CHAPITRE XV
 
Une découverte intéressante

 

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Le brigadier arrivait, accompagné de l'un de ses subordonnés. Annie se sentit réconfortée à la vue de ces hommes grands et forts, portant dignement l'uniforme, visiblement conscients de leurs responsabilités.

François les introduisit au salon, et leur conta tout ce qu'il savait. Il achevait son récit lorsque des bruits de pas précipités résonnèrent dans l'escalier et dans l'entrée.

« Nous partons ! cria Maria. Au revoir ! Il faut que nous nous dépêchions pour attraper l'autocar. »

Par la fenêtre, les gendarmes et les enfants virent passer Maria qui se hâtait, une petite valise à la main. Cette valise lui appartenait; elle la prêtait à Berthe, car celle de la fillette était trop grande. Toutes deux y avaient rangé les vêtements les plus simples que Berthe eût apportés. Pourtant, Maria se promettait de demander à sa cousine d'habiller Berthe avec des robes de Jo.

Berthe suivait, une Berthe différente maintenant, habillée d'une charmante robe d'été, à pois rouges sur fond blanc. Elle portait un petit chapeau de toile blanche pour dissimuler ses cheveux trop courts.

La fillette se retourna pour faire à ses amis un signe d'adieu, accompagné d'un sourire un peu contraint.

« Pauvre Berthe, dit Mick Elle est gentille, n'est-ce pas ?

— C'est vrai, elle est mignonne comme tout, dit François.

— Que se passe-t-il ? » demanda le brigadier, en désignant d'un geste l'allée que venaient de traverser Maria et Berthe.

François lui donna toutes les explications à ce sujet. Le brigadier fronça ses-noirs sourcils.

« Ainsi, dit-il, vous avez arrangé cela sans nous demander notre avis ? »

Devant son air sévère, François se mit à bafouiller.

« Heu… Il me semblait qu'il valait mieux éloigner Berthe sans attendre… Si les ravisseurs s'aperçoivent qu'ils se sont trompés, ne vont-ils pas revenir ici pour tenter de s'emparer de la véritable fille de M. Martin ?

— C'est possible, dit le brigadier. Pourtant, vous deviez nous consulter. » Il se radoucit un peu et ajouta : « Nous sommes d'accord pour que l'enfant soit conduite dans ce village paisible, chez une personne que nous connaissons, et qui a adopté Jo. Cette Jo est une rusée. Si les ravisseurs s'aventurent par là, elle leur donnera du fil à retordre ! Monsieur François, comprenez que c'est là une très sérieuse affaire — trop sérieuse pour être réglée par des enfants !

— Pouvez-vous nous ramener Claude ? » demanda anxieusement Annie.

Depuis l'arrivée des gendarmes, cette question lui brûlait les lèvres.

« Peut-être, dit le brigadier. Je vais me mettre immédiatement en rapport avec M. et Mme Dorsel et aussi avec M. Martin… »

Le téléphone sonna. Annie courut y répondre « C'est pour vous, brigadier », cria-t-elle.

Le brigadier s'approcha de l'appareil à pas mesurés, et l'on entendit sa grosse voix : « Ah ! D'accord. Oui. Entendu ! Non. Ah ! Bon. » Puis il raccrocha et revint s'asseoir au salon. « Il y a du nouveau, dit-il. Les ravisseurs viennent de prévenir M. Martin qu'ils ont enlevé sa fille Berthe.

— Lui ont-ils demandé de leur livrer tous les calculs relatifs à sa dernière invention ? » demanda François.

Le brigadier fît un signe de tête affirmatif. « Oui, et le pauvre homme a promis de donner tout ce qu'on lui demandera, pourvu que sa fille lui soit rendue.

— Il faut vite le prévenir que ce n'est pas Berthe qui a été enlevée, dit Mick. Alors, il sera rassuré et ne parlera pas ! »

Le brigadier fronça de nouveau ses gros sourcils et articula fermement :

« Jeune homme, nous savons ce que nous avons à faire. Vous ne réussirez qu'à nous gêner si vous essayez d'agir par vous-mêmes dans cette histoire. Le plus grand service que vous puissiez nous rendre est de rester tranquille.

— Comment ? Avec Claude en danger ? Croyez-vous que nous puissions rester inactifs ? explosa Mick. Et vous, comment allez-vous faire pour la retrouver ?

— Calmez-vous, dit le brigadier, très ennuyé. Elle n'est pas vraiment en danger. Les bandits vont la libérer dès qu'ils s'apercevront qu'elle n'est pas la fille de M. Martin.

— Non ! dit Mick avec force. Ils se retourneront contre le père de Claude, qui en sait long, lui aussi.

— Cela nous donnera le temps de découvrir les bandits », coupa le brigadier, irrité.

Il se leva, impressionnant dans son bel uniforme, et se dirigea vers la porte, suivi de son compagnon. « Si vous apprenez quelque chose de nouveau, ne manquez pas de m'en avertir, ajouta-t-il. Je vous le répète, n'essayez pas d'intervenir par vos propres moyens. Laissez à la police le soin d'agir. C'est son affaire. »

Lorsque les deux gendarmes furent partis, François donna libre cours à sa mauvaise humeur.

« Ils ne se rendent pas compte que c'est urgent ! Bien sûr, l'affaire est compliquée : Claude enlevée à la place de Berthe, le père de Berthe prêt à livrer ses secrets pour une enfant qui n'est pas la sienne… Et que dira notre oncle lorsqu'il apprendra la vérité ? Lui n'est pas du tout disposé à traiter avec des ravisseurs. Pauvre Claude ! Quand et comment la reverrons-nous ? Je voudrais bien savoir ce qu'elle pense en ce moment.

— Moi aussi, dit Mick. En tout cas, nous avons bien fait d'éloigner Berthe. Comme tu as l'air bizarre, Annie. Tu es toute pâle. Serais-tu malade ?

— Je ne sais pas. Ce doit être l'émotion et aussi… j'ai honte de le dire, mais nous n'avons pas déjeuné… je meurs de faim, acheva Annie tout bas.

— C'est pourtant vrai ! Il faut un événement d'une exceptionnelle importance pour que nous oubliions le déjeuner, dit Mick. Il est près de dix heures. Qu'avons-nous donc fait, pendant tout ce temps-là ? Allons boire un peu de café au lait et manger quelques tartines, nous nous sentirons mieux après !

— Voyez Chouquette et Dagobert, dit Annie en pénétrant dans la cuisine. Leur vue me fend le cœur. Dagobert, mon bon chien, ne me regarde pas ainsi ! Je ne sais pas où est Claude, sinon je te conduirais près d'elle tout de suite. Et toi, Chouquette, il faut te résigner. Berthe doit se séparer de toi pour quelques jours. Nous espérons tous que cette situation ne se prolongera pas longtemps ! »

Ils s'assirent autour de la table de la cuisine et mangèrent du bout des dents. Chacun d'eux éprouvait une grande tristesse. Comme cela paraissait bizarre de n'être plus que trois ! Mick essaya de converser un peu, mais ni son frère ni sa sœur ne lui répondirent. Dagobert se coucha sous la table et posa sa grosse tête sur le pied d'Annie. Le petit caniche s'installa également auprès de la fillette, qui comprenait mieux que les garçons le désarroi des chiens et faisait de son mieux pour les réconforter.

Après le déjeuner, Annie monta dans les chambres pour y mettre de l'ordre. Pendant ce temps, les garçons sortirent dans le jardin pour examiner une fois de plus l'endroit où ils avaient découvert la ceinture de Claude. Les chiens les suivirent. Dagobert flaira longuement, puis, le nez collé au sol, il descendit l'allée du jardin jusqu'à la porte d'entrée, qu'il franchit en la poussant du museau. Toujours flairant avec application, il s'engagea sur la route et bientôt tourna dans un large chemin forestier.

« Il suit une trace, constata François. Même si Claude a été portée jusqu'à une voiture, Dagobert est assez malin pour suivre des empreintes qui, à un certain endroit, sont mêlées à celles de sa maîtresse. Peut-être la sent-il encore…

— Surveillons Dagobert, nous verrons bien jusqu'où il ira », dit Mick.

Les garçons et Chouquette accompagnèrent donc la brave bête, qui bientôt se mit à courir.

« Pas si vite ! protesta François. Attends-nous, mon vieux ! »

Mais Dagobert ne voulait pas ralentir. Il semblait prodigieusement intéressé par la piste qu'il avait découverte. Les garçons s'élancèrent à sa suite. Ils s'enfoncèrent dans le bois. Arrivé à une clairière, Dagobert s'arrêta.

François et Mick, hors d'haleine, le regardaient flairer tout autour de lui. Puis le chien poussa une sorte de gémissement et leva sur eux un regard désolé.

De toute évidence, les traces s'arrêtaient dans cette clairière. « Une voiture est passée par là », dit Mick, en montrant du doigt le sol humide, sous un grand chêne.

En effet, de gros pneus avaient laissé leur empreinte sur l'herbe et creusé des ornières à certains endroits.

« Tu vois ? continua Mick. Les bandits ont amené une voiture et l'ont cachée ici; puis ils sont venus par le bois jusqu'à la Villa des Mouettes et ont attendu une occasion de s'emparer de Berthe. Ils ont enlevé Claude à sa place, mais si Claude n'avait pas été assez idiote pour sortir avec Chouquette, ils seraient sans doute repartis bredouilles ! Toutes les portes de la maison sont munies de solides serrures et de verrous de sûreté. »

François se pencha pour examiner les traces sur le sol.

« Il s'agit certainement d'une grosse voiture, dit-il. Regarde la largeur des marques laissées par les pneus ! Je crois qu'il s'agit de pneus américains. Nous pouvons nous en assurer d'une façon très simple. Je vais relever le dessin et je le montrerai à Paul, l'employé du garage. Il s'y connaît ! »

Il tira de sa poche un carnet et un crayon et commença de dessiner. Mick se pencha sur les empreintes et les examina avec une grande attention.

« Tiens ! dit-il au bout d'un moment. Les traces s'entrecroisent plusieurs fois. On peut supposer que lorsque les bandits ont enlevé Claude, ils l'ont amenée ici et l'ont poussée dans la voiture. Ensuite ils ont dû faire demi-tour pour repartir par le chemin qu'ils avaient pris à l'aller. Vois, les pneus ont laissé une marque visible le long du chemin forestier, de ce côté. Vraisemblablement, ils ont eu du mal à tourner leur grosse voiture et ont accroché cet arbre, là. Il y a un peu de peinture en travers du tronc…

— Où donc ? s'écria François. Oui, en effet, c'est une traînée de peinture bleue. Par conséquent, la voiture est de cette couleur.

— À moins que ce ne soit seulement les ailes, fît remarquer Mick. Les américaines sont souvent bicolores. Grâce à Dagobert, nous découvrons des indices très intéressants : les ravisseurs de Claude conduisaient une grosse voiture bleue ou ayant des ailes bleues, probablement d'une marque américaine. Cela peut aider grandement la police.

— Dagobert est encore en train de flairer ! Il est inconsolable de n'avoir pas trouvé Claude au bout de la piste. Pauvre vieux ! Comprend-il que Claude a été poussée dans une voiture à cet endroit ? Tiens, il est en train de gratter la terre. Allons voir ce qu'il cherche ! »

Ils accoururent près du chien, qui essayait d'atteindre un objet enterré dans une ornière. Mick vit bientôt dépasser quelque chose de vert. C'était un peigne, cassé en deux. En tournant, l'auto l'avait sans doute enfoncé dans le sol.

« François, te souviens-tu si Claude possédait un peigne vert ? demanda Mick. J'avoue que, pour ma part, il ne me rappelle rien.

— Naturellement. Tu détestes te coiffer. Mais c'est le peigne de Claude, j'en suis sûr, parce qu'elle me l'a prêté plusieurs fois.

— Pauvre François ! Quand on est affligé d'épis aussi raides que les tiens, je comprends qu'on fasse tout son possible pour les aplatir.

— Tu me paieras ça plus tard ! Pour le moment, nous avons autre chose à faire que de nous chamailler. Ce peigne est tombé de la poche de Claude, à moins qu'elle ne l'ait jeté ici, en espérant que nous le trouverions.

Cherchons, peut-être y a-t-il autre chose… Regarde ce chiffon blanc, là-bas ! »

C'était un mouchoir accroché à la branche d'un buisson. Les deux frères se précipitèrent dessus. Il portait l'initiale C, brodée en bleu.

« Pas de doute, c'est bien son mouchoir, dit François. Elle a dû le jeter tandis que les bandits manœuvraient pour tourner leur grosse voiture. »

Ils cherchèrent longtemps, avec Dagobert. Ce dernier déterra d'une ornière un caramel enveloppé de cellophane.

« Vois, dit Mick à son frère. Nous avons acheté un sac de caramels hier. C'est l'un d'eux. Claude, qui devait se trouver sur un siège arrière de l'auto, a profité d'un moment d'inattention de ses ravisseurs pour vider ses poches, afin de signaler son passage ici. Quel dommage qu'elle n'ait pas eu sur elle de quoi écrire !

— Sait-on jamais ? Claude a toujours-des tas de choses dans ses poches. Continuons nos recherches. »

Mais, hélas ! malgré tous leurs efforts, ils ne découvrirent plus rien d'autre, ni sur le sol, ni dans les buissons d'alentour.

« Suivons les traces des roues, maintenant, dit François. Assurons-nous que la voiture a bien regagné la route. »

Ils reprirent le chemin forestier, les yeux rivés au sol. Après quelques minutes de marche, ils virent voleter devant eux, sur le côté droit, un petit bout de papier que chaque coup de vent soulevait et déposait un peu plus loin. Mick se précipita pour le ramasser et se retourna vers son frère, les yeux brillants de joie.

« Elle a trouvé le moyen d'écrire ! Mais il n'y a qu'un mot… Qu'est-ce que ça signifie ? »

François s'empara avidement du petit carré de papier blanc et constata :

« C'est bien son écriture. Ce G énorme est dans sa manière. Elle aime les grandes majuscules.

— Gringo, lut Mick à haute voix. Rien d'autre. Ce nom-là ne me rappelle rien. Et à toi ?

— À moi non plus, dit François. Claude a dû entendre prononcer ce nom et s'est hâtée de l'inscrire sur un bout de papier qu'elle a jeté par la portière, Gringo ! Que veut dire Gringo ? »