CHAPITRE V
 
Premières difficultés

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Claude s'éveilla la première. Elle se souvint aussitôt des événements de la nuit et regarda Berthe, qui dormait sur le lit de camp, avec ses beaux cheveux blonds répandus sur l'oreiller. Claude se pencha vers Annie et lui frappa sur l'épaule. Annie sursauta et ouvrit des yeux effarés.

« Qu'est-ce que tu veux ? demanda-t-elle. Est-ce déjà l'heure de se lever ?

— Le colis est arrivé », dit Claude à mi-voix, en désignant Berthe du menton. Annie se tourna et vit la fillette blonde. Contrairement à Claude, elle trouva Berthe agréable, avec ses traits délicats et sa bouche aux coins relevés. Annie ne pouvait souffrir les gens dont la bouche avait des coins abaissés et tristes.

« Elle n'est pas mal », murmura Annie.

Claude fronça les sourcils et dit d'un ton méprisant :

« Elle pleurait comme une fontaine en arrivant. C'est un bébé ! Et figure-toi qu'elle a amené un chien !

— Oh ! Dagobert sera furieux, dit Annie. Où l'a-t-on mis ?

— Dans la niche, dit Claude. Je ne l'ai pas encore vu. On l'a amené dans un panier. Il ne doit pas être gros. C'est sans doute un affreux pékinois ou quelque stupide chien de manchon !

— Je ne trouve pas que les pékinois soient affreux, dit Annie. Ce sera amusant d'avoir un autre chien… si Dagobert prend bien la chose !

— Berthe ne nous ressemble pas, dit Claude. Regarde-moi ce teint pâle. Cette fille-là ne va-t-elle donc jamais au soleil ? Elle a l'air anémique. Je suis sûre qu'elle ne sait pas grimper aux arbres, ni canoter, ni…

— Chut ! elle s'éveille », dit Annie.

Berthe bâilla longuement, s'étira, ouvrit les yeux et regarda autour d'elle. Tout d'abord, elle parut surprise, puis se souvint… Elle s'assit sur son lit.

« Bonjour, dit Annie en souriant. C'est une surprise pour moi de te trouver là ce matin ! »

Berthe estima aussitôt qu'Annie était infiniment plus aimable que Claude, et répondit à son sourire. « Oui, je suis arrivée cette nuit, dans un canot à moteur; il y avait de grosses vagues, et j'ai eu le mal de mer. Mon père n'est pas venu avec moi, il m'a fait accompagner par un ami… Ah ! Ce que j'ai été malade !

— Tu n'as pas eu de chance, dit Annie. L'aventure ne t'a pas amusée, alors ?

— Non; d'ailleurs, je n'aime pas les aventures », dit Berthe.

Claude eut une moue de dédain.

« Je ne les aime pas tellement non plus, dit Annie. Pourtant, nous en avons eu des tas ! Mais j'avoue que je les préfère quand elles sont terminées. »

Claude explosa : « Annie ! Comment peux-tu parler ainsi ? Nous avons connu des aventures extraordinaires, et tu y as pris plaisir comme nous. Si tu raisonnes ainsi, nous ne te ferons pas partager la prochaine. »

Annie sourit. « Allons donc ! Une aventure arrive sans prévenir, comme un orage dans un ciel d'été. Il nous faut la vivre, que nous le souhaitions ou non. D'ailleurs, je ne pourrais pas vous laisser courir des risques sans moi, tu le sais bien.

— Est-il temps de se lever ? demanda Berthe.

— Oui, lui répondit Claude, en regardant la pendule de la cheminée. À moins que tu ne désires déjeuner dans ton lit ?

— Ce n'est pas dans mes habitudes », répliqua Berthe, froidement.

Elle sauta du lit et se dirigea vers la fenêtre. Elle vit la mer d'un bleu profond, qui scintillait au soleil du matin.

« Je me demandais pourquoi votre chambre était baignée d'une lumière si brillante, dit-elle. Maintenant, je comprends. C'est merveilleux d'avoir l'océan sous ses fenêtres ! Quelle est donc cette petite île que l'on aperçoit là-bas ? Elle me donne envie d'aller la visiter.

— C'est l'île de Kernach, dit Claude, fièrement. Elle m'appartient. »

Berthe se mit à rire, croyant que Claude plaisantait. « Tu veux dire, sans doute, que tu souhaiterais l'avoir à toi ? Elle est toute petite, n'est-ce pas ? J'aimerais bien que papa achète le terrain pour y faire construire une villa où nous pourrions passer nos vacances… »

Claude explosa : « Acheter mon île ! Je te dis qu'elle m'appartient, ma petite ! »

Berthe la regarda avec ahurissement. « C'est vrai ?

— Oui, dit Annie. Elle a toujours appartenu à la famille de Claude. Le père de Claude lui a donné cette île, après l'une de nos aventures. »

Berthe regarda Claude avec admiration. « Vraiment, elle est à toi ? C'est magnifique ! Tu en as de la chance ! J'espère que tu me la feras visiter ?

— Je verrai », dit Claude, bourrue mais heureuse d'avoir réussi à impressionner Berthe.

Un rugissement fit sursauter les trois fillettes. Il venait de la chambre voisine.

« Hé ! les filles ! criait Mick. Vous avez la langue bien pendue, ce matin !

— Il y a un arrivage ! répondit Annie en réponse. Quand nous serons tous habillés, nous ferons les présentations !

— Est-ce que ce sont vos frères ? demanda Berthe. Moi, je suis fille unique.

— Oui, ce sont mes frères, et les cousins de Claude, répondit Annie. Tu regretteras de n'avoir pas des frères comme eux. N'est-ce pas, Claude ?

— Certainement », dit celle-ci, sans la moindre hésitation. Puis, elle eut un geste de contrariété, car Dagobert s'approchait de Berthe et lui témoignait de la sympathie. « Viens ici, Dagobert, ne te rends pas insupportable !

— Laisse-le faire, il est très gentil, dit Berthe, en caressant la grosse tête du chien. Bien sûr, il me semble énorme à côté de ma petite Chouquette. Vous verrez comme elle est amusante, et bien dressée ! Tout le monde l'aime ! »

Claude préféra ne pas répondre et se dirigea vers la salle de bain. Elle la trouva occupée par François et Mick.

On entendit des cris épouvantables quand Claude demanda aux garçons de se dépêcher afin de lui laisser la place. Berthe riait de bon cœur.

« Ce sont des choses qu'on ne connaît pas quand on est enfant unique, soupira-t-elle. Comment dois-je m'habiller ici ?

— Le plus .simplement possible », dit Annie.

Quand ils furent tous prêts, les enfants descendirent et trouvèrent oncle Henri attablé devant son petit déjeuner. Il parut fort surpris de voir Berthe, ayant tout oublié dans ses chiffres. « Qui est-ce ? demanda-t-il en ouvrant de grands yeux.

— Voyons, Henri, c'est la fille de ton ami Martin, dit sa femme qui revenait de la cuisine. Elle est arrivée cette nuit. Tu dormais si bien que je n'ai pas cru devoir te réveiller.

— Ah ! oui ! dit oncle Henri, en serrant la main de la timide Berthe, qui rougissait. Sois la bienvenue chez moi. Comment t'appelles-tu ?

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— Berthe ! répondit le chœur des enfants.

— Oh ! c'est vrai. Assieds-toi, ma petite Berthe. Je connais bien ton père. Il fait du bon travail. »

Berthe sourit, très fière. « Papa travaille sans cesse Quelquefois même la nuit, dit-elle

— Vraiment ? Il a tort !

— Toi aussi, Henri, tu te surmènes, quoique tu ne t'en aperçoives sans doute pas », dit tante Cécile.

Oncle Henri remarqua alors une lettre portant la mention « Urgent » sur sa pile de correspondance

« Il me semble que c'est une lettre de ton père, dit-il à Berthe Voyons ce qu'il écrit. »

Il déchira l'enveloppe et lut.

« Cette lettre te concerne, mon petit, dit-il au bout d'un moment À mon avis, ton père a des idées originales à ton sujet. Oui, vraiment !

— Qu'est-ce donc ? demanda sa femme.

— Eh bien, Charles demande que sa fille soit habillée en garçon, pour le cas où les ravisseurs éventuels retrouveraient sa trace, dit oncle Henri. Il veut aussi qu'on change son nom et qu'on lui coupe les cheveux le plus court possible, afin de la rendre méconnaissable. »

Chacun écouta, ébahi. La voix grêle de Mick rompit le silence.

« Si ce n'est pas suffisant, peut-être qu'une bonne teinture noire… , commença-t-il.

— Ce n'est pas le moment de faire des réflexions saugrenues ! » s'écria oncle Henri en frappant du poing sur la table.

François, Claude et Annie luttaient contre le fou rire. Mais Berthe eut un sursaut :

« Non ! Je ne veux pas m'habiller comme un garçon ! Je .ne veux pas qu'on me coupe les cheveux. Je ne veux pas ! »

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