CHAPITRE XVII
Les cinq otages étaient enfermés dans une pièce seulement éclairée par une étroite fenêtre. Le mobilier était des plus sommaires, ne comportant qu'une table, des tabourets et des lits de camp.
L'ouverture de la porte réveilla en sursaut les prisonniers. Les hommes n'avaient pas bonne mine avec leur barbe de plusieurs jours. Seule Miss Swenson avait gardé une certaine allure.
Le capitaine Joë Smith propulsa Nancy dans la chambre. Eclatant d'un gros rire, il annonça : -Je vous amène un peu de compagnie ! Une recrue de choix ! La propre fille du Président ! Je connais les usages ! Vous resterez ainsi entre gens du monde.
Il avança de quelques pas, suivi de son second et d'un cosmonaute portant une caméra vidéo. Joë dévisagea un instant ses prisonniers d'un regard glacé.
Soudain son poing s'abattit avec violence sur la table.
-Je suis très mécontent, gronda-t-il. Mes correspondants sur Terre m'ont informé que vos amis ne se démenaient guère pour réunir l'argent de votre rançon. Je vous donne la chance de lancer un dernier appel qui sera enregistré et envoyé à une télévision terrienne. J'espère pour vous que vous serez convaincants. En effet, si l'échange n'a pas lieu dans quatre jours comme prévu, l'un de vous mourra de manière très désagréable. Cette planète abrite une race d'énormes fourmis carnivores. Celui ou celle que j'aurai choisi sera attaché sur un nid et la scène sera intégralement filmée et diffusée. Cela donnera à réfléchir aux autres.
Avec un petit sourire, il ajouta :
-Surtout, ne croyez pas faire des économies. Les survivants devront payer en plus la rançon du mort ! Goldman, lancez votre appel, Bob vous enregistre.
Tour à tour les six prisonniers défilèrent devant la caméra.
Apparemment satisfait, Joë ordonna alors :
-Bob, porte la bande au vaisseau et expédie-la en accéléré à notre ami. Je veux qu'elle passe à la télévision dans moins de douze heures.
L'homme s'éclipsa aussitôt. Avant de sortir, Smith lança à Nancy :
-L'appel lancé à ton père n'était pas fameux. Après la conversation que nous aurons ce soir, je pense que tu auras réellement une raison pour être convaincante !
Il sortit en claquant la porte, laissant ses prisonniers immobiles. Elsa Swenson réagit la première et s'avança vers Nancy. Doucement, elle passa le bras autour de ses épaules.
-Venez vous allonger, Miss Grant, vous êtes épuisée. Alex, apportez-lui un verre d'eau.
Avec une grimace, elle précisa :
-C'est la seule boisson dont nous disposons !
Gorda, grand, le cheveu rare et grisonnant, alla emplir un gobelet plastique à un tonnelet et l'apporta aux deux femmes en déclarant avec un accent slave prononcé :
-Pitoyable régime ! Si nous avions un peu de vodka de mon pays, je me sentirais capable d'écraser toutes ces vermines.
-Votre liquide ne vaudra jamais un vrai whisky écossais, comme on en distille encore dans une de mes usines ! ironisa Penford.
Laissant les bavards à leur éternelle discussion, Elsa aida Nancy à s'étendre sur le lit de camp.
-Comment ce pirate a-t-il réussi à vous capturer? demanda-t-elle. Je vous croyais en train d'explorer une planète primitive.
-C'est justement là-bas qu'ils sont intervenus.
D'une voix entrecoupée par les sanglots, elle conta la trahison de Peter et l'intervention des pirates.
-Votre escorte n'a pas pu réagir ?
-Non ! Le capitaine Stone et son androïde étaient impuissants contre un robot de combat.
Elsa devint brusquement très pâle.
-Qui vous accompagnait ?
Nancy lui relata en détail ses tribulations.
-Qu'est devenu le capitaine Stone ? l'interrompit Elsa, angoissée.
-Il est mort !
-En êtes-vous certaine ?
-Du module, nous avons vu la montagne exploser.
Malgré toute sa force de caractère, Elsa sentit une larme perler à ses paupières.
« Marc ! Ce n'est pas possible », songea-t-elle.
La porte s'ouvrit à nouveau, livrant passage à deux hommes au visage simiesque vêtus seulement d'un pagne de fourrure. Nancy poussa un cri effrayé.
-N'ayez crainte, la rassura Elsa. Ce sont seulement des autochtones qui nous apportent des tonneaux d'eau. Nous ne disposons d'aucun bloc sanitaire et sommes contraints de faire notre toilette dans ces bacs.
Montrant la combinaison argentée qu'elle portait, tachée et déchirée en plusieurs endroits, elle ajouta :
-Depuis notre capture, nous n'avons pu changer de linge. Voulez-vous faire votre toilette la première ?
Miss Grant secoua la tête et se recroquevilla sur son lit.
-Non, sur le vaisseau pirate, j'ai utilisé le bloc sanitaire et ils m'ont donné cette combinaison de vol. Ma tenue d'écuyer du Moyen Age était si maculée de boue qu'ils ont craint que je n'apporte une foule de microbes.
La journée se prolongea, interminable, seulement troublée par l'apparition des primitifs qui apportaient les repas, en fait de simples boîtes de rations militaires.
-ils ne se mettent pas en frais de cuisine, constata Nancy. J'en viens presque à regretter la soupe de serpent que j'ai dû ingurgiter sur Armina.
Questionnée par les hommes, Miss Grant parla de sa découverte du Graal et des aventures qui l'avait précédée. Elle ne vit pas qu'Elsa pâlissait à chaque fois qu'elle prononçait le nom de Marc.
Pour dissimuler son émotion, la jeune femme se leva et s'approcha de l'étroite fenêtre. Le soleil déclinant l'éblouissait. Elle apercevait cependant une petite esplanade et une autre bâtisse préfabriquée. Depuis l'instant où elle avait été enfermée c'était son seul horizon. Un cosmonaute traversa son champ de vision. Il dirigeait une colonne de primitifs portant de lourds fûts emplis d'eau. Les hommes pliaient sous le poids des tonneaux. Tous portaient autour du cou un collier noir orné d'une plaque métallique. Ces engins pouvaient déclencher d'abominables souffrances, lorsqu'ils étaient activés par un émetteur radio. Soudain, une silhouette parmi les primitifs attira son attention et elle ne put retenir une exclamation. Incrédule, elle regarda à nouveau, mais la colonne avait déjà tourné l'angle de la cabane et disparaissait.
-Que vous arrive-t-il, chère amie? demanda Ho-Huang de sa voix nasillarde.
Elsa se passa doucement la main sur les yeux.
-Rien, je pense que cette captivité me rend folle. J'ai des hallucinations.
Ho-Huang hocha la tête.
-Nous en sommes tous là ! Toutefois je me suis juré que si je recouvrais la liberté, je consacrerais le reste de ma fortune à pourchasser ces bandits. J'aimerais assister à leur agonie.
Un froid sourire découvrit les dents blanches d'Elsa.
-Dans ce cas, nous serons deux. J'ai beaucoup plus à leur faire expier que ma captivité !
Ils sont responsables de la mort du seul être que j'aie jamais aimé.
La nuit tombée, une maigre ampoule suspendue au plafond éclaira la pièce. Ils grignotèrent en silence leurs rations indigestes.
-C'est encore pire, ironisa Elsa, que la nourriture fournie par les distributeurs que fabrique notre ami Goldman.
-C'est une véritable calomnie ! protesta ce dernier. Mes productions sont de première qualité et nous n'avons jamais eu une plainte justifiée.
Leur maigre repas terminé, Gorba déplia sa grande carcasse.
-Ces ignobles chiens ne nous permettent aucune distraction. Ils auraient au moins pu nous donner des cartes ou, mieux, un jeu d'échecs !
-N'y comptez pas ! lança Elsa. Vous voyez bien que leur but est de nous avilir et de nous dégrader. Plus nous aurons l'air misérable, plus l'opinion publique admettra le paiement de la rançon.
-Mon argent est à moi! rétorqua Goldman. Je l'ai gagné et j'en dispose à mon gré. Nul ne peut s'y opposer.
-C'est à voir, intervint Penford avec son calme tout britannique. Je conçois qu'une telle ponction sur le marché monétaire ne soit pas du goût des autorités.
L'ouverture de la porte interrompit la discussion. Bob, le cosmatelot cinéaste amateur, un pistolaser à la main, ordonna :
-Miss Grant, suivez-moi ! Le capitaine vous demande.
Comme la jeune fille hésitait, il eut un geste menaçant du canon de son arme.
-Pressez-vous ! Joë n'aime pas attendre.
S'efforçant de masquer le tremblement qui agitait ses membres, Nancy sortit de la baraque. L'air de la nuit était chaud et parfumé. Elle contempla un instant le ciel empli d'une myriade d'étoiles. Lequel de ces points minuscules était le soleil? Poussée par son geôlier, Nancy traversa l'esplanade de terre battue jusqu'à un autre bâtiment préfabriqué distant d'une quarantaine de mètres.
Smith était assis dans un fauteuil et buvait un scotch. A l'arrivée de Nancy, il leva son verre en s'esclaffant :
-Bienvenue dans mon humble demeure. Merci, Bob, va te coucher, mais vérifie auparavant que les sauvages sont bien bouclés. Il ne faudrait pas qu'ils s'avisent de nous attaquer par surprise.
Le cosmatelot éclata de rire.
-Aucun danger! Une seule décharge des colliers de rappel les obligera à retourner à la niche.
Resté seul avec Miss Grant, Smith l'examina longuement de l'air d'un maquignon qui vient d'acquérir une jument.
-Pas mal, pas mal, murmura-t-il d'un ton goguenard. Tenez, buvez un whisky.
Le coeur battant, la bouche sèche, Nancy secoua négativement la tête. Les traits du capitaine se figèrent.
-Ecoutez bien, articula-t-il d'une voix polaire. Ici, je commande ! Vous allez ingurgiter votre alcool et ensuite vous vous déshabillerez.
-Jamais ! hurla-t-elle, le défiant du regard.
-Vous ferez exactement ce que je vous ordonne et vous vous prêterez à toutes mes fantaisies aussi longtemps que je le désirerai, sinon...
Il laissa une seconde de sa phrase en suspens avant de reprendre avec un sourire sarcastique :
-... Sinon je vous enferme dans une chambre avec quelques primitifs. Cela fait quinze jours qu'ils n'ont pas approché de femelle, et ils seront enchantés de pouvoir se distraire. Je suis sûr que cela vous étonnera. Enfin vous pourrez raconter à vos amies que vous avez connu le grand frisson.
-Vous êtes ignoble, souffla Nancy. Je me plaindrai...
Un grand éclat de rire l'interrompit.
-Vous vous plaindrez à votre père ! C'est justement ce que je souhaite. Je veux que, demain, votre message soit si désespéré que son passage sur les écrans arrache des larmes à toutes les familles terriennes. C'est l'opinion publique qui obligera le Président à cautionner l'échange des otages. Il sauvera ainsi la face. N'est-ce pas l'essentiel pour un homme politique? Maintenant, assez flirté. Videz votre verre et ôtez cette combinaison. Vous avez une minute pour vous décider. Passé ce délai, ce sont les primitifs qui s'en chargeront !
L'esprit en déroute, Nancy tendit la main vers le gobelet. L'alcool lui brûla la gorge et la fit tousser.
-Pas mal pour un début! Bois un autre verre ! Le whisky est médiocre, mais dans quelques jours j'aurai les moyens de m'offrir du très vieux scotch ! Maintenant, déshabille-toi !
Les yeux embués de larmes, Nancy hésita encore. « Ce n'est pas possible, c'est un mauvais rêve, un cauchemar, je vais me réveiller... »
Incrédule, elle contempla le visage rond et rougeaud de son tortionnaire. Le colosse était vautré sur son fauteuil et il la contemplait, les yeux brillants.
-Plus que trente secondes ! Ensuite, j'envoie chercher deux primitifs. Je me demande même si ce ne serait pas une excellente idée. Bob filmerait la scène et nous expédierions les images sur Terre. Un sacré scoop pour les télévisions! Les ébats de la fille du Président avec des sauvages ! Un véritable festival écologique et naturiste !
La poitrine secouée de sanglots, Nancy approcha une main tremblante de la première agrafe magnétique de sa combinaison d'astronaute.
-Bien, s'esclaffa Joë. Il n'y a que le premier geste qui coûte. Maintenant presse-toi, nous ne sommes pas sur une scène de striptease !
Les oreilles bourdonnantes, Nancy sentait un brouillard cotonneux envahir sa cervelle. A l'instant où la dernière agrafe se détachait, un grondement sourd fit vibrer les minces parois de la cabane. Joë se leva brusquement et porta la main à sa ceinture où pendait un pistolaser. D'un geste vif, il saisit le bras de Nancy et la traîna vers la porte en grognant.
-Si quelqu'un veut déclencher les hostilités, tu seras la première victime.