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Un peu plus tôt, en septembre 2005, nous avions joué contre la Hongrie un match qualificatif pour la Coupe du Monde dans le stade Ferenc Puskás de Budapest. En gros, il nous fallait gagner pour assurer notre qualification et, les jours précédant la rencontre, la pression montait. Mais les vents étaient contraires. Rien ne fonctionnait et je ne suis jamais rentré dans la partie. J’étais hors de forme. À la fin de la rencontre, à 0 à 0, les spectateurs n’attendaient plus que le coup de sifflet final.

Certains articles avaient déjà largement souligné mes limites. J’étais décevant et je suis certain que beaucoup d’observateurs se confortaient dans leur opinion : je n’étais qu’une diva surévaluée. Je reçus une passe dans la surface, je pense de Mattias Jonsson, et j’eus l’air de ne pas savoir qu’en faire. Il y avait un défenseur sur moi et je dribblai en direction de notre camp sans que cela donne quoi que ce soit. Puis je fis demi-tour et, d’un coup, je tirai. N’oubliez pas que c’est le genre de situation que j’affectionne et c’est aussi la raison pour laquelle je donne si souvent l’impression d’errer sur une pelouse. J’économise mon énergie, ce qui me permet de réagir très vite, avec des actions tranchantes et, en l’occurrence, là, en quelques pas, je m’approchai rapidement de la ligne, le défenseur ne pouvait pas suivre, mais alors pas du tout, ce qui me procura une occasion de tir mais dans un angle difficile. Il était trop étroit, le gardien était bien placé et tout le monde s’attendait que je centre ou que je passe la balle.

Même en frappant extrêmement fort de cette position, d’habitude, la balle ne rentre pas. Dans la plupart des cas, elle atterrit dans le petit filet et le gardien n’a même pas besoin de bouger. Il ne prend même pas la peine de lever les bras et, en une fraction de seconde, j’ai bien cru qu’elle était passée à côté. Je n’étais pas le seul. Le stade était silencieux et Olof Mellberg se tenait la tête, genre : dommage, passer si près du but dans les arrêts de jeu. Il repartit même dans l’autre sens. Il attendait que les Hongrois se dégagent et, au fond de sa cage, notre gardien, Andreas Isaksson, n’y croyait pas, tout était trop silencieux, Olof secouait la tête. La balle avait dû se nicher dans la partie extérieure du filet. C’est alors que je levai les bras en courant, contournant le but et le stade se réveilla.

La balle n’était pas passée à côté, pas du tout. Elle a volé directement dans la lucarne dans un angle impossible et le gardien n’avait pas eu le temps de bouger le petit doigt. Juste après, l’arbitre siffla la fin du match et jamais plus personne ne dit que j’étais limité.

Ce but devint une référence et nous étions qualifiés pour la Coupe du Monde. J’espérais vraiment que nous y ferions quelque chose. J’en avais besoin et, en Allemagne, je me sentais bien dans le village où nous séjournions, en dépit de mes soucis à la Juventus. Nous avions un nouvel entraîneur adjoint depuis le départ de Tommy Söderberg et ce n’était pas n’importe lequel. Il s’agissait de Roland Andersson, le type qui m’avait dit : « Il est temps pour toi d’arrêter de jouer avec des petits garçons », le gars qui m’avait fait monter en équipe première. J’étais sincèrement ému, je ne l’avais pas revu depuis qu’il avait été viré du Malmö FF et j’étais content de pouvoir lui montrer qu’il ne s’était pas trompé. Roland, tu as eu raison de miser sur moi. Ça lui avait valu quelques critiques. Mais voilà, nous nous retrouvions, Roland et moi. Les choses s’étaient plutôt bien passées pour nous et, dans l’ensemble, l’ambiance était bonne. Il y avait des tonnes de supporters suédois qui reprenaient sans arrêt cet air que ce petit type chantait, vous savez, celui qui dit : « Personne ne tape dans le ballon comme lui, Zlatan, je parle de Zlatan. »

C’était entraînant. Mais je ressentais une gêne à l’aine et ma famille faisait n’importe quoi. C’était dingue, vraiment. Ça ne m’a jamais dérangé d’être le petit frère (seul Keki est plus jeune que moi), j’étais devenu comme leur père à tous, mais, en Allemagne, ils furent ingérables. Il y avait mon père dont les billets me restaient sur les bras, ensuite il s’avéra que leur hôtel était trop loin, puis Sapko, mon grand frère, qui avait besoin d’argent, n’arrivait pas à faire le change en euros quand il parvint à en avoir. Et Helena était enceinte de sept mois. Elle pouvait se débrouiller toute seule mais, autour d’elle, tout n’était que chaos et pagaille. En descendant du bus avant notre match contre le Paraguay, les supporters grouillaient autour d’elle comme des aliénés et elle prit peur. Elle rentra à la maison dès le lendemain. Un incident succédait à un autre, plus ou moins sérieux.

« S’il te plaît, Zlatan, trouve une solution pour ceci, pour cela. »

J’étais devenu l’agent de voyage de mes parents et je n’arrivais pas à me concentrer sur le jeu. Mon téléphone sonnait sans arrêt. Ils se plaignaient de tout ce qu’il est possible d’imaginer. C’était complètement délirant. Je jouais une satanée Coupe du Monde et, en même temps, il fallait que je m’occupe des voitures de location et d’autres bêtises. Il aurait mieux valu que je ne joue pas du tout. Ma douleur à l’aine m’inquiétait. Mais Lagerbäck n’en démordait pas. Je serai fin prêt pour notre premier match contre Trinité et Tobago que, cela va de soi, nous devions gagner, non pas d’un but d’écart mais de trois, quatre, cinq. Mais tout alla de travers. Leur gardien était en état de grâce. Nous ne parvenions pas à marquer même après l’expulsion d’un de leurs gars. La seule chose positive à retirer de ce match eut lieu après la rencontre. Je voulais saluer l’entraîneur de l’équipe de Trinité et Tobago.

Il s’appelait Leo Beenhakker. C’était génial de le voir. Dieu sait que beaucoup de gens veulent tirer profit de ma carrière. Pour la plupart, ils racontent des craques, ce ne sont que des tentatives ridicules pour s’accrocher à mes basques, mais peu de gens ont vraiment compté pour moi. Roland Andersson en fait partie, Leo Beenhakker aussi. Ils avaient cru en moi quand d’autres doutaient. J’espère pouvoir faire des choses similaires quand je serai plus vieux. Je ne voudrais pas me contenter de critiquer ceux qui sont différents, – « regarde-moi ça, il dribble encore, et il fait ci, il fait ça » –, mais voir un peu plus loin.

J’ai une photo de cette rencontre avec Beenhakker. J’avais enlevé mon maillot et j’étais radieux malgré la déception du match.

Pendant toute la durée de la compétition, je n’ai pas eu de répit. Nous sommes parvenus à faire match nul contre l’Angleterre, ce qui n’était pas mal. Mais l’Allemagne nous a massacrés en huitième de finale ; mon jeu était pitoyable et je n’essaierai même pas de me défendre. J’en assume l’entière responsabilité. La famille, c’est la famille. Il faut s’en occuper. Mais je n’aurais pas dû jouer leur agent de voyage et cette Coupe du Monde me servit de leçon.

Après quoi j’ai mis les choses au clair avec eux : « Vous êtes toujours les bienvenus si vous voulez me suivre et j’essaierai d’organiser les choses pour vous, mais, une fois sur place, il vous faudra résoudre vos problèmes et vous débrouiller sans moi. »

De retour à Turin, je ne m’y sentais plus chez moi. J’avais besoin de quitter la ville et, au club, l’ambiance ne s’améliorait guère. Une nouvelle catastrophe s’était produite.

Gianlucca Pessotto était un défenseur du club dans les années 1990. Il avait tout gagné avec la Juventus et elle lui collait à la peau. Je le connaissais assez bien. Nous avions joué ensemble pendant deux ans et le type n’était pas du genre prétentieux. Incroyablement sensible et gentil, il se tenait toujours en retrait. Ce qui se passa ensuite, je ne le sais pas.

Pessotto venait juste d’arrêter sa carrière pour devenir le nouveau directeur sportif à la place d’Alessio Secco qui était promu directeur général. Sans doute n’est-il pas aisé de passer du terrain à un bureau. Plus que tout, Pessotto avait été terriblement secoué par le scandale et la relégation du club ; sans compter que, au même moment, il avait des problèmes familiaux.

Son bureau était situé au quatrième étage. Un jour, il monta sur le rebord de la fenêtre avec un chapelet enroulé autour de la main et se jeta dans le vide. Il s’écrasa sur le macadam entre deux voitures. Une chute de quinze mètres. Il était incroyable qu’il y survive ! Il finit à l’hôpital avec de multiples fractures et une hémorragie interne mais il s’en sortit. Les gens s’en réjouissaient malgré tout. Évidemment, sa tentative de suicide fut interprétée comme un mauvais signe de plus. On se demandait : qui est le prochain sur la liste ?

Les choses semblaient vraiment sans issue et voilà que maintenant, le nouveau président du club, Giovanni Cobolli Gigli, y alla de sa déclaration : « Le club ne laissera plus partir aucun joueur. La direction se battra pour tous les garder. » Bien sûr, je demandai à Mino de quoi il retournait. Nous en parlions sans cesse et étions tous les deux d’accord, il fallait répliquer, c’était la seule chose à faire. Mino s’exprima donc dans la presse : « Nous sommes disposés à utiliser tous les moyens légaux pour nous libérer du club. »

Nous serions intraitables. Si la Juventus s’en tenait à cette ligne dure, nous répondrions tout aussi fermement. Mais la bataille n’était pas si simple. L’enjeu des tractations n’était pas négligeable et j’en reparlai à Alessio Secco, le type qui essayait de devenir le nouveau Moggi, tout en comprenant immédiatement que son attitude avait changé.

« Tu dois rester au club. Nous te le demandons. Nous te demandons d’être loyal envers l’équipe.

— Avant la fin de la saison dernière tu m’as dit l’inverse. Que je devais accepter les offres qui se présenteraient.

— Mais aujourd’hui la situation est différente. Nous sommes en crise. Nous allons te proposer un nouveau contrat.

— Je ne reste pas. Quelles que soient les nouvelles conditions. »

Tous les jours, toutes les heures, la pression montait, c’était vraiment désagréable. Je me battais avec tout ce que j’avais à disposition. Avec Mino, avec la loi, avec tout ce que je pouvais. Mais, c’est vrai, je ne pouvais pas faire ma tête de lard. J’étais toujours payé par le club et la grande question était celle-ci : jusqu’à quand ?

Mino et moi décidâmes que je m’entraînerais avec l’équipe mais que je ne participerais à aucun match. Mino affirmait qu’il y avait moyen d’interpréter le contrat en ce sens et, donc, malgré tout, je suivis le stage d’entraînement en altitude d’avant-saison avec tous les autres. Les joueurs sélectionnés en équipe nationale n’arriveraient que plus tard. Ils étaient restés en Allemagne. L’Italie avait remporté la Coupe du Monde. C’était une sacrée performance si l’on considère tous les scandales qui étaient en cours chez eux et je les félicitai. Mais cela ne m’était d’aucune utilité. Notre nouvel entraîneur était Didier Deschamps. C’était un ancien joueur, un Français. Il avait été le capitaine de l’équipe nationale qui avait gagné la Coupe du Monde 1998 et voilà qu’on lui confiait la tâche de faire revenir la Juventus en première division. La pression sur lui était énorme et dès le premier jour il vint me voir.

« Ibra.

— Ouais ?

— Je veux construire le jeu autour de toi. Tu es mon joueur-clé. Tu es l’avenir. Il faut que tu nous aides à revenir.

— Merci, mais…

— Il n’y a pas de “mais”. Tu dois rester dans le club. Je ne tolérerai rien d’autre. »

Après avoir ajouté cela, et même si j’étais flatté qu’il tienne à moi, je restai ferme : « Non, non et non. Je m’en vais. »

Lors de ce stage, je partageais une chambre avec Nedvìd. Nous étions amis. Mino était notre agent mais nos situations étaient différentes. Comme Del Piero, Buffon et Trézéguet, Nedvìd avait décidé de rester à la Juventus. Deschamps était venu nous parler, sans doute pour nous dresser l’un contre l’autre, je ne sais pas. Clairement, il affirma qu’il ne lâcherait rien.

« Écoute, j’attends de grandes choses de ta part, Ibra. J’ai en partie accepté le poste parce que tu étais là.

— Arrête ton char, tu as accepté pour le club, pas pour moi.

— Je t’assure que c’est vrai. Si tu t’en vas, je partirai aussi. »

En dépit de tout, je ne pus pas m’empêcher de sourire.

« O.K., fais tes valises, je t’appelle un taxi », plaisantai-je et il se marra.

Mais je n’avais jamais été aussi sérieux de ma vie. Si la Juventus se battait pour sa survie en tant que grand club, je me battais pour mon avenir en tant que joueur. Une saison en Serie B marquerait un coup d’arrêt. Un autre jour, Alessio Secco et Jean-Claude Blanc vinrent me voir. Jean-Claude avait fait Harvard, c’était une tête que la famille Agnelli avait appelée pour sauver la Juventus et il était très consciencieux. Tous ses documents étaient en ordre, bien rangés, et il avait imprimé une ébauche de contrat auquel correspondaient diverses sommes et je me suis immédiatement dit : ne le lis même pas ! Il faut parler ! Plus je discuterais, plus ils en auraient marre de moi.

« Je ne veux même pas le voir. Je ne signerai pas.

— Tu pourrais au moins regarder combien nous te proposons, non ? Nous avons été très généreux.

— À quoi bon ? Ça ne sert à rien.

— Il n’y a aucun autre moyen de le savoir si tu ne regardes pas.

— Mais si, je sais. Vous m’offririez vingt millions d’euros que je ne serais toujours pas intéressé.

— C’est tout à fait irrespectueux, lâcha-t-il.

— Prenez-le comme vous voudrez. »

Et je sortis. Certes, j’avais bien conscience de l’avoir insulté, ce qui est toujours risqué et, dans le pire des cas, j’aurais pu me retrouver sans club en septembre.

Cette partie-là était à haut risque. Il fallait que je persiste et, certes, je me rendais bien compte que je n’avais pas les meilleures cartes en main pour négocier. J’avais mal joué lors de la Coupe du Monde et je n’avais pas été particulièrement brillant la saison dernière avec la Juventus. J’avais forci et je n’avais pas marqué assez de buts. Mais j’espérais que les gens admettraient que j’avais du potentiel. Une année auparavant, j’avais été très bon et j’avais été élu meilleur joueur étranger de l’équipe ! Cela devait bien susciter l’intérêt d’autres clubs, supposais-je, et Mino s’activait en coulisses.

« J’ai l’Inter et le Milan AC sur les rangs », m’avait-il annoncé un peu plus tôt et cela me convenait. La lumière était au bout du tunnel.

Mais, jusqu’ici, les discussions étaient stériles et nous ne savions toujours pas quelles conditions figuraient dans le contrat de la Juventus. Quelles étaient mes chances de partir si le club refusait ? Je ne savais pas trop et les choses se présentaient tous les jours différemment. Mino était optimiste. Cela faisait partie de son métier de l’être mais, moi, je ne pouvais rien faire d’autre que d’attendre. La presse était déjà au courant de mon désir de partir à tout prix. Maintenant, il se murmurait aussi que l’Inter de Milan était intéressé et les supporters de la Juventus détestent l’Inter. En tant que footballeurs, on est toujours entourés de supporters. Ils traînent avec leurs carnets d’autographes et nous font des signes derrière la porte du centre d’entraînement. Ils sont autorisés, s’ils payent, à assister aux séances. Le business est omniprésent dans ce sport et, là, dans les montagnes de Turin, durant ce stage de préparation, ils se tenaient près de la pelouse et me criaient dessus.

« Traître, espèce de porc », beuglaient-ils et d’autres trucs comme ça. Ce n’était pas très agréable.

Mais on est généralement habitués à ces insultes et elles me passaient au-dessus de la tête. Nous allions jouer un match amical contre La Spezia et qu’avais-je dit à propos des matchs, déjà ? Je ne les jouerai pas. Je restai donc dans ma chambre, collé à la PlayStation. Dehors, le bus attendait moteur en route pour nous emmener au stade et quand tout le monde fut monté, dont Nedvìd, ils commencèrent à s’impatienter sérieusement : « Où diable est Ibra ? » Ils attendaient, encore et encore, jusqu’à ce que Didier Deschamps monte dans ma chambre, furieux.

« Qu’est-ce que tu fais assis là ? On y va. »

Je n’ai même pas levé les yeux. Je continuai à jouer.

« Tu n’entends pas ce que je dis ?

— Tu n’as pas entendu ce que moi je t’ai dit. Je m’entraîne mais je ne jouerai pas de match. Je te l’ai répété dix fois.

— Ça suffit, tu vas jouer ce match. Tu appartiens à cette équipe. Maintenant, tu viens. Lève-toi ! »

Il s’avança et se plaça debout devant moi mais je ne bougeai pas.

« On ne t’a jamais appris le respect ? Tu vas prendre une sanction pour ça, tu m’entends ?

— O.K.

— Comment ça, “O.K.” ?

— Vas-y, colle-moi une sanction. Je reste ici. »

Enfin, il partit, en rage. Je restai assis là avec ma PlayStation, pendant que les autres prenaient le bus. Et la situation qui n’avait pas été si tendue jusqu’ici le devint. L’affaire remonta évidemment la hiérarchie et j’écopai d’une amende de trente mille euros, je crois. La guerre était ouverte et comme dans n’importe quelle guerre, il faut élaborer une stratégie. Comment allais-je répliquer ? Quel serait le prochain mouvement ? Je phosphorais.

On venait me voir en secret. Ariedo Braida, un ponte du Milan AC, vint me rencontrer durant le stage. Je me faufilais hors de l’hôtel pour le rejoindre dans un autre non loin de là et discuter de mes options au Milan AC. Pour être honnête, je n’aimais pas ses façons. Il répétait trop : « Kaká est une star. Toi non. Mais au Milan, tu peux le devenir. » Je ne me sentais pas spécialement respecté ou pas vraiment désiré et il aurait été assez plaisant de pouvoir lui dire « non merci » sans attendre. Mais je n’étais pas dans une position idéale pour négocier. Je voulais trop quitter la Juventus. Je n’avais pas d’atout dans mon jeu et je revins à Turin sans offre concrète.

Il faisait chaud. Nous étions en août, Helena était enceinte jusqu’aux yeux et montrait des signes de stress. Les paparazzi nous poursuivaient sans arrêt et je la soutenais du mieux que je pouvais. Mais j’étais dans mon no man’s land. Je ne savais rien de l’avenir. Le club disposait de nouvelles installations sportives. Tout ce qui restait de l’ère Moggi allait être rasé, y compris ses vestiaires pourris. Je continuais à aller aux entraînements. Il fallait que je m’en tienne à ma ligne de conduite. Mais c’était étrange. Personne ne me considérait plus comme un membre de l’équipe à part entière et c’était au moins une bonne nouvelle. Je sentais que la Juventus ne s’accrochait plus à moi aussi fermement qu’avant.

Qui voudrait d’un type qui n’en fiche pas une et se contente de jouer à la PlayStation ?

Mais je n’étais pas sorti de l’auberge et la question demeurait : Milan AC ou Inter de Milan ? Cela aurait dû être un choix facile. L’Inter n’avait pas gagné un championnat depuis dix-sept ans. L’Inter n’était plus vraiment une équipe au top. Le Milan AC était l’un des clubs les plus performants d’Europe, sur tous les tableaux. « Évidemment, disait Mino, tu devrais aller au Milan AC. » Je n’en étais pas aussi sûr. L’Inter était l’ancienne équipe de Ronaldo et le club paraissait véritablement intéressé. Je repensais à ce que Braida m’avait dit là-haut dans les montagnes : « Tu n’es pas encore une véritable star ! » Le Milan AC avait l’équipe la plus forte. Mais je penchais toujours pour l’Inter.

« O.K., fit Mino, mais il faut que tu gardes à l’esprit que le défi sera totalement différent. Les titres ne vont pas tomber tout cuits là-bas. »

Je ne voulais rien qui soit tout cuit. Je cherchais un défi et des responsabilités. Ce sentiment se raffermissait même si je prenais conscience de ce que signifiait aller dans un club qui n’avait pas gagné de titre depuis dix-sept ans et qu’il faudrait faire en sorte qu’il y parvienne avec moi. Cela peut pimenter la chose d’une certaine façon. Mais rien n’était fait, aucunement et, avant tout, il nous faudrait déjà obtenir quelque chose, établir le contact. Nous devions sauter du navire en perdition et nous allions devoir saisir tout ce qui se présenterait.

Le Milan AC devait se qualifier pour la Ligue des Champions. C’était une des conséquences de tout ce scandale. Le club était plus que favori dans cette compétition mais comme la justice avait pénalisé l’équipe en lui enlevant des points, le Milan AC était obligé d’en passer par un barrage contre L’Étoile Rouge de Belgrade. Le premier match eut lieu au stade San Siro de Milan. Il me concernait également. Si le Milan AC passait, le club aurait plus d’argent pour acheter des joueurs et Adriano Galliani, le vice-président, m’avait dit : « En fonction du résultat, nous aviserons, et nous reprendrons contact. »

Jusqu’ici, l’Inter avait été plus enthousiaste, ce qui ne signifie pas qu’il était plus facile de faire affaire avec eux. L’Inter était la propriété de Massimo Moratti. Moratti est un homme important. C’est un magnat du pétrole. Le club lui appartient et, bien sûr, il aurait pu aussi se douter de mon impatience. À quatre reprises, il avait revu ses propositions à la baisse. Il y avait toujours quelque chose qui clochait. Le 18 août, j’étais chez nous dans notre appartement de la Piazza Castello à Turin.

Le coup d’envoi du match du Milan AC contre l’Étoile Rouge de Belgrade était prévu à 8 h 45. Je ne le regardai pas. J’avais d’autres choses à faire. Mais, visiblement, Kaká réussit une passe vers l’avant à Filippo Inzaghi qui marqua le but de la victoire et, au club, la tension baissa d’un cran. Juste après, mon téléphone sonna. Il avait sonné toute la journée et, généralement, Mino était au bout du fil. Il m’informait à chaque étape de l’avancée des discussions et, cette fois, il m’annonça que Silvio Berlusconi voulait me rencontrer. Bien sûr, je réagis tout de suite. Pas seulement parce que c’était Berlusconi, mais parce que cela montrait que Milan était intéressé. Toutefois, je n’étais pas sûr. L’Inter était ma priorité. Mais cette conversation ne nous ferait pas forcément de mal.

« On peut exploiter ça ?

— On va se gêner ! »

Mino appela Moratti dans la seconde parce que s’il y a bien quelque chose qui faisait avancer cet homme, c’était la chance qui s’offrait à nous de claquer la porte au nez du Milan AC.

« Nous voudrions juste que vous sachiez qu’Ibrahimoviæ est invité à souper avec Berlusconi à Milan, les informa-t-il.

— Hein ?

— Une table chez Giannino a été réservée.

— On va voir ça ! J’envoie quelqu’un tout de suite. »

Moratti bafouillait mais il dépêcha Branca. Marco Branca était le directeur sportif de l’Inter de Milan. Il était très jeune, mince, et quand il frappa à la porte, deux heures après, j’appris autre chose sur lui. Le type allumait clope sur clope, je n’avais jamais vu ça. Il allait et venait dans notre appartement et remplit tout un cendrier de mégots en un rien de temps. Il était stressé. Il avait la mission de ficeler un accord avant que Berlusconi n’ait une chance d’enfiler une cravate et d’aller souper chez Giannino. Donc, bien sûr, il était agité. Il était sur le point de baiser l’homme le plus puissant d’Italie en le privant d’une affaire, rien de moins. Mino sut sauter sur l’occasion. Il adore quand l’adversaire est sous pression. Il l’amadoue. Il eut quelques échanges au téléphone avec des chiffres qui valsaient. Il s’agissait de mon contrat. Ils débattaient des conditions et pendant ce temps l’horloge tournait et Branca fumait, fumait en continu.

« Vous êtes d’accord ? » demanda-t-il.

Je vérifiai avec Mino.

« O.K. Assurément. »

Branca se mit à fumer encore davantage et appela Moratti. Sa voix trahissait son excitation.

« Zlatan a accepté », annonça-t-il.

C’était une sacrée bonne nouvelle. C’était du sérieux. Je le sentais rien qu’au ton de sa voix. Mais ce n’était pas fini. Maintenant, les clubs devaient se mettre d’accord entre eux. Quel serait mon prix de vente ? Une nouvelle marche s’amorçait. Si la Juventus me perdait, au moins récupérerait-elle la monnaie de sa pièce. Mais avant que tout soit carré, Moratti m’appela.

« Tu es satisfait ?

— Je suis satisfait.

— Alors j’aimerais te souhaiter la bienvenue. »

Vous imaginez mon soupir de soulagement.

Toutes les incertitudes de ce printemps et de cet été-là s’évanouirent en un instant et la seule chose qui restait à faire pour Mino était d’appeler le Milan AC. Berlusconi aurait moins envie de dîner avec moi, maintenant. Nous n’allions pas vraiment parler de la pluie et du beau temps et, si j’ai bien compris, on avait tiré le tapis de sous les pieds des membres du Milan AC. Que diable s’est-il passé ? Ibra part à l’Inter ?

« Les choses peuvent aller très vite parfois », déclara Mino.

Pour finir, j’étais acheté vingt-sept millions d’euros, ce qui était le plus gros transfert de l’année en Serie A. Et je n’avais même plus à payer l’amende que j’avais reçue pour avoir joué à la PlayStation lors du stage. Mino avait fait un tour de passe-passe et Moratti déclara à la presse que mon transfert était aussi significatif que celui de Ronaldo en son temps et cela m’alla droit au cœur. J’étais prêt à rejoindre l’Inter. Mais d’abord, je devais me rendre au rassemblement de l’équipe suédoise à Göteborg où je m’attendais à vivre un déplacement facile et agréable avant que les choses sérieuses ne commencent.