II
La route, la route… avec ses courbes et ses virages. Nous nous arrêtons, de temps à autre, pour nous détendre ou pour manger un peu et bavarder. Nous avons trouvé le rythme de notre équipée. La fatigue de l’après-midi équilibre l’excitation du premier jour. Nous avançons à bonne allure, ni trop vite ni trop lentement.
Nous sommes tombés sur un vent du sud-ouest, et j’ai l’impression que ma moto s’incline d’elle-même sous les rafales, pour mieux leur échapper. Cette route a quelque chose de bizarre, et d’inquiétant, comme si nous étions suivis ou épiés. Pourtant, nous n’avons pas croisé une voiture et, dans mon rétro, je n’aperçois que John et Sylvia.
Nous ne sommes pas encore dans le Dakota, mais nous ne devons plus en être loin, à en juger par les larges prairies que nous commençons à traverser. Le mouvement des collines se fait plus ample, elles envahissent le paysage, en même temps que le ciel s’élargit. Dans le lointain, les fermes paraissent si petites qu’on les distingue à peine. Le lit du monde est grand ouvert.
Entre les Plaines centrales et la Grande Prairie, il n’existe pas de ligne de démarcation précise. On est pris par la modification insensible du paysage, comme lorsqu’en bateau l’on s’éloigne d’une côte battue par des vaguelettes : les vagues se creusent de plus en plus, et soudain, en se retournant, on s’aperçoit que la côte a disparu. Il y a moins d’arbres ici, et ce ne sont plus les mêmes : ce sont des arbres apportés d’ailleurs et plantés autour des maisons, au pourtour des champs, afin de briser le vent. Pas de broussailles, ni de taillis. De l’herbe, de l’herbe, à perte de vue, mêlée parfois de fleurs sauvages et de graminées. C’est le pays de l’herbe, la Prairie.
Aucun de nous ne peut imaginer ce que vont être ces quatre journées de juillet dans la Prairie. Quand on la traverse en voiture, on garde le souvenir d’une immensité plate et vide, d’une monotonie extrême. On éprouve seulement l’ennui de conduire durant des heures sans arriver nulle part, sur une route qui ne tourne jamais, à travers un paysage qui ne change pas jusqu’à l’horizon.
John craignait que Sylvia ne supporte mal cette partie du voyage. Il avait proposé qu’elle nous rejoigne en avion à Billings, dans le Montana. Sylvia et moi n’étions pas d’accord. Selon moi, les désagréments physiques n’ont d’importance que si le moral n’y est pas. Tout, alors, est prétexte à geindre et ronchonner. Mais, lorsque le moral est bon, l’inconfort et la fatigue ne comptent guère. Avec le caractère qu’elle a, je n’imagine pas Sylvia en train de se plaindre. Et puis, arriver en avion dans les Rocheuses, c’est se condamner à ne voir en elles qu’un joli spectacle. En revanche, après des jours de voyage pénible à travers la Prairie, elles apparaîtront comme une terre promise. Si John, Chris et moi arrivions seuls avec cet état d’esprit, cela provoquerait plus de mésentente entre nous que toute la chaleur et la monotonie du Dakota. D’ailleurs j’aime bien parler avec Sylvia, et j’ai bien le droit de penser à moi !
Quand je regarde les champs, j’ai toujours envie de lui dire : « Tu vois ?… Tu vois ? » Et je suis sûr qu’elle voit. J’espère que, plus tard, ces prairies lui feront sentir et comprendre quelque chose, dont j’ai renoncé à parler ; quelque chose qui existe là, parce que rien d’autre n’existe, et qu’on peut percevoir ici, parce qu’il n’y a rien d’autre à percevoir. Sylvia a quelquefois l’air si déprimée par la monotonie et l’ennui de sa vie citadine que, dans cette infinité d’herbe et de vent, elle verra peut-être apparaître ce qui quelquefois apparaît quand on accepte la monotonie et l’ennui. Je sais ce que c’est, mais je ne sais comment l’appeler.
Tout d’un coup, au sud-ouest, au-delà d’une colline, j’aperçois une traînée noire qui barre le ciel à l’horizon. L’orage. C’est peut-être ce qui me tracassait. Je me refusais à y penser tout en sachant que cette humidité et ce vent n’annonçaient rien de bon. Quelle malchance ! pour notre premier jour ! À moto, que voulez-vous, on n’est pas spectateur, on est dans l’action, et l’orage fait partie du jeu.
Quand il ne s’agit que d’un orage local et bien circonscrit, on peut essayer d’y échapper en le contournant. Mais ce n’est pas le cas. Cette longue traînée sombre, que ne précède aucun cirrus, annonce une masse d’air froid, chargée d’orages violents, et même de tornades, surtout quand ils arrivent du sud-ouest. Le mieux à faire, c’est d’attendre qu’ils soient passés. Ils ne durent pas longtemps, ils rafraîchissent l’atmosphère ; et le voyage, après, n’en est que plus agréable.
Les masses d’air chaud sont plus redoutables. Elles s’installent pour des jours et des jours. Je me souviens d’une randonnée que j’avais faite avec Chris au Canada. Nous n’avions pas roulé plus de deux cents kilomètres quand nous avons rencontré une masse d’air chaud, que nous aurions fort bien pu prévoir, mais nous n’y avions pas prêté attention.
Nous avions une petite moto de six chevaux et demi, trop de bagages et pas assez de bon sens. Elle faisait bien soixante à l’heure, face à un vent modéré ! Ce n’était pas un engin de randonnée. Le premier soir, nous avions atteint un grand lac dans les forêts du Nord, et nous avions planté la tente sous des averses qui devaient durer toute la nuit. J’avais oublié de creuser un fossé autour de notre abri : à deux heures du matin, un véritable torrent est venu inonder nos sacs de couchage. Le lendemain, nous étions trempés et déprimés. Nous n’avions pas dormi. Le mieux était de reprendre la route. Sans doute la pluie finirait-elle par s’arrêter. Nous n’avons pas eu cette chance. À dix heures du matin, le ciel était encore si sombre que les voitures roulaient avec leurs phares. Et, pour le coup, ça s’est mis à tomber.
Nous portions des ponchos imperméables, qui se gonflaient dans le vent comme des voiles. Nous ne dépassions pas le quarante à l’heure. Il y avait cinq centimètres d’eau sur la route, les éclairs crépitaient autour de nous. Je me rappelle, dans une voiture qui nous croisait, le visage sidéré d’une jeune femme. Elle devait se demander ce que nous pouvions faire à motocyclette, sur la route, par un temps pareil. Je n’aurais pas su le lui dire !
L’aiguille du compteur descendit à trente puis à vingt-cinq. Le moteur commença à hoqueter, à cracher, à tousser. La machine nous emmena, péniblement, presque au pas, jusqu’à une vieille station-service décrépite, à la lisière d’une forêt. Et là elle s’arrêta.
À l’époque, je ne me souciais pas plus que John de l’entretien des motocyclettes. Mon poncho sur la tête, pour protéger le moteur, je secouai un peu ma machine, la balançai entre mes jambes. J’écoutai sans comprendre le clapotis de l’essence, regardai les bougies, les contacts, examinai le carburateur, puis tentai, jusqu’à épuisement, de remettre en marche. Peine perdue.
La station-service, par bonheur, faisait aussi café et restaurant. On nous servit deux steaks complètement brûlés – après quoi, je revins m’escrimer sur notre engin. Chris n’arrêtait pas de poser des questions qui m’énervaient. Il ne voyait pas la gravité de la situation. Je finis par me rendre compte que mes efforts ne rimaient à rien, et abandonnai. J’expliquai à Chris, sans colère et avec beaucoup de précautions, que tout était fini : pour ces vacances, nous n’irions nulle part. Il alla jusqu’à me demander si j’avais bien de l’essence, et pourquoi on ne cherchait pas un garagiste ! De l’essence, j’en avais ; des garagistes, il n’y en avait pas. Il n’y avait que des troncs de pins abattus, des broussailles et de la pluie.
J’allai m’asseoir dans l’herbe, et Chris également, sur le bord de la route. Un sentiment de défaite. Je restai un bon moment à contempler les arbres en silence. Le garçon me pressait de questions, je m’efforçais de lui répondre avec patience. Il commença à se lasser. Il comprenait enfin que notre voyage était fini. Il se mit à pleurer. Il avait huit ans.
Nous sommes rentrés à la maison en stop. Le lendemain, nous avons loué une remorque, que nous avons attelée à la voiture, et nous sommes allés récupérer la moto. Puis nous sommes repartis, en voiture, pour un autre voyage. Mais ce n’était plus pareil.
Deux semaines plus tard, un soir, en rentrant du travail, je démontai le carburateur pour voir ce qui n’allait pas. Ne trouvant rien, je voulus prendre un peu d’essence pour le nettoyer. Mais, quand j’ouvris le robinet du réservoir, rien ne sortit. Pas une goutte. Le réservoir était vide – et bien vide. Aujourd’hui encore, j’ai du mal à y croire.
Mille fois je me suis amèrement reproché ma sottise. L’essence que j’avais entendue clapoter était certainement celle de la réserve, que je n’avais jamais ouverte. Je n’avais même pas pris soin de vérifier, tant j’étais sûr que c’était la pluie qui était à l’origine de la panne. Une panne sèche sous la pluie ! Je ne pouvais y croire… Je sais maintenant à quel point les déductions hâtives peuvent être stupides. Ma nouvelle machine fait vingt-huit chevaux – mais je veille de près à son entretien.
Voilà que brusquement John me double, et la paume de la main tournée vers le bas, me fait signe qu’il s’arrête. Nous cherchons sur l’accotement un endroit où nous garer. Le béton s’interrompt brusquement, nous roulons un instant sur la terre caillouteuse, ce que je n’aime guère.
— Pourquoi qu’on s’arrête ? demande Chris.
— Je crois qu’on a raté le carrefour, crie John.
— Je n’ai pas vu de panneau ! dis-je, en tournant la tête en arrière.
— Gros comme une maison, crient en chœur John et Sylvia.
John se penche sur ma carte. Il m’indique le carrefour que nous venons de passer et, un peu plus loin, la bretelle d’une autoroute.
— Tu vois bien qu’on l’a dépassé !
Et il a raison. Je suis bien ennuyé.
— On retourne ou on continue ?
John hésite. Il ne voit pas de raison pour faire demi-tour. Continuons. On arrivera d’une manière ou d’une autre. Je me retrouve à traînailler derrière John et Sylvia, remuant de sombres pensées : comment ai-je manqué ce carrefour ? J’ai à peine remarqué l’autoroute. Et j’ai oublié de leur parler de l’orage. Cela ne va vraiment pas bien.
Le banc de nuages noirs s’épaissit – mais il se déplace moins vite que je ne m’y attendais. Ce n’est pas bon signe. Quand ils arrivent vite, ils repartent de même. À cette allure, ils peuvent nous coincer plus longtemps.
Avec mes dents, je retire l’un de mes gants, et je caresse le flanc d’aluminium de ma machine. Elle est à bonne température. Trop chaud pour que j’y laisse la main, mais pas au point de me brûler. De ce côté-là, tout va bien.
Sur un moteur à refroidissement par air, la surchauffe peut provoquer un serrage. Cela m’est arrivé une fois. Trois fois, en fait ! Depuis, je surveille ma culasse, comme un médecin surveille un cardiaque, même s’il a l’air guéri.
Impressionnant, un serrage : les pistons surchauffés se dilatent, ils raclent la paroi des cylindres, parfois même fondent et s’y collent. Le moteur se bloque – et bloque la roue arrière. La machine part à la dérive. La première fois que cela m’est arrivé, j’ai failli passer par-dessus le guidon, le tête en avant. Mon passager a été projeté contre moi. J’ai réussi à me garer sur le bas-côté pour voir ce qui n’allait pas.
— Pourquoi est-ce que tu as freiné comme ça ?
C’est tout ce qu’il a trouvé à me dire. J’ai haussé les épaules, aussi perplexe que lui. Le moteur était si chaud que l’air vibrait tout autour et qu’on sentait la chaleur irradier. J’ai posé un doigt mouillé sur le métal : il s’est mis à grésiller.
Nous avons pu rentrer à la maison, ce jour-là, à moins de trente à l’heure. Le moteur faisait entendre de drôles de claquements. Les pistons avaient pris de sérieux coups, et il fallut refaire complètement le moteur.
J’ai conduit ma machine dans un petit atelier. Il ne fallait pas songer à m’en occuper moi-même. Il aurait fallu que j’apprenne des tas de choses compliquées, et peut-être que je commande des pièces de rechange et des outils spéciaux. Cela me prendrait un temps fou – alors qu’un mécanicien me ferait cela en quelques jours. Une attitude à la John.
Cet atelier était bien différent de tous ceux que j’avais connus. Les mécaniciens – d’habitude, ils ont tous l’air de vétérans chevronnés – ressemblaient à des enfants. La radio gueulait. Ils parlaient, ils blaguaient. Ils ne me prêtaient pas la moindre attention. Quand l’un d’entre eux se décida à venir vers moi, il entendit tout de suite le claquement des pistons :
— Ah ! les pistons ! fit-il.
J’aurais pu deviner ce qui m’attendait : deux semaines plus tard, je réglai une facture de cent quarante dollars, et commençai à roder ma machine en respectant les différentes vitesses. Après mille cinq cents kilomètres, je commençai à la pousser un peu. À cent à l’heure, elle serra aussi sec. Je la ramenai au garage, où l’on m’accusa de ne pas l’avoir rodée proprement. Après une longue discussion, ils acceptèrent de s’en occuper à nouveau. Cette fois-ci, ils l’essayèrent eux-mêmes sur la route à grande vitesse et elle leur claqua entre les mains.
Deux mois plus tard, après la troisième révision générale, ils remplacèrent les cylindres, posèrent des gicleurs spéciaux au carburateur, réglèrent l’avance pour qu’elle ne s’échauffe pas, et me conseillèrent de ne pas aller trop vite.
Elle baignait dans l’huile et refusa de démarrer. Je découvris que les bougies étaient débranchées. Je les branchai moi-même et parvins à démarrer. Mais le bruit était là. Ils n’avaient pas touché aux pistons !
Un des gamins, s’approchant avec une espèce de clé à molette, l’ajusta de travers et cabossa la tête chromée de la culasse.
— J’espère que nous en avons encore une au magasin, dit-il, sans émotion.
Je l’espérais bien aussi. Il alla chercher un marteau et un ciseau, entreprit de la démonter. Le ciseau passa à travers la culasse et je me rendis compte qu’il tapait sur la tête du culbuteur. Il s’y reprit à deux fois. Au deuxième coup, le marteau passa à côté du ciseau, et il fit sauter le collecteur d’échappement.
— Ça suffit comme ça, dis-je très poliment. Donnez-moi deux enjoliveurs, et je m’en arrangerai.
Je quittai le garage au plus vite. Ma machine pissait l’huile et faisait un bruit de ferraille. Au-dessus de trente à l’heure, je sentais des vibrations suspectes. Je m’aperçus qu’il manquait deux des quatre boulons qui maintiennent le moteur et que le troisième n’avait plus d’écrou. Un des boulons de la chaîne de transmission manquait également. De toute façon, cela n’aurait servi à rien d’essayer de régler les culbuteurs. Un cauchemar !
Quand je pense que John confie sa BMW à de tels margoulins ! Je n’ai jamais osé lui en parler – mais je devrais le faire. Quelques semaines plus tard, j’ai compris l’origine de tous ces serrages ; c’était une petite tige à vingt-cinq cents, dans le système de circulation d’huile, qui s’était tordue et qui, à grande vitesse, empêchait l’huile d’atteindre la culasse.
Je suis toujours à me demander le pourquoi des choses, et c’est une des raisons qui m’ont décidé à entreprendre ce Chautauqua. Pourquoi ces gens-là ont-ils bousillé ma machine ? Ils ne cherchaient pas, comme John et Sylvia, à échapper à la technologie. C’étaient des techniciens. Mais ils faisaient leur travail machinalement. Ils n’y mettaient rien d’eux-mêmes. Bien sûr, ils n’étaient pas motivés. J’essaie souvent de me rappeler les heures que j’ai passées avec eux, pour tenter de trouver une explication à leur comportement.
C’est peut-être à cause de la radio. On ne peut pas penser sérieusement à ce qu’on fait et écouter en même temps la radio. Ils s’imaginent sans doute que leur travail n’a rien à voir avec la pensée. Ils croient qu’il leur suffit de tripoter des outils – et c’est bien plus amusant de tripoter des outils en écoutant la radio.
Autre explication : la précipitation. Ils bâclent le boulot, ils ne regardent pas ce qu’ils font. Ils croient gagner plus d’argent en allant plus vite. Ils ne voient pas qu’ils en perdent, parce que leur travail ne vaut rien.
Il faut aussi tenir compte de leur attitude. Pas facile à décrire. Joviale, amicale, décontractée – mais irresponsable. On dirait des badauds : comme s’ils se trouvaient là par hasard. Ils ne s’identifient absolument pas à leur travail. Pas question d’affirmer : je suis un mécanicien. À leur manière, ils font comme John et Sylvia. Ils vivent avec la technologie et, en même temps, la refusent. Leur être profond est ailleurs, détaché, lointain. Ils sont impliqués dans ce système – mais ne se sentent pas concernés.
Non seulement mes mécanos n’avaient pas découvert la petite tige tordue, mais, de toute évidence, elle avait dû être tordue un jour ou l’autre par un autre mécano, qui avait mal ajusté la boîte de culasse. Je me souviens que l’ami qui m’avait revendu la machine m’avait prévenu qu’elle était difficile à fixer. La notice du constructeur le signale aussi. Mais comme tous ces mécanos, il allait trop vite – et il s’en fichait.
On retrouve la même insouciance dans les manuels d’utilisation des ordinateurs sur lesquels je travaille -c’est comme ça que je gagne ma vie, onze mois sur douze. Je sais que ces brochures sont remplies d’erreurs, d’imprécisions, de lacunes et d’informations si mal rédigées qu’il faut les relire six fois avant d’y comprendre quelque chose. Ces manuels-là dénotent la même attitude de badaud que j’ai décelée chez les mécanos. Mais ce sont des manuels pour badauds, reposant sur l’idée que la machine est isolée dans le temps et l’espace, sans relation avec aucun autre élément de l’univers. Elle n’a pas de lien avec vous ; ou votre seul lien avec elle, c’est la possibilité de resserrer ou de desserrer boulons et manettes, de remettre de l’huile, de gonfler les pneus et tutti quanti… En fait, quand je suis arrivé dans cet étrange atelier, j’avais moi aussi, vis-à-vis de ma machine, l’attitude des mécanos ou des rédacteurs de la notice d’entretien. Nous sommes tous des badauds. Aucune notice ne va au fond des choses, aucune ne traite de l’aspect fondamental de l’entretien des motocyclettes. Ce qui est fondamental, c’est de prendre les choses à cœur – et de cela, aucun manuel ne dit mot.
Au cours de ce voyage, je voudrais creuser un peu ce problème, et voir si cet étrange divorce entre l’être de l’homme et ses actes ne nous aidera pas à comprendre ce qui fait dérailler ce foutu XXe siècle. Je ne veux pas bâcler le travail, ce serait adopter, justement, l’attitude pernicieuse que je déplore.
Quand on se presse, c’est qu’on ne s’intéresse pas vraiment à ce qu’on fait, et qu’on veut passer à autre chose. J’aborderai donc ce problème lentement et progressivement, mais j’y mettrai tous mes soins et j’irai jusqu’au bout. Comme le jour où j’ai fini par découvrir la petite tige tordue.
Le paysage est devenu aussi plat que dans la géométrie d’Euclide. Pas une colline. Nous sommes entrés dans la vallée de la rivière Rouge. Nous arrivons au Dakota.