CHAPITRE XV
 
Le « gros, gros trou »

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LE LENDEMAIN MATIN, tout le monde se réveilla de bonne heure. Les enfants avaient bien dormi et se sentaient pleins d’entrain à la pensée de l’aventure possible qui les attendait. Ils débordaient d’enthousiasme en songeant qu’ils allaient pénétrer dans la vieille maison et,sans doute, découvrir ses secrets. Miette se mit à suivre François à la manière d’un petit chien. Elle trottait sur ses talons à travers la salle commune où Annie se dépêchait de mettre le couvert du déjeuner matinal. Elle insista pour s’asseoir auprès de lui quand il prit place à table. François la laissait faire, prêt à céder à tous ses caprices, du moment qu’elle consentait à leur montrer le chemin conduisant au Vieux Château.

« Nous ferions bien de nous mettre en route le plus tôt possible, fit remarquer Mick en regardant par la fenêtre. La neige tombe en abondance. Il ne faudrait pas que nous nous perdions.

— C’est vrai, ça ! approuva François en fronçant le sourcil. Si Miette nous entraîne dans des endroits que nous ne connaissons pas et si la neige brouille le paysage autour de nous, nous aurons du mal à nous repérer.

— Vous avez fini de manger, oui ? demanda Annie. Alors, je vais débarrasser en vitesse et nous partirons tout de suite… Au fait, emporterons-nous des provisions avec nous ?

— Oui, répondit François. Nous prendrons des sandwiches. Ce sera plus prudent. Car Dieu sait quand nous pourrons revenir ici. Claude, veux-tu aider Annie à les préparer, s’il te plaît ? Et ajoutez-y du chocolat et des pommes.

— N’oublions pas nos lampes électriques ! » conseilla Mick.

Miette présida gravement à la confection des sandwiches, mendiant au passage de menus morceaux de jambon qu’elle donnait à son petit chien. Le chevreau gambadait à travers la cuisine où il semblait être comme chez lui.

Une fois les sandwiches préparés, Annie et Claude fourrèrent les provisions dans deux sacs. Puis on mit le chalet en ordre et les enfants enfilèrent de chauds anoraks par-dessus leurs chandails. Miette refusa tout vêtement supplémentaire, en dépit de l’insistance des autres,

« Je crois que le mieux sera de descendre notre colline en luge, proposa François en regardant l’épaisse couche de neige au-dehors. La vitesse nous fera remonter presque jusqu’à mi-pente du côté du Vieux Château. Cela nous prendrait trop de temps d’y aller à pied. Quant à nous servir de skis… impossible puisque Miette n’en a pas !

— C’est ça ! approuva Claude. Je vote pour les luges ! Mais qu’allons-nous faire du chevreau ? Le laisser ici ? Et devons-nous prendre Toto avec nous ? »

Miette ne laissa à personne le soin de répondre. Elle refusa net de se séparer d’aucun de ses animaux. Elle les réunit tous deux dans ses bras, d’un air de bravade, et les enfants furent bien obligés de les lui laisser.

Enfin, on se mit en route. La neige tombait toujours et l’on distinguait à peine le paysage alentour, tout brouillé par les flocons tourbillonnants. François se demanda avec anxiété s’ils pourraient dévaler la colline et remonter l’autre sans s’écarter de la bonne direction. Enfin, du moment qu’ils étaient tous décidés à tenter l’aventure…

Les luges étaient passablement chargées. François et Mick avaient pris place sur la première. Miette et son biquet se trouvaient serrés entre eux. La seconde luge était occupée par Claude et Annie, avec Dagobert et Toto entre elles. Claude s’était installée à l’avant et Annie, de ce fait, était obligée de maintenir les deux chiens tout en veillant à conserver elle-même son équilibre.

« Nous n’allons pas tarder à culbuter, tu vas voir ça, dit-elle à Claude. Nous aurions bien dû attendre un peu que cette tempête de neige se calme. On n’y voit rien !

— Elle nous protège, au contraire ! lui cria Mick. Comme ça, l’ennemi ne nous verra pas manœuvrer. Attention, la pente s’accentue ! »

Jusque-là les deux luges n’avaient avancé que grâce aux coups de talons donnés par les enfants sur le sol. Mais maintenant, elles commençaient à filer toutes seules. Celle des garçons fut la première à prendre de la vitesse. François et Mick aspirèrent avec délice le vent de la course. Miette se cramponna à François, mi-effrayée, mi-ravie. Quant au chevreau, comprimé entre François et sa petite maîtresse, il ouvrait des yeux stupéfaits et ne songeait même pas à se débattre.

Fffttt !… La luge fila d’un trait jusqu’au bas de la pente et, emportée par son élan, commença à remonter celle qui lui faisait vis-à-vis. Puis elle ralentit progressivement et finit par s’arrêter, rejointe deux secondes plus tard par la luge de Claude. Claude sauta à terre et tira le léger traîneau derrière elle, pressée qu’elle était de retrouver ses cousins.

« Alors, demanda-t-elle à François. Que faisons-nous maintenant ? Quelle descente épatante ! Vous ne trouvez pas ?

— Je pense bien ! répondit François. Dommage que ce soit déjà terminé. Tu as aimé ça, Miette ?

— Non, avoua Miette, non. Ça m’a gelé le nez. Il est tout froid. »

La petite tille essayait de se réchauffer le bout du nez en se le frottant et François la força à accepter sa propre écharpe. Claude ne put se retenir de faire remarquer :

« C’est drôle de l’entendre se plaindre d’avoir froid au nez alors qu’elle court toujours à peine vêtue, vous ne trouvez pas ?

— Miette, dit François qui ne perdait pas de vue leurs projets. Nous ne sommes pas très loin du Vieux Château. Sais-tu où se trouve le gros trou dont tu nous as parlé ? »

Les flocons tombaient plus drus que jamais, et il était difficile de voir au-delà de quelques mètres. Miette resta un moment debout, ses pieds s’enfonçant dans la neige. Elle regardait autour d’elle et François songea qu’elle ne savait sans doute pas quel chemin prendre, au milieu de cette espèce de désert blanc. Lui-même se demandait comment il ferait pour revenir au chalet.

Mais Miette était une vraie fille de la montagne. Elle possédait à un degré rare le sens de l’orientation et avait appris à se déplacer dans l’obscurité aussi bien que dans une tempête de neige. À la grande stupéfaction des enfants, elle répondit affirmativement à la question posée.

« Oui, dit-elle. Je sais. Toto sait, lui aussi. »

Elle se mit en marche mais, au bout de quelques pas, n’avança plus qu’avec difficulté. Elle enfonçait dans la neige molle et ses vieux souliers ne la protégeaient pas.

« Elle va se geler les pieds, murmura Mick. Installons-la sur une des luges, François, et tirons-la… Dis donc, tu ne trouves pas cette expédition insensée ? Espérons que Miette sait où elle nous mène. Je n’ai plus la moindre idée de l’endroit où peuvent se trouver l’est et l’ouest, le nord et le sud !

— Attends ! J’ai une boussole dans une de mes poches, dit François en cherchant sous son anorak.

Tiens, la voici !… Le sud est de ce côté. C’est la direction du Vieux Château. Le chalet, lui, se trouve au nord par rapport à nous.

— Voyons si Miette ne va pas se tromper », chuchota Mick.

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Il prit la petite fille dans ses bras et l’assit sur la luge. Puis il l’entortilla dans l’écharpe de François et lui demanda :

« Et maintenant, Miette, quel chemin faut-il suivre ? »

Sans hésiter, Miette pointa son doigt vers le sud. Les quatre autres se regardèrent, impressionnés.

« C’est en effet la bonne direction, déclara François, Vas-y, Mick ! Tire la luge des filles. Je me charge de celle de Miette ! »

Claude et Annie abandonnèrent volontiers la charge de leur luge à Mick et emboîtèrent le pas à François qui marchait devant en remorquant Miette. Celle-ci tenait toujours le chevreau, et Toto l’avait rejointe. Quant à Dagobert, il trônait sur la luge de Claude et trouvait la promenade très agréable. Il aurait eu horreur de patauger dans la neige. C’était tellement plus commode de se faire traîner !

« Gros paresseux ! » lui dit Claude.

Mais Dago se contenta de remuer la queue d’un air satisfait. Il n’avait pas la moindre honte. Au bout d’un moment, Miette s’écria « Par là ! Par là ! » en tendant le doigt vers la droite.

« Elle veut que nous allions vers l’ouest maintenant, dit François en s’arrêtant. Je me demande si elle ne se trompe pas. Si nous l’écoutons, nous aborderons le Vieux Château de flanc, et…

— Par là ! Par là ! » répéta Miette avec assurance tandis que Toto jappait comme pour affirmer qu’elle avait raison.

« Faisons ce qu’elle veut, conseilla Mick. Nous verrons bien ! Elle a l’air sûre d’elle ! »

La petite troupe tourna donc à droite, pas tout à fait cependant, suivant les conseils de Miette. On continua à monter au flanc de la colline, mais obliquement. Au bout d’un moment, François commença à souffler.

« Est-ce encore loin ? » demanda-t-il à Miette qui caressait son chevreau sans cesser de regarder autour d’elle.

La petite fille fit « non » de la tête, et François se remit en marche. Au bout d’une minute environ, Miette lui cria de s’arrêter et sauta à bas de la luge. Elle parut étudier le terrain, ce qui semblait chose impossible vu l’épaisseur de la neige, et poussa soudain un cri de triomphe.

« Ici, dit-elle en désignant le sol. Le gros, gros trou est ici !

— Je veux bien te croire, Miette, répondit François, mais j’aimerais en être sûr. »

Miette se mit à déblayer la neige avec ses mains. Dag et Toto, fort obligeamment, sautèrent à côté d’elle pour l’aider. Sans doute pensaient-ils qu’elle voulait dégager un terrier de lapin.

« J’ai bien peur que la pauvre petite ne se fasse des illusions, chuchota Mick aux trois autres. Comment peut-elle deviner qu’il y a un « gros, gros trou » juste à cet endroit ? »

Cependant, Dagobert et Miette avaient fait du bon travail. Ils avaient percé la couche de neige et étaient arrivés aux touffes de bruyère qui couvraient la colline en temps normal. On distinguait très bien les tiges raides qui pointaient au fond du trou creusé par Miette et les chiens.

« Attention ! cria soudain la petite fille. Il faut tenir Dago ! Sinon Dago va tomber profond, profond, comme Toto !

— Sapristi ! murmura Claude. Après tout, on dirait bien qu’elle a trouvé quelque chose.

— Oui, dit François, et si elle a peur que Dago, qui est gros, tombe dans le trou, c’est sans doute qu’il s’agit d’un de ces vieux puits de mine abandonnés comme on en trouve parfois en montagne.

Je ne vois pas d’autre explication. Nous en avons trouvé nous-mêmes un jour dans l’île de Kernach, vous le rappelez-vous ?

— Oh ! oui ! s’écria Claude. Et c’était également dans la bruyère. Ce trou-là conduisait dans une caverne. C’est sans doute cela que Miette appelle un « gros, gros trou ». Un ancien puits de mine ! Dago, je t’en prie, ôte-toi de là !

— Voilà le trou ! annonça soudain Miette tandis que les autres l’entouraient et se penchaient pour voir.

— Ma foi, tu as raison ! s’écria Mick. Tu as bel et bien trouvé le trou. Seulement… es-tu bien certaine qu’il communique avec l’intérieur du Vieux Château ? »

Miette ne répondit pas. Elle resta sur place, à considérer le trou qu’elle avait dégagé. Elle avait ôté les deux planches de bois disposées en croix qui le condamnaient de façon sommaire, et que camouflaient la bruyère et la neige.

« Miette, déclara François, tu es une vraie magicienne. Dire que tu es venue tout droit ici, que tu as creusé, et que tu as découvert ce trou que personne ne pouvait soupçonner sous une pareille épaisseur de neige ! J’appelle cela un vrai miracle. Tu as autant de flair que Dag et Toto réunis. Brave petite Miette, va ! »

Un lumineux sourire éclaira le visage de Miette. Elle glissa sa main dans celle du garçon.

« On descend ? demanda-t-elle. Je vais vous montrer le chemin !

— Eh bien… Ma foi, oui, nous allons descendre si cela est possible », décida François après une légère hésitation.

Il jugeait la tentative assez téméraire, car on ne distinguait rien.

Mignon, le chevreau, s’impatienta soudain. Il était las d’attendre et avait envie de se dégourdir les pattes. D’un bond léger, il s’avança au bord du trou. Puis il réunit ses quatre minuscules sabots et, hop ! Il disparut dedans comme un diable dans sa boîte.

« Il a sauté dans le puits ! s’écria Claude, stupéfaite. Ça, par exemple !… Oh ! non… attends un peu, Miette… Tu ne vas pas sauter aussi… Tu vas te faire mal ! »

Mais Miette ne l’écoutait pas. Avant qu’aucun des enfants ait eu le temps de la retenir, elle s’était laissée glisser dans le trou et disparut à son tour à leurs yeux.

Peu après, sa voix claire leur parvint du fond du puits :

« Je suis là ! Venez me rejoindre ! »