CHAPITRE XVIII
 
Au cœur du mystère

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FRANÇOIS, Mick et Annie avaient rejoint Claude et tous quatre progressaient à présent le long du « sentier » rocheux, en bordure de la rivière. Par bonheur, les lampes électriques des enfants étaient munies de batteries neuves et ils y voyaient bien. Mais la marche devenait malaisée aux endroits où le chemin se rétrécissait.

« Pourvu que je ne glisse pas ! songeait Annie. Mes souliers de ski sont tellement lourds ! Quel vacarme fait cette rivière ! C’est une chance, au fond : elle assourdit le bruit de nos pas. C’est à peine si on s’entend, même en parlant très fort. »

Le bruit de l’eau était en effet amplifié par l’écho de la voûte… En tête de ses cousins, Claude avançait, très ennuyée de constater que Dago ne répondait pas à ses appels. Elle n’osait crier à tue-tête et se rendait compte que sa voix ne portait pas assez loin pour être entendue par le chien.

Soudain, la rivière s’élargit à un point tel qu’elle formait comme un vaste lac souterrain. Seulement, les eaux de ce lac n’étaient pas immobiles et, un peu plus loin, la rivière reprenait son cours avec une violence accrue pour s’engouffrer dans un nouveau tunnel.

Entre les deux tunnels, l’endroit où s’étalait le lac souterrain était une vaste grotte, sans doute creusée par les eaux au cours des siècles. À peine Claude y fut-elle entrée qu’elle poussa une exclamation : deux radeaux, très grands et d’aspect solide, étaient amarrés côte à côte sur le bord du lac. Et, sur la banquette rocheuse qui constituait la rive, se trouvaient entassés ce qui semblait être des fûts métalliques, tout prêts, aurait-on dit, à être embarqués sur les radeaux.

Dans un coin de la grotte étaient empilées des boîtes de conserve, les unes pleines, les autres vides, et des caisses de bouteilles de bière. Claude songea que toutes ces provisions avaient dû être apportées par ces fameux camions mystérieux que l’on avait vus entrer au Vieux Château la nuit. Ils ne servaient pas à déménager les biens de Mme Thomas, mais à ravitailler les hommes qui recherchaient sous terre le métal précieux dont elle avait parlé.

Mais, pour l’instant, Claude avait bien autre chose en tête. Elle voulait à tout prix retrouver Dagobert. La grotte était éclairée par des ampoules électriques, alimentées sans doute par une batterie. Claude et ses compagnons respirèrent en constatant que l’endroit était désert. La fillette risqua un nouvel appel :

« Dag ! Où es-tu ? »

Presque tout de suite, à sa grande joie, Dagobert sortit de derrière une caisse et vint à elle en remuant la queue. Claude était si contente qu’elle tomba à genoux et pressa le chien contre elle.

« Vilain toutou ! dit-elle en le cajolant. Pourquoi n’es-tu pas revenu quand je t’ai appelé ? As-tu retrouvé les autres ? Où est Miette ? »

Un petit visage se montra au-dessus de la caisse : c’était Miette. Elle avait l’air effrayé et de grosses larmes coulaient sur ses joues. Elle sortît de sa cachette, tenant Mignon dans ses bras. Toto la suivait de près. Elle cria quelque chose en désignant le tunnel par où Claude, François, Mick et Annie venaient de déboucher.

« Oui, oui, dit Claude, devinant l’inquiétude de la petite fille. Ne te fais plus de souci. Nous repartons tout de suite. Aucun de nous n’a envie de traîner par ici ! »

François sourit à Miette et la petite fille courut se jeter dans ses bras, sans pour autant lâcher son chevreau. Elle était heureuse d’avoir retrouvé son refuge habituel. Tout en la réconfortant, François regardait autour de lui.

« Je comprends bien des choses, à présent ! dit-il tout haut. Ces gens-là ne sont pas des imbéciles. Ils extraient le minerai précieux quelque part, tout près d’ici. Puis ils en emplissent ces fûts métalliques, empilent ceux-ci sur les radeaux… et la rivière charrie le tout jusqu’au lac de la vallée. Là, je parie que les bandits possèdent des bateaux soigneusement camouflés qui leur servent à transporter de nuit la marchandise.

— Comme c’est ingénieux ! s’écria Mick. Et ils comptent sur le bruit qu’ils font pour effrayer les villageois et les tenir à l’écart.

— Voilà donc l’explication de tous ces phénomènes mystérieux qui nous ont tant intrigués ! soupira Annie.

— La maison la plus proche est la ferme des Joncs, fit remarquer Claude… Celle des Gouras. ! Si quelqu’un a dû s’apercevoir d’un fait anormal, c’est bien Joanès !

— Et s’il était innocent, il aurait déjà prévenu la police qu’il se passait quelque chose de louche ici ! renchérit Mick.

— C’est ce qui prouve qu’il est de mèche avec le neveu de Mme Thomas et les autres hommes ! » conclut François d’un air sombre.

Claude, cependant, tendait l’oreille.

« En ce moment, dit-elle, on n’entend rien du tout… Rien que le bruit de l’eau. Peut-être les hommes ne sont-ils pas au travail ?

— Je crois… » commença Mick. Et puis il s’interrompit, car Dag et Toto commençaient tous deux à gronder.

François entraîna aussitôt Miette et Claude derrière une énorme caisse. Mick et Annie les y suivirent. Tous écoutaient intensément. Qu’est-ce que les deux chiens avaient pu entendre ? Et si les cinq enfants tentaient de s’enfuir par le tunnel qu’ils avaient suivi pour venir, en auraient-ils le temps ?

Dagobert continuait à gronder. Le cœur des enfants se mit à battre plus vite : cette fois, ils percevaient un bruit de voix. Qui venait de leur côté ? Mick risqua un coup d’œil de derrière la caisse. Par chance, la cachette des enfants se trouvait dans un coin sombre et ils avaient des chances de n’être pas aperçus. Claude fit taire Dago,

Les voix semblaient venir du second tunnel : celui qui se continuait en direction du lac de la vallée. Soudain, Mick poussa une exclamation étouffée :

« François ! Regarde ! Je n’ai pas la berlue, non ? »

François regarda donc à son tour et faillit s’exclamer lui aussi… Deux hommes venaient de déboucher du tunnel… et l’un d’eux était Joanès !

« C’est bien Joanès ! murmura François. Mais qui est l’autre homme ?… Sapristi, c’est le berger ! Le père de Miette ! Il est donc, complice, lui aussi ? »

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Miette avait reconnu elle aussi Joanès et le berger. Cependant, elle ne fit pas mine de courir vers son père : elle avait bien trop peur de Joanès !

Les deux hommes se rapprochèrent de l’endroit où se cachaient les enfants et regardèrent autour d’eux, comme s’ils cherchaient quelqu’un. Puis ils se dirigèrent vers un couloir qui s’ouvrait dans un coin de la grotte et que les jeunes fugitifs n’avaient pas encore aperçu. Ce nouveau passage semblait s’enfoncer droit dans les entrailles de la terre. Juste comme Joanès et le berger s’y engageaient, un grondement sourd parut en sortir.

« Ecoutez ! chuchota Claude. Voilà le bruit que nous avons déjà entendu. »

Ses compagnons comprirent à peine ce qu’elle disait tant le grondement s’intensifiait. Puis le « tremblement de terre » commença. Tout se mit à vibrer alentour.

« J’ai l’impression d’être parcouru par un courant électrique, déclara Mick. Je me demande si cela n’a pas un rapport quelconque avec les propriétés de ce fameux métal radioactif dont Mme Thomas nous a parlé.

— Suivons Joanès et le fermier, proposa François exalté par l’aventure qu’ils étaient en train de vivre. Nous n’avons qu’à avancer en restant dans l’ombre. On ne nous verra pas !

— Toi, Miette, reste ici ! enjoignit Claude à la petite fille. Le bruit risquerait d’effrayer Toto et Mignon. »

Miette approuva de la tête. Elle se blottit derrière la caisse avec son biquet et le chien.

« Miette attendra », assura-t-elle.

Ainsi tranquillisés, François, Mick, Claude et Annie se précipitèrent sur les pas de Joanès et du berger qui avaient disparu dans le passage. Les enfants s’y engouffrèrent à leur tour. Une vague clarté l’éclairait, sans qu’on puisse en deviner la source.

« Ce doit être le reflet d’un feu de forge », dit François en criant presque pour arriver à se faire entendre. Encore sa voix ne parut-elle pas plus forte qu’un murmure.

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Toi, Miette, reste ici ! » enjoignit Claude à la petite fille.

Au bout d’un moment, le passage s’élargit, le bruit augmenta encore, et le rougeoiement qui éclairait les parois rocheuses et la voûte du couloir se fit plus vif. Et soudain, les enfants aperçurent l’extrémité du passage… où brillait une curieuse lumière, qui tremblotait d’étrange façon.

« Nous voici arrivés à la mine, là où les hommes travaillent pour extraire le minerai contenant le métal précieux, dit Mick tout tremblant d’excitation. Faisons bien attention, François. Il ne faut pas qu’on nous voie. »

Les enfants avancèrent encore de quelques pas en s’efforçant, de se dissimuler contre les parois du couloir, puis ils s’immobilisèrent et tendirent le cou.

Ils aperçurent alors une sorte de puits brillamment éclairé autour duquel un certain nombre d’hommes étaient massés. Ces hommes avaient l’air de creuser le sol à l’aide de machines, mais les enfants ne purent distinguer celles-ci avec netteté, car l’éblouissante clarté les aveuglait à moitié. Les mineurs étaient munis de masques de protection.

Tout à coup, le sourd grondement cessa et la lumière s’éteignit, comme si, à l’instant même, quelqu’un eût tourné un commutateur électrique. Puis, dans l’obscurité, un faisceau lumineux jaillit, puis un autre.

— Des projecteurs ! chuchota Claude. Et regardez ! Celui qui éclaire la voûte paraît la traverser !

— C’est que le faisceau de lumière passe à travers une fissure dans le roc, répondit Mick sur le même ton. Voilà l’explication d’un autre phénomène qui nous a intrigués : c’est ce faisceau que j’ai aperçu du chalet le premier soir. Dans la nuit, s’élevant des profondeurs de la terre jusqu’au ciel, il produit un curieux effet.

— Oui, approuva François. Et le brouillard coloré que nous avons vu flotter au-dessus du Vieux Château n’était sans doute que de la poussière s’envolant dans l’air sous l’effet des machines et passant, elle aussi, à travers des fissures de terrain.

— On croirait rêver, vous ne trouvez pas ? chuchota Annie, assez peu rassurée dans le fond.

— Oui, répondit Mick. Mais nous en avons assez vu comme ça ! Partons vite avant que ces hommes nous découvrent !

— Où sont passés Joanès et le berger ? demanda Claude. Ah ! Je les vois là-bas… dans ce coin. Grand Dieu ! Les voici qui font demi-tour et viennent de notre côté ! »

D’un même mouvement, les quatre enfants rebroussèrent chemin et se mirent en devoir de gravir la pente du couloir aussi vite qu’ils le purent. Ils se demandaient s’ils n’avaient pas été aperçus.

« J’entends quelqu’un qui nous suit ! haleta Mick. Dépêchons-nous ! Oh ! Comme je voudrais que ce bruit recommence ! On doit certainement nous entendre marcher ! »

En effet, quelqu’un se rapprochait d’eux. Et puis, de la mine, en bas, montèrent soudain des cris et des appels. Comme les enfants regrettaient à présent d’avoir suivi Joanès et le père de Miette ! Ils auraient bien mieux fait de reprendre le chemin des caves et de se mettre à l’abri !

Enfin, les jeunes fugitifs se retrouvèrent dans la grotte et, d’un seul élan, se jetèrent derrière une pile de caisses. Ils espéraient encore pouvoir fuir par où ils étaient venus. Auparavant, toutefois, il fallait récupérer Miette au passage. Où était-elle ? Il était difficile de la situer parmi toutes ces caisses.

« Miette ! appela doucement François. Miette ! »

De la caisse voisine, Mignon, le chevreau, bondit soudain. Sa petite maîtresse ne devait pas être loin.

« Trop tard ! murmura Annie d’une voix consternée. Regardez ! Voici Joanès ! »

Elle n’avait pas fini de parler que le jeune fermier débouchait à son tour du passage. Il s’apprêtait à traverser la grotte en courant quand il aperçut les enfants en tournant la tête. Il s’arrêta net, les yeux ronds de stupeur.

« Que faites-vous là ? s’écria-t-il presque aussitôt. Venez avec nous ! Vite ! Nous sommes tous en danger ! »

Le berger parut à son tour et Miette sortit de sa cachette pour courir à lui. Il la regarda comme s’il n’en croyait pas ses yeux puis, se ressaisissant, il la prit dans ses bras et dit quelque chose tout bas à Joanès.

Joanès se tourna vers François.

« Je vous avais pourtant défendu de vous mêler de cette histoire ! gronda-t-il. Je vous avais dit que je m’en chargeais à moi tout seul. Maintenant, nous allons être pris tous ensemble. Petit imbécile !… Vite… trouvons une cachette et faisons des vœux pour que ces bandits s’imaginent que nous avons fui par le tunnel. Si nous essayons de nous échapper en ce moment, ils auraient tôt fait de nous rattraper. Le temps presse, je vous dis. »

Avec une promptitude qui stupéfia les enfants il les poussa dans un coin d’ombre et empila devant eux cinq ou six caisses vides.

« Ne bougez pas de là ! ordonna-t-il. Nous allons faire ce que nous pourrons ! »

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