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Personne n’était au courant pour Helena et moi, même pas sa mère. Il nous fallut faire quelques efforts pour garder notre secret. Le moindre de mes gestes faisait les gros titres et nous ne tenions pas à ce que les journalistes se mettent à fouiller dans notre vie privée avant même de savoir nous-mêmes où nous allions.

Nous faisions tout ce que nous pouvions pour les empêcher de nous pister et, au début, nous avions l’avantage d’être dissemblables. Personne n’aurait cru que je pouvais être avec quelqu’un comme elle, une femme active de onze ans de plus que moi. Si l’on nous reconnaissait à tel endroit, comme dans un hôtel, ou ailleurs, personne n’aurait fait le rapprochement et c’était heureux. Cela nous a bien aidés. Mais toutes ces manœuvres ont un prix.

Helena perdit peu à peu tous ses amis, elle se sentait isolée et seule, ce qui faisait que j’en voulais encore plus aux médias. L’année précédente, la Suède jouait à Göteborg contre Saint-Marin. À ce moment-là, l’ambiance se détendait à l’Ajax et j’étais plutôt de bonne humeur, je m’exprimais assez librement, comme dans le temps, avec les journalistes et même avec l’un d’entre eux qui travaillait pour le tabloïd Aftonbladet. Je n’avais rien oublié de ce qu’avait fait ce journal lors de l’épisode du Spy Bar mais je ne voulais pas nourrir de rancune et, donc, je discutais de tout et de rien jusqu’à dire que je pensais fonder une famille un de ces jours, ce qui n’a rien d’extraordinaire, vraiment pas. On bavardait de façon informelle, genre, « ce serait sympa d’avoir des enfants un peu plus tard ». Mais devinez ce que ce journaliste écrivit ?

Son article était tourné comme une petite annonce : « Qui veut gagner la Ligue des Champions avec moi ? Sportif, 21 ans, 1 m 95, 84 kg, brun, yeux marron, recherche femme d’âge équivalent pour relation sérieuse. » Pensez-vous que cela m’ait fait plaisir ? J’étais outré. Un peu de respect, non ? Une petite annonce ! J’avais envie d’allumer ce canard, mais quand nous nous sommes croisés le lendemain dans le tunnel sombre du stade qui mène à la pelouse, ce n’était pas le moment le plus approprié.

Si j’avais bien compris, le journal avait déjà eu vent que cela m’avait mis en rage. Je pense qu’un membre de l’équipe nationale les avait prévenus et le voilà maintenant qui voulait s’excuser et retourner au boulot comme si de rien n’était. Il y avait déjà pas mal de fric à se faire sur mon dos à cette époque. Mais, croyez-moi, je n’en voyais pas la couleur et je suppose que j’aurais dû m’estimer heureux de parvenir à me maîtriser. Je me suis contenté de lui glisser : « Quel genre de clown es-tu ? Qu’est-ce que t’essaies de dire, crétin ? Que j’ai des problèmes avec les femmes ou quelque chose comme ça ?

— Je suis désolé, je voulais juste… »

Il bafouillait. Il n’arrivait pas à finir une phrase de façon cohérente.

Avant de partir, je lui hurlai : « Plus jamais je ne t’adresse la parole. » Franchement, je pensais lui avoir fait peur ou du moins avoir obtenu qu’il me traite avec un peu plus de respect à l’avenir dans son journal. Mais ce fut pire. Nous avions remporté le match 5 à 0 et j’avais marqué deux buts. Devinez le titre de l’Aftonbladet le lendemain matin ? « Allez la Suède » ? Vous n’y êtes pas. Sur le championnat d’Europe ? Toujours pas ! Ils écrivirent : « Honte à toi, Zlatan ! » et ce n’était pas parce que j’avais baissé mon froc ou pourri l’arbitre.

J’avais tiré et marqué un pénalty. Le score était de 4 à 0 et j’étais victime d’une faute dans la surface. Certes, Lars Lagerbäck avait sa liste des tireurs de pénaltys en haut de laquelle trônait Kim Källström qui venait de marquer un but, mais j’ai pensé que le pénalty me revenait de fait. J’étais en forme, j’étais prêt, et quand Kim s’est avancé vers moi, j’ai mis le ballon dans mon dos, genre, ne me prends pas mon jouet, et il me fit signe de la main de le lui rendre. Au lieu de quoi j’ai tapé dans sa main comme si nous étions d’accord, avant de placer la balle sur le point de pénalty et de tirer. Rien de plus. Ce n’est pas la chose la plus maligne que j’aie faite dans ma carrière et je m’en suis excusé après le match mais, bon, n’exagérons pas, ce n’était pas la guerre des Balkans. Ce n’était pas une émeute de quartier. Ce n’était qu’un but dans un match de football. Quand bien même, l’Aftonbladet y consacra six pages et je ne comprenais pas pourquoi. Mais, bon sang, qu’est-ce qu’ils veulent ? Publier des petites annonces et des titres comme « Honte à toi, Zlatan », quand nous gagnons 5 à 0 ?

À la conférence de presse, le lendemain, je déclarai que si quelqu’un devait avoir honte, c’était bien l’Aftonbladet.

Après quoi je boycottai ce journal et nos relations ne s’améliorèrent pas durant le Championnat d’Europe au Portugal. Mais, en continuant la guerre, je courais un risque. Si je ne leur parlais pas, ils n’auraient rien à perdre, et la dernière chose que je voulais était qu’ils sortent l’histoire entre Helena et moi. Ce serait une catastrophe alors que nous étions à la fin de notre préparation, il fallait être prudent. Mais que pouvais-je faire ? Elle me manquait. « Tu ne pourrais pas venir ici ? » lui demandai-je. Elle ne pouvait pas. Elle avait trop à faire. Mais c’est alors qu’un de ses supérieurs qui avait acheté une place pour l’Euro ne pouvait plus y aller. Il demanda : « Quelqu’un veut y aller à ma place ? » Elle y vit un signe. Elle viendrait. Et elle resta avec moi quelques jours. Et, comme d’habitude, nous nous faufilions partout et personne, pas même au sein du groupe de l’équipe nationale, ne fit attention à elle. Le seul à avoir eu un doute fut Bert Karlsson, un homme d’affaires dans les médias, qui tomba nez à nez avec elle à l’aéroport et se demanda ce qu’elle faisait là au milieu des supporters suédois avec leurs maillots et leurs chapeaux ridicules. Mais nous sommes parvenus à garder le secret et je pus me concentrer sur le football.

Nous étions une bonne bande. Nous étions tous de bons mecs. Bon, il y avait bien une prima donna parmi nous. La prima donna déclarait des trucs comme : « À Arsenal, tu vois, c’est comme ça que ça se passe. C’est comme ça qu’il faut faire. Parce qu’ils s’y connaissent, à Arsenal, et je joue avec eux. »

Ça me mettait en rogne. « J’ai affreusement mal au dos », se plaignait-il. « Oh ! Mon Dieu, mon Dieu, je ne peux pas monter dans le bus de l’équipe. J’ai besoin de mon propre véhicule. » « J’ai besoin de ci, j’ai besoin de ça. » Je veux dire, pour qui diable se prend-il pour jouer avec nous et nous traiter de la sorte ? Lars Lagerbäck s’entretint avec moi à son sujet.

« S’il te plaît, Zlatan, essaie de prendre la chose de façon professionnelle. On ne peut pas se permettre une guerre ouverte dans le groupe.

— Écoute, s’il me respecte, je le respecterai. C’est tout. »

Et cela fit pas mal d’histoires.

Sinon, mon Dieu, l’atmosphère était incroyable. En entrant sur la pelouse pour notre premier match contre la Bulgarie à Lisbonne, le stade semblait repeint en jaune et tout le monde entonnait la chanson de l’Euro 2004 de Markoolio1. L’ambiance était tellement géniale que nous avons atomisé la Bulgarie.

Score final : 5 à 0. Nous suscitions de plus en plus d’espoirs. Mais il nous semblait que la compétition n’avait pas encore vraiment débuté. Le gros match que tout le monde attendait était celui que nous devions disputer contre l’Italie le 18 juillet à Porto et les Italiens attendaient leur revanche. Ils n’étaient parvenus qu’à arracher un nul contre le Danemark et, bien sûr, tout le monde se souvenait de leur défaite contre la France en finale du dernier Euro à Rotterdam. Les Italiens étaient fin prêts pour gagner et ils disposaient d’une équipe monstrueuse avec Nesta, Cannavaro et Zambrotta derrière, Buffon dans la cage, et Christian Vieri en pointe. Totti, leur grande star, était suspendu pour avoir craché sur un adversaire durant le match contre le Danemark mais, quand même, j’étais nerveux de me trouver face à tous ces mecs.

Je n’avais jamais disputé de match aussi important et mon père était dans les tribunes pour cet événement majeur. Dès le début, je sentais que les Italiens me respectaient. Qu’est-ce que ce type va encore inventer ? Je ferraillais avec leur défense. Nous ne jouions pas à la baballe. Les Italiens se sont ensuite mis à attaquer méchamment et, juste avant la mi-temps, Cassano, le jeune type qui avait pris la place de Totti, marqua le premier but à la suite d’un centre de Panucci. Personne ne pouvait prétendre qu’ils ne le méritaient pas. Les Italiens nous pressaient fort. Mais nous sommes parvenus à trouver quelques solutions et avons eu quelques occasions en deuxième période. Cependant, les Italiens dominaient et égaliser contre eux n’était pas gagné. Les Italiens ont la réputation de posséder une défense de folie. Mais alors qu’il ne restait que cinq minutes à jouer, nous obtînmes un corner sur la gauche du terrain.

Kim Källström le frappa et c’était la pagaille dans la surface de réparation. Marcus Allbäck était au point de chute de la balle, Olof Mellberg également, et le chaos était général. La balle était encore dans les airs et je me lançai vers elle, c’est à ce moment-là que je vis Buffon monter et Christian Vieri placé sur la ligne de but. Je m’élevai et donnai un coup de pied. C’était un peu comme du kung-fu. Sur les photos, mon talon est à la hauteur de mon épaule et la balle décrit un arc parfait au-dessus de Christian Vieri qui tentait de la contrer de la tête. Il n’y avait pas beaucoup de place pour passer entre sa tête et la barre transversale. Mais elle rentra, juste dans la lucarne, et tout cela contre l’Italie.

C’était le championnat d’Europe. Je venais de marquer d’une talonnade à cinq minutes de la fin et je courus, totalement déjanté, suivi par toute l’équipe, tout aussi folle, toute sauf un joueur qui marchait dans la direction opposée. Mais quelle importance ? Je me jetai sur la pelouse et tous les autres s’affalèrent sur moi et Henrik Larsson criait : « Profite ! » Juste comme ça ! Comme s’il avait saisi immédiatement l’effet que cela produisait. Le match se solda par un match nul. Mais ça valait une victoire et nous sommes ensuite parvenus en quart de finale où nous allions jouer contre les Pays-Bas et, bien sûr, ce serait tout aussi tendu.

Les supporters hollandais dans leur tenue et leur chapeau orange me huaient.

Les deux équipes étaient sur les nerfs et, comme d’habitude, les Hollandais se foutaient de moi, comme si je ne faisais pas partie de la bonne équipe. Le match fut extrêmement serré, avec des tas d’occasions. À la fin de la partie nous en restions à 0 à 0, nous devions donc jouer les prolongations. Nous avons frappé les poteaux et la barre transversale. Nous aurions dû marquer plusieurs fois. Mais cela se termina par une séance de tirs au but et, dans le stade, on aurait dit que tout le monde s’était mis à prier.

Les deux équipes étaient à cran et beaucoup de spectateurs préféraient ne pas regarder. D’autres huaient et essayaient de nous rendre marteau. La pression était à son comble. Les choses démarrèrent plutôt bien. Kim Källström marqua son pénalty ainsi que Henke Larsson. Nous étions à 2 à 2 et ce fut mon tour. Je ne portais pas de serre-tête noir. J’avais les cheveux lâchés et j’ai souri, je ne sais pas pourquoi. Malgré tout, je me sentais assez bien, j’étais nerveux mais, en même temps, je n’avais pas la sensation de paniquer, rien de tout ça, pas du tout, et Edwin Van der Sar était en face de moi. J’aurais dû le mettre.

Aujourd’hui, quand je tire un pénalty, je sais exactement où je vais placer la balle et elle y va. Mais, ce jour-là, j’avais eu une étrange sensation qui m’envahit dès que je m’approchai de la balle. J’avais l’impression qu’il suffisait que je frappe et c’est ce que je fis. Je frappai, sans plus, étonné moi-même par la direction qu’elle prit. J’avais complètement foiré. J’étais totalement à côté de la cible. C’était une catastrophe, nous étions éliminés de la compétition, Olof Mellberg ayant également raté son pénalty et, croyez-moi, ce ne sont pas de bons souvenirs. C’était nul. Nous avions une bonne équipe. Nous aurions dû aller bien plus loin. Cependant, ces matchs allaient provoquer une succession d’événements.

Août est le mois de toutes les incertitudes. La date limite pour les transferts est fixée au 31 et les rumeurs bruissent de partout. On en parle comme de la silly season, la « période creuse ». La véritable saison n’a pas encore commencé et les journaux n’ont rien d’autre à se mettre sous la dent. Est-ce qu’il va dans cette équipe ? Ou dans telle autre ? Combien les clubs souhaitent-ils dépenser ? Tout est exagéré, la plupart des joueurs sont stressés et cela transparaissait particulièrement chez nous, à l’Ajax. Tous les jeunes voulaient être vendus et nous échangions d’étranges œillades entre nous. Est-ce qu’il a quelque chose sous le coude ? Et lui ? Et pourquoi mon agent ne m’appelle-t-il pas ? Il y avait beaucoup de tensions et de jalousie et, moi-même, j’attendais, j’espérais. Mais j’essayais de rester concentré sur le foot. Je me souviens d’avoir joué un match contre Utrecht et la dernière chose à laquelle je m’attendais était d’être remplacé. Mais c’est ce qui arriva. Koeman me fit signe de sortir et j’étais si en colère que j’ai mis un coup de pied dans un panneau publicitaire le long du terrain, pour dire, bon sang, qu’est-ce que tu es en train de faire, de me mettre sur le banc ?

J’avais pris l’habitude d’appeler Mino après chaque match. C’était agréable de pouvoir parler de tout avec lui, de me plaindre un peu de tout, mais, cette fois-là, je me suis vraiment lâché.

« Qui est ce crétin qui me sort du terrain ? Comment peut-il être aussi bête ? » Et, bien qu’entre nous nous soyons sans pitié, j’attendais de Mino, dans une telle situation, qu’il me soutienne, qu’il me dise : « Ouais, je suis d’accord, Koeman a dû avoir une hémorragie cérébrale, je te plains. »

« Évidemment qu’il t’a fait sortir, me répondit-il. Tu étais minable sur la pelouse. Tu étais nul.

— Qu’est-ce que tu me racontes, bon sang ?

— Tu ne fichais strictement rien. Il aurait dû te sortir plus tôt.

— Écoute.

— Quoi ?

— Allez au diable, toi et le coach. »

Je raccrochai, je pris une douche et je rentrai à Diemen, sans décolérer.

Mais, à mon arrivée, je trouvai quelqu’un sur le pas de ma porte. C’était Mino. Il devait être en pétard, cet idiot, me dis-je, et je n’étais même pas sorti de ma voiture que nous avons commencé à nous engueuler. Il était en furie.

« Combien de fois dois-je te le répéter ? Tu as fait n’importe quoi et tu n’as pas le droit de filer de satanés coups de pied dans les panneaux publicitaires. Il faut que tu grandisses.

— Va te faire voir !

— Va te faire voir toi-même !

— Je t’emmerde, dégage de là !

— Dans ce cas, tu peux aller à Turin.

— Qu’est-ce que tu me chantes ?

— J’ai peut-être la Juventus qui va s’aligner.

— Quoi ?

— Tu m’as entendu. »

Oui, j’avais bien entendu mais, simplement, au milieu de cette prise de bec, je n’avais pas compris.

« Tu m’as dégoté la Juventus ?

— Peut-être.

— Ne serais-tu pas le plus formidable idiot que je connaisse ?

— Rien n’est sûr encore, mais j’y travaille. »

Et je pensai : la Juventus ! C’est quand même autre chose que Southampton.

La Juventus était probablement le meilleur club d’Europe à cette époque. Elle avait dans ses rangs des stars comme Thuram, Trézéguet, Del Piero, Buffon et Nedvìd et, alors que le club avait perdu en finale de la Ligue des Champions contre le Milan AC l’année précédente, aucune autre équipe, du moins sur le papier, ne leur arrivait à la cheville. Les joueurs étaient des superstars, tous, et le club venait de recruter Fabio Capello, le manager de la Roma qui me suivait depuis quelques années. J’ai vraiment commencé à y croire. Allez, Mino, tu vas y arriver !

La Juventus était alors dirigée par Luciano Moggi. Moggi était un coriace, un homme de l’ombre qui s’était élevé en partant de rien jusqu’à devenir le pape du football italien. Il était le roi sur le marché des transferts. Sous sa direction, le club remportait les championnats les uns après les autres. Mais Luciano Moggi n’était pas exactement connu pour être blanc comme neige. Il avait été impliqué dans plusieurs scandales de corruption, de dopage et dans des procès, que des trucs nazes, et on racontait qu’il appartenait à la Camorra, la mafia napolitaine. Bien sûr, ce n’était que des racontars. Mais le type ressemblait vraiment à un mafioso. Il aimait les cigares et les costumes voyants et, comme négociateur, il était redoutable. Il était un maître dans l’art des affaires, un adversaire dont il fallait tenir compte. Mais Mino le connaissait.

Ils étaient de vieux ennemis qui, disons, étaient devenus amis. Mino avait rencontré Moggi à l’époque où il essayait de faire décoller ses affaires. Mais ça démarrait mal. Le bureau de Moggi ressemblait à une banale salle d’attente. Il y avait vingt personnes dehors et tout le monde s’impatientait. Mais il ne se passait rien. Le temps filait et, pour terminer, Mino péta un câble. Il tempêta, furibond : « Bon sang de bonsoir ! Faire sauter un rendez-vous comme ça ? » La plupart des gens auraient accepté la situation. Moggi était un gros bonnet. Mais Mino n’a que mépris pour ce genre de truc. Si les gens le méprisent, il se fiche de savoir qui ils sont. Le lendemain il se rendit donc au Urbani, le restaurant de Turin fréquenté par les membres du club et les joueurs, pour le trouver.

« J’ai été mal reçu, déclara-t-il.

— Qui diable es-tu ?

— Tu le sauras quand tu m’achèteras un de mes joueurs. »

Mino gueulait et, après cette entrevue, il détesta le bonhomme pendant un bon bout de temps.

Il se présentait même à d’autres décideurs du football en fanfaronnant : « Je m’appelle Mino. Je suis contre Moggi. » Et comme Moggi était un homme qui se faisait facilement des ennemis, la phrase était bien sentie. Le seul problème était qu’un jour ou l’autre Mino aurait à traiter avec Moggi et, en 2001, la Juventus voulut acheter Nedvìd, un des grands joueurs sous contrat avec Mino. Rien n’était fixé, rien du tout. Mino était également en contact avec le Real Madrid et, avec Nedvìd, ils devaient rencontrer Moggi à Turin pour discuter. Mais Moggi fit monter la sauce, ameuta les journalistes, les photographes, et les supporters. Avant même que les négociations ne débutent, il avait mis sur pied un comité d’accueil que ni Nedvìd ni Mino ne pouvaient éviter.

Cela ne dérangeait pas plus que ça Mino. Il voulait que Nedvìd signe à la Juventus et ce piège lui donna l’opportunité de marchander un meilleur contrat. Mais pour la première fois Moggi l’impressionna. Le mec avait sans doute fait son salaud cette fois-là mais il connaissait son jeu et les deux s’entendirent pour faire la paix et devinrent des amis. Cela changea en : « Je suis Mino, je travaille avec Moggi. » De là à croire qu’ils allaient bras dessus, bras dessous, il y avait une marge. Mais il y avait un certain respect et, clairement, pas mal de clubs me dénigraient. Moggi était le seul à être sérieusement intéressé. Mais ça n’allait pas être facile.

Moggi n’avait pas beaucoup de temps pour nous. Nous devions le rencontrer en secret pendant une demi-heure à Monte-Carlo. C’était le jour où se déroulait le Grand Prix de Monaco et il était là pour affaires. Le groupe Fiat possède à la fois Ferrari et la Juventus et nous avions rendez-vous dans un salon VIP de l’aéroport. Mais la circulation était infernale et nous avons dû courir. Mino n’est pas vraiment un athlète. Il souffre de surpoids. Il soufflait, râlait. Tout en sueur, il n’était pas vraiment habillé pour un rendez-vous d’affaires.

Il portait un short hawaiien, un tee-shirt Nike et des baskets sans chaussettes. Nous fîmes irruption dans le salon VIP de l’aéroport empli d’une épaisse fumée. Luciano Moggi tirait sur un gros cigare. C’est un homme d’un certain âge, chauve, et l’on voit tout de suite que ce type a du pouvoir. Il avait l’habitude que les gens lui obéissent. Mais là, il fixait les vêtements de Mino.

« Mais enfin, comment t’es habillé ?

— Est-ce que t’es là pour vérifier de quoi j’ai l’air ? »

Et c’est ainsi que les choses ont commencé.

À peu près à cette époque, nous affrontâmes les Pays-Bas à Stockholm. C’était un match amical mais personne n’avait oublié notre défaite de l’Euro 2004 et naturellement nous voulions démontrer que nous pouvions les battre. Toute l’équipe voulait se venger (offensive, elle pratiquait un football agressif) et assez tôt dans le match je récupérai une balle en dehors de la surface. J’eus immédiatement quatre Hollandais sur moi. L’un d’eux était Rafael Van der Vaart. C’était une action difficile. Je m’élançai au milieu d’eux et je réussis à servir Mattias Jonsson qui avait de l’espace.

Il marqua le premier but et juste après Van der Vaart resta étendu sur la pelouse. Il fut emmené sur une civière : un ligament de la cheville déchiré, rien de grave. Mais il ne pourrait pas jouer pendant un match ou deux. Il la ramena en affirmant aux journaux que j’avais fait exprès de le blesser. Je m’emportai. Qu’est-ce que c’est que cette histoire ? Aucun coup franc n’avait été sifflé alors comment pouvait-il prétendre que je l’avais fait exprès ? Et ce type était mon capitaine !

Je l’appelai. « Écoute-moi bien, je suis désolé, ce n’est pas de bol pour ta blessure, je m’excuse, mais ce n’était pas intentionnel, tu piges ça ? » Et je répétai la même chose aux journalistes. Je le répétai cent fois. Mais Van der Vaart persistait et je ne comprenais pas. Mais pourquoi diable roule-t-il son propre équipier dans la boue ? Ça n’avait aucun sens. À moins que si.

Je me demandai (ne l’oubliez pas, nous sommes en août et les transferts sont en cours) s’il ne voulait pas forcer la main du club pour qu’il le laisse partir. Voire que je quitte moi-même le club à cause de cette affaire. Ce ne serait pas la première fois que quelqu’un utilise ce genre de méthode et le type avait le soutien des médias néerlandais.

Je veux dire, il était le Néerlandais. Le chéri des magazines people et j’étais le mauvais garçon, l’étranger. « Tu plaisantes ? » lui demandai-je quand je le croisai au centre d’entraînement. Il ne plaisantait pas du tout.

« O.K., O.K., je vais te le dire une dernière fois : ce n’était PAS intentionnel. Tu m’entends ?

— Je t’entends. »

Mais il ne changea pas d’attitude et l’atmosphère dans le club se fit plus lourde. L’équipe se scinda en deux. Les Hollandais soutenaient Rafael, les étrangers étaient avec moi. Enfin, Koeman nous convoqua et, alors, j’étais complètement obnubilé par cette histoire. Pourquoi diable m’accuser d’un truc comme ça ? J’étais complètement à cran et nous nous sommes tous assis en cercle dans la salle de restaurant au troisième étage et j’ai tout de suite flairé l’ambiance. C’était grave. Les dirigeants insistaient pour que nous trouvions un terrain d’entente. Nous étions les joueurs-clés de l’équipe et il fallait dépasser ça. Mais, à cet instant précis, il n’y avait pas beaucoup de marge. Rafael tonna plus fort que jamais.

« Zlatan l’a fait exprès », affirma-t-il, et je vis rouge. Mais bon sang, pourquoi n’arrêtait-il pas ?

« Je ne t’insulte pas exprès, et tu le sais, répliquai-je. Si tu m’accuses encore, je vais te casser les deux jambes et cette fois, je le ferai exprès. » Et, bien sûr, tous ceux qui avaient pris le parti de Van der Vaart le relevèrent immédiatement : « Vous voyez, vous voyez bien, il est agressif. Il est dingue. » Et Koeman essaya de rétablir le calme.

« N’exagérons pas, nous pouvons arranger ça. »

Mais, honnêtement, je n’étais pas vraiment bien disposé et nous avons été invités à passer dans le bureau de Louis Van Gaal, le directeur sportif. Je ne me sentais pas entouré d’alliés et il fit son numéro d’autoritarisme.

« C’est moi le directeur ici », clama-t-il.

Tu parles d’une information !

« Et, je vous préviens, continua-t-il, je vous demande d’enterrer la hache de guerre. Quand Rafael sera remis, vous allez jouer ensemble !

— Hors de question, tant qu’il sera sur la pelouse, je ne jouerai pas, décrétai-je.

— Qu’est-ce que tu dis ? répliqua Van Gaal. Il est mon capitaine et tu joueras avec lui ! Tu le feras pour le club.

— Ton capitaine ? Qu’est-ce que c’est que cette bêtise ? Rafael a balancé dans les journaux que je l’avais blessé en le faisant exprès. Quelle sorte de capitaine est-ce là ? Le même qui attaque ses propres coéquipiers ? Je ne jouerai pas avec lui, il n’en est pas question. Jamais, plus jamais. Tu peux ajouter tout ce que tu voudras.

Et je suis sorti. L’enjeu était de taille. Évidemment, j’avais été revigoré par le fait que j’avais la Juventus dans la poche. Rien n’était encore signé mais j’y croyais fermement et j’en discutai avec Mino. Que se passe-t-il ? Que disent-ils ? Mais nos chances d’aboutir n’arrêtaient pas de changer et, à la fin août, nous devions jouer contre le NAC Breda en championnat. Les journaux écrivaient sans arrêt sur le conflit avec Van der Vaart que les journalistes défendaient plus que jamais. Il était leur préféré. J’étais le voyou qui l’avait blessé.

« Prépare-toi à être insulté, me prévint Mino. Les spectateurs vont te détester.

— Parfait.

— Comment ça, “parfait” ?

— Ce genre de truc me motive, tu le sais. Je vais leur montrer. »

J’étais prêt. Je l’étais vraiment. Mais la situation était complexe et je révélai à Koeman l’histoire avec la Juventus. Je voulais le préparer mais les discussions de ce type sont toujours délicates. J’appréciais Koeman. Lui et Beenhakker ont été les premiers à voir que j’avais du potentiel à l’Ajax et je n’avais aucun doute sur le fait qu’il me comprenne. Qui refuserait d’aller à la Juventus ? Mais Koeman n’allait pas me laisser partir comme ça. Il avait récemment déclaré à la presse que certaines personnes avaient l’air de penser qu’elles étaient plus importantes que le club et il était évident qu’il parlait de moi. Il fallait que je choisisse mes mots prudemment et, dès le début, je décidai d’employer quelques expressions que Van Gaal avait utilisées pour moi.

« Je ne veux pas que cela se transforme en dispute. Mais la Juventus s’intéresse à moi et j’espère que vous trouverez une solution. C’est une chance qui ne se présente qu’une fois dans une vie. »

Comme je le pensais, Koeman comprit. Lui-même a été professionnel.

« Mais je ne veux pas que tu nous quittes. Je veux que tu restes ici. Je me battrai pour ça.

— Tu sais ce qu’a dit Van Gaal ?

— Quoi ?

— Qu’il n’avait pas besoin de moi pour jouer le championnat, que vous vous en tireriez très bien quoi qu’il en soit. Il a besoin de moi pour la Ligue des Champions.

— Quoi ? Il a dit ça ? »

Koeman devint fou. Il en voulait à Van Gaal. Il sentait que cette phrase signifiait qu’il avait les mains liées et qu’elle limitait ses chances d’avoir gain de cause pour me garder. C’était exactement ce que je voulais et je suis entré sur la pelouse en pensant que, maintenant, c’était quitte ou double. Ce match était crucial pour moi. Les émissaires de la Juventus m’observeraient attentivement. Mais c’était dingue. J’avais l’impression que les Hollandais me crachaient à la figure. Ils se fichaient de moi et gueulaient et, quelque part, un peu plus haut dans les tribunes, se trouvait le golden boy Rafael Van der Vaart que tout le monde applaudissait. C’était tout simplement ridicule. J’étais le salaud. Il était la victime innocente. Mais tout ça allait changer.

Nous menions 3 à 0 face à Breda et il restait vingt minutes à jouer. À la place de Rafael Van der Vaart, nous avions lancé un jeune garçon du centre de formation de l’Ajax, Wesley Sneijder – ce môme était bon. C’était un joueur intelligent. Il marqua le but du 4 à 1. Il fit une percée et à peine cinq minutes après son but, je reçus une balle à quelque vingt mètres de la surface. J’avais un défenseur derrière moi, je lui filai un coup de coude et je forçai le passage, puis je dribblai un autre type. Ce n’était que le début, l’intro.

Je poursuivis avec une feinte de frappe et j’arrivai près de la zone de pénalty et je feintai encore. J’essayai de me mettre en position de tir mais de nouveaux défenseurs arrivaient sur moi. Ils me tournaient autour et peut-être aurais-je dû faire une passe mais je ne voyais pas comment. Au lieu de ça, j’accélérai tout droit et exécutai une série de dribbles en slalomant. Enfin, je contournai le gardien et je frappai du gauche pour envoyer la balle dans la cage vide. C’est immédiatement devenu un classique.

On le baptisa mon « but à la Maradona » parce qu’il évoquait celui qu’il marqua contre l’Angleterre lors du quart de finale de la Coupe du Monde en 1986. Il avait dribblé toute l’équipe et tout le stade avait exulté. Tout le monde est devenu dingue. Même Koeman bondissait comme un possédé, sans plus se préoccuper de savoir si j’avais envie de rester ou pas. C’était comme si toute la haine qui s’abattait sur moi s’était transformée en amour et en triomphe.

Tout le monde chantait et criait, tout le monde était debout, en train de sauter, tous, sauf un. Les caméras balayèrent les tribunes qui grondaient pour s’arrêter sur Rafael Van der Vaart. Il était impassible. Il ne laissait apparaître aucune expression, il ne bougeait pas d’un cil et alors que son équipe venait de marquer un but, il restait assis là, comme si mon exploit était à peu près la pire chose qu’il lui soit jamais arrivée et peut-être était-ce le cas. Parce que, ne l’oubliez pas, au début du match, on me huait.

Maintenant, ils ne scandaient qu’un nom et c’était le mien. Personne n’en avait plus rien à faire de Van der Vaart et le but passerait en boucle à la télévision durant toute la soirée et les jours suivants. Il serait élu « but de l’année » par les téléspectateurs d’Eurosport. Mais j’étais accaparé par autre chose. Le temps passait. Il ne restait plus que quelques jours avant la date limite des transferts et Moggi faisait tout un tas d’histoires, ou feignait d’en faire, c’est toujours difficile à dire. Tout d’un coup, il annonça que je ne pouvais pas jouer avec David Trézéguet, qui était alors le meilleur buteur de la Juventus.

« Qu’est-ce que c’est que cette connerie ? s’écria Mino.

— Ils ont deux styles qui ne vont pas ensemble. Ça ne marchera pas. »

Ça ne sentait pas bon. Pas du tout.

Quand Moggi avait un truc dans le crâne, il n’était pas facile de le faire changer d’avis. Mais Mino vit une ouverture. Il se rendit compte que Capello, le manager, ne partageait pas ce point de vue. Capello me voulait depuis un moment mais bien sûr, Moggi restait le patron. Reste que Fabio Capello n’était pas non plus du genre à être pris à la légère. Ce type peut remettre à sa place n’importe quelle star d’un clignement de paupière, c’est un vrai dur. Mino les invita donc tous les deux à dîner et il enfonça le clou sans attendre.

« Est-ce vrai que Trézéguet et Zlatan ne pourraient pas travailler ensemble ?

— Qu’est-ce que c’est que cette absurdité ? Qu’est-ce que cela a à voir avec notre dîner ?

— Moggi prétend que leur style de jeu ne pouvait pas s’accorder, c’est bien ça, Luciano ? »

Moggi opina.

« Donc, ma question à Fabio est celle-ci : est-ce que c’est vrai ?

— Mais je me fous de savoir qui a raison ou pas et d’ailleurs tu devrais t’en fiche aussi. Ce qui se passe sur le terrain est mon problème. Donc, contente-toi de ramener Zlatan ici et je m’occuperai du reste. »

Que pouvait faire Moggi après la réponse de Capello ? Il ne pouvait pas dire à l’entraîneur ce qu’il devait faire sur le terrain. Il était forcé de laisser tomber et, bien sûr, Mino se délectait. Il avait obtenu ce qu’il voulait. Mais rien n’était signé et le gala annuel de la Fédération néerlandaise allait s’ouvrir à Amsterdam.

Nous y sommes allés avec Mino pour faire la fête à Maxwell qui recevait le prix du meilleur joueur du championnat et nous étions tous les deux heureux pour lui. Mais il n’y avait pas de quoi se réjouir. Mino était vraiment agité. Il faisait des allers et retours pour parlementer avec la direction de la Juventus et de l’Ajax, mais des questions de contrats de marques surgissaient tout le temps, à se demander si ces problèmes étaient réels ou si on les inventait pour tester les capacités de chacun à marchander. La situation paraissait bloquée et le lendemain soir le marché des transferts fermait ses portes. J’étais complètement hors de moi.

J’étais chez moi, à Diemen, en train de jouer sur ma Xbox (à Evolution, je crois, ou Call of Duty, deux jeux extraordinaires). Cela m’aidait un peu à oublier le reste. Mais Mino m’appelait toutes les minutes. Il était embêté. Mon sac était bouclé et la Juventus avait envoyé un jet privé qui m’attendait à l’aéroport. Ce qui signifiait que le club me voulait vraiment. Mais ils n’arrivaient pas à se mettre d’accord sur les droits. Il y avait une chose, puis une autre, et les dirigeants de l’Ajax n’avaient pas l’air de considérer l’offre comme sérieuse. Les Italiens n’avaient même pas envoyé d’avocat à Amsterdam et j’essayais moi-même de mettre la pression sur l’Ajax. Je dis à Van Gaal et ses sbires : « Ce que je vois, c’est que je ne joue plus du tout avec vous. C’est terminé ! »

Mais rien n’y faisait. Ça n’avançait pas, le temps passait et j’étais totalement absorbé par ma Xbox (vous devriez voir ça quand je suis dans cet état). Mes doigts s’excitent sur la manette. C’est comme une fièvre. Toutes mes frustrations passent dans le jeu. J’étais justement en train de m’agiter comme un malade pendant que Mino faisait le forcing pour clore le deal. Il s’arrachait les cheveux. Pourquoi Moggi n’avait pas daigné envoyer un avocat à Amsterdam ? Qu’est-ce que c’est que cette désinvolture ?

À l’évidence, cela pouvait faire partie du jeu. Difficile à dire. Rien ne paraissait garanti. C’est alors que Mino décida de tenter un coup. Il appela son propre avocat. « Prends un avion pour Amsterdam, lui dit-il, et prétends que c’est la Juventus qui t’envoie. » Et l’avocat arriva et endossa son petit rôle. Il y eut un petit mieux, les négociations reprirent. Mais ils n’arrivaient toujours pas à se mettre d’accord et Mino devenait dingue. Il me téléphona de nouveau.

« Merde ! Prends ton avocat et arrive à fond de train. Nous allons en finir maintenant. »

J’ai lâché la manette du jeu et je suis parti, je ne me souviens même pas d’avoir fermé la porte.

Je fonçai vers le stade où les dirigeants du club s’entretenaient avec l’avocat de Mino et je ne crois pas me tromper en disant que tout le monde s’est mis à stresser quand je suis entré dans la pièce. L’avocat, qui faisait les cent pas, ne dit qu’une seule chose :

« Il ne manque qu’un document, juste un. Et après tout sera en ordre.

— Nous n’avons plus le temps. Il faut que nous partions. Mino dit qu’on ne vous cherchera pas d’ennuis. »

À peine eus-je prononcé ces mots que nous partions vers l’aéroport pour monter dans le jet privé de la Juventus.

À ce stade, j’avais déjà appelé mon père : « Eh ! C’est urgent, je suis au beau milieu d’une négociation avec la Juventus. Est-ce que tu veux y assister ? »

Tu penses qu’il voulait, il était heureux ! Si tout cela aboutissait, mon rêve de gosse se réaliserait et il serait merveilleux que papa soit là. Lui et moi, après tout ce que nous avions traversé. Il était directement allé à l’aéroport de Copenhague prendre un vol pour Milan où un homme de Mino alla le chercher pour le conduire dans les bureaux du club. Ce bureau où toutes les transactions des transferts sont opérées.

Je le retrouvai quand je déboulai avec l’avocat. J’étais totalement stupéfait : c’est bien toi ? Il n’était plus le père que j’avais connu, rien à voir avec l’homme qui traînait à la maison dans sa salopette d’ouvrier, écoutant de la musique yougo dans ses écouteurs. J’avais devant moi un type qui portait élégamment le costume, un homme qui aurait pu passer pour n’importe quel gros bonnet italien, et j’étais fier tout autant que complètement abasourdi. Je ne l’avais jamais vu en costume auparavant.

« Papa.

— Zlatan. »

C’était vraiment bien. Il y avait des journalistes et des photographes qui se tenaient autour de nous. Le bruit avait circulé. En Italie, l’information était de taille. Mais rien n’était encore fait. Les aiguilles tournaient. On n’avait plus le temps de rigoler et Moggi continua à faire des histoires et à bluffer, ce qui malheureusement eut des conséquences. Le montant de mon transfert fut revu à la baisse. Des trente-cinq millions d’euros demandés par Mino, nous sommes passés à vingt-cinq puis à vingt et, pour finir, à seize. C’était toujours une belle somme. C’était le double de ce qu’avait payé l’Ajax à l’époque. Mais ça ne devait pas représenter énormément pour la Juventus qui avait vendu Zidane au Real Madrid pour quatre-vingt-six millions d’euros. Ils auraient pu payer sans problème. Les mecs de l’Ajax n’avaient pas à s’en faire, mais ils étaient nerveux ou du moins, ils affirmaient l’être. La Juventus n’avait même pas présenté de garantie bancaire. Certainement, il devait y avoir une explication à tout ça.

Malgré tous ses succès, la Juventus accusait une perte de vingt millions d’euros sur l’année précédente, ce qui n’a rien d’inhabituel dans les clubs, bien au contraire. Quelles que soient les rentrées, les coûts semblent toujours en augmentation. Non, cette histoire de ne pas avoir présenté de garantie bancaire, je me demande si ce n’était pas un autre coup, du bluff pour négocier encore. La Juventus était l’un des plus grands clubs au monde et se devait d’arriver avec de l’argent. Mais sans garantie bancaire, l’Ajax refusait de signer quoi que ce soit et le temps passait. Il n’y avait plus d’espoir et, malgré ça, Moggi était assis là, tirant sur son gros cigare tandis que les gens présents pensaient qu’il maîtrisait la situation, que cela allait s’arranger, genre, « je sais ce que je fais ». Mais Mino s’était éloigné avec ses écouteurs et gueula au téléphone aux dirigeants de l’Ajax :

« Si vous ne signez pas, vous n’aurez pas les seize millions. Vous n’aurez pas Zlatan. Vous n’aurez rien du tout. Vous comprenez ? Vraiment rien du tout ! Et vous pensez que la Juventus va essayer de ne pas vous payer ? La Juventus ! Mais vous êtes barjots. Mais bien sûr, faites comme vous voulez, allez, signez-moi ça. Allez-y ! »

Il parlait d’une façon très crue. Mino connaissait son affaire. Mais cela ne produisit rien, rien du tout, l’atmosphère commençait à être tendue et je suppose que Mino devait se défouler. Ou peut-être simplement en avait-il ras le bol. Il y avait dans le bureau tout un tas d’objets liés au football et Mino s’empara d’un ballon et commença à jongler. Il était complètement cinglé. À quoi jouait-il ? Je ne pigeais pas. La balle vola, rebondit, et tomba sur la tête de Moggi, sur ses épaules et tout le monde se demanda ce que cela signifiait. Comment jongler avec un ballon dans une telle situation ? Au beau milieu d’une négociation bloquée. Ce n’était vraiment pas le moment de s’amuser.

« Arrête ça ! Tu nous tapes sur le système, râla Moggi.

— Non, non, allez. C’est parti, essaie d’attraper la balle, viens Luciano, montre-nous tes talents. C’est un corner, Zlatan. Amène-toi. Frappe de la tête, espèce de mollusque. »

Et il continua ainsi et je me demande toujours ce que le greffier et les autres personnes dans la salle pensèrent. Mais une chose était sûre, Mino avait gagné un supporter en la personne de mon père. Mon père se marrait. Qu’est-ce que c’est que ce mariole ? Il est relax à ce point pour être capable de faire ce genre de plan face à un gros bonnet comme Moggi ? Mon père avait un peu le même style. Il chantait et dansait surtout là où ça ne se faisait pas. Il n’en faisait qu’à sa tête, peu importait et, depuis ce jour-là, mon père ne s’est plus contenté de collectionner les coupures de presse me concernant. Il colla également tout ce qu’il trouvait sur Mino. Mino est le meilleur psychologue qui soit pour mon père parce que ce dernier avait remarqué quelque chose : Mino n’était pas qu’un gentil dingue. Il était arrivé à ses fins. L’Ajax ne pouvait pas perdre sur deux tableaux, moi et l’argent, et la direction de l’Ajax signa au tout dernier moment. Il était 22 heures, alors que les portes du club auraient dû fermer à 19 heures. Mais nous avions gagné, et il me fallut un moment avant de l’intégrer. Moi ? Pro en Italie ? C’est fou.

Nous sommes ensuite partis à Turin et sur l’autoroute Mino appela l’Urbani, le restaurant attitré de la Juventus, pour leur demander de rester ouverts un peu plus tard. Il ne lui fut pas difficile de convaincre les employés. Nous avons été accueillis comme des rois peu avant minuit. Nous nous sommes installés pour manger et sommes revenus sur toute l’affaire et, franchement, j’étais particulièrement heureux que mon père soit là pour vivre tout ça.

« Zlatan, je suis fier de toi », me confia-t-il.

Je suis arrivé en même temps que Fabio Cannavaro à la Juventus et nous avons tenu une conférence de presse commune au Stadio delle Alpi à Turin. Cannavaro est un type qui blague et se marre tout le temps. Je me suis bien entendu avec lui dès le début. Il serait élu meilleur joueur du monde un peu plus tard et, dès le départ, il m’a vraiment filé un coup de main. Après la conférence de presse, avec mon père, nous sommes repartis à Amsterdam où nous avons dit au revoir à Mino avant de poursuivre vers Göteborg où je devais jouer un match international.

On était en pleine frénésie à ce moment-là et je ne suis jamais repassé à ma maison de Diemen. Je l’ai laissée en l’état et, pendant un bon moment, j’ai vécu à l’hôtel Meridien de la Via Nizza à Turin. J’ai habité là jusqu’à ce que j’emménage dans l’appartement de Filippo Inzaghi sur la Piazza Castello.

Il revint à Mino d’aller à Diemen pour ramasser mes vieilles affaires. Quand il pénétra à l’intérieur, il entendit des bruits à l’étage et il s’arrêta net. Un voleur ? Des voix provenaient clairement de là-haut et Mino monta discrètement, prêt à se battre.

Mais il n’y avait pas de voleur. Ma Xbox était toujours allumée et crachotait sans interruption depuis trois semaines, depuis que j’avais détalé pour prendre le jet privé de la Juventus en direction de Milan.

1- Chanteur suédois.