CHAPITRE XIV

Marc tentait désespérément de réfléchir. Il avait essayé de contacter psychiquement la sphère, mais elle n'avait pas répondu. S'il n'y avait pas eu Miss Grant, il aurait réagi, en espérant entraîner les pirates dans la mort avec lui. Toutefois, il n'avait pu se résoudre à sacrifier la jeune femme.

-Ray, combien de temps nous reste-t-il?

-Quatorze minutes et vingt secondes, rétorqua l'androïde avec sa précision coutumière.

-Vois-tu une solution à notre problème?

-Peut-être... Il me semble que ce gros tas de ferraille n'a pas enclenché son écran protecteur. A mon signal, tu plonges au sol sur la droite en mettant ta ceinture à pleine intensité, tandis que j'actionnerai mon désintégrateur. Tout se jouera sur une petite fraction de seconde. Si j'ai la chance de toucher le robot avant qu'il ne réagisse, nous sommes sauvés, sinon...

Après une infime hésitation, il conclut :

-Sinon nous serons transformés en nuage. Ce Kurt avait raison. La sphère recèle une telle quantité d'énergie que je me demande si elle n'est pas capable de faire sauter une partie de cette planète. Es-tu prêt ?

-Absolument ! De toute manière, la demi-heure écoulée, le robot ouvrira le feu. Inutile de prolonger notre attente.

-Auparavant, Marc, pour le cas où tout ne s'arrangerait pas selon mes prévisions, je voulais te dire que... que j'aimais bien être en mission avec toi !

-Moi aussi, vieux frère... Ailons-y !

-Saute!

Bandant tous ses muscles, Marc s'élança sur la droite. L'écran à forte puissance amortit le choc. Marc roula deux fois sur lui-même et releva la tête. Une lueur mauve entourait le robot qui se volatilisa.

-Nous avons... nous avons..., bégaya Marc.

-Mon plan était donc valable, répondit calmement Ray. Je suis cependant bien content qu'il ait réussi.

-Moi aussi, souffla Marc en se relevant.

A ce moment, l'onde psychique se manifesta.

-Je me demandais si vous oseriez réagir. Je ne voudrais pas minimiser votre mérite, mais vous ne risquiez pas grand-chose. J'avais grillé les circuits de cette machine.

-Le grain de lumière ?

-C'est exact !

-Pourquoi ne pas m'avoir averti plus tôt? J'aurais pu tenter de poursuivre ces pirates.

-Vous auriez fait courir de graves risques à cette jeune femme et... il me plaisait d'assister à cette épreuve. J'admire beaucoup le courage, sans doute parce que je n'ai jamais eu l'occasion d'en faire preuve. J'ai suivi tes actions, Marc, depuis ton arrivée sur Armina, et tu m'as été immédiatement sympathique. Ton esprit est plus honnête que ceux des hommes de cette planète. Je constate avec regret que tes compatriotes n'ont guère fait de progrès en quelques millénaires.

-Tous ne sont pas comme ces pirates, protesta Marc.

-Je l'espère pour la race terrienne. Excuse-moi un instant, car c'est l'heure.

Quatre grains de lumière s'échappèrent de la sphère et disparurent à travers la voûte de pierre. Quelques instants plus tard, une explosion sourde secoua les parois de la caverne.

-Que se passe-t-il ? interrogea Marc.

-Il ne fallait pas décevoir tes amis qui observent la région depuis leur module. Le sommet de la montagne a explosé juste trente minutes après leur départ. S'ils n'avaient pas eu cette preuve tangible de ta disparition, ils auraient pu être tentés d'expédier un missile de forte puissance et je préfère éviter cela à la population locale. Maintenant, ils sont assurés de la réussite de leur mauvaise action.

Après un instant de silence, il ajouta :

-Tu es l'un des rares humanoïdes avec lequel il est agréable de converser. J'ai été très heureux de te voir combattre pour sauver Jalma. J'aurais été désolé qu'elle périsse là. J'aime bien cette petite qui est plus intelligente que la majorité des habitants de cette planète. Ton idée de lui faire ouvrir un commerce d'herbes aromatiques est amusante.

-Dans ce cas, cesse de lui infliger tes visions de cette caverne. Son esprit est très réceptif aux ondes psychiques et cela perturbe son équilibre mental.

-J'en suis désolé ! A l'avenir, je serai plus discret.

-Si tu en as la possibilité, veille sur elle. Je ne sais comment elle s'adaptera à la vie en société.

-Je te le promets. Je sens en toi un peu de tristesse.

-Il est toujours pénible de devoir quitter ceux qui vous ont accordé leur amitié.

-Et même leur amour.

Marc perçut une intense nostalgie.

-A côtoyer les pensées des humains, j'ai découvert ce sentiment que je ne connaissais pas. J'avoue, par instants, regretter de ne pas posséder un corps pour éprouver aussi toutes ces sensations.

-Maintenant, reprit Marc, je dois partir et tenter de sauver la fille de notre Président.

-Il est inutile de te presser. Leur vaisseau est encore en orbite autour d'Armina. Si tu appelais maintenant ton module, il serait immédiatement détecté et détruit. Les pirates sauraient alors que tu es vivant et ma petite comédie n'aurait servi à rien !

-Je dois partir, comprends-tu? Même au péril de ma vie, je dois tout tenter pour rejoindre Nancy. Elle était sous ma protection.

-Ton code de l'honneur exige-t-il que tu te sacrifies inutilement ?

Ray, qui suivait la conversation, intervint :

-Il a raison, Marc. Jamais nous ne pourrions atteindre le Neptune. Même si nous y parvenions, tu n'oserais attaquer leur astronef avec Miss Grant à bord.

-Je le sais, Ray, mais je me sens coupable de rester ainsi inactif !

La créature se manifesta à nouveau :

-Votre discussion n'a plus qu'un caractère philosophique. Le module a regagné sa base et l'astronef s'éloigne. Dans quelques minutes, il plongera dans ce que vous appelez le subespace.

-Les pirates seront alors à l'abri et nous n'aurons aucune chance de retrouver leur trace !

-Effectivement, ami. J'ignore leur destination, mais...

Avec une pointe d'ironie, la créature ajouta :

-... Mais j'ai pu percevoir dans leur esprit les coordonnées qu'ils ont programmées sur l'ordinateur de vol. Je ne sais à quoi elles correspondent, car je ne connais pas votre système de référence.

Impatient, Marc s'écria :

-Vite, je t'en supplie !

La créature énonça une série de chiffres que Ray enregistra soigneusement. Elle termina en disant :

-Adieu, Marc, j'ai été heureux de te rencontrer. Tu m'as un peu réconcilié avec le genre humain. L'Univers est vaste et je ne sais si nos destinées se croiseront à nouveau. Je te souhaite tout le bonheur possible.

-Resteras-tu ici ?

-Dans quelque temps, je quitterai Armina. A trop fréquenter les humains, je perds de ma sérénité. Je ressens le besoin d'une longue cure de solitude dans les espaces galactiques pour retrouver un calme nécessaire. Va, ton devoir t'appelle.

La nuit était tombée, lorsque Marc et Ray émergèrent de la caverne.

-Appelle le module ! grogna le Terrien.

-C'est déjà fait ! Il sera là dans quatre secondes.

Effectivement, l'engin se posa en douceur à quelques pas de Marc qui embarqua aussitôt. Durant toute la traversée de l'atmosphère, il resta silencieux, perdu dans ses pensées moroses.

Avec sa précision habituelle, Ray pénétra dans la soute. Dès que la pression eut retrouvé un niveau convenable, Marc gagna le poste de pilotage et interrogea l'ordinateur de bord.

-Les coordonnées fournies correspondent à un système stellaire qui n'a encore jamais été exploré, nota Ray. Quelles sont les consignes, Marc? Veux-tu faire ton rapport au général Khov?

Marc, les dents serrées, abattit son poing sur l'accoudoir de son fauteuil.

-Non! L'enlèvement de la fille du Président va causer un énorme scandale. Si nous donnons les coordonnées de ce système, tous les vaisseaux de la Sécurité galactique vont s'y précipiter. Avec leur délicatesse coutumière, cela risque d'entraîner un massacre. De plus une fuite est toujours possible, et si la nouvelle d'une action policière imminente est diffusée par une chaîne de télévision, les pirates changeront de destination et nous aurons définitivement perdu leur trace. A partir de maintenant, débranche tous les systèmes de repérage automatique. Nous observerons également un silence radio absolu !

-On nous croira morts !

-Cela rassurera nos adversaires ! Vite, programme le pilote automatique !