CHAPITRE X
 
Sur la colline du Vieux Château

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LE PAUVRE DAGO se rendit bien vite compte que cette partie de ski ne serait pas drôle pour lui : il n’arrivait pas à suivre les enfants qui filaient à toute vitesse.

Il finit par buter contre un tas de neige et tomba dans un trou la tête la première. Quand il eut réussi à s’en extraire, il s’ébroua, puis, tristement, alla s’asseoir sur une hauteur d’où il se mit à surveiller d’un air morne les ébats des enfants.

Ceux-ci s’en donnaient à cœur joie. Tous quatre étaient assez bons skieurs. La colline sur laquelle était bâti le chalet dévalait en pente douce sur une belle longueur. La courbe se relevait ensuite pour se continuer par la colline vis-à-vis : celle, précisément, au sommet de laquelle se dressait le Vieux Château.

François arriva le premier au bas de la première colline et, emporté par son élan, parcourut une certaine distance au flanc de l’autre. Alors, il appela les autres.

« Dites donc ! Si nous grimpions jusqu’au bout ? Nous redescendrons ensuite de là-haut et la vitesse nous fera gravir une partie de notre propre pente. Ce sera toujours ça de gagné ! »

Claude et Mick furent d’avis que c’était là une excellente idée. Mais telle n’était pas l’opinion d’Annie. Elle resta silencieuse et Mick lui jeta un regard en coin.

« Je crois qu’Annie a peur de monter jusqu’au Vieux Château, dit-il en ricanant. Qu’est-ce qui t’effraie le plus, ma petite ? Le gros, gros chien qui gronde sous terre, ou les sorcières qui jettent des sorts ?

— Ne dis donc pas de sottises », répliqua Annie, très vexée que Mick eût ainsi deviné ses pensées.

Bien entendu, la fillette ne croyait pas plus au gros chien qu’aux sorcières, mais, malgré tout, cette colline et le Vieux Château ne lui étaient pas sympathiques. Elle fit un effort sur elle-même pour ajouter d’un ton léger :

« Je vais avec vous, naturellement ! »

Elle se mit en devoir de suivre les autres, essayant de ne plus penser qu’au plaisir de dévaler la pente et de se retrouver bientôt à mi-chemin de celle que couronnait le chalet,

« Regardez ! dit Claude. On voit très bien le Vieux Château maintenant ! »

C’était vrai. On distinguait avec netteté l’antique bâtisse, flanquée de ses deux tours.

« Je me demande, pensa tout haut François, si cette Mme Thomas, pour qui travaillait autrefois la maman de Miette, habite toujours là ? Ça paraît invraisemblable.

— Pauvre vieille dame ! répondit Claude avec un soupir. Son existence, dans ce cas, ne doit pas être bien drôle. Ne voir personne… rester à l’écart de tous ses anciens amis ! Dis donc, François ! Si nous allions frapper à sa porte ? Nous pourrions faire semblant d’avoir perdu notre chemin… et nous en profiterions pour jeter un coup d’œil ici et là. Evidemment, il y a ce chien féroce…

 — Oui… il faut éviter la bagarre. Ah ! Nous voici presque arrivés ! »

Tout en parlant, Claude et François avaient distancé Mick et Annie. Ils les attendirent au haut de la côte.

« François ! s’exclama soudain Claude. J’aperçois quelqu’un à l’une des fenêtres de la tour… celle de droite ! Tu vois ? »

En un éclair, François distingua une silhouette qui disparut presque aussitôt.

« Tu as raison ! Il y avait quelqu’un… quelqu’un qui nous regardait de son côté. Je suppose qu’il ne doit guère venir de promeneurs sur cette colline et que notre venue paraît insolite… Je serais curieux de savoir si notre guetteur était un homme ou une femme.

— Une femme, à ce qu’il m’a semblé, répondit Claude. Peut-être la vieille Mme Thomas… Oh ! François ! El si elle était retenue prisonnière dans cette tour pendant que son horrible neveu et ses amis la dévalisent ? Rappelle-toi ce qu’on nous a dit : on a vu de gros camions partir du Vieux Château au beau milieu de la nuit.

— Hep ! Vous deux ! cria Mick qui arrivait avec Annie. Quelle montée ! Mais aussi, quelle descente tout à l’heure ! Pour l’instant je n’en peux plus. Il faut que je souffle un moment.

— Mick ! Claude et moi avons aperçu quelqu’un à la fenêtre de cette tour. Quand nous reviendrons ici, il ne faudra pas oublier d’emporter nos jumelles. Nous ferons peut-être des découvertes. »

Très intéressés, Mick et Annie tournèrent leurs regards vers la fenêtre que leur désignait François et, juste à cet instant, une main invisible ferma les rideaux de l’intérieur de la pièce.

« Qu’est-ce que je vous disais ! On nous a repérés… et « on » n’a guère l’air de vouloir encourager notre inspection ! commenta François. Pas étonnant que le Vieux Château ait donné naissance à d’étranges histoires ! Allons, venez maintenant. Essayons cette pente ! »

Les quatre enfants partirent ensemble. Tandis qu’ils filaient sur la neige, le vent leur cinglait le visage et ils respiraient avec délice l’air vif de la montagne.

François et Annie dévalèrent la pente du Vieux Château et, sans s’arrêter, remontèrent presque à moitié celle du chalet. Mais Mick et Claude eurent moins de chance. Tous deux accrochèrent leurs skis en butant contre un obstacle invisible. Ils furent projetés en l’air, puis retombèrent dans la neige molle. Ils restèrent étendus un moment sur le sol, hors d’haleine et un peu étourdis par le choc.

« Eh bien ! s’écria enfin Mick. Quelle chute ! Tu ne t’es pas fait mal, au moins, Claude ?

— Je ne crois pas, répondit Claude. Laisse-moi tâter ma cheville gauche… Non, ce n’est rien… Ah ! Voici Dago ! Il nous a vus tomber et vient à notre secours. Tout va bien, Dag ! Personne n’est blessé. Laisse-nous retrouver notre souffle ! »

Tandis que les deux enfants étaient encore allongés sur la neige et achevaient de reprendre leurs esprits, une voix furieuse les interpella de loin.

« Hep ! là-bas ! Déguerpissez, et en vitesse ! »

Claude et Mick se trouvaient alors à mi-pente du Vieux Château. Mick se redressa et regarda dans la direction de la grande bâtisse. Il aperçut un homme de haute taille, qui se dirigeait vers eux à grands pas. À l’expression de son visage, on ne pouvait douter qu’il était très en colère.

« Nous ne faisons rien de mal ! cria Mick lorsque le nouveau venu ne fut plus qu’à quelques mètres. Nous skions. Qui êtes-vous ?

— Je suis le gardien de cette maison, répondit l’homme en désignant le Vieux Château, et ce champ dépend de la propriété. Allez, ouste ! Filez vite ! »

Mick se mit debout.

« Nous irons demander au propriétaire la permission de skier sur ses terres, dit-il poliment, tout en songeant que ce serait une excellente occasion de venir fouiner dans le coin.

— Inutile d’essayer, rétorqua l’homme d’une voix rageuse. Je suis le gardien, je vous le répète, et il n’y a que moi au château… Je lâcherai mon chien sur vous si je vous prends à rôder par ici ! »

Là-dessus l’irascible personnage tourna les talons et s’éloigna à grandes enjambées.

« Tu ne trouves pas ça drôle ? demanda Mick à Claude un instant plus tard. Il dit qu’il est seul au château et tu affirmes, toi, avoir aperçu une femme à la fenêtre de la tour. Cet homme a donc menti ! »

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Tout le temps que le gardien leur avait parlé, Claude avait tenu Dagobert par son collier. Devinant d’instinct un ennemi dans cet homme en colère, Dago s’était mis à gronder et Claude craignait qu’il ne sautât à la gorge du peu sympathique individu. Et puis, si l’autre chien entrait en scène, on pouvait prévoir une belle bataille !

Ce serait terrible ! Dag risquait d’être mordu une secondé fois.

Claude et Mick s’assurèrent que les skis tenaient bien à leurs pieds et se lancèrent à nouveau sur la pente lisse. François et Annie les attendaient sur l’autre versant.

« Qui est cet homme ? demanda François. Que vous criait-il ? Venait-il du Vieux Château ?

— Oui, répondit Mick à la dernière question, il nous a interdit de revenir skier dans les parages, affirmant que la colline faisait partie du domaine dont il avait la garde. Lui seul habite le Vieux Château, à l’en croire. Mais nous savons bien, nous autres, qu’il n’en est rien !

— Oui, nous le savons, murmura François d’un air pensif. Pourquoi cet homme est-il contrarié à la pensée que nous pouvons skier sur la colline ? Aurait-il peur que nous découvrions quelque chose concernant la maison ? S’il savait que nos soupçons sont déjà éveillés… Et pourquoi a-t-il menti en vous racontant qu’il était seul ? Au fait… a-t-il vraiment l’air d’un gardien ?

— Tout ce qu’on peut dire, c’est qu’il n’a pas l’accent du pays ! s’écria Claude. Et il me semble que n’importe quel propriétaire de par ici aurait choisi de préférence comme gardien une personne de confiance venue du village. Qu’en pensez-vous ? Tout cela paraît bien mystérieux !

— Si l’on rapproche notre aventure de ce matin de tous les phénomènes bizarres que nous avons vus ou dont nous avons entendu parler, renchérit Mick, c’est même terriblement mystérieux. De plus en plus il devient évident qu’une enquête est nécessaire.

— Oh ! Non, Mick ! se récria Annie. Ne fourrons pas notre nez là-dedans. Ne gâchons pas nos vacances, veux-tu ?

— Ma foi, déclara Claude en hochant la tête, je ne vois pas comment nous pourrions mener une enquête au Vieux Château. Je n’ai pas envie d’entrer dans une maison défendue par un chien féroce… C’est trop dangereux ! »

Ne tenant pas à voir cette conversation se prolonger, Annie fit une habile diversion.

« Dites donc ! s’exclama-t-elle. Savez-vous qu’il est presque une heure de l’après-midi ? Vous n’avez pas faim, vous autres ?

— Bien sûr que si ! répondit François. Mais comme je croyais qu’il était à peine onze heures et demie, je n’osais pas le dire. Rentrons vite manger. Je propose que nous finissions le jambon entamé hier !

Les quatre enfants regagnèrent le chalet… Arrivés devant la porte, ils aperçurent des provisions disposées sur le seuil.

« Chic ! s’écria Claude. Du lait frais ! Du fromage à la crème ! Comme Mme Gouras est gentille ! Elle ne nous oublie pas ! »

Dagobert, cependant, reniflait avec tendresse un gros paquet ficelé. Mick se mit à rire.

« Regardez Dago ! Il remue la queue d’une manière des plus expressives. Vous pouvez parier que ce paquet contient de la viande.

— Et il a hâte que nous l’ouvrions, ajouta Claude en flattant Dago de la main. Allons, mon vieux Dag, pousse-toi. Tu en auras un bout si tu es sage ! »

François ôta la ficelle, écarta le papier, et découvrit un énorme rôti de porc,

« Eh bien » avec ça, nous ne mourrons pas de faim encore aujourd’hui ! s’écria François.

— Je vais ouvrir une boîte de haricots de conserve, décida Annie. Cela accompagnera très bien la viande. »

Bientôt les quatre compagnons s’asseyaient autour de la table et attaquaient leur repas avec un joyeux appétit. Dagobert n’était pas un des moins affamés. Et il estima que Claude n’était guère généreuse en ne lui donnant pas le rôti tout entier.

Il regarda l’énorme morceau qui restait sur la table, après que les enfants se furent copieusement servis. Puis, pour attirer l’attention de sa jeune maîtresse, il posa sur ses genoux une patte quémandeuse et la regarda de côté, d’un air suppliant.

Claude se mil à rire.

« Tu es un goinfre, Dago ! Tu as déjà englouti plus de nourriture que nous quatre réunis ! Non ! Tu n’auras rien de plus. Nous finirons ce rôti demain. Je t’en donnerai un bout, mon vieux, et tu pourras te régaler ! »

Dagobert dut se contenter de cette promesse… Sitôt après le déjeuner, François alla regarder par la fenêtre.

« Je crois qu’il va neiger encore ! annonça-t-il. Dites donc, à votre avis, qui nous a apporté le lait et la viande, ce matin ? »

C’était une question que tous s’étaient déjà posée, mais qu’aucun n’avait pris le temps de formuler tout haut tant ils étaient pressés de se restaurer.

« Je suppose que c’est le berger, répondit Mick, quand il est repassé par ici. C’est très gentil de sa part.

— Je me demande où peut se trouver la petite Miette en ce moment ? murmura Claude en regardant à son tour par la fenêtre. Ce serait terrible si elle était prise dans la tourmente de neige. Elle ne pourrait peut-être pas rentrer chez elle et serait obligée de coucher sur la colline. Voyez ! De gros flocons tombent déjà !

— J’aimerais bien qu’elle prenne autant soin d’elle-même que de son chien et de son chevreau » soupira François. Cette gamine est sympathique. Je voudrais bien la revoir. Mais, à moins qu’elle n’ait vraiment faim, je ne pense pas qu’elle revienne par ici ! »

Au même instant, Annie poussa une joyeuse exclamation.

« Tu es mauvais prophète, François ! Regarde de ce côté ! Cette drôle de petite créature qui arrive, n’est-ce pas Miette ? »

C’était Miette, en effet, escortée de son chien et tenant son biquet dans ses bras.

« Faisons-la vite entrer, proposa Claude, et donnons-lui à manger. Puis nous lui demanderons si elle sait qui habite le Vieux Château Peut-être a-t-elle aperçu quelqu’un, elle aussi, à la fenêtre de la tour !

— D’accord, je vais l’appeler, répondit François en se précipitant vers la porte. Je suis certain qu’elle doit savoir quelque chose, de toute manière. Elle vit toujours dehors, à fouiner à droite et à gauche. Elle aura forcément remarqué ce qui se passe autour d’elle. »

François ne se trompait pas. Miette savait quelque chose… quelque chose, même, de très, très intéressant !