CHAPITRE XIII
Qu’y a-t-il, Dago ?
FRANÇOIS, Mick, Claude et Annie entamèrent leur dîner de bon appétit. Mais, tout en mangeant, ils discutèrent de la situation. Que convenait-il de faire maintenant ? Claude avait beau affirmer que les Cinq résoudraient le problème et délivreraient la vieille Mme Thomas, il n’en restait pas moins qu’aucun des quatre enfants ne savait par où commencer… Et tout d’abord, comment pénétrer dans le Château ? Il fallait compter avec le chien féroce.
« Si seulement Miette nous aidait ! soupira François à la fin. Elle est notre seul espoir. Nous pourrions bien aller chercher les gendarmes, mais il faudrait nous rendre tout à l’autre bout de la vallée où se trouve un village assez gros pour posséder une gendarmerie. D’ailleurs, qui prouve qu’on nous croirait ?
— Ce qui m’étonne, réfléchit Mick tout haut, c’est que les gens de par ici n’aient jamais rien fait de leur côté ! Je veux dire… à propos de ces vibrations, du sol que nous avons senties la nuit dernière, de ces bruits, et de cette brume lumineuse qui s’élève du Vieux Château dans le ciel…
— Oh ! répondit Annie avec bon sens, c’est sans doute que tous ces phénomènes sont plus nettement perceptibles ici, sur la montagne, que dans la vallée en contrebas.
— Tu as raison, approuva François, J’aurais dû y penser moi-même. Ici, sur la hauteur, nous sommes bien placés pour observer et entendre. Sans doute aussi le berger, qui est encore plus haut perché que nous, s’est-il aperçu de quelque chose. Et je pense que les Gouras, quoique habitant plus bas, sont au courant de leur côté…
Je n’en veux d’ailleurs pour preuve que l’attitude de Joanès ce soir. Il n’a pas du tout paru étonné de ce que nous lui racontions.
— Ainsi, tu crois qu’il marche main dans la main avec les hommes qui se cachent au Vieux Château ? demanda Annie.
— Des hommes grands et des hommes petits, comme nous a expliqué Miette, rappela Mick. Sapristi ! Quel dommage que notre sauvageonne ne soit pas là pour nous faire entrer dans la maison ! Je me demande comment elle s’y prendrait. Avec cette barrière électrique tout autour, cela semble impossible !
— La barrière qui mord ! cita Claude en riant J’imagine la tête de cette pauvre Miette le jour où, pour la première fois, elle a mis la main sur la clôture. Pauvre chou ! Elle a dû recevoir une fameuse décharge !
— J’espère que sa mère ne l’aura pas battue trop fort ! » soupira Annie. Elle se leva pour aller prendre les fruits du dessert sur le buffet. « C’est curieux, ajouta-t-elle en se rasseyant, mais, où que nous soyons, il semble que nous allions au-devant d’ennuis !
— Non, non, protesta Mick. Ne parle pas d’ennuis ! Dis plutôt « d’aventures » ! C’est à croire que nous les cherchons, ou plutôt qu’elles nous cherchent. Oh ! Ce n’est pas pour me déplaire. Je trouve que ça met du piment dans la vie… »
Dago se mit soudain à aboyer et les enfants sursautèrent malgré eux. Qu’arrivait-il encore ?
« Ouvrons la porte à Dago, proposa Mick. Avec toutes les choses mystérieuses qui se passent ici, il vaut mieux qu’il explore le terrain autour du chalet et empêche les gens suspects d’approcher
— D’accord ! » approuva Claude en se levant. Elle avait déjà la main sur le loquet quand elle entendit aboyer dehors, juste devant la porte. Elle repoussa le verrou d’un geste vif.
« Je ne veux pas que Dago sorte ! Ce doit être Joanès et ses chiens. Il me semble reconnaître leur voix.
— Tu as raison, dit Annie en écoutant des pas qui approchaient. Quelqu’un vient… et c’est Joanès ! »
C’était lui, en effet. Il passa devant la fenêtre et les enfants le virent courber la tête ainsi que son large dos pour mieux affronter le vent tandis qu’il continuait à gravir la colline. Le fermier ignora les hôtes du chalet. Il ne jeta même pas un coup d’œil par la fenêtre. En revanche, Black, Dick et Roc, les trois chiens qui l’accompagnaient, aboyèrent furieusement en flairant Dagobert à l’intérieur. Dag leur répondit sur le même ton.
Puis le vacarme s’apaisa. Joanès avait disparu, et ses chiens avec lui.
« Ouf ! Je suis bien content que tu n’aies pas lâché Dag comme je te le conseillais, Claude ! s’écria Mick. Ces brutes l’auraient mis en pièces.
— Où Joanès peut-il bien aller ? demanda Annie, intriguée. C’est bizarre qu’il suive ce sentier-ci plutôt que celui qui mène au Vieux Château !
— Je suppose qu’il va parler au berger », dit François. Et le jeune garçon ajouta, comme frappé d’une pensée soudaine : « Dites donc, et si le berger, lui aussi, faisait partie du complot ?
— Oh ! Non ! se récria Annie, Cet homme est bon et honnête. Ça se voit rien qu’à le regarder. Je suis sûre qu’il n’est mêlé en rien à cette histoire. »
Les trois autres s’en persuadèrent volontiers. Au fond, le berger leur était sympathique. Mais si le père de Miette n’était pour rien dans l’affaire du Vieux Château, pourquoi donc Joanès montait-il le retrouver à une pareille heure de la soirée ?
« Peut-être tient-il à le prévenir que nous sommes du genre fouineur, suggéra François sans grande conviction. Peut-être veut-il lui demander de nous tenir à l’œil afin d’être renseigné sur nos faits et gestes…
— À moins qu’il veuille se plaindre de Miette et l’empêcher de remettre les pieds dans le jardin du Vieux Château ! s’écria Mick. Sapristi ! J’espère que nous n’avons pas attiré des ennuis à cette pauvre petite en nous confiant à Joanès et en lui donnant le morceau de papier qu’elle a trouvé ! »
À cette pensée, les quatre enfants échangèrent des regards consternés. Enfin, Annie soupira.
« Mais oui, Mick. Tu as sans doute deviné juste ! Joanès va veiller à ce que Miette soit sévèrement punie afin qu’elle se tienne tranquille désormais. Et tout ça par notre faute ! Oh ! Pourquoi avons-nous fait des confidences à cet affreux Joanès ? Pauvre Miette ! »
Tous se sentaient coupables de ce qui pourrait arriver à la fille du berger. Ils s’étaient pris d’une véritable affection pour elle. C’était une créature si attachante, avec son petit chien et son chevreau. Dire qu’elle avait peut-être à souffrir à cause d’eux !
Ce soir-là, aucun des enfants n’avait envie de jouer aux cartes. Ils préférèrent s’asseoir et bavarder, en se demandant s’ils entendraient Joanès repasser. Ils comptaient sur Dag pour leur signaler son approche.
Il était environ huit heures et demie quand Dagobert se mit à aboyer. Tous sautèrent sur leurs pieds.
« Voilà Joanès qui revient ! » murmura François.
Les quatre se précipitèrent le nez au carreau pour tenter d’apercevoir la silhouette du fermier, mais ils ne virent rien. Ils n’entendirent pas davantage aboyer Dick, Black et Roc. Claude constata alors que Dagobert était assis sur son derrière. Ses oreilles étaient dressées et il penchait la tête de côté. Que signifiait son attitude ? Et s’il avait vraiment entendu quelque chose, pourquoi ne donnait-il plus de la voix ? Claude était intriguée.
« Regardez Dago, dît-elle. Il a flairé quelque chose, c’est certain, et cependant il n’aboie pas. Il n’a pas l’air effrayé non plus. Voyons, qu’y a-t-il, Dago ? »
Il était environ huit heures et
demie quand
Dagobert se mit à aboyer.
Mais Dago ne semblait pas l’entendre. Il restait assis, à écouter on ne savait quoi, la tête toujours penchée de côté. Les enfants, eux, avaient beau tendre l’oreille, ils ne percevaient que… le silence !
Et puis, tout à coup, Dagobert fit un bond et se mit à aboyer d’un air joyeux, il courut à la porte, gémit, et en gratta le bas avec sa patte. Puis il se retourna pour regarder Claude et aboya de nouveau, comme pour dire « Vite ! Ouvre cette porte ! »
« Eh bien ! s’exclama Mick, surpris. Que se passe-t-il, mon vieux Dag ? Est-ce un copain à toi qui vient te voir ?… Dis-moi, François, si nous ouvrions la porte ?
— Je vais jeter un coup d’œil dehors », décida François en tirant le verrou sans faire de bruit.
Dagobert franchit le seuil d’un bond, aboyant et gémissant tour à tour. François scruta les ténèbres alentour.
« Je ne vois personne, dit-il enfin. Je me demande pourquoi Dago a fait toute cette comédie. Passe-moi la lampe électrique, s’il te plaît, Mick. Je vais essayer de voir de quoi il retourne… »
Le jeune garçon, guidé par les aboiements du chien, alla le retrouver sous la remise. Dago était bien là, grattant de la patte le grand coffre de bois où l’on mettait en réserve les bidons de pétrole. François ne comprenait plus.
« Mais enfin, qu’est-ce qui te prend, mon vieux ? Il n’y a rien d’intéressant dans ce coffre.
Tiens, je vais soulever le couvercle et tu constateras toi-même… »
François joignit le geste à la parole et éclaira l’intérieur du coffre. Ce qu’il vit alors faillit lui faire lâcher sa lampe électrique. Quelqu’un était caché dans le grand coffre : quelqu’un de tout petit et d’à moitié gelé : Miette en personne !
« Miette ! murmura François qui avait peine à en croire ses yeux. Que fais-tu là ? »
Miette avait l’air très effrayé. Elle tenait son chien et son biquet serrés contre elle et ne pipa mot. François constata qu’elle tremblait et que de grosses larmes coulaient sur ses joues.
« Pauvre petite Miette ! murmura-t-il, apitoyé Viens vite au chalet te réchauffer. »
Mais la petite fille secoua la tête et serra un peu plus fort ses animaux contre elle. Toutefois, François n’avait pas l’intention de la laisser là, parmi les bidons de pétrole, alors que la nuit s’annonçait glaciale. Il la souleva dans ses bras, chien et biquet compris. Miette tenta bien de se débattre, mais elle n’avait pas plus de force qu’un poulet et François ne la lâcha pas.
La voix impatiente de Claude lui parvint du chalet :
« François’ Dago ! Où êtes-vous ? Avez-vous trouvé quelque chose ?
— Pour ça, oui ! lui cria François. Nous avons même trouvé quelqu’un… et nous vous le ramenons ! Une vraie surprise ! »
Il transporta l’enfant frissonnante dans le chalet. Les autres poussèrent des cris de stupéfaction.
« C’est Miette ! La pauvre, comme elle est pâle et tremblante ! s’écria Annie. Et Toto et Mignon n’ont pas l’air d’avoir très chaud non plus ! »
François fit mine de déposer son fardeau à terre, mais, cette fois-ci, loin de vouloir lui échapper, Miette s’accrocha à son cou. La petite fille sentait d’instinct que le garçon était bon, doux et fort. Elle appréciait le refuge de ses bras. François s’assit donc sur une chaise, en tenant toujours la petite sauvageonne. Le chien et le chevreau sautèrent sur le sol et se mirent à gambader d’un air heureux.
« Je les ai trouvés tous trois dans le coffre à pétrole, expliqua François. Je suppose que Miette avait choisi cet endroit autant pour se cacher que pour se mettre à l’abri du froid. Peut-être a-t-elle couché là d’autres fois. Pauvre moucheron ! Je la plains. Donnons-lui quelque chose à manger.
— Je vais lui préparer un bon chocolat, bien chaud et bien crémeux, déclara Annie. Claude, veux-tu sortir le pain et le fromage, s’il te plaît ? Il faudra penser aussi à donner le reste de la pâtée de Dag au chien. Quant au chevreau… Qu’est-ce que je peux lui donner ?
— Fais-lui boire du lait, suggéra Mick. J’espère qu’il pourra le laper tout seul. Nous n’avons pas de biberon ! »
Cependant, dans les bras de François qui la berçait comme un bébé, Miette commençait à se réchauffer. Elle était trop lasse pour beaucoup penser. Sa peur même était engourdie; François avait le cœur serré en la regardant. Pauvre petite gamine ! Qu’est-ce qui avait bien pu la pousser à entreprendre cette longue marche dans l’obscurité ?
« Savez-vous ce que je crois ? dit finalement François en suivant des yeux Dag et Toto qui jouaient ensemble à travers la pièce. Miette a été obligée de suivre sa mère jusque chez elle. Là, sa mère a dû lui donner une correction, puis l’enfermer quelque part. Ensuite, je suppose que Joanès est arrivé pour voir si elle était rentrée, pour la gronder, et pour ordonner à sa mère de ne plus la laisser vagabonder. Enfin, Joanès… »
Au même instant, Miette sursauta d’un air à nouveau effrayé.
« Joanès ! répéta-t-elle en regardant autour d’elle comme si elle avait peur d’y découvrir le fermier. Joanès ! Non, non !…
— Calme-toi, ma petite Miette ! dit François. Nous te protégerons. Joanès ne t’attrapera pas, sois tranquille. »
Puis, se tournant vers les autres :
« Vous voyez ! J’avais deviné juste. C’est bien lui qui lui a fait peur. Dès qu’il a été parti, je suppose que la petite s’est échappée de la maison et a grimpé jusqu’ici pour s’y cacher. Quel vilain bonhomme, ce Joanès ! S’il a crié après elle comme il a crié après nous, je comprends qu’il l’ait effrayée à ce point. Je crois qu’il redoute de voir Miette nous donner de nouvelles indications au sujet du Vieux Château. C’est pour ça qu’il s’est dépêché de la faire enfermer par sa mère. Heureusement que la petite est futée : elle s’est sauvée.
— Oui, il doit craindre qu’elle ne nous fasse entrer dans la grande maison ! » approuva Claude.
Au même instant, Dago se mit à aboyer, d’une manière qui n’avait rien de joyeux cette fois. Annie chuchota, prise de panique : « C’est Joanès qui revient. Vite, cachons Miette ! »