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Nous devions jouer contre le Real Madrid, chez nous, au Camp Nou. Nous étions en novembre 2009. J’avais été absent pendant quinze jours. Je ressentais des douleurs à une cuisse et je démarrerais sur le banc, ce qui n’est jamais drôle. Peu de choses ressemblent à El Clásico, le match entre les deux plus grandes équipes du championnat. La pression est énorme. C’est la guerre et les journaux publient des suppléments qui peuvent faire soixante pages. On ne parle de rien d’autre. Les ennemis jurés vont s’affronter.

J’avais fait un bon début de saison en dépit de ma fracture à la main et de tout le chambardement. J’avais marqué cinq buts lors des cinq premiers matchs et l’on m’encensait. Ça se passait bien et il m’apparut évident que la Liga était le championnat où il fallait jouer. Le Real et le Barça avaient investi trois cents millions d’euros dans Kaká, Cristiano Ronaldo et moi. La Serie A italienne et la Premier League anglaise ne les méritaient pas. La Liga était le must. Tout se présentait magnifiquement. C’est ce que je croyais.

Même en tournant en rond avec mon plâtre et mes broches dans la main, je m’intégrai au groupe durant le stage de préparation. Je n’étais pas à l’aise avec la langue, bien sûr, et je traînais pas mal avec ceux qui parlaient anglais. Thierry Henry et Maxwell. Mais je m’entendais bien avec tout le monde. Messi, Xavi, Iniesta étaient bons, des types terre à terre, fantastiques sur le terrain et abordables. Personne ne se la jouait, genre, « me voilà, je suis le meilleur », pas du tout. Il n’y avait pas de défilé de mode dans le vestiaire, contrairement aux joueurs italiens. Messi et les gars se baladaient en survêtement, modestes, et puis, bien sûr, il y avait Guardiola.

Il avait l’air bien. Il venait me voir pour parler après chaque entraînement. Il voulait vraiment m’intégrer à l’équipe même si, pour sûr, il régnait une drôle d’ambiance dans ce club. Je l’ai senti tout de suite. Ça ressemblait à une école, comme à l’Ajax. Mais, au Barça, la meilleure équipe du monde, je m’attendais que ce soit d’une autre tenue. N’empêche qu’ici tout le monde se taisait, se montrait poli, bon camarade, alors que ces types étaient tout de même des superstars. Ils se comportaient pourtant comme des petits garçons et, sans doute, ce n’est pas plus mal. Qu’est-ce que j’en sais ? Je ne pouvais pas m’empêcher de me demander : comment ces types auraient-ils été traités en Italie ? Ils auraient été considérés comme des dieux.

Or, là, ils se tenaient bien sagement devant Pep Guardiola. Guardiola est catalan. C’est un ancien milieu de terrain. Il a remporté la Liga cinq ou six fois avec Barcelone et en devint le capitaine en 1997. Quand je suis arrivé, cela faisait deux ans qu’il dirigeait l’équipe et il avait eu des résultats. Il méritait vraiment le respect et le mieux à faire était évidemment de me fondre dans le moule. Ça n’avait rien d’extraordinaire pour moi, j’avais souvent changé de club et je n’étais jamais débarqué comme ça en commençant par donner des ordres autour de moi. Je prends d’abord la température. Qui est fort ? Qui est faible ? Jusqu’où peut-on pousser la plaisanterie ? Qui s’entend bien avec qui ?

En même temps, je connaissais mes qualités. J’avais déjà eu la preuve qu’il était important que j’inculque mon esprit de la gagne à l’équipe et, d’habitude, j’étais rapidement appelé à occuper l’espace et à blaguer pas mal autour de moi. Il n’y a pas si longtemps, pour rigoler, j’avais donné un coup de pied à Chippen Wilhelmsson lors d’un entraînement avec l’équipe suédoise. Le lendemain, je n’en croyais pas mes yeux en ouvrant le journal. On en parlait comme si je l’avais agressé sauvagement. Or ce n’était rien du tout, mais alors vraiment rien. Ça arrive. C’est à la fois un jeu et très sérieux. Quand on est un groupe de mecs qui passent toutes leurs journées ensemble, on se chahute pour se stimuler. Ce n’est rien d’autre que ça. On plaisante. Mais, au Barça, je m’ennuyais sec. J’étais trop gentil et je n’osais plus crier ou piquer des crises sur la pelouse, ce qui est pour moi vital.

Que les journaux rabâchent que j’étais un mauvais garçon n’y était pas étranger. Cela m’a incité à vouloir démontrer le contraire et, bien sûr, j’en faisais un peu trop. Au lieu d’être moi-même, j’essayais de faire le mec super-gentil, ce qui était idiot de ma part. On peut vraiment se laisser influencer par les médias. Je l’admets, ce n’était pas professionnel. Mais ce qui m’ennuyait par-dessus tout était ce refrain :

« Ici, on garde les pieds sur terre. Nous sommes des fabricantes1. Ici, on bosse. Nous sommes des gens comme tout le monde ! » Cela n’est sans doute pas plus étrange que ça mais ces phrases avaient un ton singulier et je me mis à me demander : pourquoi Guardiola me dit-il cela ?

Pensait-il que j’étais si différent ? Je n’arrivais pas à mettre le doigt dessus, en tout cas, pas tout de suite. Et je ne me sentais pas très bien. Parfois, ça me rappelait l’équipe junior du Malmö FF. Faisait-il partie de ces entraîneurs qui ne voyaient en moi qu’un sale gosse des banlieues ? Mais je n’avais rien fait, je n’avais filé de coup de boule à aucun de mes coéquipiers, je n’avais pas piqué de vélo, rien. De ma vie, jamais je ne m’étais senti aussi poltron. J’étais le contraire de ce que décrivaient les journaux. J’étais un type prudent qui avant toute chose pesait le pour et le contre. Le vieux Zlatan avait disparu ! J’étais l’ombre de moi-même.

Cela ne m’était jamais arrivé auparavant mais, dans l’immédiat, ce n’était pas le plus important. Je me répétais que les choses allaient s’arranger. J’allais me ressaisir. Les choses se calmeraient et peut-être que tout cela n’était que dans ma tête, une forme de paranoïa. Guardiola n’était pas désagréable, pas du tout. Il avait l’air de croire en moi. Il voyait bien que je marquais des buts et combien j’étais important pour l’équipe et pourtant… Cette impression ne me quittait pas. Pensait-il que j’étais différent ?

« Ici, on garde les pieds sur terre. »

S’adressait-il tout particulièrement à moi et était-ce ce qu’il pensait vraiment de moi ? Je ne comprenais pas. Je tentais donc de penser à autre chose. Je me disais : concentre-toi plutôt sur le jeu. Oublie ça !

Mais les mauvaises ondes persistaient et je me mis à me poser de plus en plus de questions. Devrions-nous tous nous fondre dans le même moule, dans ce club ? Ça ne me paraissait pas très sain. Nous sommes tous différents. Parfois, les gens font semblant, bien sûr. Mais si cela arrive, on ne fait pas que du mal à soi-même, cela porte préjudice à l’équipe. Certes, Guardiola avait obtenu des résultats. Le club avait beaucoup gagné avec lui. Je m’incline, une victoire est une victoire.

Mais aujourd’hui, quand j’y repense, je crois que cela leur a coûté cher. Toutes les fortes personnalités étaient régulièrement écartées. Ce n’était pas par hasard s’il avait déjà eu des problèmes avec Ronaldinho, Deco, Eto’o, Henry et moi. Nous n’étions pas des gens « comme tout le monde ». Il se sentait menacé et essayait donc de se débarrasser de nous, ce n’est pas plus compliqué, et j’ai horreur de ça. Si tu n’es pas quelqu’un « comme les autres », qu’est-ce qui t’oblige à le devenir ? Personne n’y gagne sur le long terme. Bon sang, si j’avais été comme tous ces Suédois du Malmö FF, jamais je ne serais arrivé là où j’en suis. J’en prends, j’en laisse, c’est comme ça que j’ai réussi.

Cela ne marche pas pour tout le monde. Mais ça marche avec moi et Guardiola ne comprenait rien du tout. Il pensait pouvoir me changer. Dans son Barça, tout le monde aurait dû être comme Xavi, Iniesta, et Messi. Pas de problème avec eux, comme je l’ai dit, vraiment pas du tout. Je trouvais génial d’être dans la même équipe qu’eux. Être au milieu de joueurs talentueux me motive et je les ai regardés comme je l’ai toujours fait avec tous les grands joueurs, en me disant qu’ils pouvaient m’apprendre des choses. Aurais-je dû faire plus d’efforts ?

Mais si l’on examine leur parcours, on se rend compte que Xavi est arrivé à l’âge de onze ans. Iniesta en avait douze et Messi, treize. Ils ont été formés au club. Ils n’ont rien connu d’autre et je ne prétends pas que ce n’était pas bien pour eux. C’était leur parcours mais pas le mien. Je venais d’ailleurs : j’arrivais avec mon caractère et il semblait qu’il n’y avait pas de place pour ça dans le petit monde de Guardiola. Mais à ce moment-là, en novembre, ce n’était qu’une impression. Alors mes problèmes étaient plus basiques : je ne savais pas si j’allais jouer et si je serais aussi vif après cette interruption.

À la veille du Clásico, la pression était forte au Camp Nou. Manuel Pellegrini, un Chilien, était alors l’entraîneur du Real Madrid. Il était déjà sur la sellette en cas de défaite. On parlait de moi, de Kaká, Cristiano Ronaldo, Messi, Pellegrini et Guardiola. On faisait des comparaisons. La ville était en ébullition bien avant l’heure. J’arrivai au stade au volant de l’Audi du club et me dirigeai vers les vestiaires. Guardiola avait titularisé Henry en attaque. Messi sur l’aile droite et Iniesta sur la gauche. Il faisait nuit. La stade était inondé de lumière et les flashs crépitaient de partout dans les tribunes.

On le sentit immédiatement : le Real Madrid était plus en jambe. Ils se créaient plus d’occasions et, en vingt minutes, Kaká, incroyable d’élégance, fit un dribble d’une habileté remarquable et passa vers l’avant en direction de Cristiano Ronaldo qui était complètement démarqué. Il était dans une position parfaite mais il loupa. Victor Valdés, notre gardien, s’interposa d’un pied et, à peine une minute après, Higuaín y alla à son tour. C’était passé près, très près. Il y avait beaucoup d’occasions, nous étions trop statiques et leur jeu de passes nous posait des problèmes. La nervosité gagna l’équipe et nos supporters sifflaient Casillas. Le gardien du Real prenait tout son temps avant chaque dégagement. Mais les Madrilènes dominaient toujours et nous étions bien contents d’arriver à la mi-temps en ayant préservé le 0 à 0.

Au début de la deuxième mi-temps, Guardiola me demanda de m’échauffer, ce qui, je dois dire, me fit plaisir. Les spectateurs criaient et m’encourageaient. La clameur m’enveloppa et je les applaudis à mon tour pour les remercier. À la cinquante et unième minute, je remplaçai Thierry Henry. J’avais très envie de jouer. Je n’avais pas manqué tant de matchs que ça mais c’était tout comme, sans doute parce que j’avais raté la rencontre de la Ligue des Champions contre mon ancienne équipe, l’Inter de Milan. Mais là, j’étais de retour et quelques minutes après, Daniel Alves, le Brésilien, reçut le ballon sur le côté droit. Alves est rapide, balle au pied, et l’attaque fut rondement menée. La défense du Real n’était pas tout à fait en place et, dans ces situations, je ne me pose pas de questions. Je fonce dans la surface de réparation. C’est alors qu’on m’adressa le centre, j’accélérai dans l’axe.

Je perçai et effectuai une volée avec mon pied gauche, bang ! boum ! dans le but et ce fut comme une éruption volcanique. Je la sentis dans tout mon être, rien ne pouvait plus m’arrêter. Nous l’emportions 1 à 0. J’avais été décisif et les louanges pleuvaient de tous les côtés. Maintenant, personne ne se demandait plus pourquoi j’avais coûté quatre-vingts millions d’euros. J’étais en transe.

Arriva la trêve de Noël. Nous partîmes vers le nord de la Suède où je pilotai une motoneige, et, comme je l’ai déjà raconté, c’était sympa. Mais c’était aussi le point de bascule. Après le 24 décembre, tous les ennuis de l’automne se corsèrent et je ne me reconnaissais plus. C’est comme ça que je le voyais. J’étais devenu un autre Zlatan, un Zlatan qui ne savait plus sur quel pied danser et, chaque fois que Mino avait un rendez-vous avec les dirigeants du Barça, je lui demandais :

« Qu’est-ce qu’ils pensent de moi ?

— Que tu es le meilleur buteur du monde !

— Je veux dire personnellement. En tant qu’homme. »

Jusqu’ici, je ne m’étais jamais inquiété pour ça. Je ne me posais pas spécialement ce genre de question. Pourvu que je joue, les gens peuvent bien dire ce qu’ils veulent. Mais là, tout d’un coup, ça me paraissait important, ce qui montrait que je n’allais pas bien. Je perdais confiance et je me sentais inhibé. Marquer des buts ne m’éclatait presque plus. Je n’osais pas me mettre en colère, ce qui n’est pas une bonne chose chez moi, pas du tout. Je ne suis pas très raisonnable mais là je prenais sur moi. Je suis dur. J’en ai vu. Pourtant, ce regard que l’on portait sur moi et les commentaires des journaux jour après jour qui racontaient que je ne m’intégrais pas, ou que j’étais un cas à part, m’irritaient. J’avais l’impression de revenir en arrière, au tout début de ma carrière. Ça ne vaut pas la peine de lister tout ce qui me tracassait, des détails dont je n’avais rien à faire auparavant, juste des petites choses comme les regards, les commentaires, la tournure des phrases. Je suis habitué aux sales coups. J’ai grandi avec ça. Mais là, j’avais une drôle de sensation. Je ne fais pas partie de la famille ? On ne veut pas de moi ? Qu’est-ce que c’est que ce gâchis ?

La première fois que j’ai vraiment tenté de m’intégrer, on m’a tourné le dos et, comme si cela n’était déjà pas assez moche, il y avait ce truc avec Messi. Vous vous souvenez du premier chapitre. Messi était la grande star. Dans un sens, c’était son équipe. Il était timide et poli, ça c’est sûr. Je l’appréciais. Sauf que maintenant j’étais là. J’avais fait mes preuves sur le terrain et ça faisait beaucoup de bruit.

Il est possible qu’il ait vécu ça comme si j’étais entré chez lui et que je m’étais couché dans son lit. Il annonça à Guardiola qu’il ne voulait plus jouer sur l’aile. Il voulait jouer au centre, ce qui fit que je me retrouvai coincé en pointe et que je ne recevais plus de ballons. À l’automne, la situation s’inversait. Je ne marquais plus les buts. C’était Messi. À partir de là, j’ai eu cette conversation avec Guardiola parce que les dirigeants m’y avaient poussé.

« Parle-lui. Trouve une solution ! »

Et qu’arriva-t-il ? La guerre fut déclarée et il m’imposa sa loi du silence. Il ne me parlait plus. Il saluait tous les autres. Il ne me regardait même plus. Il ne m’a plus jamais adressé le moindre mot et je me sentis mal à l’aise. C’est dur à lâcher mais j’étais vraiment mal. J’aurais préféré prétendre que je m’en tapais. Qu’est-ce que vous voulez que ça me fasse, un mec qui fait de l’intimidation ? Dans un autre contexte, je sais ce que j’aurais fait. Mais je ne me sentais pas assez fort.

La situation me bouffait. Quand un patron a autant d’emprise sur vous, qu’il vous méprise sciemment, ça mine. Mais je n’étais plus le seul à m’en apercevoir. D’autres joueurs le remarquèrent et s’interrogèrent : que se passe-t-il ? À quoi ça rime ?

« Tu dois aller lui parler, me conseillaient-ils. Ça ne peut pas continuer ainsi. »

Non, j’en avais assez dit à ce type. Je n’avais pas l’intention de ramper devant lui. J’ai donc serré les dents et je me suis remis à bien jouer, en dépit de ma position sur le terrain, et de l’atmosphère lamentable dans le club. J’entrai à nouveau dans une phase où je marquais cinq, six buts. Mais Guardiola restait toujours aussi distant, ce qui n’était pas étonnant, je le comprends maintenant.

Ça n’avait rien à voir avec mon style de jeu mais avec ma personnalité. Ces choses tournaient dans ma tête jour et nuit : était-ce quelque chose que j’aurais dit ? Que j’aurais fait ? Il me trouve bizarre ? Je passais tout en revue, chaque petit événement, chacune de nos entrevues. Je n’arrivais pas à trouver. Je ne disais rien mais ça me faisait vraiment suer. Alors je me demandais encore : est-ce ceci, est-ce cela ? Pourtant, non, je n’agissais pas violemment.

Tout au plus, je cherchais mes erreurs, je pensais à ça tout le temps. Mais le type ne lâchait rien et son attitude n’était pas que dégueulasse. Elle n’était pas professionnelle. En fin de compte, c’est toute l’équipe qui souffrait et la direction s’en inquiétait de plus en plus. Guardiola était sur le point de bousiller le plus gros investissement du club alors que s’annonçaient des matchs importants en Ligue des Champions. Quoi qu’il en soit, nous devions affronter Arsenal chez eux. Pendant ce temps, l’entraîneur et moi étions dans une impasse et je suis certain qu’il aurait carrément préféré se passer de moi. Mais sans doute ne voulait-il pas aller aussi loin. Je débutai donc avec Messi à la pointe de l’attaque.

Mais quelles étaient les consignes ? Rien ! Je devais me débrouiller tout seul. Nous étions à l’Emirates Stadium. C’était énorme et, comme d’habitude en Angleterre, les supporters et la presse étaient contre moi. On racontait un tas d’horreurs sur mon compte, du style : « Il ne marque jamais contre les équipes anglaises. » Je donnai une conférence de presse. Malgré tout, j’essayais de rester moi-même. Attendez, vous allez voir ce que vous allez voir.

Mais ce ne serait pas facile, pas avec cet entraîneur. Sur le terrain, les choses ont débuté brusquement. Le rythme était hallucinant et j’en oubliai Guardiola. Le niveau était proche du sublime. Je ne crois pas avoir jamais joué d’aussi bon match que celui-ci. Mais, c’est vrai, j’ai raté quelques occasions. Je tirai à droite du portier d’Arsenal ou directement sur lui. J’aurais dû marquer mais ce ne fut pas le cas et nous atteignîmes la mi-temps sur le score de 0 à 0.

Je me disais que Guardiola allait certainement me sortir. Mais il me laissa reprendre la deuxième mi-temps et elle avait à peine démarré que je reçus un ballon en profondeur de Piqué et je fonçai. Un défenseur était sur moi et leur gardien sortit. La balle rebondit et je le lobai. La balle lui passa par-dessus et entra dans le but. Cela faisait 1 à 0. Juste dix minutes après, sur une belle passe de Xavi, je filai comme une flèche. Cette fois, je ne lobai pas. Je frappai comme un sourd pour inscrire le deuxième but et tout indiquait que nous avions le match en main. J’avais été très bon. Mais que fit Guardiola ? Au lieu d’applaudir, il me fit sortir. Bien joué ! L’équipe se désunit et Arsenal parvint à égaliser, 2 à 2, dans les dernières minutes.

Je n’avais rien ressenti durant le match. Mais après, j’avais mal au mollet, cela empira et ça tombait très mal. J’avais retrouvé la forme. Mais là, je ne pourrais jouer ni le match retour contre Arsenal ni le Clásico ce printemps et je ne reçus aucun soutien de Guardiola. Je n’eus droit qu’à des coups de bâton. Si j’entrais dans une pièce, il en sortait. Il refusait même de se tenir à côté de moi. Quand j’y repense aujourd’hui, cela me paraît complètement débile.

Personne ne comprenait rien à ce qu’il se passait, ni les dirigeants ni les joueurs. Quelque chose ne tournait pas rond chez ce bonhomme. Je ne nie pas son palmarès et, par ailleurs, je ne dis pas que c’est un mauvais entraîneur. Mais il devait avoir de sérieux problèmes. Il ne paraissait pas capable de gérer des mecs comme moi. Peut-être avait-il peur de perdre son autorité. Le phénomène est assez banal, non ? Il y a des entraîneurs qui sont sans aucun doute compétents mais qui n’arrivent pas affronter les fortes personnalités et ils ne s’en sortent qu’en les écartant. En d’autres mots, ce sont des leaders lâches !

Bref, il ne m’a jamais demandé quoi que ce soit à propos de ma blessure. Il n’a pas osé. Bon, en fait, il m’avait bien parlé avant la demi-finale de la Ligue des Champions contre l’Inter de Milan. Mais il s’y prenait bizarrement et rien ne fonctionnait. Mourinho avait raison. C’était bien lui et non nous qui allions remporter la Ligue des Champions. Après quoi Guardiola me traita comme si j’étais le seul responsable et c’est à ce moment que la tempête s’est levée.

Dans un sens, c’était effrayant, cette sensation qui montait, tout ce que j’avais accumulé au fond de moi était sur le point d’exploser et, heureusement, Thierry Henry était de mon côté. Il me comprenait et nous en plaisantions ensemble. Cela enlève un peu de pression et même, à un certain stade, je ne me laissai plus envahir par ces trucs. Que faire d’autre ? Pour la première fois, le football ne m’apparaissait plus aussi important. Je me consacrai à Maxi, Vincent et Helena et, durant cette période, je me rapprochai d’eux. Comme quoi, ça n’a pas été inutile. Mes enfants sont tout pour moi. C’est la vérité.

Cependant, je ne pouvais pas tout faire péter dans le club et cette bombe qui sommeillait en moi était sur le point d’éclater. Dans le vestiaire, après le match contre Villareal, j’ai hurlé sur Guardiola. Je lui ai crié dessus, je lui ai dit qu’il n’avait pas de couilles et qu’il s’était dégonflé devant Mourinho. Entre lui et moi, c’était la guerre. Entre Guardiola, ce froussard qui réfléchissait trop, qui n’arrivait même pas à me regarder dans les yeux ou à me dire bonjour, et moi, celui qui était resté silencieux et prudent pendant si longtemps mais qui finalement exploserait pour redevenir lui-même.

Ce n’était pas de la rigolade. Dans d’autres circonstances, avec quelqu’un d’autre, cela aurait pu être terrible. Pour moi, les coups de sang de ce genre ne sont jamais très graves, que je sois celui qui donne les coups ou qui les reçoit. J’ai grandi avec ça. C’est la routine et souvent cela s’est bien terminé. Il faut crever l’abcès. Avec Vieira, après nous être battus comme des furieux, nous sommes devenus amis. Mais avec Pep… Tout a changé.

Il ne gérait pas. Il m’évitait et je me suis bien souvent couché en pensant dans l’obscurité à toute cette situation. Qu’allait-il arriver ensuite ? Que devrais-je faire ? Une chose était claire : ça ressemblait à l’équipe de jeunes du Malmö FF. On me considérait comme un cas à part. Il ne me restait plus qu’à devenir meilleur encore. Il fallait que je devienne si bon que Guardiola ne pourrait même plus me mettre sur le banc. Mais, dès lors, je n’avais plus du tout l’intention de devenir quelqu’un d’autre. Jamais plus. J’envoyai balader les « Ici, ça marche comme ça. Nous sommes des gens comme tout le monde. » Je compris encore mieux à quel point cela était immature. Un véritable entraîneur doit pouvoir gérer différents caractères. Ça fait partie de son boulot. Une équipe marche mieux avec différentes personnalités. Certains sont un peu plus durs. Et d’autres sont comme Maxwell ou Messi et sa bande.

Mais Guardiola ne supportait pas cela et il voulait se venger. Je le sentais. C’était dans l’air et, apparemment, ça ne le gênait pas de faire perdre au club des centaines de millions. Nous allions jouer notre dernier match de championnat. Il me mit sur le banc. Je ne m’attendais à rien d’autre. Mais, soudain, il voulut me parler. Il me fit monter dans son bureau du stade. C’était en matinée et sur les murs il y avait des maillots de foot et des photos de lui, ce genre de trucs. L’ambiance était glaciale. Nous ne nous étions plus reparlé depuis mon esclandre. Il était aussi nerveux que moi. Ces yeux clignaient rapidement.

Ce bonhomme n’a aucune autorité naturelle, aucun charisme. Si vous ne saviez pas qu’il était l’entraîneur d’une équipe de haut niveau, vous ne le remarqueriez même pas quand il entre dans une pièce. Et là, dans son bureau, il gigotait. Je suis certain qu’il attendait que je dise quelque chose. Je n’ai rien dit. J’attendais.

« Bon », commença-t-il. Il ne me regardait pas dans les yeux. « Je ne suis pas sûr de savoir ce que je vais faire de toi la saison prochaine.

— O.K.

— C’est à toi de voir, avec Mino. Je veux dire, tu es Ibrahimoviæ. Tu n’es pas le genre de type qui se contente de jouer une fois tous les trois matchs, si ? »

Il voulait que je réponde. Je le voyais bien. Mais je ne suis pas idiot. Je sais très bien que c’est celui qui en dit le plus dans ces situations-là qui s’en tire le moins bien des deux. Donc, je ne pipai mot. Je n’ai pas bougé. Je restai assis. Bien sûr, il comprit : son message n’était pas très clair. Mais cela semblait signifier qu’il voulait se débarrasser de moi et cela n’était pas de la moindre importance. Je représentais le plus gros investissement jamais consenti par ce club. Cependant, je restai assis là en silence. Je ne fis rien. Alors il répéta :

« Je ne sais pas ce que je vais faire de toi. Qu’as-tu à dire ? Quel est ton avis ? »

Je n’avais rien à dire.

« C’est tout ? lui demandai-je.

— Oui, mais…

— Alors, merci. »

Et je sortis. Je pense que j’avais l’air à la fois tranquille et dur. Du moins, c’est l’impression que je voulais donner. Mais, à l’intérieur, je fulminais et quand je suis sorti j’appelai Mino.

1- « Nous sommes une marque de fabrique. »