui le gênait et fit feu sur Marc. Au contact du champ protecteur, le rayon laser provoqua seulement un grésillement ridicule. Le pirate ne dut comprendre son erreur qu'en enfer. Il n'eut pas le temps d'appuyer une nouvelle fois sur la détente. Ray le toucha au front. Comme dans un film au ralenti, la grande carcasse oscilla et glissa lentement sur le sol.
Voyant deux hommes préhistoriques s'approcher d'elle, Nancy ne put retenir un cri de terreur.
-Taisez-vous, Miss Grant ! ordonna Marc. Nous venons vous libérer.
En entendant cette voix familière, elle hoqueta :
-Capitaine Stone ! Ce n'est pas possible, vous êtes mort !
-Oui, mais Lucifer n'a pas voulu de moi. Comme vous, il m'a trouvé trop odieux et a préféré me renvoyer sur Terre! Où sont les autres prisonniers ?
Tremblante, Nancy désigna le quatrième bâtiment.
-Là... là-bas, bégaya-t-elle. Ils sont enfermés. Ne m'abandonnez pas !
-Restez avec Ray !
La porte était cadenassée par un verrou extérieur qu'il n'eut aucune peine à pousser. Son arrivée créa une surprise certaine chez les otages. Une exclamation fit sursauter le Terrien.
-Marc!
Riant et pleurant à la fois, Elsa se précipita dans ses bras et l'embrassa à pleine bouche.
-Marc, j'ai eu si peur pour toi !
Penford intervint alors d'un ton réprobateur :
-Un peu de tenue, Miss Swenson, je vous en prie. Embrasser ainsi un primitif est réellement choquant.
Elsa s'écarta de Marc et déclara avec un large sourire :
-Je suis désolée, Georges. Puis-je vous présenter le capitaine Stone, un excellent ami?
Seul un haussement de sourcils trahit la stupéfaction de Penford.
-Enchanté, dit-il avec flegme. Excusez ma remarque, mais je n'avais pas reconnu votre uniforme.
-C'est notre nouvelle tenue camouflée, simple, pratique et économique, rétorqua Marc.
-Puis-je savoir si vous êtes prisonnier ou si vous venez nous libérer ? demanda Penford.
-La deuxième hypothèse est la bonne !
Marc contacta mentalement Ray :
-Appelle le Neptune et fais-le se poser à l'emplacement de l'autre astronef. La discrétion n'est plus de mise. Fouille également les baraquements, rassemble tous les documents que tu pourras trouver et dispose des grenades incendiaires. Nous ne devons laisser aucune trace. Ainsi, pour les quelques primitifs, nous n'aurons été qu'un mauvais cauchemar qu'ils oublieront rapidement. Pense également à récupérer le module !