CHAPITRE XVI
En suivant le souterrain…
EH BIEN ! s’exclama, Claude, stupéfaite. Vous avez vu ? Elle s’est laissée glisser d’un seul coup. C’est un miracle qu’elle ne se soit pas cassé une jambe. François, essaie d’éclairer le fond avec ta lampe, veux-tu ? » François obéit.
« Ça a l’air profond, dit-il en plongeant ses regards dans le puits. Détachons les cordes de nos luges et servons-nous-en pour descendre. Je n’ai pas envie de me fouler une cheville.
— J’ai une meilleure idée ! s’écria Mick. Poussons nos luges en travers du trou et laissons pendre les cordes. Ainsi, nous aurons un point d’appui solide. »
Tout en parlant, le jeune garçon avait placé sa luge dans la position indiquée. François se hâta d’en faire autant avec l’autre.
« Et Dago ? s’inquiéta Claude. Comment va-t-il descendre, lui ? S’il saute comme Toto (car Toto venait de rejoindre Miette d’un bond) il risque de se casser une patte. Il est lourd,
— Je vais l’envelopper dans mon anorak, répondit François, puis je l’attacherai au bout d’une corde. Nous le descendrons en douceur. Allez, arrive, Dago ! »
Mick passa d’abord et, debout à côté de Miette au fond du trou, attendit Dag et le reçut dans ses bras. Puis Claude et Annie descendirent à leur tour. Enfin, François les rejoignit. Miette considéra ses amis d’un air un peu dédaigneux. Elle ne comprenait pas qu’ils aient utilisé des cordes. François se mît à rire et lui tapota l’épaule.
« Nous n’avons pas le pied aussi sûr que toi, tu comprends, Miette ! Nous ne sommes pas habitués à courir la montagne du soir au matin et du matin au soir !… Ainsi, nous voici tous au fond du « gros, gros trou ». Regardons-le de près ! » il l’examina à la lueur de sa lampe. « Oui, c’est bien un ancien puits de mine.
J’aperçois une sorte de petite grotte dans ce coin. Oh ! Mais elle se prolonge par un tunnel ! Je me demande où il conduit ?
— Miette, où vas-tu ? s’écria Claude au même instant… Regardez-la ! Elle se faufile dans ce boyau avec son biquet. Et elle n’a pas de lampe pour l’éclairer. Ma parole, cette gamine n’a peur de rien !
— Elle y voit dans l’obscurité, comme les chats, assura Annie. Alors, que faisons-nous ? Nous la suivons ?
— Allons-y ! » décida Claude en invitant du geste Dag à avancer.
Et les Cinq se mirent à suivre le même chemin que Miette. Annie ne pouvait s’empêcher de jeter de temps à autre un coup d’œil perplexe aux parois de roc et au plafond au-dessus duquel elle se représentait la double couche de bruyère et de neige. Quelle chose étrange de cheminer ainsi, sous la terre !
Cependant, Miette semblait avoir disparu. François avait beau projeter la lueur de sa lampe en avant, il n’apercevait nulle part la petite fille. Il appela : « Miette ! Reviens ! »
Mais aucune réponse ne lui parvint.
« Ne te tracasse pas, dit Mick. Ce couloir est sans doute la seule voie d’accès à la grande maison et Miette sait bien que nous sommes forcés de le suivre. Si par hasard nous arrivons à une bifurcation, nous l’appellerons encore. »
Mais il n’y eut pas de bifurcation. Le couloir continua à s’enfoncer dans le sol. Si les parois et le plafond étaient de roc, le sol, en revanche, était couvert de cailloux qui rendaient la marche malaisée. François consulta sa boussole.
« Nous continuons à avancer en direction du Vieux Château, déclara-t-il. Je comprends à présent comment Miette a réussi à pénétrer dans cette maison si bien clôturée.
— Oui, dit Claude. Ce souterrain doit passer sous la barrière électrifiée, puis sous le jardin, et déboucher quelque part dans les caves de la maison… Mais je voudrais bien savoir où est passée la petite ! »
Miette elle-même leur donna la réponse en apparaissant soudain dans le rayon lumineux de la torche électrique que François tenait à la main. Elle attendait ses amis à un tournant du couloir, encadrée de Mignon et de Toto. Elle pointa son index menu vers le haut :
« Un passage pour aller dans le jardin, indiqua-t-elle. Un petit trou… juste assez gros pour Miette ! Pas pour vous ! »
François leva sa lampe. Il aperçut alors un orifice, en partie obstrué par des herbes folles et des arbustes secs. Oui, ce devait être là un moyen d’accès au jardin. Miette avait dû l’utiliser à plusieurs reprises et c’est ainsi qu’elle avait pu apercevoir Mme Thomas à la fenêtre de la tour et recueillir son message.
« Par ici ! » dit Miette en tirant le garçon par la manche.
Elle s’était remise en marche et conduisait à présent la petite troupe le long du couloir qui s’enfonçait encore dans le sol.
« Je parie que nous sommes maintenant sous la maison, chuchota François. Je me demande si… »
Il s’interrompit. Le passage débouchait dans de vieilles caves, presque en ruine. Miette fit passer ses compagnons par la brèche d’un mur à moitié écroulé et les introduisit fièrement dans une autre cave, en meilleur état, qui avait servi sans doute jadis de cellier, car on y voyait traîner quelques bouteilles vides. D’autres caves encore suivaient.
« Ma parole ! s’exclama Mick. Mais il y en a des douzaines !… Hé ! dis donc, Miette ! Qu’est-ce que c’est que ça ? »
Mick s’était arrêté devant un mur presque entièrement démoli. Mais, cette fois-ci, ce n’était pas le temps qui avait accompli son œuvre destructrice. Non ! Le mur avait été abattu de main d’homme, comme en témoignait la cassure nette des briques et des pierres. Au-delà du mur effondré on apercevait une nouvelle cave au plafond bas.
« Ce n’est pas une cave ! murmura Claude en écarquillant les yeux. Regardez ! C’est une grotte naturelle, plus ou moins aménagée… »
C’est alors qu’un bruit curieux frappa les oreilles des enfants… un bruit d’eau… comme si une grosse source jaillissait et chantait non loin de là ! Déjà François commençait à enjamber les débris du mur pour pénétrer dans la grotte quand Miette poussa un cri d’effroi :
« Non, non ! Pas par là ! Il y a des méchants par là ! »
Mais François ne parut même pas l’entendre. Stupéfait, il contemplait le spectacle que quelques pas au-delà du mur lui avaient permis de découvrir.
« Si je m’attendais à ça ! balbutia-t-il enfin. Une rivière souterraine ! Une vraie rivière ! Elle coule sous la montagne, alimentée sans doute en cours de route par un tas de petites sources. Et je parie qu’elle va tout droit se jeter dans le lac qui est près d’ici !
— Méchants ! répéta Miette, visiblement très effrayée, en tirant en arrière Mick et Claude qui avaient rejoint François. Bang-bang… des grands feux… beaucoup de bruit. Venez vite dans la maison !
— Tout ceci est extraordinaire ! s’écria Mick. Qu’est-ce que des « méchants » peuvent bien faire ici ? Il faut à tout prix que nous le découvrions !
— Peut-être vaut-il mieux que nous poursuivions notre route pour l’instant, proposa Claude. Après tout, nous sommes venus pour essayer de délivrer la vieille dame. C’est la chose la plus importante, au fond. Mais je comprends maintenant pourquoi les « méchants hommes » la retiennent prisonnière : ils ont peur qu’elle ne mette le nez dans leurs affaires… des affaires louches, bien sûr !
— Je veux être changé en âne si je comprends ce qui se trafique ici ! bougonna Mick, J’ai l’impression de vivre un cauchemar ! »
Les enfants se décidèrent enfin à suivre Miette. Dago trottait sur les talons de Claude. Il ne s’amusait pas beaucoup et se demandait ce qu’on était venu faire là… Miette, d’un pas sûr, continuait à guider ses amis à travers un dédale de caves. On arriva enfin à un sous-sol cimenté qui servait de débarras et Miette recommanda le silence. Retenant leur souffle, François, Mick, Claude et Annie montèrent derrière elle une volée de marches de pierre qui conduisaient à une grande porte. Celle-ci était entrebâillée.
Miette s’arrêta en haut de l’escalier et prêta l’oreille. François se rappela le « gardien » du Vieux Château et se demanda s’il, n’était pas dans les parages avec son chien féroce. Il chuchota à l’oreille de Miette :
« Il y a un chien dans la maison, dis-moi ?
— Non. Le gros chien est dans le jardin… Tout le temps, le jour, la nuit… » répondit Miette.
François respira, soulagé.
« Je vais trouver l’homme », reprit la petite fille. Et faisant signe aux autres de l’attendre, elle se glissa dans la maison.
« Elle va essayer de découvrir où se tient le gardien, expliqua François. Sapristi, cette gamine n’a pas froid aux yeux !… Oh ! La voici qui revient déjà… »
Miette s’approcha de ses amis. Un sourire malicieux éclairait son visage de chat.
« Il dort, annonça-t-elle. Aucun danger… »
Et là-dessus elle entraîna la petite troupe dans une immense cuisine, au-delà de la porte. Un fourneau énorme occupait un coin de la pièce. À quelques pas de là s’ouvrait un vaste office. Miette y pénétra, très à l’aise. Elle en ressortit, tenant à la main un pâté en croûte qu’elle offrit à François.
Le jeune garçon secoua la tête.
« Non, Miette. Ce pâté ne t’appartient pas. »
Mais Miette fit mine de ne pas entendre. Sans la moindre honte, elle mordit à même le pâté et le dévora sur place, non sans avoir partagé avec Toto et Dagobert. Mick, cependant, n’entendait pas s’attarder.
« Miette ! dit-il. Conduis-nous vite à la vieille dame. Tu es bien sûre qu’il n’y a personne d’autre dans la maison ?
— Oui ! répondit-elle. Un homme pour garder… Il est là ! expliqua-t-elle en désignant du doigt la porte d’une pièce voisine. Il surveille la vieille dame, et le chien surveille le jardin. Les autres hommes ne viennent pas ici. »
Les enfants frissonnèrent un peu, à la pensée du gardien si proche. Ils baissèrent la voix.
« Dis-moi, Miette, reprit François. Ces autres hommes dont tu parles, où vivent-ils ? »
Il avait parlé vite et peut-être, Miette ne comprit-elle pas la question. Sans répondre, elle se remit en marche et tous la suivirent. Elle les conduisit dans un grand hall où un escalier à double révolution aboutissait à un palier si large qu’il aurait pu servir de salle de bal.
Le chevreau se mit à gambader et Toto, le petit chien, commença à aboyer joyeusement. Tous deux avaient sans doute envie de jouer.
« Chut ! » dirent en chœur les quatre enfants. Mais Miette, elle, se contenta de rire. Elle paraissait tout à fait à son aise dans la maison et ne semblait pas avoir conscience d’un danger quelconque. Mick se demanda combien de fois la petite fille était déjà venue au Vieux Château. Pas étonnant qu’elle eût passé tant de nuits hors de chez elle. C’est ici qu’elle devait se réfugier. Sans doute dormait-elle dans un recoin quelconque de la vieille demeure.
À la suite de Miette, les autres montèrent l’escalier. Leur guide aux allures de lutin ne s’arrêta pas au premier étage, mais continua jusqu’au second. Là, les enfants se trouvèrent en présence d’une galerie de tableaux : des portraits de famille, sans doute. Un escalier plus étroit s’amorçait tout au fond. Miette le désigna du doigt, mais refusa d’avancer davantage. C’est en vain que François tenta de l’entraîner.
« Qu’y a-t-il ? demanda le jeune garçon. Pourquoi ne veux-tu pas venir avec nous ?
— J’ai peur, avoua la petite fille en frissonnant. Je sais que la vieille dame est par là. Mais je n’y suis jamais allée. Jamais, jamais ! Je n’aime pas tous ces gens qui la regardent ! »
Et elle montrait les portraits des fiers chevaliers et des belles dames qui composaient la galerie.
Annie se mit à rire.
« Ce sont ces tableaux qui l’effraient ! dit-elle. Ces nobles seigneurs, en effet, ont un regard presque vivant. On dirait qu’ils vous suivent des yeux. Quelle bizarre créature que cette Miette ! Elle semble ignorer les dangers réels et tremble devant des ombres. Enfin !… Reste là puisque tu préfères, Miette. Attends-nous. Nous allons nous dépêcher. »
Les enfants laissèrent Miette blottie derrière une tenture, en compagnie de Mignon et de Toto. Ils longèrent la galerie et commencèrent à monter l’escalier.
Bientôt ils débouchèrent dans un couloir qui semblait interminable. Il s’étendait sur toute la longueur du château et, selon toute probabilité, reliait entre elles les deux tours qui flanquaient la bâtisse. Restait à déterminer dans laquelle de ces deux tours Mme Thomas était retenue prisonnière.
Mais ce n’était pas bien difficile à deviner. Alors que la porte d’entrée d’une des tours était grande ouverte, l’autre était fermée.
« Ce doit donc être celle-ci ! » dit François.
Il s’approcha du battant et le heurta du poing, mais pas trop fort.
« Qui frappe ? chevrota une voix faible. C’est vous, Marcel ! Vous n’avez pas d’aussi bonnes manières d’habitude !… Allons, déverrouillez la porte et ne vous moquez pas plus longtemps de moi ! »
Mais déjà Mick avait tiré le verrou et se penchait sur la serrure.
« Quelle chance ! s’exclama-t-il. La clef est restée sur la porte. Il n’y a plus qu’à la faire tourner ! »