CHAPITRE VII
 
Une conférence

 

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LA paix régna donc provisoirement à la Villa des Mouettes. Claude et Annie allèrent essuyer la vaisselle et aider un peu Maria, qui ne manquait pas de travail avec huit personnes dans la maison, y compris elle-même.

La cuisinière avait été fort surprise, au petit déjeuner, de trouver là une enfant de plus.

Tante Cécile s'était empressée de lui dire qu'on lui donnerait des explications plus tard. Il fallait bien que Maria fût dans le secret !

Au premier étage, Berthe apprenait à faire les lits. Elle se montrait assez maladroite, faute d'habitude, mais elle y mettait de la bonne volonté et tante Cécile l'encourageait.

Dagobert et Chouquette couraient à travers la chambre, ce qui n'arrangeait rien.

« Je suis contente que Dagobert aime Chouquette, dit Berthe. Cela ne me surprend pas. Pourquoi Claude s'était-elle imaginé le contraire ? Comme elle est bizarre !

— Tu te trompes sur son compte, dit tante Cécile. Elle n'a pas eu de frères ni de sœurs pour arrondir les angles de son caractère. Les enfants uniques ne sont généralement pas si faciles à vivre que les autres, mais tu t'apercevras vite qu'elle a bon cœur et qu'elle est très amusante.

— Je suis fille unique, moi aussi, dit Berthe. Mais j'ai toujours eu beaucoup de petits camarades pour jouer avec moi. Mon père le voulait ainsi. Il est si gentil, papa !

— Nous avons fini notre travail maintenant, Berthe. Nous allons descendre au salon et tenir une petite réunion à ton sujet. Va prévenir les autres ! »

Berthe, suivie de Chouquette (elle-même accompagnée de Dagobert, tout à fait conquis), s'en alla chercher François et Mick, puis Claude et Annie.

Bientôt, les cinq enfants, les deux chiens et la cuisinière se retrouvèrent au salon, avec tante Cécile. Celle-ci tenait à la main la lettre du père de Berthe. Elle ne leur lut pas cette lettre, mais leur en résuma le contenu. Puis elle s'adressa à Maria.

« Vous savez que mon mari se consacre à la recherche scientifique, lui dit-elle. Le père de Berthe fait la même chose à Lyon, et tous deux collaborent pour une importante réalisation.

— Ah ! oui, madame, dit Maria, très intéressée.

— Le père de Berthe a été averti par la police que sa fille risquait d'être enlevée par des bandits qui exigeraient, pour la lui rendre, non une rançon en argent, mais la divulgation du résultat de ses travaux, poursuivis depuis des mois… Aussi, le père menacé nous envoie-t-il sa fille pendant trois semaines, en espérant qu'elle sera en sécurité chez nous. Après ce délai, tout danger sera passé, car les travaux seront achevés et rendus publics.

— Je comprends, madame. Eh bien, Mlle Berthe ne peut pas mieux tomber. Tout le monde veillera sur elle ici.

— Certainement, dit tante Cécile. De plus, son père demande que, pour tromper les ravisseurs éventuels, sa fille soit habillée en garçon.

— Je trouve que c'est une bonne idée, dit Mick.

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Mes cheveux !… » dit Berthe, sur le point
de fondre en larmes.

— Il faut lui trouver un prénom masculin, et couper ses boucles, bien entendu, poursuivit tante Cécile.

— Oh ! non ! pas ça ! s'écria Berthe, en secouant ses beaux cheveux. Les filles qui ont tes cheveux coupés comme des garçons sont ridicules et… »

Annie la poussa du coude. Berthe s'arrêta, confuse, en regardant Claude et ses courts cheveux frisés.

« Il faut faire ce que demande ton père, dit tante Cécile. C'est très important, Berthe. Tu es assez grande pour comprendre que si quelqu’un te cherche pour t'enlever, il ne te reconnaîtra pas sous l'apparence d'un garçon.

— Mes cheveux !… dit Berthe, sur le point de fondre en larmes. Comment papa a-t-il pu décider de me les faire couper ? Il les trouvait si beaux !

— Un peu de modestie, ma vieille, persifla Claude.

— Console-toi, ils repousseront très vite, dit tante Cécile.

— Sa tête est bien ronde, dit François. Elle sera mignonne avec des cheveux courts. »

Berthe se sentit réconfortée. Si François pensait cela, après tout…

« Mais… les vêtements ? dit-elle, en se souvenant de ce détail avec désespoir. Les filles sont affreuses, habillées en garçon !

— Tu ne seras pas plus mal que Claude en ce moment, dit Mick. Regarde-la : elle a un pull-over, un short, des sandales, exactement comme moi. »

Berthe considéra Claude en silence. Elle n'osait rien dire, mais son petit visage trahissait sa pensée : « Et tu la trouves bien ? Pas moi ! »

Claude fronça les sourcils. « Je suis sûre que toi, tu seras horrible dans cet accoutrement. Tout au plus arriveras-tu à ressembler à un petit garçon efféminé et timide ! C'est une idée absurde que de vouloir t'habiller ainsi. Cela ne t'ira pas du tout ! cria-t-elle.

— Tu veux être la seule ! murmura Mick, taquin, en ayant soin de prendre le large pour éviter une bourrade.

— Assez discuté, dit François. Passons .aux réalisations. J'irai acheter des vêtements pour Berthe ce matin, et c'est moi qui lui couperai les cheveux ! »

Berthe ouvrit des yeux ronds, mais ne protesta pas. Tante Cécile avait envie de rire. « Va lui acheter des vêtements si cela t'amuse, dit-elle; quant à la coupe de cheveux, il vaut mieux que je m'en charge moi-même. Tu risquerais de transformer Berthe en épouvantail ! Maintenant, réfléchissons à un nom de garçon. Nous ne pouvons pas continuer à l'appeler Berthe, en tout cas…

— Nous l'appellerons Robert, dit Mick.

— Non, cela ressemble trop à Berthe, dit François. Il faut l'appeler Jean, ou Pierre, ou…

— Laissez-moi prendre mon second prénom : Michèle. Il y a des garçons qui s'appellent Michel… La prononciation est la même.

— Très bonne idée, dit tante Cécile. Va pour Michel ! La cause est entendue ! J'ajoute que vous ne devrez pas perdre Berthe de vue — je veux dire Michel. Il faut venir m'avertir immédiatement si vous remarquez quelque chose d'anormal ou si vous voyez un étranger rôder aux environs. La police locale sait que nous avons cette enfant avec nous, et pour quelle raison. Nous tiendrons les gendarmes au courant de tout ce qui pourrait se produire. Ils exerceront une surveillance étroite mais discrète de leur côté, bien entendu.

— Tiens, tiens ! On dirait que nous repartons vers une aventure, dit Mick avec le sourire.

— J'espère que non, dit sa tante. Désormais, il n'y aura plus de Berthe ici, mais un petit Michel, un ami des garçons, venu passer quelques jours chez nous.

— Si tu veux bien me donner de l'argent, ma tante, j'irai tout de suite acheter des vêtements pour Michel. Quelle taille peut-il avoir ? »

Tout le monde se mit à rire.

« Pour les chaussures, pointure trente-quatre, déclara Maria. Je l'ai vu en cirant les souliers ce matin.

— Il faut qu'il s'habitue à boutonner son veston du côté droit et non du côté gauche, dit Annie.

— Elle s'y fera vite, dit Claude, en appuyant rageusement sur le mot elle.

— Claude, sois raisonnable, dit François. Il suffit que l'un de nous dise par mégarde elle, et non lui, pour exposer Berthe — non, Michel, à un grave danger.

— J'ai compris, dit Claude d'un ton sec. N'empêche qu'elle n'aura jamais l'air d'un garçon.

— Eh bien, tant mieux ! s'écria Berthe. Quant à toi, veux-tu que je te dise à quoi tu ressembles ?

— Personne n'a envie de le savoir, dit François, prudemment. Claude, veux-tu venir m'aider à choisir des vêtements pour Michel ? Mais, je t'en prie, quitte cet air sombre, tu me rappelles mon professeur de mathématiques.

— Entendu, je t'accompagne. Je serai bien contente de prendre l'air, j'ai les nerfs en boule, dit Claude, souriant malgré elle.

— Au revoir, Berthe, dit François. Quand nous reviendrons, tu seras complètement transformée ! »

Il sortit avec Claude.

Annie alla chercher les grands ciseaux de sa tante et posa une serviette sur les épaules de Berthe dont les yeux bleus s'embuaient de larmes.

« Courage, dit Mick. Avec des cheveux courts tu auras l'air d'un petit ange !

— Ne bouge plus ! », dit tante Cécile. Et elle commença. Les grands ciseaux crissèrent et des boucles blondes tombèrent mollement sur le sol. Berthe éclata en sanglots. « Mes cheveux ! Je ne peux pas supporter ça ! Oh ! mes pauvres cheveux !»

Tante Cécile dut attendre que l'enfant se calmât pour continuer cette délicate opération. Elle s'acquitta au mieux de sa tâche. Mick et Annie observaient avec le plus grand intérêt.

« Voilà qui est fait, dit enfin tante Cécile. Ne pleure plus, Michel, et laisse-nous regarder le résultat ! »

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