CHAPITRE XVII
 
En pleine aventure

img47.png

LA CLEF joua dans la serrure… et la porte s’ouvrit. Les enfants aperçurent alors une vieille dame à l’air distingué, assise dans un fauteuil, près de la fenêtre. Elle tenait un livre à la main. Au bruit, elle ne tourna même pas la tête.

« Pour quelle raison venez-vous me voir de si bon matin, Marcel ? demanda-t-elle. Ce n’est pas votre heure habituelle. Et qu’est-ce qui vous a pris de frapper à la porte ? Vous rappelleriez-vous soudain les bonnes manières que l’on vous a apprises lorsque vous étiez petit ?

— Ce… ce n’est pas Marcel ! bégaya François, un peu intimidé. C’est nous… heu !… Nous sommes venus pour vous délivrer ! »

Cette fois-ci la vieille dame se retourna vivement et demeura bouche bée de stupéfaction. Puis elle se leva et se dirigea vers les enfants, d’une démarche chancelante. Elle s’appuyait sur une canne.

« Qui êtes-vous ? s’écria-t-elle. Laissez-moi partir avant que mon geôlier arrive ! Vite, vite ! »

Elle écarta les enfants et le chien d’un geste de la main et passa dans le couloir Là, elle parut vaciller sur place.

« Que vais-je faire ? Où vais-je aller ? Ces hommes sont-ils encore ici ? »

Elle fit demi-tour, comme si elle s’était ravisée soudain et, presque en titubant, regagna son fauteuil où elle se laissa tomber. Puis elle enfouit son visage dans ses mains.

« Je me sens faible, haleta-t-elle. Donnez-moi à boire. »

Annie courut à la table où se trouvait une carafe et emplit un verre d’eau. La vieille dame prit le verre d’une main tremblante et but d’un trait.

Ses yeux égarés se portèrent sur Annie. « Qui êtes-vous ? répéta-t-elle. Que signifie tout cela ? Où est Marcel ? Oh ! Il me semble que je perds la tête !

— Calmez-vous, conseilla François d’une voix douce. Vous êtes Mme Thomas, n’est-ce pas ? La petite Miette, la fille du berger, nous a conduits ici. Elle savait que vous étiez prisonnière. Sa maman a travaillé pour vous autrefois, vous vous en souvenez… ?

— La maman de Miette… Marguerite… oui, oui… je me la rappelle fort bien. Mais qu’est-ce que Miette vient faire dans tout cela ? Je ne vous crois pas. Il s’agit d’un piège. Où sont les hommes qui ont enlevé mon neveu ? »

Les enfants se regardèrent. Il leur semblait que la pauvre femme avait le cerveau dérangé… à moins que l’apparition soudaine de la petite troupe ne l’ait bouleversée outre mesure. Soudain, la malheureuse parut recouvrer en partie son sang-froid et son débit se précipita…

« Oui, oui, dit-elle, au début, ces hommes se disaient les amis de Nicolas, mon neveu. C’est lui qui les a amenés ici. Ils voulaient m’acheter le Vieux Château, disaient-ils. Mais j’ai refusé de le leur vendre. C’est ma maison de famille, vous savez… Alors, ils ont insisté, insisté…

Je ne comprenais pas bien pourquoi… Et puis, un jour, j’ai surpris une conversation. Ils disaient que dans la montagne, juste sous cette maison, il existait des gisements précieux. Il s’agissait d’un métal rare… radioactif… Un métal qui représentait une fortune ! »

À nouveau les enfants se regardèrent. Mais, cette fois-ci, ils ne croyaient plus que Mme Thomas avait perdu l’esprit. Ce qu’elle racontait éclairait au contraire bien des choses.

La pauvre femme hocha la tête, jeta un coup d’œil désolé sur François, Mick, Claude et Annie et, ayant l’air de penser qu’ils étaient trop jeunes pour lui venir en aide, soupira :

« Je me demande pourquoi je vous explique tout cela… Vous n’êtes que des enfants… Pourtant, il faut bien que je me confie à quelqu’un…

— Donc, vous avez refusé de vendre le château…, dit François pour l’encourager à poursuivre.

— Oui. Je ne voulais pas permettre à ces hommes de s’approprier le métal en question. Car savez-vous ce qu’ils voulaient en faire ? Des bombes qu’ils auraient vendues à je ne sais plus quel pays ! Des bombes destinées à tuer des gens ! Quelle horrible chose ! Je ne pouvais pas tolérer cela… Je leur ai dit ma façon de penser et ils ont su ainsi que j’avais entendu leur conversation. À ce moment-là, ils m’ont jugée dangereuse et m’ont enfermée dans cette chambre. Et puis, comme je ne cédais toujours pas, ils ont enlevé mon neveu… »

Frappés de stupeur, les enfants écoutaient Mme Thomas sans mot dire. Ils se rendaient bien compte qu’elle disait la vérité. La pauvre femme passa une main lasse sur son front et acheva ses confidences.

« Mon neveu leur sert d’otage, vous comprenez. Ils m’ont dit qu’ils ne le relâcheraient que lorsque je leur aurais vendu ma maison. Mais je ne veux pas. Pauvre Nicolas ! Je préfère encore le savoir prisonnier comme moi que de consentir à livrer ce métal à ces hommes… Un métal qui peut faire tant de mal !… Hélas ! En attendant que je me décide, ces bandits se sont déjà mis au travail. Ils sont en train de creuser le sous-sol. Oui, oui, je les entends… j’entends toutes sortes de bruits. Je sens parfois aussi ma maison trembler. Et j’ai aperçu d’étranges choses… Mais qui êtes-vous ? Et où est passé Marcel, mon gardien ? »

François se chargea d’expliquer à la prisonnière comment ils avaient été amenés à venir à son secours. Un peu calmée, elle parut les croire cette fois et une lueur d’espoir passa dans son regard. Puis elle eut un geste découragé.

« Hélas ! dit-elle, il m’est impossible de repartir avec vous. Comment ferais-je ? Je ne suis pas jeune et mince, moi ! Je ne pourrais jamais passer par le souterrain. J’ai déjà de la difficulté à me déplacer, à cause de mes rhumatismes… Et mon gardien peut arriver d’une minute à l’autre maintenant ! »

Les enfants se sentirent saisis de panique. Ils ne pouvaient pas faire grand-chose et n’avaient pas le temps de réfléchir longtemps sur place. François prit une décision.

« Ecoutez, dit-il à Mme Thomas. Ne parlez pas de notre visite, bien entendu. Nous allons prévenir la police. Il n’y a rien d’autre à faire, je crois. Nous sommes obligés de vous enfermer à nouveau, pour ne pas trahir notre passage, mais faites-nous confiance, et espérez ! »

Il poussa les trois autres dans le couloir, referma la porte à clef, et entraîna ses compagnons dans l’escalier.

« Avez-vous entendu ? leur dit-il tout en dévalant les marches. Tout s’explique maintenant.

— Oui, dit Claude. Et je comprends que la boussole du berger se dérègle chaque fois qu’il vient par ici. S’il s’agit d’un métal à la fois radioactif et magnétique…

— Un métal rare et précieux, en tout cas, ajouta Annie, et que ces misérables n’hésitent pas à s’approprier en dépit de la résistance de la propriétaire et de son neveu.

— C’est pour cela qu’il faut avertir la police au plus tôt, déclara Mick. Et tant pis pour Joanès !

— Nous discuterons de cela plus tard, dit François. Pour l’instant, dépêchons-nous de sortir d’ici. »

Ils retrouvèrent Miette qui les attendait et leur sourit. Cependant, la petite fille ne parut pas étonnée de voir qu’ils revenaient sans la vieille dame. Elle ne leur posa aucune question et se contenta de signaler en riant :

« L’homme en bas est très fâché ! Il est réveillé maintenant. Il crie et il fait bang !

— Mon Dieu ! Pourvu qu’il ne nous voie pas ! murmura Annie effrayée. Pourvu surtout qu’il ne lâche pas son chien sur nous ! »

Ils descendirent au rez-de-chaussée aussi vite qu’ils le purent sans faire de bruit. Ils ne virent personne, mais entendirent un vacarme terrible de cris et de coups sourds. Qu’est-ce que cela voulait dire ?

« J’ai enfermé l’homme à clef, expliqua Miette d’un air paisible en indiquant la pièce voisine de la cuisine. L’homme enfermait la vieille dame. Moi, j’ai enfermé l’homme. »

Voilà pourquoi Marcel n’était pas apparu ! Et voilà ce qu’avait voulu dire Miette un instant plus tôt en disant que l’homme criait et « faisait bang ! »

Les enfants se sentirent soulagés d’un grand poids.

« Tu l’as vraiment enfermé ! s’écria François ravi. Quelle bonne idée tu as eue ! »

Le jeune garçon s’approcha de la porte. Là, tandis qu’il écoutait le bandit tempêter derrière, une pensée lui vint à l’esprit. Il se tourna vers les autres d’un air consterné.

« Je ne m’en rendais pas compte, dit-il, mais le fait que Miette a enfermé cet homme dénonce notre venue. Ce geste nous trahit en quelque sorte… »

Hélas ! Il était trop tard pour revenir en arrière. L’homme, cependant, avait entendu les enfants chuchoter. Il interrompit son vacarme pour demander :

« Qui est là ? Qui m’a « bouclé » ? Ouvrez-moi tout de suite ! »

Il n’y avait plus à ruser. François décida d’impressionner le bandit en lui disant la vérité.

« Marcel ! cria-t-il en l’appelant par son nom. Nous sommes venus au secours de Mme Thomas. Veillez à ne pas lui faire du mal, car la police sera bientôt ici. Et veillez aussi à ce qu’aucun des hommes qui travaillent sous terre ne maltraite le pauvre Nicolas que vous retenez prisonnier lui aussi ! Sinon, vous serez condamnés plus gravement que pour un simple vol et deux séquestrations ! »

De l’autre côté de la porte, il y eut un silence, puis la voix de Marcel s’éleva :

« Vous êtes fou ! La police ne peut rien contre nous. Si elle vient par ici, c’est M. Nicolas lui-même qui lui répondra. Le neveu de madame, prisonnier ? Vous rêvez, ma parole ! »

Les enfants se regardèrent, interloqués. Qu’est-ce que cela signifiait ?

« Vous voulez dire que Nicolas est libre de faire ce qu’il veut… d’aller où il veut ? demanda François. Mais dans ce cas, pourquoi avez-vous dit à Mme Thomas qu’il était prisonnier lui aussi ? »

Dans son désir de se disculper, l’homme oublia d’être prudent.

« C’est M. Nicolas lui-même, expliqua-t-il, qui nous a chargés de le lui faire croire. C’est lui, surtout, qui tient à ce que sa tante vende la maison, vous comprenez ! Pour avoir je ne sais quel métal dont il nous a parlé. Mais nous, nous n’avons fait de mal à personne. Moi, en tout cas, j’ai toujours été bon pour la vieille dame, là-haut… »

On devinait que la crainte de la police et du châtiment le poussait à révéler bien des choses que, en temps ordinaire, il aurait tues soigneusement. Et puis, soudain, il se rendit compte qu’il avait parlé et la colère le reprit. Il se mit à donner des coups de pied furieux dans la porte.

« Qui êtes-vous ? Allez-vous me laisser sortir, à la fin ? Si M. Nicolas me trouve enfermé ici, il est capable de me tuer. Il dira que j’ai livré son secret. Laissez-moi sortir ! Laissez-moi sortir !

— Ce Marcel me fait l’effet d’un bel imbécile ! commenta François en haussant les épaules. Il est en tout cas simple d’esprit pour avoir cru tout ce que lui a raconté cette crapule de Nicolas, et pour nous le confesser ensuite ! Allons, dépêchons-nous de partir… »

Les enfants reprirent le chemin des caves.

« Dis donc, François, proposa Mick, si nous allions jeter un coup d’œil à cette rivière ?… Cela ne nous retarderait pas beaucoup.

— Non, non ! intervint Annie. Dépêchons-nous de quitter cet endroit. Je ne serai pas rassurée tant que nous ne serons pas ressortis au grand air.

— Oui ! Ne nous attardons pas », renchérit François en pressant le pas.

Comme ils atteignaient le mur abattu par les hommes, Mick déclara :

« Si ces bandits ont fait cela, c’est pour se frayer un passage commode qui les conduit directement à la rivière. Le gisement précieux doit se trouver tout près d’ici. Je me demande quelles peuvent être les propriétés de ce métal ! »

Comme il faisait mine de jeter un coup d’œil au-delà du mur, Miette le tira par la main.

« Vite, venez ! dit-elle. Méchants hommes là-bas ! »

Et c’est alors qu’un incident imprévisible se produisit. Le chevreau, qui gambadait en tête de la petite troupe, sauta d’un bond soudain par-dessus les éboulis du mur et disparut du côté de la rivière.

« Mignon ! Mignon ! » cria Miette, éperdue.

Mais le biquet, assourdi par le bruit de la rivière toute proche, ne l’entendit même pas. Sans hésiter, sa petite maîtresse, oubliant sa peur, s’élança à sa poursuite.

« Reviens, Miette ! » hurla François à son tour.

Miette ne parut pas se soucier de l’appel et disparut dans l’ombre de la grotte.

« Et elle n’a même pas de lampe ! gémit Claude, prise de panique. Dago, va la chercher ! Ramène-la ! »

Dag comprit et obéit. Il traversa la grotte qui se prolongeait par une sorte de tunnel et se mit à courir le long de la banquette rocheuse qui suivait la rivière souterraine. Celle-ci coulait en pente douce, en direction du lac.

Les quatre enfants attendirent un moment en silence. Miette ne revenait pas. Claude commença à s’inquiéter aussi pour Dagobert.

« Oh ! François ! Ils ont disparu… Miette, Mignon et Dago ! Et Toto aussi, qui les a suivis !

— Ne te tracasse pas, répondit François avec plus d’assurance qu’il n’en ressentait en réalité. Miette est tout à fait capable de se diriger dans l’obscurité… et les animaux aussi. Ils vont tous revenir d’ici quelques minutes. »

Mais le temps passait et Miette ne revenait toujours pas. Pour le coup, Claude n’y put tenir. Allumant sa propre torche, elle se mit en route le long du passage rocheux qui longeait la rivière.

« Je vais chercher Miette et Dago ! » annonça-t-elle aux autres.

Et elle disparut à son tour avant qu’aucun des garçons ait eu le temps de la retenir.

« Claude ! cria François. Ne sois pas stupide ! Dago se débrouillera tout seul. Ne descends pas là ! Tu ne sais pas ce qu’il y a au bout !

— Viens ! Suivons-la ! décida brusquement Mick en entraînant son frère. Claude ne reviendra pas, tu t’en doutes… pas tant qu’elle n’aura pas retrouvé Dagobert et les autres. Dépêchons-nous d’aller l’aider avant que quelque chose de terrible n’arrive… »

Annie fut bien obligée de suivre ses frères. Elle sentait son cœur battre à grands coups dans sa poitrine. Il lui semblait marcher en plein cauchemar. Comment une chose pareille avait-elle pu arriver ?

img48.png