CHAPITRE I
 
Agréables conséquences
d’une grippe désagréable

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« Pour un noël gâché, c’est un Noël gâché ! soupira Mick d’un air navré.

— Je crois bien ! répliqua François, Quelle malchance ! Juste cette année où Claude vient passer ses vacances d’hiver avec nous, il a fallu que nous prenions froid et que cette vilaine grippe nous oblige à garder la chambre !

— Dire que nous avons dû rester au lit le jour de Noël ! déplora Claude. Et à la diète, encore !

— Dagobert est le seul d’entre nous à n’avoir pas été malade, fit remarquer Annie en caressant le chien de Claude.

— Ouah ! » répondit Dagobert.

Le « Club des Cinq », constitué par François, Mick, Annie Gauthier, leur cousine Claudine Dorsel — plus couramment appelée Claude — et le chien Dagobert, se sentait en vérité très déprimé.

La maladie avait retenu les enfants à la maison dès le début des vacances. Le chien, privé de ses sorties habituelles, s’était trouvé aussi puni qu’eux. Au bout d’une semaine qui leur avait paru interminable, les Cinq se sentaient devenir enragés.

« Enfin, reprit François au bout d’un moment, nous voici tout de même sur pied.

— Ma tête est encore faible, constata Mick.

— Et mes jambes ont du mal à me porter ! renchérît Claude.

— Et les miennes donc ! » ajouta Annie.

De temps à autre, un accès de toux coupait la parole aux jeunes malades. Annie regarda par la fenêtre.

« Il neige, annonça-t-elle, Comme nous nous amuserions bien dehors !… Ah ! Voici la voiture du docteur Duroc ! Je parie qu’il va nous trouver assez bien portants pour retourner en classe dans huit jours. »

Quelques instants plus tard la porte s’ouvrait pour livrer passage au médecin, escorté de Mme Gauthier.

« Alors, docteur, demanda la jeune femme, comment trouvez-vous mes quatre diables aujourd’hui ? »

Le médecin examina les enfants à tour de rôle puis il hocha la tête.

« Ils vont tous beaucoup mieux, c’est certain, déclara-t-il, mais ils ne sont pas encore guéris. Votre nièce, en particulier, est loin d’être rétablie. D’ailleurs tous quatre doivent se débarrasser de cette toux persistante avant de songer à rentrer en classe. J’estime que quinze jours de convalescence au grand air ne seront pas de trop… »

Il s’interrompit pour regarder, à travers la vitre, la neige qui tombait à gros flocons.

« Je me demande, reprit-il d’un air pensif, si un petit dépaysement ne serait pas souhaitable… »

Mick, pressentant une bonne aubaine, ne le laissa pas achever.

« Oh ! Oui, docteur ! s’écria-t-il. Envoyez-nous en Suisse ! Nous pourrons faire du ski. Ce sera épatant ! »

Il s’y voyait déjà. Le docteur Duroc se mit à rire.

« Hé là ! Doucement, mon garçon ! Pas si vite. Non, je ne pensais pas à la Suisse. C’est trop loin, et nous pouvons trouver aussi bien, plus près, en France même. Mais il vous faudrait la montagne, c’est sûr. Du bon air qui vous revigorerait, un climat pas trop froid, de la neige aussi, tout comme en Suisse, qui vous permettrait de faire du ski et de la luge.

— Oh ! dit François dont les yeux se mirent à briller. Ce serait merveilleux !

— Je pense bien ! s’exclama Claude. Surtout après cette semaine de Noël gâchée.

— Nous méritons bien une compensation », déclara à son tour Annie.

François se tourna vers sa mère.

« Qu’en penses-tu, maman ? demanda-t-il d’un air anxieux. C’est à toi de décider ! »

Mme Gauthier eut un faible sourire. Elle était exténuée d’avoir passé toute une grande semaine à soigner son petit monde. Le docteur, qui s’en rendait bien compte, ne lui laissa pas le temps de répondre.

« Vous aussi, chère madame, dit-il, vous avez besoin d’un peu de repos. Si les enfants pouvaient séjourner seuls en montagne, sous la garde d’une personne sûre, cela vous permettrait de reprendre des forces dans le calme.

— Ma foi, répondit Mme Gauthier, je ne dis pas non. Si les enfants ont besoin de quinze jours au grand air pour guérir de leur grippe, ils les auront. Et tandis qu’ils s’amuseront de leur côté, je ne serai pas fâchée d’avoir un peu de répit.

— Ouah ! » coupa Dago en regardant le docteur.

Claude se chargea de traduire :

« Il vous demande s’il ne lui faudrait pas du grand air à lui aussi, expliqua-t-elle. Il voudrait savoir s’il peut nous accompagner.

— Voyons, Dago ! dit gravement le docteur Duroc. Tire ta langue que j’y jette un coup d’œil ! Et donne-moi la patte, que je tâte ton pouls ! » 

Comme s’il comprenait, le chien tendit la patte. Tout le monde se mit à rire. Cela n’alla pas d’ailleurs sans un nouvel accès de toux de la part des enfants. Ils toussaient sans pouvoir arriver à s’arrêter. Le médecin hocha la tête.

« Oui, il est nécessaire que vous partiez au plus tôt, déclara-t-il. Je passerai vous voir à votre retour. D’ici là, bonne chance, et amusez-vous bien ! » 

Les enfants remercièrent le docteur de ses bons soins et promirent de lui envoyer une carte postale. Dès qu’il fut parti, les questions fusèrent de toutes parts :

« Quand partons-nous, maman ?

— Et ou irons-nous ?

— Ah ! répondit Mme Gauthier, voilà bien ce qui me tracasse ! Où vous envoyer ? Et à qui vous confier ? Je n’en ai aucune idée ! »

Mick regarda par la fenêtre d’un air d’envie.

« Regardez cette neige qui tombe ! Si seulement tu pouvais dénicher un endroit haut perché, maman, où nous pourrions faire du ski et de la luge, comme nous l’a recommandé le docteur… Sapristi ! Je me sens mieux rien qu’en y pensant. Et je voudrais bien que la neige tienne tout au long de ces quinze jours !

— Je crois que la meilleure chose à faire est de téléphoner à une agence, déclara Mme Gauthier. Elle nous indiquera sûrement une bonne station de montagne. En cette saison, il y a de la place dans les pensions de famille… »

Hélas ! contrairement à ses prévisions, Mme Gauthier ne reçut que des réponses décevantes.

Ou bien tout était plein en raison des sports d’hiver ou bien, en d’autres endroits moins cotés, pensions de famille et modestes chalets se trouvaient fermés jusqu’à l’été

Et soudain, au moment où chacun commençait à désespérer, le problème se trouva résolu de la manière la plus simple du monde… grâce au père Blandin, le jardinier.

Deux fois par semaine, ce brave homme venait prodiguer ses soins au jardin des Gauthier. Ce jour-là, il n’avait rien d’autre à faire que de déblayer l’allée de la neige qui l’encombrait, Jusqu’à la grille. En arrivant, il aperçut les enfants le nez collé aux vitres. Il s’approcha de la fenêtre tout en leur souriant.

« Alors ? leur cria-t-il. Gomment vous sentez-vous aujourd’hui ? Je vous apporte des pommes. Peut-être trouverez-vous un peu d’appétit pour les manger !

— Oh ! Oui, oui ! répondit François en criant lui aussi pour se faire entendre. (Il n’osait pas ouvrir la fenêtre à cause du froid.) Merci beaucoup ! Entrez vite ! »

Le père Blandin eut tôt fait de rejoindre les enfants. Il portait un plein panier de pommes tardives, jaunes et fermes, qui mirent l’eau à la bouche des jeunes gourmands.

« Comment allez-vous aujourd’hui ? demanda de nouveau le jardinier. Je vous trouve bien pâles, et amaigris aussi ! C’est le bon air de mes Alpes natales qu’il vous faudrait, mes petits ! »

Il leur souriait avec bonté tout en passant le panier de fruits à la ronde. Les enfants se servirent avec enthousiasme.

« L’air des Alpes ! L’air de la montagne ! s’écria François en s’apprêtant à mordre à pleines dents dans une pomme énorme. C’est justement ce que le docteur nous a ordonné ! Au fait, vous ne connaîtriez pas un endroit où nous pourrions aller en convalescence, par hasard ? »

La question n’eut pas l’air de prendre le père Blandin au dépourvu. Au contraire, son sourire s’élargit et il répondit tout de suite :

« Mais si ! Là où habite ma cousine ! Elle loue des chambres pendant l’été… C’est dans le Vercors, au flanc de la montagne, pas très loin d’un lac. Ma cousine s’appelle Mme Gouras. Et elle est bonne cuisinière, je vous en réponds… Tout de même, je me demande si elle prend des pensionnaires l’hiver. C’est qu’elle a à s’occuper de sa petite ferme. Et puis, avec la neige, elle ne voit guère de visiteurs en cette saison. Mais vous pourriez toujours lui demander… L’endroit où elle habite est si agréable ! Vous y seriez bien tranquilles et vous y respireriez du bon air !

— Juste ce qu’il nous faudrait ! s’écria Annie, enchantée. Vous entendez, vous autres ! Appelons vite maman ! »

Mme Gauthier se trouvait dans la pièce voisine. En entendant les enfants l’appeler, elle accourut toute tremblante, craignant que l’un d’eux ne se fût blessé. Elle n’avait pas vu arriver le père Blandin et fut très étonnée de le voir là, entouré de François, Mick, Annie et Claude qui semblaient fort agités. Tous se mirent à parler à la fois. Chacun essayait de crier plus haut que les autres pour se faire entendre.

Mme Gauthier finit par se boucher les oreilles. Les explications des enfants, ponctuées de quintes de toux, demeuraient inintelligibles. Le vacarme fut porté à son comble lorsque Dagobert, estimant qu’il avait voix au chapitre, se mit à aboyer de toutes ses forces.

Le père Blandin, un peu ennuyé et intimidé, se tenait debout au milieu de la pièce, tournant gauchement son chapeau entre ses doigts. Il se sentait en partie responsable de ce qui arrivait.

« Voulez-vous bien vous taire ! finit par s’écrier Mme Gauthier d’une voix ferme. A-t-on idée de vociférer de la sorte ! Cela vous fait tousser ! Allez vite prendre une grande cuillerée de votre potion, les enfants. Pendant ce temps je m’expliquerai avec M. Blandin. Non, non… pas un mot de plus, Mick ! Montez dans vos chambres tout de suite… C’est compris ? »

Les enfants obéirent sans murmurer, laissant Mme Gauthier avec le jardinier.

« Au diable ce rhume ! s’écria Mick en se versant une dose de sirop. Je voudrais bien que maman retienne l’idée du père Blandin ! Si nous n’allons pas à la montagne et que je n’arrive pas à me débarrasser de cette maudite toux, je crois que je deviendrai enragé pour tout de bon !

— Je parie que nous irons en pension chez cette Mme Gouras ! dit François. C’est-à-dire… si elle veut bien de nous. Si son cousin l’a recommandée, ce doit être une personne de confiance. Du coup, notre problème serait résolu !

— C’est presque trop beau pour être vrai ! soupira Claude. J’ai peur que ça ne « colle » pas ! »

Mais Claude se trompait. Cela « colla » au contraire très bien, à la grande joie des enfants…

Il se trouva que Mme Gauthier avait eu l’occasion de rencontrer la cousine du père Blandin au cours d’un séjour effectué par Mme Gouras, quelques mois plus tôt, dans la famille du jardinier. Cette Mme Gouras avait fait très bonne impression à la mère des enfants. On sentait, d’instinct, qu’on pouvait lui faire confiance.

Aussi, lorsque François, Mick, Annie et Claude descendirent de leur chambre, ce fut pour apprendre une excellente nouvelle : Mme Gauthier était en train de téléphoner à Mme Gouras pour s’entendre avec elle…

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