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Moggi était ce qu’il était, mais il était respecté et c’était agréable de discuter avec lui. Il rendait toute chose possible. Il était direct. Il avait du pouvoir et il captait tout très vite. Pour la première fois, j’allais renégocier mon contrat et c’était très important. J’espérais un meilleur salaire et je ne voulais surtout pas rentrer en conflit avec lui. Je décidai d’y aller gentiment, avec toute la considération qui lui était due en tant que gros bonnet.
Il n’y avait qu’un souci : Mino m’accompagnait. Et il n’est pas du genre à cirer les pompes. Il est dingue. Il est entré à grandes enjambées dans le bureau de Moggi et s’est assis sur son fauteuil, a mis les pieds sur la table, sans réfléchir une seconde.
« Mais enfin, bon Dieu, il sera là d’un moment à l’autre, lui rappelai-je. Ne bousille pas mon contrat. Viens t’asseoir de ce côté avec moi.
— Va te faire voir et ferme-la. »
Je ne m’attendais à rien de mieux de sa part.
Mino est comme ça, mais je savais aussi qu’il était capable de négocier. C’est un as. N’empêche, je craignais qu’il fiche tout en l’air et je ne me sentais vraiment pas à l’aise quand Moggi passa la porte avec son cigare et tout le tintouin.
« Qu’est-ce que tu fiches sur mon fauteuil ? grogna-t-il.
— Assieds-toi et parlons ! »
Bien sûr, Mino savait ce qu’il faisait. Ils se connaissaient très bien. Par le passé, ils avaient déjà eu l’occasion de se prendre le bec et j’eus droit à une amélioration importante des termes de mon contrat. Mais, surtout, j’obtins la promesse d’une future renégociation. Si je continuais à jouer aussi bien et que je demeurais tout aussi efficace, j’aurais le meilleur salaire du club. Moggi en fit la promesse et j’étais content. C’est alors que tout devint confus. À l’évidence, quelque chose n’allait pas.
Cette deuxième saison, dans les hôtels ou en stage, je partageais souvent ma chambre avec Adrian Mutu et je ne risquais pas vraiment de m’ennuyer. Adrian Mutu est roumain mais il était en Italie depuis 2000, il avait joué à l’Inter de Milan et il parlait donc bien la langue, tout ça, et il m’était d’un grand secours. Mais ce type était un fêtard, il avait eu de ces histoires ! Je n’avais qu’à m’allonger dans la chambre d’hôtel et me marrer. C’était fou. Quand il avait été recruté par Chelsea, il sortait tout le temps. Mais, évidemment, ça ne pouvait pas durer. Il avait été contrôlé positif à la cocaïne et viré de Chelsea avant d’être suspendu et traîné devant les tribunaux. Il avait suivi une cure et au moment où nous nous fréquentions, il était calme et clean, ce qui fait que nous pouvions rire de toutes nos folies. Vous comprenez, je ne connais rien dans ce domaine. Ce n’est pas grand-chose de s’écrouler une fois dans sa baignoire.
Patrick Vieira débarqua lui aussi dans le club et nous l’avons senti tout de suite. Ce type était un dur et ce n’est pas par hasard si nous en sommes venus aux mains. Je ne m’attaque jamais aux gringalets. Mais, avec ce genre de mec, j’en donne autant que j’en prends et, à la Juventus, j’en ai plus que jamais ramassé. J’étais un guerrier et, cette fois-là, alors que j’entrai sur le terrain, Vieira avait la balle.
« Give me the fucking ball », ai-je crié, sachant évidemment pertinemment qui il était. Patrick Vieira avait été le capitaine d’Arsenal. Là-bas, il avait remporté trois titres de champion d’Angleterre et avait gagné la Coupe du Monde et le championnat d’Europe avec la France. Ce n’était pas n’importe qui, loin de là, n’empêche que je lui ai vraiment gueulé dessus. J’avais mes raisons. Je veux dire, nous sommes dans l’élite du football, nous n’étions pas censés nous faire de la lèche les uns les autres.
« Shut up and run, lâcha-t-il.
— Just pass me the ball and I’ll be quiet », ai-je rétorqué avant que nous ne nous jetions l’un sur l’autre et que les autres doivent nous séparer.
Franchement, ce n’était rien de grave, c’était juste la preuve que nous avions tous les deux l’esprit de compétition. On ne peut pas être tendre dans ce sport. Et si quelqu’un le savait, c’était bien Patrick Vieira. Il est du style à se donner à cent pour cent dans n’importe quelle situation et j’ai pu constater tout ce qu’il apportait à l’équipe. Il n’y a pas beaucoup de joueurs pour lesquels j’éprouve un tel respect. Il excellait dans le jeu et c’était formidable d’avoir deux milieux de terrain comme Nedvìd et lui dans mon dos. Je débutais remarquablement bien ma deuxième saison avec la Juventus.
Contre la Roma, je récupérai une balle d’Emerson juste sur la ligne médiane et je ne l’ai plus lâchée. Je filai un coup de coude en arrière à Samuel Kuffour, le défenseur romain. Je le harponnai longuement en remontant vers le haut du corps parce que j’avais vu qu’en profondeur le camp de la Roma était dégarni. J’ai couru pour en profiter. J’ai foncé comme une flèche tandis que Kuffour tentait de rester au contact. Il n’avait aucune chance, il s’accrocha à mon maillot avant de tomber et d’une demi-volée j’ai envoyé la balle un peu plus loin. Elle rebondit sur mon pied. Doni, le gardien, sortit rapidement et je tirai, bang !, une frappe lourde en plein dans la lucarne. « Mamma mia ! Quel but ! » m’exclamai-je devant les journalistes après le match et il me semblait que la saison s’annonçait bien.
En Suède, je reçus le Guldbollen, le prix récompensant le meilleur joueur de l’année et, bien sûr, ça me faisait plaisir, mais ça ne se déroula pas sans complications. La cérémonie était organisée par ce satané tabloïd, l’Aftonbladet. Je décidai de rester chez moi. L’année suivante, les Jeux olympiques d’hiver se déroulèrent à Turin. Il y avait du monde partout, avec des fêtes et des concerts sur la Piazza Castello et, en soirée, avec Helena, nous restions sur le balcon pour regarder. Nous étions heureux ensemble et nous avions décidé de fonder une famille. Ou, plutôt, nous laissions les choses se faire d’elles-mêmes. Je ne crois pas que l’on puisse véritablement programmer un truc comme ça. Ce sont des choses qui arrivent. Est-on jamais prêt ? Parfois, nous revenions à Malmö pour rendre visite à ma famille. Helena avait vendu sa maison de campagne et nous allions chez ma mère, dans la maison que je lui avais achetée à Svågertorp. Il m’arrivait de m’amuser un peu avec un ballon sur son gazon. Un jour, j’ai même tiré.
J’avais tapé si fort que la balle passa au travers de la palissade. J’avais fait un gros trou. Maman voulait me tuer, cette femme a du caractère. « Bon maintenant, dégage de là et va m’acheter une nouvelle palissade. File ! » s’emporta-t-elle. Dans ces cas-là, il n’y a plus qu’une chose à faire, obéir. Avec Helena, nous avons donc pris la voiture pour aller chez DIY1 mais, malheureusement, il n’y avait pas moyen d’acheter juste quelques planches de bois. Nous étions obligés de prendre tout un pan de palissade, de la taille d’une cabane, qui ne rentrait pas dans la voiture, impossible. J’ai donc mis tout ça sur mon dos et ma tête pour le porter à pied sur deux kilomètres. Ça me rappela le jour où mon père transporta mon lit et j’arrivai totalement épuisé. Mais maman était heureuse et c’était l’essentiel. Nous avons passé un bon moment.
Sur le terrain, je perdais un peu de mes facultés. Je me sentais trop lourd. J’avais pris du poids, je pesais quatre-vingt-dix-huit kilos et ce n’était pas que du muscle. Je mangeais souvent des pâtes, deux fois par jour, ce qui était trop. Par conséquent, je passais moins de temps en salle de musculation, tout comme je freinais sur la nourriture pour essayer de retrouver la forme. Mais il y avait un gros souci : que se passe-t-il avec Moggi ? À quoi jouait-il ? Je n’arrivais pas à comprendre.
Nous étions censés renégocier mon contrat. Mais Moggi faisait le mort. Il s’excusa. Moggi a toujours été un manipulateur et un homme avisé mais, là, il avait l’air tout à fait désespéré. « La semaine prochaine », disait-il. « Le mois prochain. » Il y avait toujours quelque chose. Il faisait un pas en avant, un pas en arrière et, à la fin, j’en eus marre. « J’en ai rien à faire, on va signer tout de suite ! Je ne veux plus discuter. »
Lorsque nous sommes arrivés à un accord qui avait l’air correct, je me disais, trop, c’est trop, finissons-en, on fera avec. Mais il ne se passait plus rien et, pire, Moggi nous déclara : « Très bien, parfait, on signe dans quelques jours. » Avant cela, nous devions jouer contre le Bayern de Munich en Ligue des Champions. Le match avait lieu à Turin et j’allais affronter un arrière central du nom de Valérien Ismaël. Il ne me quitta pas d’une semelle. Après qu’il m’eut étalé vraiment méchamment, je lui donnai un coup de pied et j’écopai d’un carton jaune. On n’en resterait pas là.
À la quatre-vingt-dixième minute, j’étais dans les six mètres et, certes, j’aurais dû garder mon calme. Nous menions 2 à 1 et le match était presque terminé. Mais Ismaël m’agaçait et je le cisaillai, ce qui me valut un autre carton jaune. J’étais expulsé et, naturellement, Capello n’était pas content. Il me passa un savon. C’était justifié. Mon geste était inutile et même stupide, et le rôle de Capello était de me donner une leçon.
Mais Moggi ? Qu’est-ce qu’il avait à voir là-dedans ? Le voilà qui déclara que mon contrat n’était plus valable. Que j’avais tout fichu en l’air et ça me rendit dingue. Toute la négociation était remise en question à cause de cette seule erreur ? J’en parlai à Mino.
« Dis à Moggi que je ne signerai jamais, quelles qu’en soient les conséquences. Je veux être transféré.
— Réfléchis bien à ce que tu dis. »
J’y avais pensé. Je ne céderais pas même si cela nous menait droit au conflit, ni plus ni moins. Un point c’est tout. C’est ce qu’il fallait faire. Mino alla donc voir Moggi et lui exposa les faits sans mâcher ses mots : « Fais gaffe à Zlatan, il est buté, il est dingue, et tu risques de le perdre. » Deux semaines plus tard, Moggi revint avec le contrat. Nous n’attendions rien d’autre. Il ne voulait pas me perdre. Ce n’était pas pour autant terminé. Mino prenait des rendez-vous que Moggi reportait sans cesse en nous servant des excuses bidon. Il devait voyager, il avait à faire ceci, cela, et je m’en souviens très bien. Mino m’appela.
« Il y a quelque chose qui cloche.
— Hein ? Quoi donc ?
— Je n’arrive pas à mettre le doigt dessus mais Moggi se comporte bizarrement. »
Très vite, Mino ne serait pas le seul à flairer l’embrouille. Quelque chose se tramait dans le club et cela n’avait rien à voir avec Lapo Elkann, même si l’affaire semblait assez sérieuse. Lapo Elkann était le petit-fils de Giovanni Agnelli. Je l’avais croisé quelques fois. Nous n’avons jamais vraiment sympathisé. Un type comme ça vit sur une autre planète. C’était un play-boy, une gravure de mode, et il n’avait pas grand-chose à voir avec la gestion de la Juventus. Moggi et Giraudo tenaient la baraque, pas la famille des propriétaires. Mais il faut reconnaître que le type représentait le club et Fiat. Il comptait même parmi les personnalités le mieux habillées du monde. Il fut à l’origine d’un énorme scandale.
On a retrouvé Lapo Elkann dans le coma après une overdose de cocaïne et pas en n’importe quelle compagnie. Il sniffait avec des prostituées transsexuelles dans un appartement de Turin et avait été emmené en ambulance à l’hôpital sous respiration artificielle. Cela fit les titres de tous les journaux en Italie et Del Piero et d’autres joueurs exprimèrent leur soutien dans la presse. Bien sûr, tout ça n’avait rien à voir avec le football. Mais, après coup, cela serait interprété comme le signe avant-coureur des déboires du club.
Je ne sais pas depuis quand Moggi se doutait lui-même d’être suspecté. Mais la police avait dû commencer à l’interroger bien avant que l’affaire n’explose dans les médias. Telle que je comprends l’histoire, tout a démarré avec cette vieille affaire de dopage, dont la Juventus avait finalement été blanchie. C’est pour cette raison que la police avait mis Moggi sur écoutes et c’est ainsi qu’elle intercepta des informations qui n’avaient rien à voir avec le dopage mais qui paraissaient louches. Il s’avéra que Moggi tentait d’obtenir de « bons » arbitres pour les matchs de la Juventus et la surveillance fut maintenue. Naturellement, un tas de saletés allaient remonter à la surface, du moins, c’est ce que les policiers espérèrent quand ils eurent rassemblé toutes les preuves, même si je n’accorde pas beaucoup d’importance à ce qu’ils avaient trouvé. Pour moi, leur principal motif était que la Juventus était l’équipe numéro un. J’en reste persuadé.
Comme toujours, quand quelqu’un est au sommet, d’autres veulent le faire tomber, le rouler dans la boue, et je n’étais pas surpris du tout que ces accusations sortent alors que nous prétendions une nouvelle fois au titre. Ça ne sentait pas bon et nous nous en sommes rendu compte immédiatement. Les médias couvraient l’affaire comme la Troisième Guerre mondiale. Comme je l’ai déjà dit, dans l’ensemble, il ne s’agissait que de conneries. Des arbitres nous auraient favorisés ? Allons donc ! Comme si on ne s’était pas battus sur le terrain.
On risquait notre peau et, personnellement, je n’ai jamais vu aucun arbitre pencher en notre faveur. Je ne les ai jamais eus de mon côté. Je suis au-dessus de ça. Si quelqu’un me rentre dedans, je résiste, mais si c’est moi qui le percute, je peux vous assurer qu’il va voler sur plusieurs mètres. Ma constitution et mon style de jeu ne plaident pas pour moi.
Je n’ai jamais été pote avec un arbitre, personne dans l’équipe ne l’était. Non, nous étions les meilleurs et il fallait nous descendre. Voilà la vérité et, de plus, il y avait tout un tas de trucs pas très clairs dans cette enquête. Par exemple, elle était menée par Guido Rossi, un mec qui avait des liens étroits avec l’Inter de Milan et, étrangement, l’Inter sortit blanc comme neige de cette pagaille.
Beaucoup de choses ont été ignorées ou exagérées de façon à faire passer la Juventus pour la vilaine. Le Milan AC, la Lazio et la Fiorentina ainsi que l’association des arbitres fédéraux s’en sortirent également assez mal. Mais on nous accablait parce que c’était le téléphone de Moggi qui était sur écoutes et ses conversations incriminées sur toute la longueur. Quand bien même, les preuves n’étaient pas si évidentes. Mais tout ça n’était pas vraiment joli, je l’admets.
Il semblerait toutefois que Moggi mettait la pression sur le corps arbitral pour obtenir des gars dociles pour nos matchs et il nous était déjà arrivé de l’entendre casser les oreilles à ceux qui avaient fait un mauvais match, dont Fandel, qui avait arbitré une bataille rangée contre Djurgården. Il était bien connu que d’autres avaient été coincés dans le vestiaire et qu’on les avait enguirlandés après notre défaite contre la Reggina en novembre 2004. Sans compter l’histoire du pape. Le pape était en train de mourir. Aucun match ne pouvait se dérouler à ce moment-là. La nation devait porter le deuil du saint-père. Mais Moggi aurait appelé le ministre de l’Intérieur, rien de moins, pour lui demander de nous laisser jouer à l’extérieur, si l’on en croit les déclarations, parce que notre adversaire, la Fiorentina, comptait alors deux blessés et deux suspendus dans ses rangs. Je ne saurais pas dire ce qui est vrai là-dedans. Il doit probablement toujours se passer ce genre de trucs dans le milieu du football et, franchement, qui ne gueule pas contre les arbitres ? Qui refuserait de travailler pour le bien de son club ?
C’était le souk. Le scandale était surnommé Moggiopoli dans la presse italienne, un genre de « Moggio-Gate ». Bien sûr, mon nom fut aussi mis en avant. Je ne voyais pas comment il pouvait en être autrement. À l’évidence, ils allaient essayer d’y mêler les meilleurs joueurs du club. On disait que Moggi avait évoqué mon altercation avec Van der Vaart et qu’il aurait dit que j’allais dans la bonne direction si je voulais quitter le club. « Ce type a des couilles », aurait-il déclaré, ou quelque chose d’approchant. On lui prêtait même d’avoir encouragé notre dispute et les gens avalèrent ça, ben tiens. Cela ressemblait fort aux méthodes de Moggi, pensait-on et, sans doute, c’était aussi typiquement le genre d’Ibra. Mais c’était n’importe quoi, évidemment. Cet antagonisme entre moi et Van der Vaart ne regardait que nous.
Mais, à ce moment-là, on ne pouvait jurer de rien. Et au matin du 18 mai, je reçus un appel téléphonique. J’étais à Monte-Carlo avec Helena, Alexander Östlund et sa famille, et l’on m’informa que la police était sur mon palier. Les policiers voulaient entrer. Ils avaient même un mandat pour perquisitionner l’appartement. Franchement, que pouvais-je faire ?
Je quittai immédiatement Monte-Carlo. En une heure par la route j’étais à Turin pour rejoindre les policiers. Je dois dire que c’étaient des gentlemen. Ils faisaient juste leur boulot. N’empêche que ce n’est pas agréable. Ils ont examiné toutes les fiches de paie que j’avais reçues de la Juventus, comme si j’étais un criminel, et ils m’ont demandé si j’acceptais des pots-de-vin. En fin de compte, je leur dis : « C’est ce que vous cherchez ? »
Je leur remis mes relevés de comptes et ceux d’Helena et ils étaient satisfaits comme ça. Ils me remercièrent, me complimentant sur mon jeu, des amabilités comme ça. La direction du club, Giraudo, Bettega et Moggi, démissionna à ce moment-là et je trouvai ça bizarre. Ils s’écrasaient comme des merdes. Moggi déclara dans les journaux : « J’ai perdu mon âme. On m’a assassiné. »
Le lendemain, les actions de la Juventus dégringolèrent à la Bourse de Milan et nous avons eu une réunion de crise dans notre salle de musculation, dans le gymnase. Je n’oublierai jamais cet épisode.
Moggi arriva. En apparence, il était comme d’habitude, bien habillé et dominateur. Mais ce n’était plus le même homme. Un autre scandale impliquant son fils venait d’éclater. Cette fois, c’était une affaire d’adultère et il en parla pour dire combien cela était dégradant et j’étais d’accord avec lui. C’était une affaire privée et cela n’avait rien à voir avec le football. Mais ce n’est pas ce qui m’affecta le plus.
Il pleurait, je n’aurais jamais cru que cela puisse lui arriver, à lui. Ça me tordait les tripes. Je ne l’avais jamais vu aussi faible. Cet homme gardait toujours le contrôle des opérations. Il irradiait la puissance et la force. Mais là… comment dire ? Il n’y avait pas longtemps encore il avait pesé de tout son poids pour faire capoter mon contrat. Mais, maintenant, tout d’un coup, je me retrouvais à le plaindre. Le monde était sens dessus dessous et, sans doute, je n’avais pas à me sentir si inquiet pour lui. Tu n’as qu’à t’en prendre qu’à toi-même, j’aurais dû me dire. Mais je compatissais. Cela me faisait mal de voir un homme comme lui abattu et j’y ai beaucoup repensé par la suite. Rien n’est jamais acquis. Je me suis mis à voir les choses sous un nouveau jour. Pourquoi s’évertuait-il à reporter nos rendez-vous ? Pourquoi a-t-il fait tant d’histoires ?
Me protégeait-il ?
Je commençais à le croire. Je n’en suis toujours pas certain. Mais c’est ainsi que j’ai interprété les événements. À ce moment-là, il devait être conscient que tout allait éclater. Il devait avoir compris qu’après ça la Juventus ne serait plus la même équipe et que mon destin aurait été scellé si un nouveau contrat m’avait lié au club. Je me serais trouvé dans l’obligation de rester quoi qu’il arrive. Je crois qu’il pensait à un scénario comme ça. Moggi ne s’arrête pas toujours aux feux rouges et n’obéit pas à toutes les règles. Mais c’était un homme d’affaires talentueux et il veillait sur ses joueurs, je le sais, et sans lui ma carrière se serait terminée dans une impasse. Je lui en suis reconnaissant pour ça. Même si tout le monde lui tombait dessus, je serais de son côté. J’aimais bien Luciano Moggi.
La Juventus était un navire qui coulait et l’on disait que le club allait être relégué en Serie B voire en Serie C. C’était autrement scandaleux. Il était impossible de se faire à cette idée, impossible. Nous avions bâti une telle équipe, gagné deux titres d’affilée et nous étions sur le point de tout perdre à cause d’une affaire qui n’avait rien à voir avec notre jeu. C’était vraiment trop et les nouveaux dirigeants mirent un petit moment avant de saisir la gravité de la situation. Je me rappelle un coup de fil, quelque temps auparavant, d’Alessio Secco.
Alessio Secco était mon ancien directeur technique. C’est lui qui avait pris l’habitude de me téléphoner pour fixer les horaires des entraînements : « Nous démarrons demain à 10 h 30 ! Arrive à l’heure. » D’un seul coup, il était promu directeur, c’était complètement fou, et j’eus du mal à le prendre au sérieux. Mais lors de cette conversation, il m’en donna l’occasion : « Si tu as une chance, Zlatan, saisis-la. C’est un conseil que je te donne. »
Une fois de plus, c’était la dernière amabilité que l’on me faisait. Après, les choses devinrent plus délicates. Les uns après les autres, les joueurs partaient : Thuram et Zambrotta à Barcelone, Cannavaro et Emerson au Real Madrid, Patrick Vieira à l’Inter de Milan et tous les autres qui étions encore là suppliions notre agent : « Vends-moi, Vends-moi. Qu’est-ce que tu vois pour nous ? »
L’ambiance était à l’incertitude et à l’impatience. Ça partait dans tous les sens et on n’entendait plus de conseil comme celui qu’Alessio Secco m’avait donné. Le club luttait pour sa survie.
La direction faisait tout pour conserver ceux d’entre nous qui étaient encore là, tirant profit de la moindre faille dans nos contrats. C’était un cauchemar. Ma carrière était en pleine ascension, je commençais à peine à percer. Est-ce que tout allait s’effondrer maintenant ? On était dans le flou et, chaque jour qui passait, je le sentais de plus en plus : il allait falloir que je me batte. Il était hors de question que je sacrifie une saison en deuxième division. Un an ! Au minimum, parce que je me doutais bien que ce serait plus long. Une année pour remonter si nous étions relégués, une supplémentaire pour retrouver le haut du tableau et accrocher une qualification pour la Ligue des Champions et même dans ce cas nous n’aurions pas forcément une équipe pour être à la hauteur. Mes meilleures années de footballeur pouvaient être gâchées et je répétai à Mino encore et encore :
« Débrouille-toi. Sors-moi de là.
— J’y travaille.
— T’as intérêt. »
Nous étions en juin 2006. Helena était enceinte et j’en étais heureux. Le bébé arriverait fin septembre mais, à part ça, j’étais dans un no man’s land. Qu’allait-il arriver ? Je n’étais au courant de rien. Pendant ce temps, j’étais en stage de préparation avec l’équipe de Suède pour le Mondial qui se disputerait en Allemagne en été. Toute ma famille m’accompagnait, maman, papa, Sapko, Sanela, son mari et Keki et, comme d’habitude, c’est moi qui m’occupais de tout – hôtels, voyage, argent, location de voitures, etc.
Ça me tapait sur le système et à la dernière minute papa décida de ne pas venir, c’était la pagaille habituelle, et il fallut me démener pour ses billets. Qu’allions-nous en faire ? Qui les récupérerait ? On ne peut pas dire que cela m’aidait à me rassurer et je recommençais à avoir mal à l’aine, le même souci qui m’avait valu une opération quand j’étais à l’Ajax. J’en parlai aux entraîneurs.
Nous décidâmes que je jouerais. J’avais un principe intangible : si les choses tournaient mal, je ne tenais pas mes blessures pour responsables. Ce qui est ridicule. Je veux dire, si une blessure vous empêche de bien jouer, à quoi bon s’entêter ? Quelle que soit la décision, elle serait mauvaise. Il faut serrer les dents et y aller mais, c’est vrai, je passai un moment particulièrement difficile et, le 14 juillet, en Italie, le verdict tomba.
Nous étions dépouillés de nos deux titres et la Ligue des Champions s’éloignait. Par-dessus tout, nous étions relégués en Serie B et nous débuterions la saison avec un handicap de points, peut-être une trentaine, et j’étais toujours à bord de ce bateau qui coulait.
1- Magasin de bricolage ; DIY pour Do It Yourself.