CHAPITRE XII
Deux jours ! Depuis deux jours, les Terriens avançaient dans ce marais qui devenait de plus en plus sinistre. De grands arbres aux formes tourmentées étiraient leurs branches vers le ciel et masquaient complètement le soleil. De plus, les étangs profonds les obligeaient à d'interminables détours.
Ray avançait en tête de colonne, suivi de Nancy et Peter. Marc fermait la marche. Malgré son entraînement, il commençait à trouver la promenade fastidieuse. Sur un appel psychique du capitaine, l'androïde arrêta sa monture sur une petite zone couverte d'herbe moins humide qu'ailleurs et aida Miss Grant à mettre pied à terre.
Ces deux journées avaient marqué la jeune tille. Ses traits étaient tirés par la fatigue, et des cernes creusaient ses paupières. Elle se laissa tomber sur le sol. Soudain, elle poussa un cri. Un long serpent se coulait à travers les herbes. Heureusement Marc avait exigé que les écrans protecteurs fussent gardés à bonne intensité!
Peter n'était pas en meilleure forme. Le premier, il exprima sa mauvaise humeur :
-Cette équipée est ridicule, Nancy. Nous sommes venus enquêter sur le Graal et non participer à un marathon.
Miss Grant se passa la main sur le front d'un geste las.
-Je le sais, Peter, mais j'aurais tant voulu suivre l'itinéraire des chevaliers jusqu'à son terme. Marc, sommes-nous encore loin de cette maudite colline ?
-D'après Ray, vingt kilomètres à vol d'oiseau. Mais, avec les détours, il faut bien compter le double. Nous ne pouvons espérer y parvenir avant demain en fin de journée. Vous avez fait la preuve de votre courage et vous avez assez de documents. Appelons le module.
-Donnez-moi encore quelques heures ! Si demain nous n'avons pas atteint notre but, je me rallierai à votre solution. Profitons des quelques heures de jour qui restent pour avancer.
Marc inclina la tête en murmurant :
-Vous êtes courageuse ! En selle. Un peu plus tard, Ray s'immobilisa brusquement et désigna la silhouette d'un chevalier en armure, entre deux grands troncs. Ses bottes plongeaient dans l'eau du marais.
-Fâcheuse rencontre, marmonna Nancy, Espérons qu'il ne voudra pas livrer bataille !
-C'est peu probable, ricana l’androïde. Regardez bien !
Dans la lumière déclinante apparaissaient de nombreux filaments translucides. L'armure semblait se trouver au centre d'une gigantesque toile d'araignée.
Ray sectionna avec son laser une branche qu'il lança vers la cuirasse. Le soliveau fut retenu par les filaments. Aussitôt une monstrueuse créature de près d'un mètre de diamètre jaillit de l'eau. Ses crochets venimeux se plantèrent dans le bois. Déçue du peu de réaction de sa proie, l'araignée fit le tour de sa toile puis replongea dans l'eau.
-Il n'y a plus de corps à l'intérieur de l'armure, commenta Ray. Il a été complètement dissous par les sucs digestifs de l'animal.
Livide, Nancy avait beaucoup de peine à maîtriser le tremblement qui l'agitait. Marc nota d'une voix calme :
-Armina semble une planète favorable au développement des arachnides. Cela fait deux spécimens intéressants que nous rencontrons!
-Pourquoi n'ordonnez-vous pas à Ray de détruire cette bête ? demanda Peter. -A quoi bon ? rétorqua Marc. Elle ne nous menace pas. Nous ne sommes pas ici pour bouleverser l'équilibre écologique de cette planète ! Il nous suffit de faire un détour.
La progression reprit, monotone, interminable. A l'approche de la nuit, Marc décida de s'arrêter sur une petite butte surmontée d'un arbre gigantesque aux fleurs rouge vif.
-Quelle merveille ! s'exclama Nancy.
Elle éperonna sa monture pour arriver plus vite, mais Marc lui intima de s'arrêter.
-Laissez Ray faire le ménage ! Qui sait s'il n'existe pas un nid d'araignées facétieuses ?
L'androïde avança lentement, activant son laser digital.
-Curieux, dit-il, il n'y a ni serpent ni insecte. Je pense que vous pourrez passer une nuit moins désagréable que la précédente.
Il approchait du tronc et s'apprêtait à descendre de cheval. Sa monture humait l'air avec une telle nervosité que l'androïde dut la maintenir fermement.
-Avançons, dit Nancy, j'ai hâte d'examiner de près ces magnifiques fleurs ! Je suis curieuse de sentir leur parfum.
-Un instant encore, objecta Marc. Je n'aime pas les réactions du cheval.
-Ne soyez pas ridicule. Vous avez entendu Ray affirmer qu'il n'y avait aucun danger !
Elle allait s'élancer, lorsqu'un curieux phénomène se produisit. Ce qui ressemblait à des pétales de fleurs s'anima soudain et tomba sur l'androïde. Sa monture et lui, en quelques instants, furent couverts de feuilles multicolores. Le cheval se cabra avec un hennissement douloureux. Ray actionna ses antigrav et s'éleva, nimbé de pétales. Il parcourut une vingtaine de mètres dans les airs avant de plonger dans l'étang le plus proche. Aussitôt, de vifs frémissements agitèrent la surface de l'eau.
Médusés, les Terriens assistèrent à l'agonie du cheval. Après deux ruades, il tomba sur le côté, tentant de se rouler sur l'herbe. Des soubresauts désordonnés l'agitèrent, puis il s'immobilisa.
Deux minutes s'écoulèrent. Tout à coup les pétales s'envolèrent et regagnèrent les branches de l'arbre. Il ne restait strictement rien du cheval ! Pas un os, même pas la selle !
Ray émergea alors de l'eau et rejoignit Marc.
-Ce sont des papillons carnivores, expliqua-t-il tranquillement. Ils sécrètent des sucs digestifs extrêmement corrosifs et je n'ai eu que le temps d'augmenter la puissance de mon écran protecteur. J'ai pensé qu'un bain me débarrasserait de ces créatures. Cela a été très rapide, il y a dans l'eau de nombreux poissons qui semblent apprécier particulièrement ces papillons. Ils les ont gobés en un temps record.
Livide, Peter demanda :
-Pourquoi ces maudites bestioles restent-elles sur l'arbre et ne nous attaquent-elles pas?
-Je l'ignore. Sans doute vivent-elles en symbiose avec cet arbre. Toutefois, je pense prudent de nous éloigner.
Tous approuvèrent cette proposition. Une demi-heure plus tard, ils trouvèrent refuge sur une mince bande de terre émergeant de l'eau.
Fatigués, ils sucèrent dans un silence morose les tablettes nutritives distribuées par l'androïde. Avec un pâle sourire, Nancy murmura :
-Je crois devoir encore vous présenter des excuses. Vous aviez pressenti ce drame.
-Nullement ! Je n'ai fait qu'appliquer certaines règles fondamentales. Règle numéro un : ne jamais se laisser impressionner par une ressemblance avec une créature terrestre. Lorsque j'étais jeune aspirant à la première escadre galactique, j'ai vu un camarade approcher d'une fleur magnifique. Il a été aussitôt entouré d'une multitude de filaments vénéneux et il est mort malgré tous nos efforts. La fleur n'était que le coeur d'une monstrueuse plante Carnivore. Croyez-moi, je n'ai jamais oublié la leçon.
-Et la règle numéro deux ?
-Elle ne figure pas dans les manuels et m'est très personnelle. C'est de toujours faire confiance à l'instinct des animaux ! Leurs habitudes ancestrales et leur odorat leur permettent de deviner des dangers que nous ne percevons pas. Maintenant, essayez de dormir. Vous ne craignez rien, Ray veille sur nous.
Marc s'allongea sur la mousse humide et ferma les yeux. Au moment où il allait sombrer dans le sommeil, il reçut un appel psychique de Ray :
-Curieux ! Il m'a semblé percevoir une onde radioélectrique. Cela a été très bref. Le temps d'accorder mon récepteur, elle avait disparu.
-As-tu essayé sur d'autres fréquences et d'autres amplitudes ?
-J'ai balayé toutes les bandes sans rien noter.
-Cette histoire de Graal ne me dit rien qui vaille ! Elle nous réserve certainement des surprises. Assure une écoute permanente.