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Le 1er juin, Kaká fut transféré au Real Madrid pour soixante-cinq millions d’euros et, un peu plus tard, Cristiano Ronaldo était cédé à ce même club pour cent millions. Cela en disait long sur le niveau des transactions qu’il était possible d’atteindre, ce qui me poussa à rendre visite à Moratti. Après tout, Moratti était assez sympa. Il était là depuis un moment. Il connaissait le business.

« Écoute, ces dernières années ont été formidables et ça me va de rester et je me fiche bien de savoir qui va pointer son nez, que ce soit United, Arsenal ou n’importe quel autre club. Mais si le Barça devait se présenter…

— Oui ?

— Eh bien, je veux au moins que tu discutes avec eux. Non que tu me vendes pour telle ou telle raison, sûrement pas. Tu décides. Mais promets-moi de discuter avec eux. »

Après avoir ajouté cela, il me regarda derrière ses lunettes, avec ses cheveux ébouriffés et, certainement, il comprit qu’il y avait un paquet d’argent à se faire, même s’il ne souhaitait pas que je m’en aille.

« O.K., dit-il, je te le promets. »

Très vite après cette conversation, nous sommes partis à Los Angeles pour un stage d’entraînement. C’était le début de l’avant-saison. Je partageais la chambre avec Maxwell et ce serait comme au bon vieux temps. Mais nous étions fatigués par le décalage horaire et les journalistes étaient intenables. Ils grouillaient tout autour de l’hôtel et le grand sujet du jour était que le Barça n’avait pas les moyens de m’acheter. Il était prévu qu’ils embauchent David Villa à la place. Même si les journaux n’en savaient strictement rien, j’avais quoi qu’il en soit moi aussi mes propres craintes. Ces derniers temps, on soufflait le chaud et le froid. Je désespérais. J’y avais cru mais aujourd’hui les carottes semblaient cuites et ce sacré Maxwell n’arrangeait pas mes affaires.

Comme je l’ai déjà dit, Maxwell est le gars le plus gentil du monde. Mais il me faisait tourner en bourrique. Depuis nos premiers pas à Amsterdam, nous avions suivi un parcours similaire et nous nous retrouvions encore une fois dans la même situation. Nous étions tous les deux en partance pour Barcelone. Mais il avait une longueur d’avance, car il partait vraiment, alors que pour moi les portes semblaient se refermer. Il n’en dormait pas. Il était pendu au téléphone : « C’est fait ? Oui ? » Ça me gonflait. Il n’arrêtait pas, Barça ceci, Barça cela. Jour et nuit, il ne parlait que de ça tout le temps, enfin, c’est ainsi que je le voyais. C’était un bourdonnement incessant tandis que, de mon côté, il n’y avait aucune nouvelle me concernant, en tout cas, pas tant que ça. Il me rendait dingue. Je m’en pris à Mino, cet idiot de Mino qui avait trouvé une solution pour Maxwell et pas pour moi. Je l’appelai.

« Donc, tu peux trouver une solution pour lui et pas pour moi ?

— Va te faire voir. »

Les affaires de Maxwell allaient être bouclées juste quelque temps après notre conversation.

Dans mon cas, les médias suivaient pas à pas chacune des étapes du processus et Mino avait réussi à maintenir secrètes les négociations concernant Maxwell. Personne n’aurait cru qu’il irait à Barcelone. Mais, un jour, alors que nous entrions dans le vestiaire et que tout le monde était assis en rond en nous attendant, il leur annonça la nouvelle.

« C’est fait avec Barcelone. » Ils sursautèrent : « Tu t’en vas ? C’est vrai ? » Et la discussion était lancée. Ce genre d’événement fait que les types se lâchent. L’Inter, ce n’est pas l’Ajax. Les mecs étaient plus détendus mais, tout de même, le Barça avait remporté la Ligue des Champions. Le Barça était la meilleure équipe au monde. Bien sûr, certains l’enviaient et Maxwell avait presque l’air gêné quand il se mit à ranger ses affaires et ses crampons.

« Prends mes godasses aussi, ai-je gueulé, suffisamment fort. Je pars avec toi. »

Tout le monde s’est mis à rire, genre, « elle est bien bonne ». Pensaient-ils que j’étais trop cher pour pouvoir être acheté ? Ou que j’étais bien à l’Inter ? Non, Ibra reste. Personne ne peut se l’offrir. Voilà ce qu’ils croyaient.

« Assis, tu ne vas nulle part », criaient-ils et j’en plaisantais avec eux, mais, sincèrement, je n’étais pas sûr de moi.

Je savais juste que Mino faisait du mieux qu’il pouvait et que ce serait tout ou rien. Un jour, durant cette période, nous avons joué un match amical contre Chelsea dans lequel j’étais taclé par John Terry. Je me fis mal à une main, mais je n’y prêtai pas attention. Ma main ? Ça ne m’inquiétait pas plus que ça. Je joue avec mes pieds et j’avais autre chose en tête. Le Barça m’obsédait et j’appelai Mino encore et encore. On aurait dit que j’avais attrapé la fièvre. Mais, au lieu de bonnes nouvelles, je prenais un autre coup dans les dents.

Joan Laporta était le président de Barcelone. Vraiment un gros bonnet. À cette époque, le club commençait à dominer l’Europe et j’avais entendu dire qu’il avait fait le voyage jusqu’à Milan dans un avion privé pour dîner avec Moratti et Marco Branca, le directeur sportif. Évidemment, j’espérais de grandes choses de cette réunion. Mais il n’en sortit rien du tout. Laporta avait à peine passé la porte que Moratti lui lança :

« Si vous êtes là pour Zlatan, vous pouvez faire demi-tour et rentrer chez vous ! Il n’est pas à vendre. »

Quand j’appris ça, je devins fou. Merde alors ! Il m’avait promis ! J’appelai donc Branca pour lui demander à quoi jouait Moratti. Branca refusa de prendre cette responsabilité. « La réunion ne te concernait pas », prétendit-il. Il mentait. Mino m’avait affranchi et je me sentais trahi. Mais, bien sûr, je savais que c’était un jeu. Du moins, il se pouvait que ça en soit un. « Pas à vendre » pouvait vouloir dire « très cher ». Mais je n’en savais guère plus sur ce qui se passait vraiment et ces foutus journalistes étaient comme des chiens enragés.

Ils demandaient sans cesse : que va-t-il se passer ? Est-ce que c’est fait avec le Barça ? Est-ce que tu restes à l’Inter ? Je n’avais pas de réponse à leur donner. J’étais dans un nouveau no man’s land et même Mino, qui travaillait comme un fou, commençait à être légèrement pessimiste.

« Le Barça est chaud mais ils ne peuvent pas te sortir de là », m’informa-t-il.

Je crevais d’impatience, sous la chaleur et le bruit de Los Angeles. Il s’y produisit des choses qui laissaient penser que je resterais. La saison suivante, à l’Inter, on allait me faire porter le numéro dix, celui de Ronaldo quand il était dans l’équipe. Il y avait quelques trucs du même acabit, des opérations de presse et d’autres choses que l’on me demandait. Tout était incertain. Mon humeur changeante.

J’avais entendu dire que Joan Laporta et Txiki Begiristain, le directeur sportif du Barça, avaient repris l’avion. Ce voyage n’avait rien à voir avec moi. Ils étaient en route pour l’Ukraine pour acheter Dmytro Chygrynskiy, un des joueurs du Shakhtar Donetsk qui avait épaté tout le monde en remportant la coupe de l’UEFA cette année-là. Mais ce voyage avait tout de même un intérêt pour nous. Mino est sournois. Il connaît tous les plans. Il avait obtenu un autre rendez-vous avec Moratti et, malgré tout, il flaira une ouverture. Il téléphona donc à Txiki Begiristain qui était sur le vol retour vers Barcelone avec Laporta.

« Vous devriez vous poser à Milan au lieu de rentrer, suggéra Mino.

— Pourquoi ?

— Parce que Moratti est tranquillement installé chez lui et que, si vous alliez frapper à sa porte maintenant, je pense que vous pourriez trouver un accord sur le transfert d’Ibrahimoviæ.

— O.K., une minute. Je dois en parler à Laporta. »

Cette minute s’éternisa et le pari était osé. Moratti n’avait rien promis et il ne se doutait absolument pas que quelqu’un allait venir chez lui. Tout allait se jouer maintenant. Txiki Begiristain rappela : « O.K., nous faisons demi-tour, nous atterrissons à Milan. » Je fus immédiatement mis au parfum.

Mino m’appela. Les va-et-vient d’appels et de messages n’arrêtaient pas. Les téléphones sonnaient sans interruption. Moratti fut prévenu : « Les dirigeants du Barça viennent vous voir. » Il a sans doute pensé que c’était un peu cavalier de leur part, je ne sais pas, ou que ces types auraient au moins pu prendre un rendez-vous préalable. Mais il les laissa entrer. Il avait la classe. Il ne voulait pas perdre la face et, vu la situation, je n’ai pas hésité. Il fallait que je fasse tout ce qui était en mon pouvoir.

J’envoyai un SMS à Marco Branca : « Je sais que les dirigeants du Barça sont en route pour rencontrer Moratti. Vous m’aviez promis que vous leur parleriez et vous savez que je veux aller dans ce club. Dans votre intérêt, ne fichez pas tout en l’air. » Puis j’ai attendu un moment, espérant recevoir une réponse. Je n’en ai pas eu. Je me persuadais qu’ils avaient leurs raisons. Tout ça est un jeu. Mais je le sentais, cette fois, c’était du sérieux. On y est ! À moins qu’on ne leur ferme la porte. C’était l’un ou l’autre et les minutes filaient. De quoi parlaient-ils là-bas ? Je n’en avais aucune idée.

Je connaissais l’heure à laquelle ils devaient se rencontrer et je surveillais l’horloge en m’attendant que cela dure des heures. Mais, vingt-cinq minutes plus tard, Mino m’appela, ce qui me fit sursauter. Quoi encore ? Est-ce que Moratti les avait renvoyés chez eux ? Mon pouls s’affolait. Ma bouche était sèche.

« Ouais ?

— C’est fait.

— Qu’est-ce que tu veux dire “fait” ?

— Tu pars à Barcelone. Fais tes valises.

— Je t’interdis de plaisanter avec un truc comme ça.

— Je ne blague pas.

— Comment se fait-il qu’ils soient allés aussi vite ?

— Je n’ai pas le temps de discuter maintenant. »

Il raccrocha et je n’arrivais pas à intégrer. J’avais la tête qui tourne. J’étais à l’hôtel. Que devais-je faire ? Je sortis dans le couloir. Il fallait que je parle à quelqu’un. Patrick Vieira passait par là et c’est un type en qui on peut avoir confiance.

« C’est fait avec le Barça », annonçai-je.

Il me regarda.

« Impossible

— Si, je te jure.

— Pour combien ? »

Je ne savais pas. Je n’en avais aucune idée et je peux vous assurer qu’il avait du mal à me croire. Il pensait que le prix à payer était trop élevé et cela ne me rassurait pas. Est-ce que tout cela était bien vrai ? Mais, bien vite, Mino me rappela et les pièces du puzzle se mirent en place. Moratti avait été étonnamment coopératif.

Il n’avait posé qu’une condition, et ce n’était pas n’importe laquelle, c’est certain. Il voulait en mettre plein la vue au Milan AC et me vendre pour une somme supérieure à celle qu’avait déboursée le Real Madrid pour avoir Kaká. Et pas pour des clopinettes : il s’agissait du plus gros transfert de l’histoire et Joan Laporta n’avait pas tiqué. Avec Moratti, ils tombèrent d’accord assez rapidement et il me fallut du temps avant de prendre conscience des sommes qui étaient en jeu. Mon ancien transfert pour quatre-vingt-cinq millions de couronnes à l’Ajax ne voulait plus rien dire. De la petite monnaie, en comparaison. Nous parlions là de plus de sept cents millions de couronnes suédoises.

L’Inter récoltait quarante-six millions d’euros et en plus de ça récupérait Samuel Eto’o dans le package. Samuel Eto’o n’était pas n’importe qui. Il avait marqué trente buts la saison précédente. Il était l’un des meilleurs buteurs de l’histoire de Barcelone et était estimé à vingt millions d’euros. Ce qui, tout confondu, faisait un transfert à soixante-six millions d’euros, un million de plus que ce qu’avait coûté Kaká. La nouvelle fit un sacré boucan. Je n’avais jamais vécu une chose pareille.

Il faisait quarante degrés. On aurait dit que l’air bouillonnait. Tout le monde se précipitait sur moi et je me sentais… sincèrement, j’en sais rien. Il m’était impossible d’avoir les idées claires. Nous jouâmes un match d’entraînement contre une équipe mexicaine et je portai ce maillot numéro dix de l’Inter pour la première et la dernière fois. J’en avais terminé avec ce club. Je commençais à m’en rendre compte. Quand je suis arrivé, l’Inter n’avait pas remporté un titre en dix-sept ans. Là, nous en avions remporté trois de suite et j’étais le Capocannoniere, le meilleur buteur du championnat italien. C’était dingue. Alors je regardai Mourinho, le type que j’étais finalement parvenu à faire réagir après avoir marqué un but et, bien sûr, je notai qu’il était furieux et contrarié.

Pour ce match, parce qu’il ne voulait pas me perdre, il me plaça sur le banc. Mais, quelle que soit ma joie d’aller au Barça, j’étais aussi triste de quitter Mourinho. Ce type est spécial. L’année d’après, il quitterait l’Inter pour le Real Madrid et, en même temps, se séparerait de Materazzi. Materazzi est le plus terrible des défenseurs du monde. Et quand il embrassa Mourinho, il se mit à pleurer et, dans un sens, je le comprends. Mourinho ne laisse pas indifférent et je me souviens qu’à l’hôtel, à une autre occasion, après que nous étions tombés l’un sur l’autre, il était venu me voir.

« Tu n’as pas le droit de partir !

— Désolé, il faut que je saisisse cette chance.

— Mais si tu pars, je partirai aussi. »

Mon Dieu, que peut-on répondre à ça ? Ça m’a vraiment touché. « Si tu pars, je partirai aussi. »

« Merci, lui ai-je dit. Tu m’as beaucoup appris. »

— Merci », répondit-il simplement.

Nous avons bavardé un petit peu et c’était sympa. Car ce type est comme moi. Il est fier et veut gagner à tout prix et, bien sûr, il n’a pas pu s’empêcher au moment de partir de me balancer une dernière vacherie :

« Eh ! Ibra !

— Ouais ?

— Tu vas au Barça pour gagner la Ligue des Champions, hein ?

— Ouais, peut-être bien.

— Sauf que cette année c’est nous qui allons la remporter, ne l’oublie pas. Nous allons la gagner. »

Et puis nous nous sommes dit au revoir.

Je pris l’avion pour Copenhague et retrouvai notre maison de Limhamnsvägen avec Helena et les enfants. J’espérais avoir l’occasion de tout leur raconter et de rester planqué. Mais la maison était assiégée. Des journalistes et des fans campaient à l’extérieur. Ils tiraient la sonnette de la porte. De l’intérieur, on les entendait crier, chanter. Ils agitaient des drapeaux de Barcelone. C’était complètement fou et toute ma famille était stressée, maman, papa, Sanela, Keki, personne n’osait sortir. On les poursuivait aussi et je tournais en rond, ma main me faisait mal, mais je n’y prêtais pas trop attention.

Il y avait tant de nouveaux rebondissements – des détails de mon contrat devaient être aplanis, Eto’o faisait le difficile et réclamait plus d’argent, Helena et moi discutions de l’endroit où nous voudrions habiter, tous ces trucs. Il m’était impossible de rester peinard ou d’avoir la tête froide. À peine deux jours plus tard, nous sommes partis à Barcelone. À cette époque, j’avais l’habitude d’emprunter des avions privés. Ça peut paraître prétentieux mais ce n’est pas facile pour moi sur les vols commerciaux. On me casse les pieds. C’est le souk, que ce soit dans un avion ou un aéroport.

Mais, cette fois-ci, je pris un vol régulier. J’avais appelé les mecs du Barça et, comme vous le savez, Barcelone et le Real Madrid sont en guerre. Ils sont plus que rivaux et tout cela pour des raisons politiques, la Catalogne s’oppose au pouvoir central de Madrid et les clubs ont également chacun une philosophie différente. « À Barcelone nous avons les pieds sur terre. Nous ne sommes pas comme le Real. On voyage sur des vols réguliers », m’expliquèrent-ils et cela me parut raisonnable. Nous prîmes la Spanair et atterrîmes à Barcelone à 17 h 15. Si je n’avais pas encore compris à quel point ce transfert était une chose sérieuse, je n’avais plus aucun doute.

C’était la panique. Des centaines de journalistes et de supporters m’attendaient et les journaux y avaient consacré des pages et des pages. On parlait d’« Ibramania ». C’était dingue. Je n’étais pas seulement le plus gros achat jamais effectué par le club. Aucun autre joueur n’avait autant attiré l’attention. Je devais être présenté au stade, le Camp Nou, le soir même. C’est une tradition du club. Quand Ronaldinho était arrivé ici en 2003, il y avait trente mille personnes. À peu près autant avaient accueilli Thierry Henry. Alors que là, on attendait au moins le double et cela me filait des frissons, sincèrement. On m’entraîna vers une porte de sortie derrière l’aéroport et l’on me véhicula jusqu’au stade dans une voiture de sécurité.

Mais, d’abord, il y avait une conférence de presse. Plusieurs centaines de journalistes s’agglutinèrent dans la salle. Elle était bondée et ils s’agitaient : « Pourquoi ne vient-il pas ? » Sauf que nous ne pouvions pas entrer. Eto’o continuait à faire des siennes avec l’Inter de Milan, les négociations dureraient jusqu’au dernier moment et Barcelone attendait la confirmation officielle de l’accord. Le temps passait et les éclats de voix dans la salle se faisaient plus pressants et inquiets ; on frôlait l’émeute. Derrière la scène où nous étions assis, nous pouvions tout entendre parfaitement comme si nous étions au milieu d’eux. Mino, Laporta, moi et les autres gros bonnets patientions en nous demandant : mais que se passe-t-il ? Combien de temps encore devrons-nous rester assis ici ?

« J’en ai marre, s’exclama Mino.

— Nous devons avoir une confirmation…

— On s’en tape, » rétorqua-t-il en passant de l’autre côté et nous sommes finalement entrés.

Je n’avais jamais vu autant de journalistes et je répondis à leurs questions tout en percevant les clameurs du stade. C’était totalement barjot, je vous le dis. Après quoi j’ai enfilé la tenue du Barça pour aller à l’extérieur. On m’avait attribué le numéro neuf, celui que portait Ronaldo quand il était au club, et les choses devinrent très émouvantes. Le stade était chaud bouillant. Il y avait soixante ou soixante-dix mille personnes là-dedans. Je pris plusieurs profondes inspirations avant de faire mon entrée.

Je ne pourrai jamais décrire ça.

J’avais un ballon dans les mains et je me suis dirigé vers cette estrade qu’on avait montée. La foule se mit à gronder tout autour de moi. Ils scandaient mon nom. Le stade entier applaudissait et l’attaché de presse courait dans tous les sens en me donnant des instructions tout le temps, comme : « Dis : Visca Barça’! », ce qui signifie « Allez le Barça », et je fis ce qu’il me demandait. Puis je me suis mis à jongler, de la poitrine, de la tête, j’ai fait des talonnades et tout ça. Les spectateurs en redemandèrent donc j’embrassais l’écusson du club cousu sur mon maillot. Je dois vous raconter ça. On a dit beaucoup de saloperies à ce propos. Comment peut-il embrasser cet écusson alors qu’il vient à peine de quitter l’Inter ? N’en a-t-il rien à faire de ses anciens supporters ? Toutes sortes de gens râlaient. On en faisait des sketchs à la télé. Mais les responsables de la communication m’avaient demandé de le faire. Ils étaient comme des fous : « Embrasse l’écusson, embrasse l’écusson », et j’étais comme un gosse. J’obéissais. Je tremblais de tout mon corps et je me souviens d’avoir voulu rentrer au vestiaire pour me calmer.

Il y avait trop d’adrénaline. J’étais secoué. Quand finalement ce fut terminé, je regardai en direction de Mino. Il ne s’éloigne jamais de moi de plus de dix mètres. Dans ces moments-là, il est tout pour moi. Nous sommes ensuite allés tous les deux dans le vestiaire et nous avons lu tous les noms inscrits sur les murs : Messi, Xavi, Iniesta, Henry et Maxwell, tous ceux-là, et le mien aussi, Ibrahimoviæ. Ils y avaient déjà pensé et je regardai encore Mino. Il était tout retourné. C’était comme s’il venait d’avoir un bébé. Aucun de nous deux ne pouvions y croire. Cela était plus sérieux que tout ce que nous avions imaginé et mon téléphone bipa. Qui était-ce ? C’était Patrick Vieira. Il dit : « Profites-en. Cela n’arrive pas à beaucoup de joueurs .» Sincèrement, on entend tout un tas de choses de la part de toutes sortes de gens, et, quand un type comme Vieira vous envoie un tel message, on comprend que ce qu’il vous arrive n’est pas banal. Je dus m’asseoir pour reprendre mon souffle.

Je déclarai aux journalistes : « Je suis l’homme le plus heureux du monde ! De toute ma vie, c’est la plus belle chose qui me soit arrivée ». Le genre de choses que d’autres sportifs ont dites avant moi dans des situations similaires. J’étais vraiment sincère. J’allai ensuite à l’hôtel Princesa Sofia, pris aussi d’assaut par des supporters qui se contentaient d’avoir ne serait-ce qu’une chance de m’apercevoir en train de boire un café dans le hall.

Cette nuit-là, j’eus du mal à m’endormir. Pas étonnant. J’étais une boule de nerf et je sentais bien qu’il y avait un truc qui n’allait pas avec ma main. Mais je n’y faisais pas trop gaffe non plus. J’avais tellement d’autres choses en tête que je n’envisageais pas qu’il y aurait un problème le lendemain à la visite médicale. Quand on arrive dans un club, c’est ainsi, on vous fait passer un check-up. Combien tu pèses ? Tu fais quelle taille ? Quel pourcentage de masse graisseuse ? Tu te sens prêt pour jouer ?

Une fois au centre médical, je déclarai : « J’ai mal à la main », et le médecin me fit passer une radio.

J’avais une fracture. Une fracture ! C’était dément. Quand on arrive dans un nouveau club, il est primordial de participer à la préparation d’avant-saison, de faire connaissance avec les autres gars et de voir la façon dont ils jouent. Pour l’instant, cela paraissait hors de propos. Nous devions vite prendre une décision. J’en parlai à Guardiola, l’entraîneur. Il avait l’air gentil et dit qu’il était désolé de ne pas avoir pu être là pour me souhaiter la bienvenue. Il était à Londres avec l’équipe et, comme n’importe qui d’autre l’aurait fait, il déclara qu’il fallait que je sois en forme le plus rapidement possible. Ils ne voulaient pas prendre de risques, ils décidèrent donc que je serais opéré aussitôt.

Un chirurgien orthopédiste me plaça deux broches en fer dans la main pour maintenir la fracture en place, pour l’aider à guérir plus vite. Et le jour même je retournai au centre d’entraînement de Los Angeles. Ça paraissait absurde. Je venais de le quitter avec l’Inter de Milan. J’y revenais avec un nouveau club et un gros plâtre sur la main. La guérison prendrait trois semaines.