CHAPITRE XVI
Marc pénétra dans le poste de pilotage du Neptune. Le voyage dans le subespace durait depuis deux jours. Désoeuvré, il avait tenté de dormir, mais son sommeil était haché, peuplé de cauchemars, il demanda à Ray, paisiblement installé aux commandes :
-Rien de nouveau ?
-Non ! Les télévisions de l'Union Terrienne n'ont pas encore mentionné l'enlèvement de Miss Grant. Pour l'instant, la Sécurité galactique a réussi à garder le secret. En revanche, le rapt des cinq personnalités continue à défrayer la chronique, mais sans éléments nouveaux. Penses-tu que les deux affaires soient liées ?
-C'est possible et j'enrage de savoir Elsa en danger sans pouvoir l'aider.
Ray opina. Il n'ignorait rien des liens qui unissaient Marc à Miss Swenson depuis plus de deux ans.
-Pour l'instant, nous ne pouvons rien faire de plus. Sers-toi un verre de scotch pour te détendre. Tu as le temps, nous émergerons du subespace dans quarante minutes.
Marc suivit le conseil et revint un gobelet à la main.
-Nous apparaîtrons dans ce système nécessairement au même endroit que l'astronef pirate, puisque nous avons donné les mêmes coordonnées à l'ordinateur. Enclenche immédiatement le système de défense automatique. Nous pouvons ainsi passer inaperçus pendant quelque temps. Ensuite nous aviserons, puisque nous ne possédons aucun renseignement sur le système solaire où nous arrivons.
Ray consulta plusieurs voyants avant de répondre :
-Nous n'avons guère que trois heures de retard sur l'astronef pirate. Logiquement il n'aura même pas eu le temps de se poser avant que nous émergions.
-Espérons que ce n'est pas une étape intermédiaire pour brouiller les pistes. S'il plonge à nouveau dans le subespace nous n'aurons plus aucun moyen de le suivre.
-Nous sachant morts, il n'a aucune raison de s'imposer une étape intermédiaire qui consomme beaucoup d'énergie. Attention !
Mets ton siège en position allongée, nous n'allons pas tarder à effectuer la transition.
Dès que l'habituel malaise fut dissipé, Marc se redressa. Ray se manifesta aussitôt :
-Ces pirates sont prudents. Nous avons émergé à la périphérie d'un système solaire.
-Quelles sont ses caractéristiques ?
-Soleil de magnitude G. Trois planètes seulement gravitent autour. Seule la seconde a des caractères terramorphes. La première, petite, proche du soleil, est une fournaise. La troisième, volumineuse, est une sorte de congélateur ambulant fait d'hydrogène et de méthane solidifié.
Désignant un point sur l'écran, l'androïde ajouta :
-Regarde, Marc, mes estimations étaient exactes. L'astronef ennemi se pose seulement sur la seconde planète.
-Localise la zone d'atterrissage.
-C'est fait! Maintenant comment procédons-nous?
Marc réfléchit un instant.
-Les pirates doivent surveiller l'espace, et nous risquons d'être repérés malgré nos défenses automatiques.
-Effectivement, nous ne pourrons pas échapper longtemps à un observateur attentif !
-Crois-moi, après une telle action, ils doivent être sur leurs gardes. Il faut trouver un moyen pour approcher discrètement.
-Lequel?
-Cette planète semble posséder un satellite naturel.
-Cette lune n'est pas bien grosse, et elle est en ce moment de l'autre côté.
-Programme une plongée brève dans le subespace qui nous fasse émerger juste derrière la lune. Sa masse fera obstacle et nous pourrons observer la planète tout à loisir.
L'androïde effectua de rapides calculs.
-La manoeuvre est dangereuse.
-Nous l'avons réussie, lors d'une autre mission. Pourquoi pas aujourd'hui?
-A trop tenter le diable, on se retrouve en enfer, bougonna Ray.
-J'aime mieux m'expliquer avec Lucifer qu'avec le général Khov, si je me présente devant lui les mains vides ! Mets-toi au travail.
Ray pianota vivement sur l'ordinateur de bord. Trois minutes plus tard, il annonça :
-Attache tes sangles magnétiques. Tu seras durement secoué. La transition sera très brève et le malaise de la plongée se combinera aussitôt à celui de l'émersion.
-Je sais ! Cesse de t'inquiéter pour moi ! Je supporterai le choc.
-Je l'espère, grogna Ray. Attention.
Son index effleura un contact et Marc se sentit plonger dans un trou noir. A peine émergeait-il de son coma qu'une violente douleur laboura ses épaules. Il secoua la tête pour récupérer un minimum de vision. Tout l'écran central était occupé par l'image de la lune. La voix anxieuse de Ray parvint à ses oreilles :
-Je suis désolé, Marc, mais j'ai dû actionner les rétrofusées à pleine puissance, sinon nous nous serions écrasés sur ce caillou inhospitalier.
-Aucune importance ! Je n'ai rien de cassé. Branche les télescopes optiques et les caméras infrarouges, mais surtout pas les radars. Nos petits amis ont certainement des détecteurs d'ondes. Maintenant, je pense qu'un verre me fera du bien.
D'un pas chancelant, Marc quitta son siège pour gagner la cabine-salon. Dix minutes plus tard, un appel de Ray le fit retourner dans le poste de pilotage.
-Planète de type terrestre. Les continents émergés sont couverts de forêts.
Une image d'assez mauvaise qualité s'imprima sur l'écran central.
-Le vaisseau s'est posé ici. Il semble y avoir un campement, on aperçoit quatre baraques préfabriquées.
-Le reste du continent est-il habité ?
-il m'a semblé discerner quelques villages préhistoriques. Les humanoïdes, s'ils existent, n'ont pas dépassé le stade du silex taillé ou non.
Marc examina soigneusement l'ensemble de la planète.
-Nous devrions pouvoir poser le Neptune sur une île de cet archipel, à l'opposé du campement.
L'androïde acquiesça.
-La lune sera dans une conjoncture favorable dans trois heures. Cela nous laisse le temps de nous préparer.
Après un silence, Marc dit doucement :
-Pour le cas où nous ne reviendrions pas, laisse un message qui devra être envoyé automatiquement à Khov dans les quarante-huit heures !
Dans la soute, Marc se dévêtit entièrement. Ray le rejoignit et lui tendit un pagne en similicuir et des sandales rudimentaires.
-L'expérience montre que toutes les civilisations néolithiques se ressemblent. J'ai confectionné ceci avec les souvenirs de nos précédentes missions. Cela permettra au moins de dissimuler ta ceinture protectrice.
Il lui tendit un poignard de pierre taillée.
-J'avais également conservé cela. Il semble en silex mais il est en plasto-titane.
Ray exhiba ensuite un vaporisateur et pulvérisa un liquide sur le corps de Marc. Aussitôt une désagréable odeur de pourriture s'éleva.
-C'est pour parfaire la couleur locale ! Les primitifs n'ont pas encore découvert les charmes d'un bloc sanitaire. De plus cette mixture a un pouvoir répulsif sur nombre d'insectes.
Sous cette douche improvisée, l'épiderme de Marc prit une teinte brunâtre et sale. Ray, qui examinait son ami, grimaça :
-Encore un détail ! Ta coupe de cheveux n'a rien de primitive. Laisse-moi faire!
Armé d'une paire de ciseaux, il lui coupa des poignées de cheveux. Lorsque le Terrien se " contempla dans une glace, il poussa un petit sifflement. Il était hirsute.
-Si nous revoyons un jour la Terre, cela sera peut-être une mode à lancer. C'est surprenant !
Ray feignit de n'avoir pas entendu.
-Retournons au poste de pilotage, il est temps d'amorcer les manoeuvres d'atterrissage.
-Ensuite nous profiterons de l'obscurité pour sortir le module. En restant au ras des vagues puis des arbres, nous ne pourrons pas être repérés par un radar.
En s'asseyant sur le siège du copilote, Marc ne put retenir un éclat de rire. Deux hommes préhistoriques aux commandes d'un astronef! Aucun metteur en scène de télé n'aurait pu concevoir un plus bel anachronisme !