CHAPITRE XI
 
Les révélations de Miette

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CETTE FOIS-CI, Miette ne se montra pas farouche. Elle ne fit pas mine de se sauver quand François ouvrit la porte. Elle était vêtue aussi légèrement qu’à l’accoutumée, mais ses joues étaient rouges et elle ne donnait certes pas l’impression d’avoir froid.

« Bonjour, Miette ! s’écria François. Entre vite. Nous venons de déjeuner, mais il reste quelque chose pour toi ! »

Le chien Toto, alléché par l’odeur du rôti, fut le premier à se précipiter dans la salle à manger. À sa vue, Dagobert parut surpris et grogna, mais pas très fort.

« Tais-toi, Dag ! lui ordonna Claude. Toto est notre invité. N’oublie pas tes bonnes manières. »

Le petit chien remua la queue en signe d’amitié. 

« Tu vois, Dag, il te fait comprendre que tu ne risques rien de lui. N’aie pas peur ! » dit Annie.

Tout le monde se mit à rire et Dagobert, à son tour, agita son panache : les deux chiens sympathisaient.

Miette entra derrière Toto, serrant Mignon contre elle par crainte que Dago ne lui fît du mal. Mais Dag, bien au contraire, renifla le chevreau d’un air intéressé et, lorsque Miette se décida à déposer le biquet à terre, le chien se mit à gambader avec lui, en remuant la queue encore plus vite.

La table n’était pas encore débarrassée et Annie offrit de la viande à la petite sauvageonne. Mais Miette secoua la tête et désigna le fromage du doigt.

« Miette aime bien ça ! » déclara-t-elle.

Ses yeux se mirent à briller quand Annie lui tendit une portion généreuse. Elle s’assit pour manger. Mignon se précipita pour avoir sa part. On eût dit un jouet. Il portait bien son nom.

« Mignon, gentil ! » dit Miette en déposant un baiser sur le nez du chevreau.

Annie se rapprocha alors, mit sa main sur le bras de la petite fille et murmura d’une voix douce :

« Miette est bien gentille aussi ! »

Un brusque sourire illumina le visage de Miette. Elle était tout à fait certaine à présent de se trouver au milieu d’amis.

« Où as-tu couché, la nuit dernière, Miette ? demanda François. Ta maman te cherchait. »

Mais il avait parlé trop rapidement et Miette ne saisit pas le sens des mots. L’accent de François, si différent du sien, la déroutait Et puis, habituée à être seule tout le jour, elle n’était guère entraînée à la conversation. Claude se chargea de répéter la phrase en articulant avec lenteur.

Miette fit signe qu’elle avait compris, cette fois.

« J’ai couché dans le foin, répondit-elle. Dans la grange d’une ferme.

— Miette, écoute… Qui habite le Vieux Château ? s’enquit François en ayant soin de bien prononcer.

— Beaucoup de gens ! répondit Miette en cherchant ses mots. Des hommes grands, des hommes petits. Un gros chien aussi. Beaucoup plus gros que lui ! » ajouta-t-elle en désignant Dagobert.

Les autres échangèrent des regards surpris. Beaucoup d’hommes ? Que pouvaient-ils bien faire au Vieux Château ?

« Dire que ce soi-disant gardien a prétendu qu’il était seul là-bas ! soupira François.

— Miette, écoute encore ! enchaîna Claude As-tu vu une vieille dame au Château ? U-ne vieil-le da-me ? »

Miette fit oui de la tête.

« Oui, dît-elle. Une vieille dame. Je l’ai vue en haut, dans la tour… Les premières fois, elle ne m’a pas vue. Je me cachais.

— Et où te cachais-tu ? demanda Mick avec curiosité,

— Je ne veux pas le dire ! répondit la petite fille en considérant Mick à travers ses cils mi-clos, comme pour mieux défendre son secret.

— As-tu aperçu cette vieille dame tandis que tu étais dans les champs ? » insista François.

Miette fit signe que non.

« Où, alors ? Regarde ! Je te donnerai cette barre de chocolat si tu me le dis… »

Miette regarda le chocolat avec des yeux brillants de convoitise et, d’un mouvement rapide, essaya d’attraper la friandise. Mais François fut plus prompt qu’elle.

« Parle d’abord, dit-il. Après, tu auras ton chocolat. »

D’un geste brusque, Miette tendit les bras et tenta de pousser François pour le faire tomber. Le jeune garçon se mit à rire et prit les petites mains de l’enfant dans la sienne.

« Voyons, Miette. Je suis ton ami. On ne doit pas frapper un ami… »

Il fut interrompu par un cri de Mick.

« Ça y est ! Je devine où était la petite quand elle a aperçu Mme Thomas. Miette, tu étais dans le jardin !

— Comment… le savez-vous ? » bégaya Miette. Elle avait dégagé ses mains de l’étreinte de François et se dressait maintenant face à Mick, l’air à la fois furieux et effrayé.

« Allons, ne fais pas cette tête-là ! dit Mick, surpris de son attitude.

— Comment savez-vous que j’étais dans le jardin ? insista la petite fille. Vous ne l’avez dit à personne ?

— Bien sûr que non ! s’écria Mick qui venait tout juste d’en avoir l’idée. Ainsi, je ne me suis pas trompé. Mais comment as-tu réussi à entrer ?

— Je ne veux pas le dire », déclara la sauvageonne qui, tout aussitôt, fondit en larmes.

Annie passa un bras compatissant autour des minces épaules, mais Miette la repoussa.

« C’est Toto,… pas moi ! Il est entré le premier. Pauvre Toto ! J’ai entendu le gros chien aboyer. Oouah, ouah !… comme ça, et alors…

— Et alors tu t’es précipitée au secours de Toto, n’est-ce pas ? C’est très courageux de ta part, ma petite Miette ! » s’écria Mick.

Miette sécha ses larmes d’un revers de main. Les pleurs laissaient une trace livide sur son visage mal débarbouillé. Les compliments de Mick avaient dû lui aller droit au cœur, car cette fois elle lui sourit.

« Ainsi, chuchota François à l’oreille de son frère, elle a réussi à se faufiler dans le jardin du Vieux Château. Je me demande par où elle est passée. À travers la haie, peut-être ?… » Et tout haut, s’adressant à Miette : « Miette ! Nous voudrions bien voir la vieille dame. Pourrons-nous entrer dans le jardin en traversant la haie ?

— Non, répondît la petite en secouant la tête d’un geste énergique. Il y a une barrière là… Une grosse barrière très haute… et qui mord ! »

La pensée d’une barrière qui mordait fit rire tout le monde, mais Claude devina ce que voulait dire Miette.

« Ce doit être une clôture électrique ! s’écria-t-elle. Sapristi ! Ces gens-là ont transformé le Vieux Château en forteresse. Des portes barricadées, un chien féroce, et maintenant une clôture électrifiée !

— Je suis de plus en plus curieux de savoir comment Miette a réussi à pénétrer dans la place, bougonna Mick. Miette ! Il semble que tu aies vu cette vieille dame plusieurs fois. Et elle, a-t-elle fini par te voir ? »

Miette ne comprit pas très bien la question et il fallut la lui répéter, posée sous une forme plus simple.

« Oui, oui, dit-elle alors. Je l’ai vue plusieurs fois, là-haut,… et une fois elle m’a vue. Elle a jeté un papier… Un petit morceau de papier, par la fenêtre.

— Et ce papier, tu l’as ramassé ? interrogea François en sursautant. Y avait-il quelque chose dessus ? »

Chacun attendit avec anxiété la réponse de Miette. Elle hocha la tête.

« Oui, dit-elle. Des mots comme on en écrit à l’école, des, mots écrits avec une plume.

— Et tu les as lus ? » questionna Mick.

Le visage de Miette revêtit soudain une expression bizarre. Elle fit d’abord « non » de la tête, puis sitôt après « oui ».

« Oui, je les ai lus, affirma-t-elle. Il y avait écrit : « Bonjour, Miette. Comment vas-tu ? »

— La vieille dame te connaît donc ? s’étonna Annie.

— Non, elle ne me connaît pas… seulement ma maman, répondit l’enfant. Le papier disait encore : « Miette est bien gentille et très sage.

— Elle nous raconte des histoires, bougonna Mick, constatant que la petite fille ne les regardait pas en face en parlant. Je me demande bien pourquoi, par exemple !

— Je crois que je devine », dit Claude.

Elle prît un morceau de papier et écrivit dessus : Bonjour, Miette. » Puis elle le montra à l’enfant.

« Tiens, lis cela, Miette ! »

Mais Miette en fut bien incapable. Elle n’avait aucune idée de ce qui était écrit sur le papier.

« Elle ne sait pas lire, conclut Claude. Mais elle a honte de l’avouer. C’est pour cela qu’elle nous a menti. Ça ne fait rien, Miette. Ecoute-moi… As-tu gardé ce morceau de papier que la vieille dame t’a jeté ? »

Miette se mit à fouiller dans la poche de sa jupe et en tira une feuille qui semblait avoir été arrachée à un calepin. François, Mick, Claude et Annie se penchèrent pour déchiffrer ce qui était marqué dessus, d’une écriture menue et à peine lisible :

Venez à mon secours. Je suis retenue prisonnière ici, dans ma propre demeure, tandis qu’il se passe des choses terribles. On a enlevé mon neveu. J’ai besoin d’aide.

ÉLISE THOMAS.

« Sapristi ! s’exclama François, stupéfait. Quelle histoire extraordinaire ! Il me semble que nous devrions alerter la police, qu’en pensez-vous ?

— Ma foi… dans un pays aussi perdu que celui-ci, je suppose que la police doit se réduire à un unique garde-champêtre qui se partage entre trois ou quatre villages. D’ailleurs, rappelez-vous que Mme Thomas a la réputation d’avoir le cerveau un peu dérangé. Après tout, c’est possible. Et dans ce cas, ce qu’elle raconte n’est pas vrai.

— Mais comment savoir si c’est vrai ou pas ? s’inquiéta Claude.

Miette, dit Mick en se tournant vers la petite fille. Nous voulons voir la vieille dame. Nous voulons lui apporter quelque chose de bon à manger. Elle est toute seule, la pauvre, elle est triste. Veux-tu nous indiquer comment entrer dans le jardin ?

— Non, répondit Miette d’une voix ferme. Il y a le gros chien… qui montre les dents comme ça ! »

Elle montra ses dents minuscules et s’efforça de gronder comme un chien, à la grande surprise de Dagobert. Les autres se mirent à rire.

« Nous ne pouvons l’obliger à parler, dit finalement François. Et d’ailleurs elle a raison : dans le jardin, il y a ce chien féroce que je ne me soucie pas d’affronter.

— Miette peut vous faire entrer dans la maison, dit soudain la petite fille, d’une manière tout à fait inattendue.

— Dans la maison ? répéta Mick, ébahi. Mais il faudra bien passer par le jardin pour atteindre la maison, Miette ?

— Non, dit Miette en secouant la tête. Miette connaît un chemin… Elle vous montrera… »

Juste à cet instant, Dago se mit à aboyer. Une ombre passa devant la fenêtre, puis quelqu’un frappa à la porte. C’était la maman de Miette qui montait faire une commission à son mari, le berger. À travers la vitre, elle avait aperçu sa fille, et sa colère de la veille l’avait reprise.

Debout sur le seuil, elle se mit à l’interpeller et à la gronder très fort. Miette, l’air effrayé, courut vers un placard pour s’y cacher. Son chien et son biquet sautaient sur ses talons.

Mais la ruse de Miette ne lui servit pas à grand-chose. Sa mère s’élança à ses trousses et la rattrapa en deux secondes. Elle se mit à la secouer rudement.

Dagobert, qui n’aimait pas la violence, commença à gronder. Toto, au contraire, semblait aussi effrayé que sa petite maîtresse. Quant au chevreau, il bêlait de lamentable manière dans les bras de l’enfant.

« Je ramène Miette à la maison ! s’écria la mère en colère tout en foudroyant François, Mick, Claude et Annie du regard comme s’ils étaient responsables de l’escapade de sa fille. Elle mérite une fameuse correction ! »

Elle sortit dans un tourbillon, traînant derrière elle Miette qui tentait en vain de résister. Les enfants ne pouvaient s’interposer. Après tout, cette femme était la maman de la petite fille et Miette méritait peut-être d’être punie pour ses éternels vagabondages.

Au bout d’un moment, François se secoua.

« Dites donc, je crois que nous ferions bien de descendre jusqu’à la ferme des Gouras pour mettre Joanès au courant de ce qui se passe ! proposa-t-il.

— Joanès ! s’écrièrent les autres tous en chœur.

— Hé ! Oui, Joanès. C’est le seul homme énergique que nous connaissons ici. Si cette histoire du Vieux Château doit être prise au sérieux… c’est-à-dire si cette vieille dame est réellement prisonnière là-bas… nous ne pouvons rien faire par nous-mêmes. Tandis que Joanès, lui, sera en mesure d’agir. Pour commencer, il doit savoir qui représente la police dans le pays. Et puis, enfin… c’est une grande personne ! Allons, venez ! Descendons ! Nous pourrons coucher à la ferme cette nuit, au besoin. Bouclons tout ici et partons ! »

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