CHAPITRE IV
Le soleil était haut sur l'horizon quand la troupe émergea de la forêt. A une lieue environ se dressait une bâtisse carrée avec d'étroites ouvertures et une porte massive. Des champs divisés en petits lopins entouraient la ferme.
-Curieux, dit Marc, il n'y a personne au travail et la porte est close.
Lorsqu'ils arrivèrent près du bâtiment, nul ne s'était manifesté. Sur l'injonction de Marc, Ray frappa du poing contre lé vantail en criant à pleine voix :
-Le chevalier Marc demande l'hospitalité.
Un oeil méfiant apparut à une meurtrière, à droite de la porte.
-D'où venez-vous ? grogna une voix.
-D'un lointain pays de l'Est, répondit Marc. Nous voyageons depuis des semaines. Nous nous sommes égarés cette nuit dans la forêt et nos montures se sont enfuies.
-Un instant...
Une longue attente commença.
-Extraordinaire, murmura Nancy. Vous parlez le langage indigène sans aucune hésitation !
-Taisez-vous ! A partir de maintenant, vous ne devez plus prononcer un mot en galactique !
Un grincement annonça l'ouverture de la porte.
-Entrez ! lança la même voix bougonne.
Ils pénétrèrent dans une vaste cour carrée.
Une dizaine d'hommes armés de piques les entourèrent.
-Ne bougez pas, chuchota Marc. Ce sont des paysans et ils ne sont guère rassurés.
A ce moment, un nouveau personnage parut. Vêtu d'une longue tunique blanche, il était grand, mince, avec un visage ridé surmonté d'une chevelure blanche. D'un geste, il fit reculer ses gens.
-Bienvenue au château du baron Olgo, étrangers. En d'autres circonstances, mon hospitalité eût été fastueuse, mais le malheur s'est abattu sur cette maison. Entrez cependant vous mettre à l'abri du soleil.
Il les fit pénétrer dans une salle basse où régnait une ombre fraîche, il s'assit sur un fauteuil à haut dossier, en bout de table, et désigna un tabouret à Marc. Ray le débarrassa de son épée et de son bouclier et entraîna les Terriens dépités dans un coin de la pièce.
-Les serviteurs ne doivent pas s'asseoir à la table des chevaliers, expliqua-t-il brièvement.
Une jeune fille s'avança, souriante, la tête auréolée par une grosse tresse de cheveux blonds. Elle était suivie de deux servantes qui portaient un pichet et des gobelets d'étain.
-Chevalier Marc, je vous présente ma fille Wanda.
La blonde tendit un godet à son père, puis à Marc. Tandis que les deux servantes allaient servir les autres, la fille se campa derrière le fauteuil de son père.
Le baron leva son verre et but, imité par Marc. Le vin était léger, mais frais et parfumé. Marc expliqua qu'il était le second fils d'un baron. Son père était mort, il ne s'entendait pas avec son frère, aussi avait-il préféré s'exiler. Il souhaitait gagner la cour du roi Arth.
Le baron sembla accepter l'explication sans difficulté.
-Me ferez-vous l'honneur, baron, de me confier le sujet de vos tourments ?
-A quoi bon ? Rien ne peut modifier notre destin.
Sur l'insistance de sa fille, il consentit finalement à dire :
-Mon voisin, le baron Wexo, s'est emparé par la force d'une partie de mes terres et chasse mes paysans. Autrefois, je lui aurais demandé raison. Malheureusement, l'âge a glacé mes os et un bouclier est un pesant fardeau pour mon bras. J'ai envoyé un messager au roi Arth, mais aucun chevalier n'est venu. Or c'est aujourd'hui qu'expire l'ultimatum lancé par Wexo. En vous voyant arriver, j'ai cru que vous étiez de ses gens.
-Que pouvez-vous faire ?
-Peu de choses, hélas! Je suis trop vieux pour quitter le manoir de mes ancêtres. Lorsque Wexo donnera l'assaut, je résisterai avec les quelques hommes qui me sont restés fidèles. Enfin, j'incendierai les bâtiments et périrai dans les flammes.
Olgo resta immobile, le visage farouche, tandis que Marc réfléchissait rapidement. Il sentit la pensée ironique de Ray s'infiltrer de ses neurones.
-Je devine que tu ne vas pas perdre de temps pour commettre une bêtise ! La fille est très belle !
Sans tenir compte de l'objection, Marc murmura :
-Votre sort me semble bien injuste, messire Olgo. Si vous me procurez une armure, je relèverai le défi qui vous a été lancé.
Le baron secoua sa tête blanche.
-Wexo est un rude jouteur qui a remporté plusieurs tournois. C'est sans doute pour cette raison que les défenseurs ne se sont pas précipités jusqu'ici !
-Je veux essayer, plaida Marc. Si j'échoue, vous pourrez toujours revenir à votre plan initial.
-Vous êtes un noble coeur, chevalier. Lorsque j'étais jeune, j'avais approximativement votre taille. Mon armure devrait vous convenir. Venez jusqu'à la salle d'armes.
Ils traversèrent la cour pour atteindre une grande pièce rectangulaire. Haches, masses, lances étaient pendues au mur. Dans un angle, une armure était disposée sur un chevalet. Le baron la tendit à Marc qui commença à la revêtir, aidé par Ray. Il fut rapidement harnaché.
-C'est parfait, dit-il en tapotant la cuirasse de son gantelet de fer. Voyons maintenant la monture.
Deux palefreniers sortirent de l'écurie un animal ressemblant fort à un cheval terrestre, hormis la tête plus massive et les sabots fourchus.
Soulevé par Ray, Marc se mit en selle. L'animal paraissait docile et bien dressé. En quelques minutes, il l'eut à sa main et le fit évoluer sous les regards admiratifs des serviteurs. Lorsqu'il mit pied à terre, la fille du baron, le visage rose, s'écria :
-Messire Marc, vous avez merveilleuse allure ! Je ne doute pas qu'avec l'aide de Dieu, vous ne terrassiez tous nos adversaires.
Le baron, favorablement impressionné, n'en restait pas moins sceptique. Soudain, des cris s'élevèrent.
-L'ennemi approche, annonça Olgo d'une voix sourde.
Ils montèrent au premier étage, dans une pièce dont les deux étroites fenêtres donnaient sur la campagne. Une petite troupe d'une vingtaine de cavaliers approchait au grand galop. En tête, chevauchait un chevalier revêtu d'une armure noire.
-Voici le baron Wexo, dit Olgo. Vous pouvez encore renoncer à l'affronter sans déshonneur.
-Vous nous avez offert l'hospitalité, répondit Marc. Il serait bien vil de ne pas aider ses amis lorsqu'ils en ont besoin.
Le chevalier à l'armure noire frappa le vantail de sa lance et lança d'une voix forte :
-Olgo ! Ce fief m'appartient désormais. Toutefois, dans ma grande bonté, j'ai décidé de t'accorder une faveur. Si tu sors seul et sur-le-champ, je te fais grâce de la vie.
-Chevalier félon ! l'apostropha Marc. Avant de pénétrer ici, il faudra d'abord m'affronter.
Wexo releva sa visière, laissant voir un visage rond et des yeux vifs et cruels.
-Qui que tu sois, je t'attends. Sache que, désormais, il ne sera pas fait de quartier! Ce soir, Olgo, ta fille partagera ma couche et ton corps pourrira dans les champs !
D'un geste brutal, il fit effectuer un demi-tour à sa monture et s'éloigna au petit trot.
-Nous n'avons plus d'autre choix, sourit Marc.
Dans la cour, le Terrien monta à cheval. Olgo lui tendit une lance.
-C'est un bois solide, dit-il. Elle ne m'a jamais fait défaut et a renversé nombre d'adversaires. La vieillesse est un grand malheur et j'aurais préféré périr sous les coups d'un adversaire.
Marc se hissa sur sa monture et ordonna mentalement à Ray :
-Prends le bouclier d'Anderson et escorte-moi. Qui sait ce que Wexo nous réserve?
-Entendu, mais branche ton écran à forte puissance. Cela m'ennuierait d'avoir à violer la loi de non-immixtion pour te secourir.
Vivement, l'androïde sella un cheval et rejoignit son ami.
La lourde porte fut ouverte, et Marc franchit le seuil au galop. Les serviteurs s'empressèrent de repousser le vantail derrière Ray. Postée devant une meurtrière avec Anderson, Nancy chuchota :
-Extraordinaire ! Nous vivons une vraie chanson de geste. Un loyal défi, comme dans la légende des Chevaliers de la Table Ronde !
Marc fit avancer lentement sa monture, ne perdant pas de vue la silhouette noire. Wexo, s'étant assuré que seuls deux hommes s'opposaient à lui, abaissa sa lance. Il éperonna sa monture et s'élança. Ses vingt cavaliers le suivirent.
-Un combat loyal, ricana Ray. Je sens que tu auras besoin de mon aide.
Stone caressa les flancs de sa monture pour accélérer son allure. Toute son attention se concentrait sur le petit rond noir qu'était le bouclier de son adversaire. Il s'inclina légèrement en avant, crispant ses muscles.
Le choc fut brutal. Malgré l'écran protecteur, Marc se sentit un instant soulevé de sa selle. D'un violent coup de reins, il parvint à rétablir son équilibre. Il eut la vision fugitive de son adversaire effectuant une cabriole avant de retomber sur le sol dans un fracas de métal tordu.
Il ne put guère profiter du spectacle. Déjà un nouvel adversaire se présentait devant lui. Le choc fut moins rude. Le cavalier ayant malencontreusement écarté son bouclier, la lance le frappa en pleine poitrine et il vida les étriers.
Marc dut lâcher sa lance pour parer de son bouclier un coup d'épée assené par un autre garde. Ce dernier n'eut pas le temps de récidiver. Ray avait suivi son ami et assommé au passage deux gardes ; il élimina celui qui menaçait Marc.
Les rangs ennemis franchis, ils firent faire demi-tour à leurs montures.
-Pas mal, pour un premier contact, commenta Ray. Wexo ne s'en est pas encore remis !
-ils sont encore bien nombreux, soupira Marc. Ils resserrent leurs rangs et nous barrent toute retraite vers la ferme.
-Avançons lentement et tiens-toi légèrement en retrait.
En quelques minutes, la mêlée devint confuse. La quinzaine de soldats restants s'efforçant d'encercler les Terriens, Marc commençait à peiner. De grosses gouttes de sueur coulaient de son front, lui piquant les yeux, brouillant sa vue. Son épée lui paraissait de plus en plus lourde et, sans son écran protecteur, il eût été blessé à deux reprises. Même amortis, les chocs étaient douloureux.
Devinant la fatigue de son ami, Ray accéléra ses coups. En dix secondes, trois cavaliers s'effondrèrent. Un certain flottement se produisit dans l'attaque ennemie. Ce bref répit permit à Marc de retrouver une respiration moins précipitée.
Le combat se déroulait maintenant à moins de cent mètres du castel. Courageusement, les ennemis tentèrent un dernier effort, concentrant leurs attaques sur Marc qu'ils sentaient moins dangereux que l'androïde. La lutte reprit, âpre, féroce. Marc ne pouvait plus que parer les coups qui lui étaient portés. Ray abattit encore deux hommes.
-Tiens bon, émit-il. Ils ne sont plus que six !
A cet instant, une vive clameur retentit. La porte du château s'était ouverte, livrant passage à une douzaine d'hommes armés de piques et de haches.
-Cela s'appelle voler au secours de la victoire, ironisa Ray. A deux contre un, ils ne prennent guère de risques !
Les cavaliers, surpris par cette attaque à revers, perdirent plusieurs minutes. Marc profita de la diversion pour abattre son épée sur le crâne d'un adversaire qui le serrait de près. Enfin dégagé, il put souffler. Démoralisés, les cinq survivants s'enfuirent au galop, abandonnant leurs blessés.
Avec des cris sauvages, les gens d'Olgo s'égaillèrent sur le champ de bataille.
Nancy, qui avait suivi toute la bataille, était livide.
-C'est épouvantable, souffla-t-elle à Anderson qui se pressait contre elle. Ils achèvent maintenant les blessés. Ce n'est pas chevaleresque!
-Pas plus que ne l'était l'attaque de Wexo avec tous ses hommes contre Stone !
Un appel impérieux de Wanda les fit sursauter :
-Prenez ce baquet et suivez-moi !
Pendant ce temps, Marc et Ray avaient regagné la cour du château, sous les acclamations des habitants de la ferme qui s'étaient regroupés dans la cour. Olgo s'avança et donna l'accolade à Marc.
-Sire chevalier, vous nous avez sauvés ! Considérez cette demeure comme la vôtre.
Marc fut rapidement débarrassé de son armure et conduit dans la grande salle. Aussitôt, Wanda lui présenta une coupe emplie de vin.
-Ce soir, dit-elle, nous organiserons un festin en votre honneur, Messire Marc. En attendant, je vous ai fait préparer un bain dans votre appartement.
Stone la suivit jusqu'au premier étage. Dans une chambre, un baquet de bois, garni d'un drap, était posé sur le carrelage.
-Déshabillez-vous, dit Wanda. Pendant ce temps, j'irai vous chercher une chemise propre.
Dès qu'elle fut sortie, Nancy grogna :
-J'espère que vous trouverez l'eau à votre convenance. Je me suis rompu les bras à porter les seaux jusqu'ici.
-C'est le travail de tout bon écuyer, rétorqua Marc en dégrafant son pourpoint. J'espère que le spectacle vous a plu, Miss Grant.
-Ignoble ! Comment avez-vous pu laisser exterminer des êtres sans défense ?
-S'ils avaient été vainqueurs, ils n'auraient pas fait de quartier !
-Vous en parlez à votre aise. Avec votre écran protecteur, vous étiez à l'abri comme dans un cocon !
Haussant les épaules, Marc retira sa chemise trempée de sueur. Sur son torse et ses bras, de nombreuses ecchymoses étaient visibles.
-Que vous est-il arrivé? s'étonna Nancy.
-Des accrocs dans le cocon. Maintenant, fermez les yeux ou sortez, car je vais retirer ma culotte !