CHAPITRE VIII
Un bruit l'éveilla brusquement. La lune s'était levée et éclairait le paysage d'une lueur fantomatique. Tendant l'oreille, Marc perçut une douce mélodie.
-La fille est sortie, il y a une demi-heure, intervint mentalement Ray. Elle se baigne dans un ruisseau, à une centaine de mètres d'ici.
Après un regard sur Peter qui dormait profondément, Marc se leva. Se faufilant à travers de hautes fougères, il approcha silencieusement de la rivière. La sorcière lui apparut alors, dans un rayon de lune. Elle avait abandonné ses hardes, et les gouttelettes d'eau couraient sur sa peau nue et nacrée. Elle chantait d'une voix rauque, prenante. Marc resta un long moment à la regarder. Puis la fille sortit de l'eau et se dirigea vers lui, les bras ouverts.
-Viens, beau chevalier, je t'attendais.
Marc eut un petit rire.
-Disons que tu espérais ma venue. Ta chanson devait m'éveiller et tu m'as entendu arriver.
Elle lui rendit son sourire. Elle était jeune et ravissante.
-Si tous les hommes étaient aussi perspicaces que toi, la pratique de la sorcellerie deviendrait vite impossible! Ne veux-tu pas t'asseoir ? Je m'appelle Jalma.
Marc céda à l'invitation et s'installa sur l'herbe douce. La fille se laissa tomber tout près de lui.
-Que fait une jolie fille comme toi, perdue dans cette forêt ?
-Je n'ai pas d'autre endroit où aller.
-N'as-tu pas de parents, Jalma ?
-Ma mère vivait dans un village, à deux journées de cheval d'ici. Le fils cadet du baron la courtisa plusieurs mois, mais lorsqu'elle fut enceinte, il l'abandonna. Il avait une telle peur de son père qu'il nia d'être pour quelque chose dans ma naissance. Ma mère fut chassée et aboutit ici. Elle avait une bonne connaissance des plantes et ses déboires lui avaient appris à être psychologue. Les petites gens alentour prirent l'habitude de la consulter. Elle acquit ainsi une solide réputation de sorcière.
-Qu'est-elle devenue ?
Le visage de la jeune fille s'assombrit.
-Il y a deux ans maintenant, une maladie inconnue a frappé plusieurs villages des environs. De nombreuses personnes ont trouvé la mort en dépit de tous les soins. Ma mère a vu plusieurs malades. Les corps étaient couverts de pustules et noircissaient. Ma mère a essayé toutes les herbes, sans succès. Les prêtres ont alors expliqué que cette épidémie était un châtiment envoyé par Dieu pour punir les hommes. Un jour, des hommes d'armes commandés par un moine sont venus. Ils ont accusé ma mère de sorcellerie et ils l'ont brûlée, juste devant la maison, en priant Dieu d'arrêter la maladie. C'était horrible !
-Comment t'es-tu échappée ?
-En entendant le piétinement des chevaux, ma mère m'avait ordonné de me cacher dans la forêt mais j'ai vu toute la scène de loin.
-Pourquoi être revenue ici ?
-Je ne savais pas où aller. Etre la fille d'une sorcière n'ouvre aucune porte. Trois mois plus tard, j'ai eu la surprise de voir arriver un premier client.
Elle sourit à cette évocation.
-C'était un vieux bonhomme qui avait décidé de se remarier à une jeunette, et il craignait de ne plus être à la hauteur de son rôle d'époux. Je lui ai donné une tisane et, depuis, il revient me voir périodiquement.
-Cette médication doit être très efficace, plaisanta Marc.
-L'essentiel n'est-il pas qu'il le croie? Ma mère m'a appris non seulement à reconnaître les plantes, mais aussi à comprendre ce qu'espèrent les malheureux. Nombreux sont ceux qui pensent avoir encore ma mère en face d'eux ! J'avoue n'avoir rien fait pour les détromper, ce qui augmente mon prestige.
Un petit frisson la secoua, et Marc passa son bras autour de ses épaules. Elle se colla aussitôt contre lui, comme si elle cherchait un peu de chaleur.
-Ce soir, il semble que notre arrivée t'ait effrayée.
-J'avoue être inquiète. La femme du baron Kuk est morte dans des conditions assez mystérieuses. Il est toujours possible que les prêtres cherchent un bouc émissaire, et je serais la victime désignée. C'est du moins ce que m'a rapporté avant-hier une villageoise.
Jalma se serra plus étroitement contre Marc.
-Tu sais, murmura-t-elle, j'ai toujours rêvé qu'un beau chevalier me fasse connaître l'amour.
Marc secoua la tête.
-Je ne puis être celui-là. Demain, je dois repartir avec mes compagnons.
-Je le sais. Tu veux aussi conquérir le Graal. Oh, inutile d'être sorcière pour deviner cela. Tu es le troisième que je vois passer en dix ans ! Les deux autres ne sont jamais revenus, le marais les a gardés.
-Toi qui vis ici, n'as-tu jamais été tentée d'y pénétrer ?
Elle secoua vivement la tête.
-C'est trop dangereux! Par endroits, la terre s'effondre sous les pieds et semble vouloir vous aspirer. De plus, il y a de nombreuses créatures venimeuses.
-Cependant tu connais bien les serpents, puisque tu nous en as fait manger ce soir.
Elle éclata de rire.
-Ceux-là n'étaient pas dangereux ! Il suffit de savoir les capturer et ensuite de les accommoder.
-Ce que tu réussis fort bien.
-Je ne suis pas une sorcière, mais certaines nuits je vois des choses troublantes. Pourtant, je sais qu'elles ne sont pas devant mes yeux. C'est comme si elles éclairaient ma tête.
Marc songea qu'il pouvait s'agir d'une forme de télépathie.
-Que montrent ces visions? s'enquit-il, brusquement intéressé.
-Ce sont des images très fugaces, toujours les mêmes. Un grand vase orangé, d'une couleur éclatante, une colline entourée de nuages. Au milieu de cette montagne, une ouverture et une immense caverne. Puis je ressens comme un appel, une invitation à venir. Ensuite tout s'efface.
-Fais-tu souvent ce rêve, Jalma ?
-C'est très variable ! Parfois deux jours de suite, puis je reste des mois sans rien percevoir.
Pensif, Marc se demanda si ce mystérieux Graal pouvait émettre des ondes psychiques. Il sentit alors le visage de Jalma tout proche du sien. Le souffle de la jeune fille caressait sa joue.
-Non, murmura-t-il, cela ne serait pas raisonnable. Je reprends la route dans quelques heures.
-Je t'en prie, juste une fois.
Il était bien difficile pour Marc de garder l'esprit lucide lorsqu'une très jolie femme se cramponnait à lui. Il eût fallu être un saint pour la repousser. Or il n'en était pas un...