CHAPITRE XIII

L'aube trouva les Terriens debout. Peter, qui avait perdu son sourire, grogna :

-C'est la dernière journée ! Si nous ne sommes pas sortis de ce cloaque ce soir, le capitaine devra appeler le module.

-C'est entendu, soupira Nancy, mais il est écrit que pour pouvoir approcher le Graal, il faut savoir surmonter les épreuves imposées!

-Ce sont des sornettes puisées dans tes mauvais bouquins.

Miss Grant se rebella aussitôt :

-Tais-toi ! Nous les avons lus ensemble et tu étais le défenseur le plus acharné de cette manière d'agir. Je constate que les difficultés te font reculer !

-C'est toi qui es ridicule ! Regarde-toi dans une glace ! Tu as un visage décomposé ! Seul ton orgueil t'empêche de l'admettre !

-Si vous avez terminé cette discussion mondaine, nous pourrions nous mettre en selle ! intervint Marc.

Ray marchait à grandes enjambées. Questionné par Marc, il répondit :

-Juste avant le lever du jour, j'ai encore capté une onde de très brève durée. Naturellement, je n'ai pu en localiser la source. Actuellement, je ne reçois plus rien.

Vers onze heures, Marc décida d'avancer le moment de la halte. En effet, malgré tous les efforts qu'elle faisait pour dissimuler son épuisement, Nancy ne tenait en selle que par miracle.

Il poussa la galanterie jusqu'à aider la jeune femme à descendre de cheval.

-Je crois que Peter avait raison, nous ne parviendrons jamais à atteindre la colline ! se plaignit-elle.

-Je pense, au contraire, que nous ne tarderons pas à y arriver.

-Qu'en savez-vous ? grommela Peter. Il est impossible de se repérer dans ce fouillis végétal !

Marc désigna du doigt le sol humide.

-Regardez mieux ! Ici, l'eau n'est plus stagnante mais animée d'un léger courant. Cela signifie que le sol se relève insensiblement.

-Balivernes ! lança grossièrement Peter. Pas plus que nous, vous ne savez où vous êtes.

Calmement, Marc interrogea Ray qui répondit avec ironie :

-Dans moins de deux heures, nous devrions émerger de la forêt.

Cette confirmation ragaillardit les explorateurs amateurs. Peter, plein de zèle, bondit sur ses pieds.

-Repartons immédiatement, suggéra-t-il.

Marc tempéra son ardeur d'un geste.

-Nous ne sommes plus à une heure près. Les montures ont besoin de repos.

Là-dessus, il s'allongea et ferma les yeux. Nancy s'empressa de l'imiter, car elle se sentait à la limite de l'épuisement.

En milieu d'après-midi, comme Ray l'avait annoncé, les voyageurs sortirent de la forêt. Brutalement, sans aucune transition, la colline apparut en pleine lumière. Elle mesurait à peine huit cents mètres de haut et était pelée, poussiéreuse, dotée d'une végétation rabougrie. La roche paraissait à nue, les eaux de ruissellement ayant entraîné toute trace de terre.

-Cette fois, émit Ray, j'ai nettement capté une onde. Malheureusement l'émission a été trop brève pour que je puisse en localiser la source.

-Active tous tes détecteurs et préviens-moi si tu perçois une anomalie.

Miss Grant scrutait avidement la colline et semblait déçue.

-Je ne distingue rien d'intéressant. Où devons-nous chercher ?

Marc désigna un point noir, environ à mi-hauteur.

-Je pense que ceci est l'ouverture d'une caverne. Si votre Graal existe, c'est là que nous devrions le trouver.

-Qu'en savez-vous ? grogna Peter.

Marc esquissa un sourire.

-En mission, je ne néglige aucun indice. J'ai longuement discuté avec Jalma qui m'a confié avoir vu cette colline en rêve.

-Si, maintenant, vous interprétez les songes d'une sorcière...

-Qui sait si elle n'était pas télépathe ? Mais si vous avez une autre suggestion à faire, je vous écoute. Moi je n'ai pas lu autant de vieux livres que vous et je ne suis qu'un accompagnateur.

Nancy s'empressa d'intervenir :

-Commençons donc par vérifier s'il y a réellement une caverne là-haut !

Bien que vivement sollicitées, les montures ne purent gravir la pente très raide qu'au pas. Pour les Terriens impatients, les dernières minutes d'ascension parurent interminables. Enfin ils parvinrent à l'entrée de la grotte. Ray, le premier, jeta un coup d'oeil.

-Je ne perçois aucune présence.

Marc sauta de cheval, imité par ses compagnons. L'entrée était circulaire, à peine à hauteur d'homme. L'obscurité empêchait de distinguer le fond du boyau.

-Donnenous de la lumière, Ray, et avance.

L'androïde activa son projecteur cervical et un faisceau lumineux balaya la paroi de pierre. En file indienne, les Terriens suivirent. Ray pendant une centaine de mètres.

-Nous arrivons au fond d'un cul-de-sac, constata Peter avec dépit.

-Il y a une autre galerie qui s'ouvre à angle droit, annonça Ray.

Cinq minutes plus tard, ils parvenaient dans une vaste caverne. Au centre paraissait flotter, à deux mètres du sol, une sphère lumineuse brillant d'un éclat orangé. Marc avança et s'immobilisa, les yeux mi-clos. Une onde psychique frappait avec intensité ses neurones et il s'efforçait de saisir ce qu'on lui suggérait.

Nancy et Peter regardaient la scène, fascinés.

-Extraordinaire, chuchota-t-elle. On dirait qu'il prie, comme dans la légende !

Stone parvint enfin à entrer en contact avec la sphère qui disait :

-Bonjour, Marc. Je constate avec plaisir que ton esprit est particulièrement réceptif.

-Qui êtes-vous ?

-Traduit dans votre langue, le nom de ma race serait à peu près « Bzik ». Nous prenons naissance dans l'espace -intergalactique, puis nous errons à travers les galaxies pendant des centaines de milliers de vos années. Pour nous distraire, nous visitons parfois des planètes peuplées de créatures vivantes. Je pense même avoir visité très récemment ta planète, la Terre.

Marc perçut aussitôt une sensation d'hilarité, comme si la sphère s'amusait.

-Excuse-moi, ami, j'oubliais que nous n'avons pas la même échelle de temps. Je voulais dire quelques milliers d'années.

-Le Graal, c'est donc vous !

-C'est ainsi que l'on m'a dénommé sur la Terre.

-Quel but poursuivez-vous ?

-Aucun ! Je m'amuse seulement à contempler la vie des créatures, tout en restant caché pour ne pas perturber leur évolution naturelle. A ma manière, je respecte aussi une loi de non-immixtion. Dans un très large rayon, je peux capter des milliers de pensées en même temps. Malheureusement j'ai souvent l'impression d'assister à un spectacle malsain, mais je me distrais en contemplant vos luttes ridicules.

-Pourquoi avoir suggéré cette notion de quête?

-Toujours pour la beauté du spectacle.

-N'est-il pas cruel de pousser ainsi des individus à affronter de graves périls ?

-Ils ont toujours eu le choix. Je percevais leurs pensées intimes et je savais qu'au fond d'eux-mêmes existaient toujours cupidité, jalousie, espoir de richesse plus que de gloire. J'espérais aussi apporter un peu de sagesse. Seuls pouvaient m'approcher les bons, les purs, les courageux. De plus, pour que les humanoïdes puissent progresser, il leur faut d'abord apprendre à dominer la nature et les animaux qui les entourent. Cela demande force et courage. L'idée de me conquérir les obligeait à se surpasser, même si ce n'était pas toujours dans un but désintéressé. Cela servait d'exemple aux autres. C'est un peu grâce à mon intervention que ton Occident a pu émerger de la barbarie et accéder au Moyen Age !

Cet échange mental n'avait duré en réalité qu'une minute. Marc se tourna vers ses compagnons.

-Fascinant, murmura Ray. Energie et intelligence à l'état pur, sans la moindre trace de matière organique !

Nancy éclata d'un rire nerveux et saisit le bras de Peter.

-J'avais raison... j'avais raison... Nous avons réussi...

Un curieux sourire étira les lèvres de Peter.

-Effectivement, nous avons réussi, mais pas comme tu le crois.

S'adressant à l'androïde, il lança d'une voix forte :

-Ray ! Code 2195 : ceci est un ordre. Liquide le capitaine Stone ! Utilise ton désintégrateur !

Ray eut un sursaut et s'immobilisa une fraction de seconde.

-Tu es fou, Peter, que signifie cet ordre? s'exclama Nancy.

D'un geste vif, l'homme saisit le bras de Miss Grant.

-Ne bouge pas, tu es ma prisonnière !

Les yeux brillants, il ajouta à l'intention de

Marc :

-En plus du programme sur la civilisation d'Armina, j'ai doté Ray de quelques circuits supplémentaires qui l'obligent à m'obéir. J'ai été conseillé par un excellent cybernéticien ! Il est dommage pour vous de mourir maintenant. Vous n'assisterez pas à mon triomphe. Allez, Ray, exécute mon ordre !

Lentement, l'androïde leva son bras gauche.

« Non, pensa Marc, ce n'est pas possible »...

Soudain, Ray pivota et sa main s'abattit avec violence sur le visage de Peter. Le choc fut si rude qu'Anderson recula de plusieurs pas avant de s'affaler sur le sol, saignant du nez et de la bouche. La pensée familière s'infiltra dans les neurones de Marc.

-Désolé de l'avoir donné des émotions mais j'ai été surpris par le déclenchement de ce code, il m'a fallu mobiliser tous mes circuits pour arriver à neutraliser cette programmation ! Cette vipère avait effectivement introduit à notre insu des données destinées à me prendre sous son contrôle. Heureusement, il ignorait que je ne suis pas d'un modèle courant.

Nancy restait pétrifiée, son regard allant de Marc à Peter. Elle marmonnait :

-Je ne comprends pas... Je ne comprends pas...

A ce moment, une voix lança :

-Les mains en l'air, on ne bouge plus !

Un robot, gros ovoïde métallique se déplaçant sur coussin d'air, apparut, suivi de deux hommes en tenue d'astronaute. L'un était grand et corpulent, hirsute, le visage encadré par une courte barbe tirant sur le roux. L'autre était très maigre.

-Le gros pépin ! émit Ray. Cette casserole ambulante est un robot de combat d'un modèle récent. Son désintégrateur est si puissant que ni ton écran ni le mien ne résisteront plus d'une seconde.

Le colosse rouquin tendit la main et aida Peter à se relever.

-Bon Dieu, pourquoi as-tu mis tant de temps à nous appeler ? Cela fait trois jours que nous tournons autour de cette fichue planète.

Ray lança mentalement à Marc :

-Voilà l'explication des ondes radio que je recevais. Cette ordure avait dissimulé sur lui un petit émetteur de survie comme en possèdent les agents de la Sécurité galactique !

Encore chancelant, Peter répliqua en désignant la sphère lumineuse :

-Regarde ce que nous avons découvert !

Le rouquin plissa les yeux.

-C'est quoi, ce truc?

-Je l'ignore, mais ça doit valoir une fortune.

-Nous n'avons pas le temps de nous en occuper. Nous avons la fille et c'est l'essentiel. Nous n'allons pas compromettre la plus merveilleuse combine du siècle pour un truc dont nous ignorons la valeur. Viens, fichons le camp !

Le rouquin saisit Nancy par le bras et la tira à lui, malgré ses vigoureuses protestations. Peter hésita un instant, puis s'élança vers la sphère irisée en hurlant :

-Je veux l'emporter... C'est le Graal !

A peine sa main eut-elle frôlé l'engin qu'une vive lueur jaillit. Le corps de Peter fut entouré d'une myriade d'éclairs qui s'éteignirent aussi brusquement qu'ils étaient apparus.

Stupéfaits, les Terriens contemplèrent un petit tas de cendres sur le sol : c'était tout ce qu'il restait de Peter.

-Effrayant, murmura le type maigre. Il a été comme foudroyé !

Le colosse retrouva le premier son sang-froid.

-Aucune importance ! Sa mission était de nous permettre de capturer la fille. Il n'avait plus aucune utilité. Nous profiterons de sa part. Nous n'avons plus qu'à liquider ce type et son androïde, et nous filons !

-Un instant, Joë, marmonna l'autre en consultant une batterie d'instruments de mesure fixée à sa ceinture. Ce truc semble bourré d'une énergie phénoménale. Si le robot utilise son désintégrateur, la sphère risque d'exploser et nous serons volatilisés ainsi que la montagne. Mes instruments indiquent qu'il y a plus d'énergie là-dedans que dans un missile thermonucléaire.

-En es-tu certain, Kurt?

-Regarde toi-même, le compteur est au maximum.

Le colosse porta la main au pistolaser qui pendait à sa ceinture.

-Dans ce cas, je me chargerai de la besogne.

-Inutile, ils ont une ceinture protectrice.

-Que proposes-tu ?

-Programme le robot pour qu'il ne tire que dans une de mi-heure. Cela nous donne largement le temps de filer avec le module. Nous assisterons à l'explosion avant d'atteindre l'astronef !

Joë hésita un instant.

-Tu as raison, soupira-t-il, mais il est dommage de sacrifier un beau robot de combat pour ce seul type.

-Mieux vaut un robot que nous. Avec la montagne de fric qui nous attend, tu pourras toujours t'en acheter un autre.

Les deux compères s'engouffrèrent dans la galerie, traînant Nancy. L'ouïe électronique de Ray avait saisi toute la conversation. Préoccupés comme ils l'étaient, les Terriens n'avaient pas pris garde au minuscule grain de lumière qui s'était échappé de la sphère. Après avoir voltigé le long de la voûte de la caverne il s'était posé sur le robot et avait disparu.