CHAPITRE VI
 
Installation au chalet

img17.png

ANNIE arriva en courant à la rencontre de Mick et de François.

« Je suis bien contente que vous soyez rentrés ! s’écria-t-elle. Il commence à faire noir et j’avais peur que vous ayez perdu votre chemin !

— Alors, Claude, demanda François en apercevant sa cousine derrière Annie, comment va Dago ?

Très bien, merci. Tenez, le voilà ! »

Dagobert se mit à aboyer et à bondir pour manifester sa joie. Les Cinq passèrent dans la grande salle à manger où pétillait un feu de bois. Les garçons se laissèrent tomber dans de confortables fauteuils et étendirent leurs jambes.

« Ouf ! dit Mick. C’est bon de se reposer un peu après une si longue marche… »

Lui et François racontèrent alors aux filles ce qu’ils avaient fait et vu depuis le matin, ils leur décrivirent le chalet et, enfin, leur firent part de leur idée d’aller s’y installer si Mme Gouras y consentait.

« Oh ! Oui ! s’écria Annie, pleine d’enthousiasme. Tous les cinq, là-haut, ce serait vraiment merveilleux ! »

Les garçons jetèrent un regard inquiet du côté de Claude. Qu’allait-elle dire ? Persisterait-elle à vouloir rentrer chez elle après l’« affaire Dago » ? Mais le visage de Claude s’éclaira soudain d’un sourire. L’idée d’aller vivre au chalet la séduisait. Et puis, là-bas, le cher Dag n’aurait plus rien à craindre des chiens de la ferme.

« Oui, déclara-t-elle à son tour, j’aimerais bien passer quelques jours dans ce chalet. Mme Gouras nous a dit que Joanès prévoyait de nouvelles chutes de neige. Nous pourrons faire du ski et de la luge.

— Je me demande si on nous permettra de nous installer tout seuls là-haut, murmura Mick d’un air inquiet.

— Et pourquoi pas ? dit son frère. Mme Gouras sait que nous sommes raisonnables. Que pourrait-il nous arriver ?

— Je voudrais bien qu’elle nous donne la permission, soupira Claude. Dagobert est resté enfermé toute la journée. Il ne comprend pas que je refuse de le laisser sortir. Si ça continue, il deviendra enragé, c’est sûr !

— Eh bien, il se rattrapera au chalet », affirma Mick.

Après être montés pour se laver les mains et se rafraîchir le visage, les garçons allèrent rejoindre les filles autour de la table du dîner. Mme Gouras se mit à servir les enfants tout en demandant à Mick et à François des nouvelles de leur promenade. C’était le moment de lui parler du grand projet des Cinq… François se lança hardiment à l’attaque.

« Aller habiter au chalet en cette saison ! se récria aussitôt la fermière. Vous n’y pensez pas. Il n’y a personne là-haut pour vous surveiller, personne pour vous faire la cuisine…

— Oh ! Quant à cela, ne vous tracassez pas, dit François. Nous avons l’habitude de nous débrouiller seuls. Nous avons souvent campé en montagne, et… c’est le seul moyen qui empêchera Claude de rentrer chez elle, acheva-t-il, sachant que c’était là le meilleur argument pour convaincre Mme Gouras.

— Heu… Votre mère m’a bien dit que vous étiez raisonnables, murmura la fermière, qui faiblissait déjà. Et il y a là-haut assez de provisions pour que vous ne mouriez certes pas de faim. Le pays est sûr. Vous ne risqueriez absolument rien. Si vous me promettiez d’être très prudents avec les poêles et le fourneau de la cuisine…

— Vous pouvez nous faire confiance ! s’écria Annie avec pétulance.

— Et je suis certaine que ma toux ne résistera pas au grand air ! renchérit Claude, qui venait d’avoir une mauvaise quinte.

— D’ailleurs, si la moindre chose n’allait pas, nous redescendrions tout de suite, affirma François. Le parcours est rapide dans ce sens.

— Tout de même, quelle idée bizarre de vouloir vous installer au chalet en cette saison ! dit Mme Gouras. Enfin, avant de rien décider, je vais en discuter avec Joanès… »

Tandis qu’elle débarrassait la-table, François lui parla de Miette et lui demanda qui elle était.

« Oh ! répondit Mme Gouras, c’est la fille du berger. Une véritable petite vagabonde qui fait toujours l’école buissonnière et passe son temps à courir dans la montagne avec son chien et son biquet. Elle adopte un nouveau chevreau chaque année. Il la suit partout.

— Nous l’avons entendue chanter. Elle a une jolie voix.

— Oui, mais c’est une sauvageonne. On ne peut rien faire d’elle. Si on la gronde elle disparaît parfois plusieurs jours de suite et personne ne sait où elle se cache. »

La fermière s’en fut et, en attendant son retour, les enfants restèrent silencieux. Quand elle reparut, ils l’interrogèrent du regard. Elle s’empressa de répondre à leur muette question :

« Tout va bien, dit-elle. J’ai parlé à mon fils. Il ne voit pas d’inconvénient à ce que vous vous installiez au chalet. Lui non plus n’a pas envie de voir ses chiens se battre avec le vôtre.

— Oh ! Quel bonheur ! s’écria Annie toute contente.

— Joanès affirme que la neige va bientôt tomber en grande quantité, continua la fermière, et que vous pourrez tout à votre aise faire de la luge et du ski. Il vous aidera lui-même à monter là-haut vos bagages ! »

La bonne nouvelle déchaîna une explosion de joie chez les enfants. Claude était rayonnante. Au moment où, pour son chien, elle allait renoncer à d’agréables vacances, voilà que la situation changeait du tout au tout. Non seulement elle resterait avec ses cousins et s’amuserait avec eux durant deux semaines, mais le cher Dago, lui aussi, bénéficierait d’un agréable séjour : il adorait la neige et pourrait s’y rouler tout à son gré.

« Merci, madame ! dit François. Si vous le permettez nous nous mettrons en route demain matin, sitôt après le petit déjeuner !

— C’est entendu. Et maintenant, allez vite vous coucher. Vous avez besoin d’une bonne nuit de repos ! »

Les enfants ne se le firent pas répéter et montèrent dans leurs chambres. Les garçons, rompus de fatigue, s’endormirent tout de suite, mais Claude et Annie bavardèrent un moment encore.

« Je n’aurais jamais pensé que les choses puissent s’arranger si bien, confia Claude à sa cousine. J’étais désolée de rentrer à la maison, mais j’y étais obligée, à cause de Dago.

— Eh bien, maintenant, tu n’as plus de souci à te faire, répondit Annie. Demain nous serons tous au chalet, libres comme l’air et à l’abri de Roc, Black et Dick… »

Le lendemain matin, au réveil, les enfants constatèrent que les prévisions de Joanès s’étaient réalisées. La terre était couverte d’un épais manteau blanc. La neige était tombée pendant toute la nuit et étincelait au pâle soleil de janvier.

« Quelle chance ! s’écria Mick en regardant par la fenêtre. Vite, François, dépêchons-nous de faire nos bagages ! Je voudrais déjà être au chalet… »

Les quatre enfants firent honneur au copieux petit déjeuner que leur avait préparé la fermière. Celle-ci leur prodigua les recommandations :

« Surtout, mes petits, faites bien attention à ne pas renverser les poêles à pétrole…

— Nous vous le promettons, répondit François qui ajouta en souriant : Nous ne sommes plus des bébés, vous savez !

— Heureusement que vous avez l’habitude de camper ! soupira encore Mme Gouras. Ah ! J’oubliais de vous dire… à défaut d’eau courante, vous trouverez une fontaine dehors, près de la porte. Elle est alimentée par une source. »

Quand les enfants eurent fini de manger, ils réunirent leurs bagages. Outre de chauds vêtements de jour et de nuit, ils emportaient des lampes électriques, des cordes solides pour tirer leurs luges, et aussi six miches de pain cuites à la ferme, un énorme fromage, trois douzaines d’œufs et un jambon. Au dernier moment, Mme Gouras leur donna encore du beurre et un pot de crème fraîche.

« Quand le berger descendra, je vous ferai porter du lait, promit-elle. Il est obligé de passer devant le chalet en remontant. En attendant, vous trouverez du lait en boîte là-haut. »

Joanès arriva à cet instant, tirant derrière lui son traîneau sur lequel il se mit à empiler bagages et provisions. À son habitude, il était silencieux et, quand il eut fini, se contenta de s’atteler au traîneau en marmonnant : « En route !

— Attendez, je vais vous aider ! proposa François qui tenta de saisir une des courroies.

— Peuh ! fit simplement Joanès d’un air dédaigneux.

— Laissez-le faire ! dit Mme Gouras. Il est aussi fort qu’un cheval, mon Joanès !

— Fort comme dix chevaux, oui ! » sourit François, qui admirait beaucoup l’athlétique fermier.

Claude, elle, ne soufflait mot. Elle ne pardonnait pas à Joanès d’avoir manifesté une telle indifférence quand Dagobert avait été mordu par ses chiens. Elle suivit les autres, portant ses skis sur l’épaule, et se retournant de temps à autre pour faire de la main un signe d’adieu à Mme Gouras qui, sur le seuil de la ferme, regardait s’éloigner la petite procession.

Joanès marchait le premier, tirant son traîneau avec aisance. Les garçons suivaient, remorquant leurs luges également chargées. Les filles ne portaient que leurs skis. Dago, fou de joie, courait de l’un à l’autre.

Chemin faisant, François tenta d’engager la conversation avec Joanès. Mais celui-ci, taciturne, ne répondait que par monosyllabes. Le jeune garçon l’observa avec curiosité : le fermier semblait intelligent et n’avait pas l’air méchant. Mais quelles manières rudes ! Un ours mal léché, voilà ce qu’il était !

On arriva enfin en vue du chalet. Les filles poussèrent des exclamations ravies.

« Quelle jolie maison de bois ! s’écria Claude. J’ai hâte de la visiter ! »

Joanès introduisit la clef dans la serrure et ouvrit les volets. Puis il aida à décharger les luges. Quand ce fut fini, François le remercia.

« Vous avez été très aimable de nous accompagner, dit-il poliment, et nous vous en sommes très reconnaissants. »

Joanès ne répondit que par un grognement mais parut satisfait. Et soudain, comme il se disposait à partir, il se retourna vers les enfants :

« Le berger passera vous voir de temps en temps, dit-il de sa voix profonde et sonore. Vous pourrez lui confier des messages si vous voulez ! »

C’était la première fois que les Cinq l’entendaient prononcer tant de mots à la suite. Ils le regardèrent partir : Joanès faisait des enjambées dignes d’un géant de contes de fées.

« Quel être bizarre ! s’exclama Annie. Je n’arrive pas à savoir s’il est sympathique ou non !

— Peu importe ! décréta Mick. Venez, les filles ! Aidez-nous à tout ranger ! »

Tandis que les garçons déballaient les affaires, Claude et Annie les mettaient en place.

« Et à présent, occupons-nous de faire les lits ! » dit François en se dirigeant vers deux chambres contiguës.

Claude et Annie en choisirent une. Mick et François prirent l’autre. Les couchettes superposées plurent beaucoup aux filles. Bien entendu, Claude préféra la plus haut perchée.

« On se croirait à bord d’un bateau, dit-elle en riant. C’est amusant au possible !

— Maintenant, pensons au repas, décida François quand les chambres furent prêtes.

— Déjà ! répliqua Claude en riant Notre petit déjeuner n’est pas si loin !

— Oui, mais il vaut mieux tout préparer à l’avance dans la cuisine. Comme ça, quand nous rentrerons après nous être amusés dehors, nous trouverons le couvert mis et nous gagnerons du temps.

— Les poêles à pétrole marchent bien et il y a des bidons de réserve dans la petite remise extérieure, indiqua Mick qui se rappelait les instructions de la fermière. Nous ne manquerons pas de combustible.

— Là, tout est prêt, annonça Annie au bout d’un moment. Nous pouvons sortir. »

Dagobert, devinant qu’il s’agissait de promenade, courut en aboyant vers la porte, Claude le suivait, rayonnante. Enfin, son cher Dago allait pouvoir prendre de l’exercice sans avoir rien à redouter des féroces chiens de Joanès !

« Profites-en bien, Dago ! conseilla Mick en riant. La neige n’est pas encore trop épaisse. Mais je me demande ce que tu feras quand tu en auras jusqu’au ventre !

— Au fait, croyez-vous que Dag ne pourrait pas monter sur une luge avec nous ? demanda Annie.

— Et pourquoi pas ? répondit Claude. Ça te plairait, je parie, Dag ?

— Allons, vous autres, vous êtes prêts ? Alors, en route ! » s’écria François.

Et le Club des Cinq au grand complet, se précipita dehors.

img18.png