XXVII
Pourquoi ne sors-tu pas de l’ombre ? Quelle est ta véritable apparence ? Tu as peur, n’est-ce pas ? Mais de quoi as-tu peur ?
Derrière cette silhouette noyée d’ombre, toujours la porte de verre. Et Chris de l’autre côté, qui me supplie d’ouvrir. Il est plus âgé maintenant, mais il a toujours le même visage pathétique. « Qu’est-ce que je dois faire ? », demande-t-il. « Que veux-tu que je fasse ? » Il attend mes ordres. Il faut agir.
J’examine la silhouette obscure. Elle semble avoir perdu son pouvoir. « Qui es-tu ? Qui es-tu ? » J’interroge, mais elle ne répond pas. « De quel droit as-tu fermé cette porte ? » Pas de réponse. Le spectre reste silencieux, mais il recule en frissonnant. Il a peur. Peur de moi !
« Qu’y a-t-il d’horrible, caché dans l’ombre, et qui te fait peur, et qui te force à te taire ? »
Il tremble, il bat en retraite, comme s’il devinait ce que je vais faire.
J’attends. Je me rapproche de lui. Créature hideuse, haïssable. Je me rapproche encore, sans le regarder, les yeux fixés sur la porte de verre, pour qu’il ne se doute de rien. Je m’arrête, je bande mes muscles, et je fonce.
Mes mains s’enfoncent dans une masse molle, à l’endroit où devrait se trouver son cou. Elle se tortille, et je resserre mon étreinte, comme si je tentais d’étrangler un serpent. Je tiens mon ennemi, et je le traîne à la lumière. JE VAIS ENFIN VOIR SON VISAGE.
« Papa ! » Est-ce la voix de Chris que j’entends à travers la porte ?
Oui. Et pour la première fois. « Papa ! Papa ! »
— Papa ! Papa !
Chris me secoue dans mon sac de couchage. « Réveille-toi, papa ! » Il pleure, il sanglote. « Arrête, papa ! Réveille-toi !
— Tout va bien, Chris.
— Réveille-toi !
— Mais je suis réveillé. »
J’ai du mal à discerner son visage dans la lumière de l’aube. Nous sommes quelque part, sous des arbres. Tiens ! Il y a une moto ! Voyons, on doit être dans l’Oregon.
« Ne t’inquiète pas. C’était juste un cauchemar. » Mon fils continue à pleurer. Je m’assieds à côté de lui et j’essaie de le calmer.
« N’aie pas peur. Tout va bien. »
Chris sanglote ; il est vraiment terrifié. Moi aussi.
— Qu’est-ce que c’était, ton cauchemar ?
— J’essayais de voir le visage de quelqu’un.
— Tu as crié que tu allais me tuer.
— Mais non, pas toi.
— Qui alors ?
— Quelqu’un, dans mon rêve.
— Qui c’était ?
— Je ne sais pas très bien.
Les larmes de Chris s’arrêtent, mais il tremble de froid.
— Tu as vu sa figure ?
— Oui.
— Il était comment ?
— C’était mon visage, Chris. C’est pour cela que j’ai crié. Mais ce n’était qu’un mauvais rêve… Retourne te coucher maintenant. Tu vas prendre froid.
Il obéit.
— C’est vrai, j’ai froid, dit-il.
Dans la lumière glacée de l’aube, notre haleine monte en nuage. Chris enfonce la tête dans son duvet.
Je ne peux pas dormir.
Ce n’est pas moi qui ai rêvé.
C’est Phèdre.
Il s’éveille.
Une pensée divisée contre elle-même… contre moi-même… Je suis la silhouette mauvaise cachée dans l’ombre. Je suis cet être haïssable…
Je savais qu’il reviendrait.
Il s’agit maintenant de m’y préparer le mieux possible.
Sous les arbres, le ciel est gris et sans espoir.
Pauvre Chris.