IV

Avant d’entreprendre un Chautauqua, on devrait établir une liste des choses importantes à ne pas oublier. Et maintenant, histoire de passer le temps, tandis que mes amis et mon fils dorment encore, perdant le bénéfice de ce beau matin ensoleillé, je vais vous donner ma liste de tous ces objets importants à emporter, la prochaine fois que vous traverserez le Dakota à moto.

Je suis éveillé depuis l’aube. Chris, dans l’autre lit, dort encore à poings fermés. J’ai bien essayé de me rendormir, mais un coq a chanté, et je me suis rappelé que nous étions en vacances, qu’il n’y avait aucune raison de dormir. À travers la cloison du motel, j’entends John qui scie du bois dans la chambre d’à côté. Quel ronfleur !… À moins que ce ne soit Sylvia… Non, c’est lui. Un vrai bruit de tronçonneuse…

Il m’est si souvent arrivé de partir en voyage en oubliant la moitié de mes affaires que je me suis décidé à établir une liste d’objets indispensables : je la range dans un classeur, elle me sert à vérifier mon équipement à chaque départ. La plupart de ces objets sont des plus ordinaires, et ne méritent aucun commentaire. Certains sont liés à l’entretien et à l’usage des motocyclettes, et j’en parlerai brièvement. D’autres sont tout à fait particuliers, et je leur consacrerai un commentaire détaillé. Ma liste comporte quatre parties : les vêtements, les objets personnels, l’équipement de cuisine et de camping, le matériel de moto.

La partie consacrée aux vêtements est toute simple :

1. Deux slips et deux maillots de corps.

2. Une paire de caleçons longs.

3. Une chemise et un pantalon de rechange. En général des treillis militaires. Ils sont bon marché, solides et pas salissants. J’avais noté aussi : un costume – mais John a marqué en marge : un smoking ! Il est pourtant agréable de se changer, quand on sort un peu des stations-service.

4. Un chandail et une veste.

5. Des gants, en cuir de préférence, et non doublés, parce qu’ils protègent des coups de soleil et absorbent la transpiration. Pour une balade d’une heure ou deux, ces détails sont superflus. Mais quand on doit rouler plusieurs journées de suite, c’est une autre affaire.

6. Des bottes de moto.

7. Un imperméable.

8. Un casque et une visière.

9. Un intégral. Ce genre de casque me donne de la claustrophobie et je ne le mets que lorsqu’il pleut. À grande vitesse, les gouttes de pluie piquent le visage comme autant d’aiguilles.

10. Des lunettes. Je n’aime pas les lunettes-pare-brise, qui me donnent la même impression d’emprisonnement. Les lunettes de soleil ne protègent pas du vent. Les lunettes en plastique se rayent et déforment la vision. Les miennes sont des lunettes anglaises, en verre laminé, qui me conviennent très bien.

 

La deuxième liste est celle des objets personnels :

Des peignes. Un portefeuille. Un canif. Un agenda. Un stylo. Des cigarettes et des allumettes. Une lampe-torche. Un savon dans sa boîte. Des brosses à dents et du dentifrice. Des ciseaux. Des cachets pour la migraine. Un antimoustiques. Du déodorant (à vue de nez, il est vite cinq heures du soir, quand on passe la journée à moto). De la crème solaire (quand on roule, gare aux coups de soleil. Et à l’arrivée, il est trop tard. Mieux vaut prévenir). Du sparadrap. Du papier hygiénique. Un gant de toilette (à ranger à part pour ne pas mouiller tout le reste). Une serviette.

Des livres. Je ne connais aucun autre motocycliste qui emporte des livres en voyage. Ça prend beaucoup de place – mais, cette fois-ci, j’en ai pris trois, et quelques feuilles de papier blanc pour prendre des notes :

a. La notice d’entretien de ma machine.

b. Un manuel de mécanique et de dépannage, comprenant tous les détails techniques dont je n’arrive jamais à me souvenir.

c. Un exemplaire du Walden de Thoreau (1854), que Chris ne connaît pas encore, et qu’on peut relire cent fois sans se lasser. J’essaie toujours de choisir un livre qui lui passe bien au-dessus de la tête, et de le prendre comme base d’un jeu de questions et réponses. Je lis une phrase ou deux. J’attends qu’elles déclenchent son barrage de questions, je lui réponds, puis je poursuis la lecture. Les classiques se lisent très bien de cette façon. Il nous est arrivé d’occuper une soirée entière à lire et à parler, sans dépasser la huitième page de notre livre. Cela se faisait beaucoup au siècle dernier, quand on pratiquait partout les Chautauquas. Essayez, et vous verrez combien c’est agréable.

 

Chris est toujours profondément endormi, détendu, il n’est pas aussi nerveux que d’habitude. Je ne vais pas le réveiller.

Ma troisième liste a trait à l’équipement de cuisine et de camping :

1. Deux sacs de couchage.

2. Deux ponchos imperméables et un tapis de sol. L’ensemble peut former une tente et sert aussi à protéger les bagages de la pluie, sur la route.

3. De la corde.

4. Des cartes d’état-major.

5. Une machette.

6. Une boussole.

7. Une gamelle. (Je n’ai pu remettre la main dessus au moment de partir. Les enfants ont dû la perdre quelque part.)

8. Des couverts de l’armée – couteaux, fourchettes et cuillers.

9. Un réchaud à alcool démontable, avec un bidon d’alcool. (Un achat « expérimental » : je ne m’en suis pas encore servi. Quand il pleut, ou lorsqu’on a dépassé la zone des forêts, c’est tout un problème de trouver du bois sec pour le feu.)

10. Des boîtes en aluminium, à couvercle vissé, pour le saindoux, le sel, le beurre, la farine, le sucre. (Je les ai trouvées, il y a des années, dans un magasin d’équipement pour alpinistes.)

11. Des produits d’entretien.

12. Deux sacs à dos, à armature d’aluminium.

 

Le matériel de moto comprend d’abord la trousse à outils fournie par le constructeur et placée sous le siège. Je la complète avec les outils suivants :

Une grande clé anglaise. Un marteau à manche de métal. Un ciseau à froid. Un chasse-goupille. Une paire de démonte-pneus. Une trousse de rustines. Une pompe. Un vaporisateur de lubrifiant au bisulfure de molybdène (cette huile a une capacité de pénétration extraordinaire à travers les galets de roulement de la chaîne. Une fois qu’elle est sèche, il faut néanmoins y rajouter un peu de bonne vieille huile à moteur SAE-30).

 

Les pièces de rechange suivantes :

Des bougies. Des câbles d’embrayage et de frein. Des vis platinées. Des fusibles. Des ampoules de phares et de stop. Des maillons de chaîne, avec goupille. Une chaîne (celle que j’ai emportée, cette fois-ci, est une vieille chaîne presque hors d’usage, que j’ai remplacée. Elle me permettrait tout juste d’arriver jusqu’au premier marchand d’accessoires, au cas où ma nouvelle chaîne ne tiendrait pas le coup).

 

Et c’est à peu près tout. Pas de lacets de chaussures.

On pourrait se demander dans quelle super-remorque nous trimballons tout ce matériel. Mais l’ensemble, croyez-moi, n’est pas si volumineux que ça.

 

Si je ne les réveille pas, ils sont capables de faire le tour du cadran. Le ciel est clair, très clair. C’est une honte de ne pas profiter de ce temps. Je me décide à secouer Chris. Il ouvre les yeux, puis se redresse brusquement dans son lit, sans comprendre ce qui lui arrive.

— À la douche ! À la douche !

Dehors, l’air est vivifiant. Il fait carrément froid. Je vais cogner à la porte des Sutherland.

— Ouais, fait John.

On se croirait presque en automne. Les motos sont humides de rosée. Il ne pleut pas, mais quel froid ! Pas plus de cinq degrés, à mon avis. En attendant les autres, je vérifie le niveau d’huile, la pression des pneus, le serrage des boulons, la tension de la chaîne sur ma machine. Tiens ! elle est un peu lâche. Je sors ma trousse à outils et la resserre. Je suis impatient de partir.

Je veille à ce que mon fils s’habille chaudement. Nous ramassons nos affaires et partons. Il fait décidément froid. En quelques minutes, à bonne vitesse, je suis transpercé par l’air glacé.

Ça devrait se réchauffer dès que le soleil sera un peu plus haut dans le ciel. Encore une demi-heure, et nous serons à Ellendale pour le petit déjeuner. Nous devrions faire de la route, aujourd’hui. C’est tout droit.

Ce serait merveilleux, s’il ne faisait pas si froid. Au soleil de l’aube, encore bas sur l’horizon, scintillent les champs. On dirait presque de la gelée blanche : mais c’est la rosée, et la brume du matin. La lumière basse dessine des ombres, donnant au paysage des reliefs qu’il n’avait pas la veille. La route est à nous. Il semble que la terre entière soit encore endormie. À ma montre, il est six heures et demie. Mes gants sont encore trempés de la veille. Chers bons vieux gants, raides de froid. C’est à peine si je peux étendre les doigts.

Je parlais hier des soins dont nous devrions entourer les choses. Moi, mes vieux gants de moto tout pourris, je les soigne, et je les aime. Je les regarde, au bout de mes bras, avec un sourire attendri. Il y a tant d’années que je les vois là, ils sont si vieux, si fatigués, qu’ils en deviennent drôles. Ils se sont gorgés d’huile, de sueur, de crasse, de bestioles écrasées, au point de tenir debout tout seuls sur une table. Ils ont leur mémoire à eux. Ils ne m’ont coûté que trois dollars, et je les ai si souvent recousus qu’il devient difficile d’y planter une aiguille. Pourtant, je les ravaude encore. Cela me prend du temps, cela me demande beaucoup d’efforts. Mais je ne peux pas m’imaginer avec une nouvelle paire de gants.

Pour ma machine, c’est un peu pareil. Elle a fait déjà plus de quarante mille kilomètres, ce qui n’est pas mal pour une moto, bien qu’il en circule de beaucoup plus vieilles. Mais plus les kilomètres passent (et la plupart des motards seront d’accord sur ce point), plus on s’attache à sa machine – à cette machine-là, et pas à une autre. Un de mes amis a une moto de la même marque, du même modèle, et de la même année que la mienne. J’ai eu l’occasion de l’essayer, je n’arrivais pas à croire que nos deux BMW étaient sorties ensemble de la même usine. La sienne avait pris un rythme, des réactions, des bruits qui n’appartenaient qu’à elle, et que je ne reconnaissais pas. Elle n’était ni pire ni meilleure que la mienne. Elle était différente.

On peut appeler cela une personnalité. Chaque machine a la sienne, qu’on définit comme la somme de tout ce qu’on sait et de tout ce qu’on éprouve pour elle. Cette personnalité change sans cesse, en général elle empire – mais quelquefois, chose étonnante, elle s’améliore. C’est en cela que chaque moto est vraiment une personne – et l’objet véritable de l’entretien d’une motocyclette, c’est la santé de la personne en question.

Au début, les motos neuves sont des inconnues, de belle apparence. Selon la façon dont on les traite, elles dégénèrent rapidement en mégères acariâtres, ou en pauvres infirmes. Ou alors elles deviennent de véritables amies, pleines de santé et de bonne humeur. Aujourd’hui, malgré le traitement criminel que lui ont fait subir ces soi-disant mécaniciens, la mienne semble avoir recouvré la santé, et réclame de moins en moins de soins.

Voici Ellendale, baignée par le soleil du matin, avec son château d’eau, et ses petites maisons enfouies dans les arbres. Il est sept heures et quart, et je cesse juste de frissonner. Je gare ma machine devant une vieille maison de brique, et je lance à John et Sylvia, qui arrivent derrière nous :

— Quel froid !

Ils me regardent avec des yeux vitreux, sans prononcer un mot.

« Ça réveille, hein ! »

Pas de réponse. J’attends un instant, mais John a entrepris de défaire son chargement. Il s’empêtre dans les nœuds, renonce. Nous nous dirigeons vers le restaurant.

À plusieurs reprises, je me retourne vers mes amis, et, surexcité par cette première étape matinale, j’essaie de leur faire partager ma joie. Je leur envoie sourire après sourire : pas la moindre réaction. Ils doivent être complètement gelés.

Pendant tout le petit déjeuner, ni John ni Sylvia ne lèvent le nez de leur assiette. À la fin, je brise le silence :

« Et alors ? Qu’est-ce qu’on fait ? »

D’une voix calme et décidée, John répond simplement :

— Nous ne bougeons pas d’ici, tant qu’il ne fera pas plus chaud.

Il a parlé comme un shérif de western : inutile de discuter.

Puisque John, Sylvia, et même Chris, sont résolus à rester assis au chaud dans le hall du restaurant, moi je vais marcher un peu.

Ils m’en veulent donc de les avoir forcés à se lever si tôt et à rouler par ce temps. Quand on est embarqué sur le même navire, il est difficile d’éviter les mouvements d’humeur. Je constate que nous n’avons jamais pris la route avant une ou deux heures de l’après-midi. Alors que, selon moi, l’aube et le petit matin sont les moments rêvés pour rouler.

La ville est propre et gaie. Elle ne ressemble pas à celle que nous venons de quitter. Il y a déjà du monde dans les rues. Les commerçants ouvrent, se saluent et échangent des propos sur la température. Côté ombre, les thermomètres, au hasard des magasins, marquent, l’un cinq degrés six, l’autre sept degrés sept. Côté soleil, il fait déjà plus de douze.

Passé les dernières maisons, la grand-rue se transforme en un chemin de terre durcie, qui traverse les champs et longe une baraque en bois, encombrée de machines agricoles et d’outils. Au milieu des cultures, un homme me regarde avec suspicion. Il se demande pourquoi je m’intéresse tant à cette baraque perdue. Je reviens sur mes pas, m’assieds en plein vent sur un banc, devant ma motocyclette. Qu’est-ce que je pourrais bien faire ?

Bien sûr, il faisait froid, ce matin. Mais c’était supportable ! Comment John et Sylvia ont-ils survécu à leurs hivers dans le Minnesota ? Il y a chez eux une espèce d’incohérence criante. S’ils ne peuvent supporter ni l’inconfort ni la technologie, il faut qu’ils trouvent un compromis. Leur vie dépend, en effet, de la technologie qu’ils condamnent.

Dans leur belle camionnette, flambant neuve, trois fermiers descendent en ville et tournent le coin de la rue. Je suis sûr que leur façon de penser est à l’opposé de celle de John : ils vont parader avec leur Dodge bleue, ils sont fiers de leur tracteur neuf, de leur machine à laver et ils sont équipés pour les réparer eux-mêmes en cas de panne. Ils apprécient la technologie – et ce sont eux pourtant qui en ont le moins besoin : si la machine technologique se grippait, du jour au lendemain, ces gens-là arriveraient à s’en tirer. Nous quatre, et nos semblables, nous ne tiendrions pas une semaine ! Cette façon de condamner la technologie, c’est de l’ingratitude.

Je suis dans l’impasse : je peux toujours coller à John l’étiquette d’ingrat. Cela ne m’avance à rien.

Une demi-heure plus tard, le thermomètre de l’hôtel atteint presque douze degrés. Je retrouve mes compagnons de voyage dans la salle à manger déserte, l’air agité. Ils semblent de meilleure humeur, et John déclare sur un ton optimiste :

— Je vais me mettre sur le dos tout ce que j’ai, et ça pourra aller !

Il va jusqu’à sa moto pour chercher ses affaires et revient.

« J’ai horreur de déballer tout ce fourbi – mais j’ai vraiment eu trop froid tout à l’heure. »

Il renonce à aller se changer dans les toilettes, non chauffées, et s’installe dans un coin de la salle à manger. Je suis en pleine conversation avec Sylvia lorsque, tout à coup, nous découvrons John, vêtu de la tête aux pieds d’un superbe sous-vêtement bleu ciel. Il est ravi de se trouver aussi ridicule devant nous et joue les mannequins, avec un large sourire.

« Ah ! Ah ! crie-t-il. Voici Superman ! »

Il glisse comme un patineur sur le parquet ciré et exécute quelques figures acrobatiques. Puis il s’accroupit, et prend son élan :

« Je suis prêt ! Je m’envole ! Je vais devoir défoncer cet admirable plafond. Mes rayons X me disent qu’un ami a besoin de moi quelque part. Il a des ennuis. Il m’appelle. »

Chris s’amuse de tout son cœur.

— C’est nous qui allons avoir des ennuis, interrompt Sylvia, si tu ne t’habilles pas correctement.

— Je suis l’exhibitionniste d’Ellendale ! répond-il sans se démonter.

Il continue à faire le paon, puis se décide à enfiler ses vêtements de moto.

« De toute façon, on n’oserait jamais m’arrêter. Superman et la police sont toujours d’accord. Ils savent qui défend la Loi et l’Ordre, la Justice et la Dignité. »

Nous avons repris la route. Le froid pique encore un peu. Nous traversons plusieurs villes, et peu à peu, comme imperceptiblement, le soleil nous réchauffe, et le moral remonte. Mon impression de fatigue disparaît. Je me sens bien dans ma peau. Il m’a suffi d’un peu de chaleur, d’un rayon de soleil, de la route qui file à travers la prairie, et du vent qui me fouette. Tout n’est plus qu’harmonie et beauté, les souvenirs glacés se dissipent dans la tiédeur de l’air, sur la route déserte et droite. Vitesse. Vent. Lumière. La pureté, la fraîcheur de l’été.

Devant une vieille palissade, des pâquerettes blanc et or. Des vaches dans un pré. Au loin, une tache de lumière colore la courbe des collines.

À la moindre côte, le grondement du moteur se fait plus bruyant – mais nous ne monterons plus maintenant : devant nous, l’immensité d’une nouvelle plaine. La route descend lentement vers elle, et le moteur tourne d’un bruit régulier. La Prairie. Paisible et sereine.

À la première halte, à cause du vent, Sylvia a les yeux pleins de larmes. Elle ouvre grand les bras et s’écrie :

— Que c’est beau ! Que c’est vide !

Je montre à mon fils comment étaler sa veste par terre et rouler une chemise en guise d’oreiller. Il n’a pas sommeil, mais il doit se reposer. La journée va être longue. Je retire moi-même ma veste pour mieux profiter de l’air chaud. John sort son appareil photo :

— Très difficile de photographier ce genre de paysage. Il faudrait un objectif à trois cent soixante degrés. C’est magnifique – mais quand on regarde dans le viseur, il n’y a rien.

Je vois bien ce qu’il veut dire, et je dis :

— C’est pour ça qu’en voiture, ici, on ne verrait rien.

— Un jour, quand j’étais petite, raconte Sylvia, j’ai pris comme ça tout un rouleau, au bord de la route, en traversant la Prairie.

Et quand j’ai reçu les photos, j’ai fondu en larmes : il n’y avait rien dessus.

— Quand est-ce qu’on repart ? demande Chris.

— Tu es pressé ?

— Je voudrais qu’on reparte.

— On ne sera pas mieux ailleurs qu’ici, tu sais.

Chris regarde ses pieds et fronce les sourcils :

— On campe cette nuit ?

Les Sutherland me jettent un regard inquiet.

— On verra plus tard.

— Pourquoi plus tard ?

— Parce que pour l’instant, je n’en sais rien.

— Pourquoi tu n’en sais rien ?

— Je ne sais pas pourquoi je n’en sais rien. Ce n’est pas une bonne région pour camper. Il n’y a ni abri ni eau.

J’hésite un instant, je consulte John du regard, puis je décide brusquement :

— D’accord. On campera ce soir.

Et nous voilà repartis sur la route déserte. Je ne demande rien à ces prairies, je ne veux pas non plus les changer, je ne veux pas m’y arrêter, je ne tiens même pas à les traverser. Elles sont là simplement, et nous roulons.