CHAPITRE XV
L'amiral Neuman pénétra dans le bureau du Président. Très raide, il arborait une mine sinistre. Grant lui désigna un fauteuil en maugréant :
-Pourquoi m'avoir demandé un rendez-vous urgent en pleine nuit ?
-J'ai de graves nouvelles à vous annoncer, monsieur le Président. Je n'ai pas voulu prendre le risque de les confier par vidéophone, même sur la ligne protégée.
Grant étouffa un bâillement. L'appel de Neuman l'avait réveillé dans son premier sommeil et il avait dû s'habiller en vitesse.
-Je vous écoute.
Plus mal à l'aise que s'il était assis sur un coussin d'oursins, l'amiral commença :
-Cet après-midi, nos services d'écoute ont capté un message de ce mystérieux capitaine Smith. Il... il...Après une hésitation, Neuman lança très vite, comme pour se débarrasser d'un fardeau :
-Il a capturé votre fille Nancy !
Le Président ne put réprimer un sursaut. Son visage se figea, soudain livide.
-C'est impossible, souffla-t-il, elle participe à une exploration sur Armina.
-Il semble que ce soit justement là-bas qu'il s'en soit emparé. Smith a fourni des détails convaincants. De plus, Miss Grant est apparue quelques secondes sur l'écran. Des spécialistes ont examiné à plusieurs reprises la séquence. Ils sont formels, aucun trucage n'est possible. Elle paraît très fatiguée, mais apparemment en bonne santé.
Le Président parut se tasser sur son siège.
-Le capitaine Stone ?
-Nous sommes sans nouvelles de lui, et nous avons perdu tout contact avec son astronef, le Neptune. Il semble qu'il se soit volatilisé dans l'espace !
-Et Peter Anderson ?
-Il n'a pas été fait mention de sa présence. Toutefois, là encore, j'ai réuni des indices inquiétants. Dès l'annonce de l'enlèvement de votre fille, mes services ont démarré leur enquête, ne négligeant aucune hypothèse. Les ordinateurs ont travaillé très vite. Quand votre fille a-t-elle fait la connaissance d'Anderson?
-Il y a deux ans, je crois, à la faculté. Ils travaillaient sur le même sujet.
L'amiral hocha la tête.
-Anderson est arrivé sur Terre voici exactement vingt-six mois. Il a présenté des documents attestant qu'il était originaire de Terrania XVI.
-Effectivement. Il m'a parlé une fois de ses parents qui habitaient encore là-bas et qui possèdent une grosse fortune dont ils faisaient généreusement profiter leur fils.
L'amiral eut un ricanement amer.
-Il existe en effet une famille Anderson. Malheureusement, mon correspondant local, qui les a interrogés, a découvert que leurs fils unique était mort depuis plus de trois ans !
-Mais Peter recevait régulièrement de gros virements d'argent de Terrania XVI.
-C'est exact, monsieur le Président. Mon agent a également découvert que l'argent de Terrania XVI provenait en réalité de Solan.
Grant esquissa une grimace.
-Vous n'ignorez pas, monsieur le Président, que cette planète n'a adhéré que du bout des lèvres à l'Union Terrienne et qu'elle ne respecte pas nos lois avec la rigueur nécessaire. Nos représentant sont cloîtrés dans leur ambassade et les autorisations pour se poser sur l'astroport sont accordées aux astronefs selon d'étranges critères. Il faut reconnaître que, malgré l'action de mes services, Solan est devenu le plus grand repaire de pirates de la Galaxie !
-Vous pensez que Peter serait complice de l'enlèvement de ma fille ?
-C'est une hypothèse qui doit être envisagée.
Grant s'épongea le front.
-Je ne puis le croire ! Est-ce tout ?
-Malheureusement non ! Si l'enquête sur la fortune d'Anderson a abouti aussi rapidement, c'est que nous travaillions déjà sur une voie parallèle. Comme vous nous l'avez demandé, nous surveillons attentivement les milieux financiers, en raison du risque d'effondrement des titres des sociétés dont les cinq otages sont propriétaires. Or des informateurs boursiers m'ont signalé que des investisseurs solaniens étaient prêts à engager de grosses sommes dès que les actions auraient suffisamment baissé.
-Vous pensez qu'ils sont complices des ravisseurs ?
-Ils achèteront à bas prix des actions avec l'argent qu'ils auront extorqué aux propriétaires de ces sociétés. La manoeuvre est astucieuse. Ainsi des Solaniens contrôleront des usines qui, pour certaines, sont vitales pour la Terre.
Les deux hommes restèrent un moment silencieux.
-Nous pourrions bloquer les avoirs solaniens, suggéra le Président.
-C'est possible, mais je crains que le remède ne soit pire que le mal. Tout le système monétaire de l'Union Terrienne est basé sur la notion de libre circulation des biens et des marchandises. Si nous faisons un accroc à cette règle, nombre de planètes s'inquiéteront et seront tentées de retirer leurs capitaux investis sur Terre. Cela créera un désordre tel qu'il entraînera un écroulement de tout notre système bancaire !
Le Président prit un cigare qu'il décapita d'un coup de dent rageur.
-Que vient faire ma fille dans cette combine financière ?
-C'est un gros atout qu'ils se sont donné. Le pirate exige sa rançon pour les otages dans un délai de six jours. Il nous a informé des modalités de l'échange. L'argent devra être chargé sur un aviso de mon Service qui se rendra dans un système solaire désigné au dernier moment. Là, il rencontrera le "bâtiment pirate. Les deux astronefs bord à bord, un tunnel de communication sera installé. L'échange se fera au milieu.
Le Président releva vivement la tête.
-Ne serait-il pas possible d'agir à ce moment ? Un commando bien entraîné pourrait tenter de donner l'assaut !
Neuman parut embarrassé.
-Ce damné pirate a certainement envisagé cette hypothèse. Il a précisé que votre fille serait seule dans un module télécommandé à bonne distance des astronefs. A la moindre tentative de coup de force, Smith a juré de faire exploser l'engin. Il en serait de même si, l'échange terminé, nous tentions de l'arraisonner avant qu'il ne plonge dans le subespace.
Cette précision accabla le Président qui enfouit son visage dans les mains. Mû par un dernier espoir, il demanda d'une voix hésitante :
-Le pirate voudra certainement regagner Solan. Ne pourrions-nous l'intercepter à ce moment?
Neuman haussa les épaules.
-Une fois son coup réussi, il lui suffit de donner rendez-vous à un honnête cargo-nef, de prendre place à son bord et de faire disparaître son vaisseau. Nous ne pouvons contrôler pendant des semaines tous les navires qui se poseront sur Solan.
Un lourd silence plana dans le bureau.
-Quels sont vos ordres, monsieur le Président? murmura Neuman.
Grant secoua la tête.
-Pour l'instant, continuez vos investigations et tenez-moi informé de tous les développements. Quant au reste, j'ai besoin de réfléchir.
L'amiral se leva et quitta le bureau. A l'instant où il allait refermer la porte, il crut percevoir un sanglot étouffé.