CHAPITRE II
 
Une visite dans la nuit

 

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Le « Club des Cinq » alla s'installer sur la plage. François déballa les provisions. Le panier contenait des sandwiches variés, du poulet froid, un gros gâteau, des fruits et deux bouteilles de limonade, sortant du réfrigérateur.

« Voilà de quoi se régaler ! dit Mick.

— Ouah ! » fit Dagobert, en fourrant son nez dans le panier.

On trouva pour lui, dans un papier brun, un os et de gros biscuits. Claude défit le paquet et dit : « C'est moi qui ai préparé ceci pour toi, Dagobert ! »

Le chien témoigna d'une reconnaissance si exubérante qu'elle cria grâce : « Tu m'as assez remerciée, arrête-toi ! »

Ils se mirent à dévorer à belles dents leurs sandwiches et leur poulet. Ceux qui eurent terminé les premiers regardèrent avec convoitise le gros gâteau, en attendant les autres.

« Je ne comprends pas qu'on reste dans une maison quand il fait si bon dehors, dit Mick. Quand je pense à mon oncle, à ma tante et à leurs invités, en train de manger des plats chauds entre quatre murs, par une journée comme celle-ci !

— Ce savant à l'allure sportive est très sympathique, dit Claude. Mon père en a souvent parlé : c'est M. Charles Martin; il habite Lyon. Pour le moment, il séjourne avec sa fille tout près d'ici, à Port-Rimy, afin de pouvoir rencontrer souvent mon père. Ils mettent la dernière main à leurs travaux.

— Nous savons pourquoi il te plaît, dit Mick, taquin. Il t'a prise pour un garçon ! Quand donc te résigneras-tu à être une fille ? »

Les yeux de Claude brillèrent de colère. « Jamais ! » dit-elle.

Après le déjeuner, ils s'allongèrent tous sur le sable, et François raconta, avec force détails, un bon tour que Mick et lui avaient joué à l'un de leurs professeurs. Quand il eut terminé, il s'étonna fort du silence de ses compagnons, car il s'attendait à une tempête de rires. Il s'assit et constata que tout le monde dormait à poings fermés. Vexé, il se laissa retomber sur le sable, au moment où Dagobert dressait l'oreille. On entendait le bruit d'un puissant moteur.

« C'est la fameuse voiture grise, pensa François. Je n'en ai jamais vu de semblable. Il s'agit peut-être d'un nouveau modèle. » Il se leva pour voir l'automobile s'éloigner sur la route.

Les quatre enfants décidèrent, ce jour-là, de paresser sur la plage, en faisant des projets pour toute la semaine qui s'ouvrait devant eux. Mick et François arrivaient d'Angleterre, après un séjour d'un mois. Annie avait été camper avec des camarades de lycée, et Claude était restée seule à la Villa des Mouettes. Aussi chacun des enfants voyait-il avec joie se reconstituer le « Club des Cinq », pour ces dernières semaines de vacances. Kernach ne manquait pas de charme, avec sa jolie plage de sable et sa petite île, en face de la baie…

Les deux premiers jours passèrent comme en un rêve. Au matin du troisième jour, alors que les enfants faisaient leurs lits, le téléphone sonna.

« Je vais répondre ! » cria François à sa tante.

Une voix qui semblait oppressée parla à l'autre bout du fil.

« Qui est à l'appareil ? François, dites-vous ?… N'êtes-vous pas le neveu de M. Henri Dorsel ? Oui ? Alors, écoutez. Dites à votre oncle que j'irai le voir ce soir, tard, après le dîner… Demandez-lui de m'attendre… C'est pour une question très importante !

— Ne préférez-vous pas lui parler vous-même, monsieur ? demanda François. Je peux aller le chercher… »

À sa grande surprise, le jeune garçon constata que personne ne répondait plus. Heureusement, François avait reconnu la voix de son interlocuteur, qui ne s'était pas nommé. Sans aucun doute, il s'agissait du savant athlétique, venu en visite deux jours auparavant. Que se passait-il donc ?

François alla frapper à la porte du bureau de son oncle. Silence. Il n'osa pas entrer dans la pièce sans y être invité, et alla trouver sa tante. « Tante Cécile, dit-il, le savant lyonnais a téléphoné. Il a dit qu'il arriverait tard ce soir, après le dîner, et que mon oncle devait l'attendre, pour une affaire très importante.

— Va-t-il rester ici ? s’exclama sa tante, consternée. Et pourquoi venir à la nuit ? Je n'ai pas de chambre à lui offrir. La maison est pleine à craquer !

— Il n'a pas donné de précisions, dit François. Quand j'ai proposé d'appeler mon oncle, il a raccroché…

— Que de mystère ! dit sa tante. Comment pourrais-je faire pour l'héberger, le cas échéant ? Espérons qu'il n'est pas arrivé de catastrophe !

— Où est mon oncle ? demanda François. Il connaît sans doute le numéro de téléphone de son ami. Il pourrait le rappeler pour en savoir davantage.

— Ton oncle est dans son bureau.

— J'ai frappé à la porte, personne n'a répondu.

— Il est sans doute très absorbé. Je vais lui parler.»

François alla retrouver les autres et leur fit part du mystérieux coup de téléphone. Mick déclara :

« L'autre jour, je n'ai pas pu examiner cette belle voiture comme je l'aurais souhaité. Ce soir je resterai éveillé jusqu'à l'arrivée du savant, et j'irai la regarder de près. Je suis sûr qu'il y a une quantité de boutons sur le tableau de bord. »

L'oncle Henri fut très surpris, lui aussi, de cet étrange coup de téléphone, et, pour un peu, eût reproché à François de n'avoir pas réussi à obtenir d'autres détails.

« Que veut-il donc ? demanda-t-il, comme si François devait le savoir. Nous avons tout réglé ensemble l'autre jour. Tout, absolument tout ! Chacun de nous trois a sa part de travail. C'est lui qui a la plus importante, d'ailleurs. Il a emporté tous les papiers avec lui, il ne peut en avoir oublié. Arriver ici la nuit, c'est tout de même extraordinaire ! :»

Ce soir là, Mick résista au sommeil, comme il se l'était promis. Il alluma sa lampe de chevet et se mit à lire un roman policier.

Seul un livre aux péripéties passionnantes pouvait l'empêcher de tomber endormi sur son oreiller.

Il terminait son livre quand la vieille horloge de l'entrée égrena les douze coups de minuit. Le visiteur se faisait attendre. Tout en bâillant, Mick se choisit un autre roman policier. « Pauvre tante Cécile ! pensa-t-il. Elle aussi est en train de veiller. Comme mon oncle doit être impatient ! »

Vers une heure du matin, le jeune garçon sentit ses paupières s'alourdir irrésistiblement. Pour lutter contre la torpeur qui l'envahissait, il se leva, enfila sa robe de chambre et descendit respirer au jardin l'air frais de la nuit.

Il se promenait lentement dans les allées, en se demandant s'il était raisonnable de se refuser plus longtemps un doux repos, lorsqu'il entendit un léger crissement. Il prêta l'oreille. Quelque chose arrivait sur la route. Non, rien de commun avec la voiture tant attendue. Sans aucun doute, il s'agissait… d'une bicyclette ! Etait-ce un gendarme faisant sa ronde ? À sa grande surprise, Mick entendit le cycliste s'arrêter devant la villa; il y eut un bruit de feuilles froissées lorsque l'inconnu laissa tomber sa bicyclette contre la haie. Mick, intrigué, se dissimula derrière un arbre et regarda. Il vit une haute silhouette pénétrer dans le jardin et se diriger tranquillement vers la fenêtre du bureau, la seule qui fût éclairée dans la maison. L'homme frappa contre la croisée, qui s'ouvrit aussitôt. Oncle Henri apparut.

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« Qui est là ? demanda-t-il Est-ce vous, Charles ?

— Je vais ouvrir la porte », dit une voix féminine.

Mais déjà le visiteur nocturne enjambait la fenêtre, qui bientôt se referma sur lui…

Mick, fortement déçu, remonta dans sa chambre en se reprochant d'avoir tant veillé pour voir arriver… une bicyclette !

« Quelle étrange affaire ! songeait-il en se recouchant. Pourquoi cet homme important vient-il en secret au milieu de la nuit, monté sur cet engin ridicule, et non dans sa belle voiture ? » Mick se posa ainsi une foule de questions et s'endormit.

Lorsqu'il s'éveilla le lendemain matin, il se demanda s'il avait rêvé. En descendant l'escalier pour aller déjeuner, il rencontra sa tante et s'empressa de l'interroger pour dissiper ses doutes : « Tante Cécile, dis-moi si l'ami de mon oncle est bien venu cette nuit ?

— Oui, Mick. Surtout, n'en parle à personne. Il ne faut pas que cela se sache.

— Est-il encore ici ?

— Non, il n'est resté qu'une heure.

— Il devait avoir quelque chose d'important à vous dire… », risqua Mick, qui mourait d'envie de connaître le fin mot de l'histoire.

« Très important, en effet, dit tante Cécile, réticente. Mais ce n'est pas du tout ce que tu t'imagines… Je t'en prie, Mick, ne me pose pas de questions, et fais attention de ne pas irriter ton oncle, qui est d'une humeur massacrante ce matin. »

Bien entendu, Mick s'empressa d'aller raconter tout ce qu'il savait aux autres enfants.

« C'est curieux, dit François. Il ne peut s'agir que de leurs travaux… »

À ce moment précis, des éclats de voix leur parvinrent. De toute évidence, il valait mieux suivre le conseil de tante Cécile et éviter soigneusement toute rencontre avec leur oncle. Les enfants se tinrent cois jusqu'à ce que la porte du bureau se fût refermée sur le savant. Alors, ils respirèrent. Plus de danger ! L'oncle, pris par ses calculs, ne reparaîtrait qu'au déjeuner.

Un peu plus tard, Annie rapporta une étrange nouvelle à sa cousine.

« Claude, s'écria-t-elle, j'ai été dans notre chambre et devine ce que j'ai vu ? Tante Cécile est en train d'installer un lit pliant dans un coin. Ce que nous serons serrées, avec trois lits dans cette pièce !

— Tiens, tiens, dit Mick, quelqu'un va venir s'installer ici. Une fille, ou une femme… Qui sait, ce sera peut-être une gouvernante, pour vous enseigner les bonnes manières, mesdemoiselles ?

— Toi, tu feras de l'esprit un autre jour, dit Claude, en lui lançant un regard torve. Je ne veux personne d'autre qu'Annie dans ma chambre, vous entendez ! Personne ! Je vais de ce pas demander à maman des explications. »

Au moment où elle quittait ses cousins, la porte du bureau s'ouvrit brusquement et son père cria dans le couloir :

« Cécile ! Fais venir les enfants dans mon bureau ! Je veux leur parler tout de suite ! »

« Quel ton ! Qu'avons-nous fait pour lui déplaire ? » soupira Annie, très inquiète.

 

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