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Pep Guardiola, l’entraîneur de Barcelone, se dirige vers moi dans son costume gris, l’air préoccupé, un brin embarrassé.

En ce temps-là, je pensais qu’il était réglo, pas vraiment le style de Mourinho ou Capello, mais un type bien. C’était avant que nous commencions à avoir de sérieux désaccords, tous les deux. Cet automne 2009, j’étais en train de vivre mon rêve de gosse. Je jouais avec la meilleure équipe du monde et soixante-dix mille personnes étaient venues m’accueillir au Camp Nou. J’étais aux anges ; bon, peut-être pas tout à fait. Les journaux écrivaient pas mal de bêtises. Que j’étais un bad boy, que j’étais ingérable. Quoi qu’il en soit, j’étais bel et bien là. Helena et les enfants étaient contents. Nous avions une jolie maison à Esplugues de Llobregat et j’étais prêt. Qu’est-ce qui pouvait clocher ?

« Écoute, me dit Guardiola. Ici, au Barça, on garde les pieds sur terre.

— Bien sûr, ça marche.

— Donc on ne vient pas à l’entraînement en Ferrari ou en Porsche. »

J’approuvai d’un signe de tête, sans rien rétorquer, surtout pas : et alors, qu’est ce que ça peut bien te faire dans quelle voiture je roule ? Je me demandais ce qu’il voulait dire par là. C’était quoi son message ? Croyez-moi, j’ai passé l’âge de jouer les caïds au volant de bolides, qui les garent sur les trottoirs ou je ne sais où. Ça n’a rien à voir. Mais j’aime les voitures. Je suis un passionné et je sentais bien que sa réflexion avait un sens caché. Quelque chose comme : ne va pas t’imaginer que tu auras un traitement de faveur !

J’avais déjà eu l’impression que Barcelone ressemblait à une école, ou à ce type d’institution. Les joueurs étaient sympas, rien à dire de ce côté-là, et Maxwell, mon vieux pote de l’Ajax et de l’Inter, était avec moi. Mais, pour être honnête, pas un des gars ne se comportait comme une vedette, ce qui était étrange. Messi, Xavi, Iniesta et toute la bande se tenaient comme des petits écoliers. Les meilleurs footballeurs du monde étaient plantés là, la tête baissée, et je n’y comprenais rien. C’était ridicule. En Italie, si un entraîneur disait « saute ! », les stars de l’équipe le regarderaient d’un air sceptique : « Pourquoi devrions-nous sauter ? »

Or, ici, ils faisaient tous exactement ce qu’on leur demandait. Ça ne m’allait pas du tout, mais alors vraiment pas. Profite de l’occasion ! me suis-je dit. Ne leur donne pas raison ! Je décidai de m’adapter et de rentrer dans le moule. J’en devins presque trop gentil. C’était dingue. Mino Raiola, mon agent et ami, me dit :

« Qu’est-ce qu’il t’arrive, Zlatan ? Je ne te reconnais pas. »

Personne ne me reconnaissait, pas un seul de mes potes, absolument personne. Je commençais à déprimer et, à ce stade, je dois vous dire que depuis mes débuts au Malmö FF je n’ai toujours eu qu’une seule et même philosophie : n’en faire qu’à ma tête. Je me tape de ce que les autres pensent et je n’ai jamais aimé me retrouver au milieu de gens coincés. J’aime les mecs qui grillent les feux rouges, si vous voyez ce que je veux dire. Tandis que là, je ne disais pas ce que je pensais.

Je disais ce que je pensais que les gens voulaient que je dise. Ce qui était une erreur totale. Je conduisais l’Audi du club et je faisais oui avec la tête comme quand j’étais à l’école. Je ne gueulais même plus vraiment sur mes coéquipiers. J’étais barbant. Zlatan n’était plus Zlatan et la dernière fois que cela s’était produit je fréquentais une école chic, à Borgarskolan, où pour la première fois de ma vie je voyais des filles en polo Ralph Lauren sans arriver à leur demander de sortir avec moi. Par ailleurs, mon début de saison était excellent. Je marquais un but après l’autre. Nous remportâmes la Super Coupe de l’UEFA. C’était formidable. Sur la pelouse, je maîtrisais, mais je ne me sentais pas moi-même. Quelque chose s’était produit, rien de sérieux, pas encore, mais quand même. Je restais silencieux et, croyez-moi, chez moi, c’est dangereux. Si je ne suis pas en colère, je ne joue pas bien. J’ai besoin de gueuler, je fais du boucan. Mais là, je me retenais. Cela avait peut-être à voir avec la presse. Je ne sais pas.

Mon arrivée avait donné lieu au deuxième plus gros transfert de l’histoire et les journaux écrivaient que j’avais été un enfant à problèmes, que j’étais un personnage retors, des tas de bêtises en somme, et malheureusement toute cette pression me pesait, à savoir qu’ici, au Barça, on ne faisait pas le malin, on ne créait pas d’histoires, et je voulais prouver que je pouvais m’adapter. C’est ma plus grosse erreur. Sur le terrain, j’étais toujours aussi impressionnant mais je ne m’amusais plus.

J’ai même envisagé d’arrêter le football. Pas au point de casser mon contrat, après tout, je suis un professionnel. Mais j’avais perdu mon enthousiasme et pour les vacances de Noël nous sommes rentrés en Suède où, dans une station de ski du nord du pays, je pus louer une motoneige.

Dans la vie, même quand je m’accorde une pause, j’ai besoin d’action. Je conduis toujours comme un fou. J’ai déjà fait mordre la poussière aux flics en roulant à trois cent vingt-cinq kilomètres à l’heure au volant de ma Porsche Turbo. J’ai fait tellement de trucs insensés que je ne veux même pas y penser mais là, avec ma motoneige, dans les montagnes, je m’en payais une bonne tranche. J’ai chopé des engelures et je me suis éclaté comme jamais.

Enfin une montée d’adrénaline ! L’ancien Zlatan était de retour et je ne voyais pas bien ce qu’il pourrait lui arriver. J’avais de l’argent à la banque, je n’avais pas à m’en faire, je n’avais pas besoin de m’écraser devant un crétin d’entraîneur alors que je pourrais m’amuser et passer du temps avec ma famille. Ce séjour fut vraiment agréable. Mais ça n’a pas duré. Le retour en Espagne serait une catastrophe. Pas immédiatement, ça couvait, je le sentais venir doucement.

Il y eut une tempête de neige. On aurait dit que les Espagnols n’avaient jamais vu de neige de leur vie et sur les collines où nous habitions il y avait des voitures abandonnées un peu partout. Mino, ce gros imbécile (ce merveilleux gros imbécile, devrais-je dire pour écarter tout malentendu), se les caillait dans ses chaussures de ville et sa veste d’été et il me persuada de prendre l’Audi. Ce qui se termina dans le chaos total, complet. Je perdis le contrôle du véhicule dans une descente assez raide et nous avons percuté un mur de béton, massacrant le côté droit de la voiture.

Pas mal de gars de l’équipe avaient embouti leur voiture à cause de la tempête mais personne n’avait eu un tel accident. J’ai donc remporté le concours de voitures écrasées et nous en avons tous bien rigolé. J’étais, pour une fois, moi-même. Je me sentais donc toujours plutôt bien. Mais c’est alors que Messi a commencé à faire des remarques. Lionel Messi est génial. Il est totalement bluffant. Je ne le connais pas plus que ça. Nous sommes très différents. Il a été recruté au Barça à l’âge de treize ans. Il a été élevé dans cette culture et n’a aucun problème avec cette fichue école. Dans l’équipe, le jeu tourne autour de lui, ce qui est tout à fait normal, il est excellent. Mais il se trouve que j’étais là et que je marquais plus de buts que lui. Messi est allé voir Guardiola. « Je ne veux plus jouer sur l’aile droite, je veux jouer au centre. »

Or c’était moi, au centre. Mais Guardiola s’en balançait totalement. Il changea de dispositif tactique. Il passa d’un 4-3-3 à un 4-5-1, j’étais en pointe et Messi était placé juste derrière moi, ce qui faisait que je me retrouvais dans l’ombre. Toutes les balles passaient par Messi et je n’arrivais pas à m’exprimer. Sur un terrain, je dois être aussi libre que l’air. Je suis le genre de type à vouloir faire la différence à tous les niveaux. Mais Guardiola m’a sacrifié. C’est la vérité. Il m’a coincé à la pointe de l’attaque. Bien sûr, je peux comprendre son dilemme. Messi était la star.

Guardiola était obligé de l’écouter. Mais allez ! J’ai marqué des tas de buts avec le Barça et moi aussi j’avais été plutôt bon. Il ne pouvait quand même pas changer toute l’équipe en fonction d’un seul mec. Sinon pourquoi diable m’avait-il recruté ? Personne ne lâcherait une telle somme pour étouffer un joueur comme moi. Guardiola aurait dû nous écouter tous les deux et, bien sûr, l’atmosphère au sein de la direction du club se tendit. Ils n’avaient jamais autant misé sur un joueur et le nouveau schéma ne me convenait pas. Txiki Begiristain, le directeur sportif, insista pour que j’aille parler à l’entraîneur.

« Trouve une solution ! »

Je n’ai pas apprécié. Mais je suis un joueur qui s’adapte aux événements. « D’accord, très bien, c’est ce que je vais faire. »

Un de mes potes m’avait dit : « Zlatan, c’est comme si le Barça avait acheté une Ferrari et la conduisait comme une Fiat. » C’était une bonne manière de voir la chose. Guardiola m’avait transformé au point de devenir un simple joueur, un bien plus mauvais joueur que je le suis. Un vrai gâchis pour toute l’équipe.

Donc, j’allai le voir. Pendant un entraînement, alors que nous étions sur le terrain. Je ne me souciais que d’une chose : je ne voulais pas que nous nous disputions. C’est ce que je lui dis : « Je ne cherche pas la bagarre. Je ne veux pas que ce soit la guerre. Je veux juste discuter de deux ou trois choses. » Il acquiesça.

Mais comme il avait l’air un peu effrayé, je lui répétai ce que je venais de lui dire. « Si tu penses que je cherche la bagarre, je m’en vais. Je veux juste avoir un mot avec toi.

— Très bien ! J’aime discuter avec les joueurs.

— Écoute, tu n’utilises pas tout mon potentiel. Si tu cherchais un simple buteur, tu aurais dû acheter Inzaghi ou un autre. J’ai besoin d’espace, j’ai besoin de me sentir libre. Je ne peux pas courir tout le temps de haut en bas du terrain. Je pèse quatre-vingt-dix-huit kilos. Je ne suis pas fait pour ça. »

Il se mit à réfléchir. Il passait son temps à tout ressasser.

« Je pense que tu peux jouer de cette façon.

— Non, autant me mettre sur le banc. Avec tout le respect que je te dois, je sais d’où tu viens, tu es en train de me sacrifier au profit d’autres joueurs. Ça ne marche pas. C’est comme si tu avais acheté une Ferrari et que tu la conduisais comme une Fiat. »

Il se mit à réfléchir davantage.

« O.K., c’était peut-être une erreur. C’est mon problème. Je vais trouver une solution. »

J’étais heureux. Je repartis d’un pas léger mais c’est à partir de ce moment-là qu’il me fit la gueule. Il me regardait à peine. Je ne suis pas quelqu’un qui s’emporte pour si peu, pas vraiment, de plus, en dépit de ma nouvelle position sur le terrain, je continuais à être très bon. Je marquais toujours des buts, même s’ils n’étaient pas aussi beaux que ceux que je marquais en Italie. J’étais trop devant. Ce n’était plus le même vieux « Ibracadabra », mais tout de même… En Ligue des Champions, contre Arsenal, dans leur nouveau Emirates Stadium, dans une ambiance de folie, nous avons complètement dominé. Les premières vingt minutes étaient absolument dingues : je marquai deux fois, deux buts magnifiques. Nous menions 2 à 0 et je me dis : qu’est-ce que t’en as à faire de Guardiola ? Fonce !

Mais c’est alors que je fus remplacé et Arsenal revint au score, d’abord 1 à 2, puis 2 à 2, c’était affligeant. Après quoi je me suis blessé, une déchirure au mollet. Normalement, les entraîneurs sont plutôt inquiets dans cette situation. Un Zlatan blessé, pour n’importe quelle équipe, c’est vraiment un coup dur. Mais Guardiola restait de glace. Il ne pipa mot. J’étais indisponible pour trois semaines et pas une fois il ne vint me voir pour me demander : « Comment ça va, Zlatan ? Penses-tu pouvoir jouer le prochain match ? »

Il ne me disait même pas bonjour. Pas un traître mot. Il évitait mon regard. Quand j’entrais dans une pièce, il sortait. Je me demandais : que se passe-t-il ? Qu’est-ce que j’ai fait ? Je fais fausse route ? Est-ce que j’ai l’air bizarre ? Tout ça me prenait la tête. Je n’arrivais plus à dormir.

J’y pensais constamment. Pas parce que j’avais besoin d’être aimé par Guardiola, certainement pas. Il aurait pu me détester, cela ne m’aurait pas touché. La haine et le désir de revanche me permettent d’avancer. Mais là, j’en perdais ma concentration et sondai les autres joueurs. Personne n’en avait la moindre idée. Je demandai son avis à Thierry Henry qui, alors, était remplaçant. Thierry Henry est le meilleur buteur de l’histoire du football français. Il est excellent. Il était toujours aussi fabuleux et passait lui aussi un sale moment avec Guardiola.

« Il ne me parle pas. Il ne me regarde pas dans les yeux. Qu’est-ce que tu penses de tout ça ?

— Aucune idée », me répondit-il.

On commença à en plaisanter : « Eh, Zlatan, est-ce que tu as pu capter son regard aujourd’hui ?

— Non, mais j’ai aperçu son dos.

— Pas mal, tu fais des progrès. »

On disait des trucs bêtes comme ça qui me soulageaient un peu. Mais ça me tapait sur les nerfs et, à chaque heure de la journée, je m’interrogeais : qu’ai-je fait ? Qu’est-ce qui ne va pas ? Je ne trouvais aucune réponse, rien. Ou simplement que sa froideur ne pouvait venir que de la conversation que nous avions eue concernant ma position sur le terrain. Il n’y avait pas d’autre explication. Mais si c’était le cas, c’était ridicule. Essayait-il de me faire craquer après cette discussion à propos de mon poste ? Il fallait que je le voie. Je me plantais devant lui et le regardais droit dans les yeux. Il m’évitait. Il avait l’air énervé. Évidemment, j’aurais pu demander un rendez-vous pour savoir ce qui n’allait pas. Mais c’était hors de question. Je m’étais suffisamment aplati devant lui. C’était son problème.

Mon souci n’était pas tellement de ne pas savoir ce qui se passait. Je ne le sais toujours pas d’ailleurs, ou peut-être bien que si… Je pense que le mec ne sait pas gérer les fortes personnalités. Il veut des écoliers bien dociles et il fuit les problèmes. Il n’arrive pas à les affronter, et cela fait que les choses ne peuvent qu’empirer.

Ce fut de pire en pire.

Et puis il y eut le nuage de cendre volcanique d’Islande. Tous les vols à travers l’Europe étaient annulés et nous devions rencontrer l’Inter de Milan à San Siro. Nous avons dû y aller en bus. Certains brillants esprits au Barça pensèrent que c’était une bonne idée. J’étais remis de ma blessure mais le voyage fut désastreux. Il nous fallut seize heures pour arriver, crevés, à Milan. Il s’agissait de notre match le plus important jusqu’ici : une demi-finale de Ligue des Champions et je m’étais préparé à être sifflé et à l’hystérie qui régnerait dans mon ancien stade. Pas de problème, c’était même l’inverse en fait. Je carbure à ce genre de truc. Sinon, l’ambiance était pourrie et je pense que Guardiola s’était accroché avec Mourinho.

José Mourinho est une méga-star. Il a déjà remporté la Ligue des Champions avec Porto. Il a été mon entraîneur à l’Inter. Il est génial. La première fois qu’il rencontra Helena, il lui chuchota : « Helena, you have only one mission. Feed Zlatan, let him sleep, keep him happy ! »1 Ce mec dit tout ce qui lui passe par la tête. Je l’aime bien. C’est un meneur d’hommes mais il est bienveillant. À l’Inter, il m’envoyait tout le temps des SMS pour me demander comment j’allais. Il est l’exact opposé de Guardiola. Quand Mourinho allumait la lumière dans une pièce, Guardiola tirait les rideaux. Je pense que Guardiola essayait de l’égaler.

« Nous ne jouons pas contre Mourinho mais contre l’Inter », disait-il comme si nous étions assis là en nous imaginant que nous allions jouer au foot contre un entraîneur, et puis il commença à philosopher.

Je ne l’écoutai guère. Pourquoi, du reste ? Il avait atteint un seuil avancé d’absurdité en nous parlant de sang, de sueur, et de ceci, de cela. Je n’avais jamais entendu un entraîneur de football parler comme ça ! D’énormes foutaises ! Mais le voilà qui s’avançait maintenant vers moi. C’était pendant la séance d’entraînement au stade San Siro, il y avait du monde qui était venu pour nous observer, « Ibra est de retour ! ».

« Tu peux jouer dès le coup d’envoi ?

— Absolument, je n’attends que ça.

— Mais est-ce que tu es prêt ?

— Tout à fait. Je me sens bien.

— Mais est-ce que tu es prêt ? »

Il faisait le perroquet et je sentais de mauvaises ondes.

« Écoute, le voyage a été horrible mais je suis en forme. Ma blessure est guérie. Je me donnerai à cent pour cent. »

Guardiola avait l’air d’en douter. Un peu plus tard, parce que je n’arrivais pas à me faire une idée, j’appelai Mino Raiola. Avec Mino, on se téléphone tout le temps. Les journalistes suédois disent toujours que Mino nuit à l’image de Zlatan. Mino est ceci, Mino est cela. Dois-je être plus clair ? Mino est un génie. Je lui demandai donc : « Qu’est-ce qu’il mijote ? »

Aucun de nous deux n’arrivions à comprendre. Ça commençait à nous chauffer sérieusement. Pourtant, je fus titularisé et nous avons même mené 1 à 0. Puis le vent a tourné. J’étais remplacé à la soixantième minute avant de perdre finalement le match 3 à 1. Quelle bêtise. J’étais furieux. Par le passé, par exemple quand je jouais à l’Ajax, je ruminais sur les défaites pendant des jours et des jours. Aujourd’hui j’ai Helena et les enfants. Ils m’aident à oublier et à passer à autre chose et, donc, je me concentrai directement sur le match retour au Camp Nou. Il était important de se reprendre mais l’ambiance était de plus en plus pesante.

La pression était malsaine. Il y avait de l’orage dans l’air et nous avions besoin de gagner largement pour passer. Mais alors… Je ne veux même pas y penser, mais en fait si, parce que cela me rend plus fort. Même en gagnant 1 à 0, cela n’a pas suffi.

Nous étions éjectés de la Ligue des Champions et Guardiola me regardait comme si tout cela était ma faute. Et je me disais : Voilà, j’ai abattu ma dernière carte. Après ce match, il me sembla que je n’étais plus le bienvenu dans le club et rien que conduire leur Audi m’écœurait. Quand je m’assis dans le vestiaire, je me sentis comme un moins que rien, Guardiola me fixa méchamment comme si j’étais de trop, comme si j’étais un paria. C’était dingue. On aurait dit un mur, un mur de briques. Je n’ai pas perçu un seul signe d’humanité de sa part et il ne se passait plus une heure sans que je souhaite me tirer de ce club. Je n’avais plus ma place. En déplacement à Villareal, il me laissa jouer cinq minutes. Cinq minutes ! Intérieurement, je fulminais. Pas parce que j’étais sur le banc. Je peux m’en arranger si l’entraîneur est un homme, un vrai, capable de me dire que je ne suis pas assez bon, « Zlatan, tu n’es pas au niveau ».

Mais Guardiola ne prononça pas un mot, n’émit pas un son et là, je n’en pouvais plus. Je le sentais de tout mon être et, si j’avais été à la place de Guardiola, j’aurais eu les jetons. J’ai fait tout un tas d’idioties mais je ne me bagarre pas à coups de poing. Oui, d’accord, sur le terrain j’ai distribué quelques coups de boule. Tout de même, quand je suis en colère, quand je vois rouge, il vaut mieux ne pas être dans les parages.

Bon, maintenant, pour entrer un peu plus dans les détails, je n’ai pas regagné le vestiaire juste après le match en ayant prévu de lui sauter dessus. Mais je n’étais pas content, c’est le moins que l’on puisse dire, et mon ennemi était là, debout, en train de se gratter la tête. Il n’y avait pas grand monde autour de nous.

Touré était là, avec quelques autres, et je fixais du regard la boîte en métal dans laquelle nous jetions nos affaires sales. Je donnai un coup de pied dedans. Elle a volé à quelque trois mètres de là et ce n’était pas fini. J’allai vers Guardiola et je hurlai, « Tu n’as pas de couilles ! » et des choses bien plus terribles que ça encore avant d’ajouter : « Tu te fais dessus face à Mourinho. Tu peux aller au diable ! »

J’avais pété les plombs et on aurait pu s’attendre que Guardiola prononce quelques mots en guise de réponse, comme « Calme-toi, on ne parle pas de cette façon à son entraîneur ! ». Mais ce n’est pas son style. C’est un lâche. Il a juste ramassé la boîte en métal comme un larbin et s’en est allé, sans dire un mot, mais ai-je besoin de le préciser. Bien évidemment, tout cela se sut. Dans le bus, entre eux, tous les autres joueurs demandaient : « Que s’est-il passé ? Que s’est-il passé ? »

Rien, me disais-je. Juste quelques vérités. Mais je n’avais pas trop envie d’en parler. J’étais furieux. Semaine après semaine, mon entraîneur et mon patron m’avaient écarté sans me donner d’explications. C’était complètement ridicule. Par le passé, j’avais déjà eu des embrouilles. Mais nous nous expliquions le jour suivant et il n’y avait aucune rancœur. Alors que là je n’avais face à moi que du silence, des jeux psychologiques. Je n’avais que vingt-huit ans. J’avais marqué vingt-deux buts et fait quinze passes décisives, ici, au Barça, tout seul, et l’on continuait à faire comme si je n’existais pas. Devrais-je rester les bras croisés et encaisser ? Devrais-je continuer comme ça en essayant de m’adapter ? Hors de question !

Quand je compris que je serais sur le banc contre Almeria, je me souvins de cette phrase : « Ici, à Barcelone, on ne vient pas à l’entraînement en Ferrari ou en Porsche ! » Qu’est-ce que ça voulait dire, au juste ? Je conduis la voiture que je veux, au moins ça fait causer les imbéciles. Je montai dans mon Enzo, j’appuyai sur l’accélérateur et je me garai juste devant la porte d’entrée du centre d’entraînement. Bien sûr, ce fut tout un cirque. Les journaux écrivirent que ma voiture valait autant que la somme des salaires mensuels des joueurs d’Almeria. Mais je m’en fichais royalement. Dans un tel contexte, la bêtise des médias n’était qu’une broutille. Je décidai que j’aurais mon mot à dire.

J’étais déterminé à ne pas me laisser faire et vous devez savoir que c’est un jeu auquel je sais jouer. J’ai été un dur, croyez-moi. Mais il fallait que je m’y prépare et j’en parlai donc avec Mino. Nous élaborons toujours nos coups ensemble, les bons comme les mauvais. Et j’appelai mes potes.

Je voulais avoir différents avis et, mon Dieu, j’ai eu toutes sortes de conseils. Les gars de Rosengård voulaient venir jusqu’ici pour tout casser et, bien sûr, c’était sympathique de leur part, mais cela ne m’apparut pas être la meilleure stratégie vu les circonstances et, évidemment, j’en parlai à Helena. Elle est d’un autre milieu. Elle est douce, même si elle peut aussi être dure. Elle me dit des choses réconfortantes : « En tout cas, tu es devenu un meilleur père. Quand tu n’es pas bien dans une équipe, tu en formes une à la maison, et cela me rend heureuse. »

Alors je tapais des balles avec les enfants, j’essayais de faire en sorte que tout le monde se sente bien et je m’asseyais aussi dans un coin avec mes jeux vidéo parce que je suis un peu accro. Je peux me laisser totalement absorber. Mais je me suis fixé des limites : pas de Xbox ou de PlayStation après 22 heures, alors que quand j’étais à l’Inter je pouvais jouer jusqu’à 4 ou 5 heures du matin puis aller à l’entraînement en ne dormant que deux ou trois heures.

Je ne pouvais pas perdre mon temps. Durant ces semaines passées en Espagne, j’ai vraiment essayé de me consacrer à ma famille, de me détendre, tout simplement, en restant dans le jardin, en buvant à l’occasion une Corona. C’était le bon côté des choses. Mais la nuit, quand, étendu sur mon lit, je ne dormais pas, ou durant les entraînements quand je voyais Guardiola, mon côté sombre se réveillait. La rage me vrillait la tête, je serrais les poings et j’échafaudais des représailles. Non, en réalité, je m’apercevais qu’il était trop tard pour revenir en arrière. Il était temps de se rebeller et de renouer avec celui que j’étais.

Parce qu’il ne faut pas l’oublier : « Vous pouvez sortir un gars du ghetto mais vous ne pourrez jamais faire sortir le ghetto de ce gars. »

1- « Helena, vous n’avez qu’une mission. Nourrir Zlatan, le laisser dormir, le rendre heureux ! »