CHAPITRE XIX
 
Un plan audacieux

 

img44.png

Au bout d'un quart d'heure, ils eurent inscrit six villages sur leur liste.

« Et maintenant, que proposes-tu, François ? demanda Mick As-tu l'intention de te rendre dans tous ces villages pour demander si quelqu’un a vu passer une grosse voiture américaine gris argent, avec des ailes bleues, remorquant une caravane blanche ?

— Non, c'est impossible, répondit François. Allons jusqu'au garage, pour voir notre ami Paul, et demandons-lui de nous aider. Il pourrait, par exemple, téléphoner à ses connaissances des garages environnants et les interroger.

— Il trouvera cela bizarre, dit Annie.

— Probablement. Mais si nous payons le téléphone et lui donnons un bon pourboire, il ne posera pas de questions. Il pensera que nous avons fait quelque pari stupide…»

En effet, Paul accepta sans difficulté de faire ce qu'on attendait de lui. Il connaissait des mécaniciens qui travaillaient dans quatre des villages portés sur la listé, et un groom d'hôtel dans le cinquième. Mais il n'avait pas de relations dans le sixième.

« Ça ne fait rien, dit-il. Nous appellerons le grand garage du pays et interrogerons l'employé qui répondra au téléphone. Commençons par les villages où j'ai des copains. »

Paul appela le garage de Cloërmel et eut une rapide conversation avec un mécanicien.

« Il n'a rien vu, dit-il en raccrochant. Aucune voiture de ce genre n'a traversé Cloërmel. Il l'aurait remarquée à cette heure de la journée. Voyons si nous aurons plus de chance à La-haix… »

Après avoir échangé quelques phrases avec un camarade de ce pays, Paul déclara :

« On n'a pas aperçu l'auto en question dans ce village. Je vais appeler maintenant le Central Hôtel, à Plounérac. Le groom est mon cousin. »

Quand Paul eut fait la description de la voiture dont ils cherchaient la trace, les enfants virent son visage s'éclairer.

« Oui, disait-il au téléphone. Alors, tu l'as vue ? Oui, c'est bien ça. Dans quelle direction est-elle partie ? Ah ! Ils ont dit que… hein ? Répète ! Bon. Merci beaucoup. »

« Qu'est-ce que c'est ? dit Mick, qui bouillait d'impatience, dès que Paul eut raccroché.

— Mon cousin m'a raconté qu'au début de l'après-midi il est allé au bureau de tabac. Pendant qu'il bavardait avec la caissière, une grosse voiture américaine s'est arrêtée devant la boutique… Elle était gris argent avec des ailes bleues… Elle remorquait une caravane…

— En sait-il davantage ? demanda François, très agité.

— Le conducteur est descendu de voiture pour entrer dans le bureau de tabac. Il a acheté des cigarettes. Mon cousin a remarqué qu'il portait des lunettes noires et une chevalière en or.

— Ce doit être l'individu qui s'est renseigné sur nous à la pâtisserie de Kernach, dit François. Continue, Paul !

— Comme mon cousin s'intéresse beaucoup aux grosses voitures, il est sorti de la boutique pour examiner celle-là. Il paraît que les rideaux étaient tirés à l'arrière. L'homme aux lunettes noires, en reprenant le volant, s'est tourné vers une personne invisible dans le fond de l'auto et lui a demandé : « Où allons-nous maintenant ? »

— A-t-il entendu la réponse ? demanda anxieusement François.

— Une voix a répondu : « Nous sommes presque arrivés. Prends la route de Guelrouzé. À la sortie du patelin, tu tournes à gauche, et c'est la maison sur la colline. »

— Non ! Quelle chance s'écria Mick. Ce serait là que… »

Un coup de coude bien senti le rappela à la prudence.

Mieux valait ne pas trop parler devant Paul.

François paya la communication et donna un pourboire au jeune mécano, qui l'empocha avec un large sourire.

« Je suis à votre disposition pour téléphoner où vous voudrez si vous avez besoin d'autres renseignements, dit-il. Merci ! »

Les deux frères, trop émus pour parler, reprirent le chemin de la Villa des Mouettes. Ils laissèrent leur bicyclette contre le mur et se hâtèrent d'aller raconter à Annie et à Maria ce qu'ils venaient d'apprendre.

Comme s'ils sentaient obscurément que les garçons rapportaient d'intéressantes nouvelles, Dagobert et Chouquette leur firent fête.

« Nous savons où est Claude ! » cria Mick dès qu'ils eurent franchi le seuil de la maison.

Maria et Annie accoururent. Quand les deux frères eurent terminé leur récit, Maria exprima son admiration.

« C'est très adroit, ce que vous avez combiné. La police n'aurait pu mieux faire. Que décidez-vous à présent ? J'espère que vous allez prévenir le brigadier ?

— Non, dit François. Si les gendarmes s'en mêlent maintenant, je crains que Gringo n'ait vent de quelque chose et n'emmène Claude plus loin. Mick et moi, nous irons reconnaître les lieux ce soir même. Nous verrons si nous pouvons découvrir Claude et la ramener. Gringo ne se doute certainement pas que nous sommes sur la piste, et par conséquent il ne se méfiera pas.

— Très bien ! dit Mick avec enthousiasme.

— J'irai avec vous, déclara Jo.

— Non, dit François énergiquement. Rien à faire, tu ne nous accompagneras pas, Jo. Mais nous emmènerons Dagobert, bien entendu. »

Jo se mordit les lèvres d'un air si furieux qu'Annie éclata de rire.

« Console-toi, Jo, lui dit-elle. Nous resterons ensemble. Oh ! François, ajouta-t-elle en se tournant vers son frère, ce serait vraiment trop beau de retrouver Claude et de la tirer des griffes de ces bandits !

— À mon avis, il vaudrait mieux prévenir la gendarmerie », insista Maria, mais personne n'y prêta la moindre attention. Les garçons étudièrent longuement la carte pour trouver le chemin le plus court jusqu'à Guelrouzé.

« Donne-nous les meilleures lampes de poche que tu pourras trouver, Annie, s'il te plaît, dit Mick. Réfléchissons… Comment pourrons-nous ramener Claude avec nous, si nous parvenons à la délivrer ? Sur mon porte-bagages arrière ? Ce n'est pas indiqué en temps normal, mais pour un cas semblable… À la guerre comme à la guerre ! Nous ne pouvons pas prendre une troisième bicyclette avec nous.

— Monsieur François, appelez donc les gendarmes, répéta plus haut la cuisinière.

— Maria, si nous ne sommes pas rentrés demain matin, vous pourrez alerter toutes les gendarmeries de France si vous le voulez ! dit François.

— Que vous êtes têtu ! soupira Maria. Tenez, j'ai oublié de vous dire que votre tante a téléphoné quand vous étiez absent. Votre oncle va mieux et ils vont rentrer tous deux le plus rapidement possible.

— J'espère que ce ne sera pas ce soir », grommela François, qui craignait de ne pouvoir mener son plan à bien. « Vous ont-ils appris quelque chose au sujet de M. Martin, le père de Berthe ?

— Oui. Il paraît qu'il a fermement refusé de livrer ses secrets quand il a eu la certitude qu'une autre avait été enlevée à la place de sa fille, dit Maria. Personne ne sait si les bandits se sont aperçus de leur erreur. Monsieur et madame suivent les instructions de la police. Il n'y a que vous qui n'en faites qu'à votre tête ! »

François eut un geste d'impatience. Maria poursuivit : « Madame est terriblement inquiète au sujet de Claude. Elle ne vit plus !

— Cela se comprend, dit Mick. Nous avons été si occupés aujourd'hui que le temps nous a manqué pour nous faire du souci : Lorsqu'on peut agir et qu'on est soutenu par l'espoir, les événements paraissent moins tragiques.

— Prenez garde de ne pas vous fourrer tous les deux dans le pétrin, en voulant assumer une tâche au-dessus de vos forces, grommela Maria.

— Rassurez-vous, nous serons très prudents, promit François, en jetant un coup d'œil entendu à Mick. Dites-moi, Maria, n'est-il pas l'heure de dîner ? J'ai terriblement faim !

— Dame, nous n'avons pas goûté, remarqua Mick. Il faut qu'il se passe des choses extraordinaires pour que nous négligions à ce point notre estomac !

— Voulez-vous une belle omelette au lard et des petits pois ? demanda Maria. Ce sera nourrissant. Vous avez besoin de prendre des forces. »

Les enfants approuvèrent le menu proposé.

« Nous nous mettrons en route dès qu'il fera sombre, dit François. Jo, il vaut mieux que tu rentres chez toi aussitôt après le dîner. On doit s'inquiéter à ton sujet.

— D'accord », dit Jo, contente d'être invitée à dîner; pourtant, au fond d'elle-même, elle rageait de ne pas faire partie de l'expédition nocturne que les garçons préparaient pour délivrer Claude.

Après le dîner, Jo s'en alla donc, chargée par tous de dire des choses aimables à Berthe.

« Elle n'en fera rien, bien entendu, persifla Mick. François, que dirais-tu d'une partie de cartes avant de nous mettre en route ? Cela nous distrairait de notre idée fixe. Mieux vaut être calme pour se lancer dans une telle entreprise.

— Tu as raison », dit François. Annie se mit à jouer avec ses frères.

« Vous serez prudents, n'est-ce pas ? J'aimerais mieux vous accompagner, dit-elle. C'est bien plus triste de rester en arrière et d'attendre des nouvelles que de participer à une entreprise dangereuse…

img45.png

Maria monta se coucher vers dix heures. Les enfants continuèrent la partie. À onze heures moins le quart, les garçons décidèrent de se mettre en route. Il faisait nuit noire. Seul, un croissant de lune brillait au firmament.

« Viens, Dagobert, dit Mick. Nous allons chercher Claude !

— Ouah ! » répondit le chien, en sautant de joie.

Chouquette fut très désappointée qu'on lui interdît de suivre Dagobert Les garçons allèrent chercher leurs bicyclettes.

« A bientôt, Annie, dit Mick en s'éloignant Tâche de dormir.

— Je ne le pourrai pas, soupira Annie, toute triste.

— Mais si, dors et peut-être qu'en t'éveillant demain matin tu auras la bonne surprise de voir Claude dans son lit ! »

Ils s'enfoncèrent dans la nuit, suivis de Dagobert. Une demi-heure plus tard, ils arrivèrent sur la place où se tenait la fête de Laëron. Alors, ils prirent la route que la belle voiture gris argent avait parcourue dans l'après-midi. Ils ne se trompèrent pas, car ils se souvenaient des indications de leur carte, consciencieusement étudiée.

Ils roulèrent sans parler, impressionnés malgré eux par les ténèbres, seulement trouées par l'éclairage de leurs bicyclettes. Le bruit qu'ils faisaient en roulant semblait étonnamment amplifié, dans le calme de la nuit. Aux approches de Plounérac, Dagobert haletait. Les garçons s'arrêtèrent, pour lui permettre de se reposer un peu.

Quand ils traversèrent Plounérac, le village semblait tout entier endormi. Pourtant, un gendarme surgit de l'ombre; les garçons eurent un moment d'inquiétude, mais il les laissa poursuivre leur chemin sans les arrêter.

« Maintenant, en route pour Guelrouzé ! dit François en poussant un soupir de soulagement. Nous tournerons à gauche et chercherons une maison sur la colline. Pourvu qu'il n'y en ait qu'une ! »

Ils passèrent sans encombre le petit village de Guelrouzé, et prirent ensuite un chemin sur leur gauche. Ce chemin montait en pente assez raide. Les garçons durent bientôt descendre de bicyclette pour continuer à pied. Ils virent avec satisfaction qu'effectivement ils escaladaient une colline.

« Regarde la maison, là-bas », chuchota François à l'oreille de son frère.

En effet, une masse sombre se profilait à travers les arbres.

« Cette maison paraît isolée, dit Mick. Tant mieux. Ainsi, nous ne pouvons pas nous tromper. Elle n'est pas d'aspect engageant ! »

Ils arrivèrent devant une énorme grille en fer forgé. Mick tourna la poignée. Elle résista. Un haut mur entourait la propriété. Les garçons l'examinèrent, le suivirent un certain temps et conclurent qu'ils ne pourraient pas l'escalader.

« Malheur ! se lamenta François.

— Attends… La grille… Peut-être ? » murmura Mick. Puis il se retourna nerveusement, car il venait d'entendre une branche craquer. « As-tu entendu ? J'espère que personne ne nous suit !

— Mais non ! Ce n'est pas le moment d'avoir la tremblote. Que disais-tu au sujet de la grille ? »

Mick se ressaisit. « Eh bien, dit-il, je ne vois pas pourquoi nous ne l'escaladerions pas. De jour, nous risquerions d'être surpris, mais maintenant nous pouvons essayer en toute tranquillité. Elle n'a pas l'air terrible. C'est une grille de fer forgé comme il y en a tant…

— Tu as raison, dit François. Allons-y »