CHAPITRE IV
 
Berthe

 

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LA maman de Claude tourna le commutateur. La lumière inonda la chambre et révéla une petite fille tout enroulée dans des couvertures, qui pleurait amèrement.

Annie ne s'éveilla pas. Dagobert, médusé, se contenta, comme Claude, de s'asseoir sur le lit et d'observer la nouvelle venue.

« Dis à ton chien de se taire », souffla la maman de Claude, qui craignait que Dagobert ne réveillât toute la maisonnée par ses aboiements.

Claude posa une main sur la tête de Dagobert pour le calmer. La maman poussa doucement Berthe dans la chambre, et dit à sa fille :

« La pauvre a eu le mal de mer. Elle est toute bouleversée. Il faut qu'elle se couche le plus rapidement possible. »

Berthe pleurait encore, mais s'apaisait progressivement. Son malaise s'atténuait. La mère de Claude se montrait si gentille et compréhensive envers elle que la fillette se sentait réconfortée. Lorsqu'elle fut dégagée de ses couvertures, elle apparut très gentiment vêtue d'un manteau de lainage bleu.

« Comment dois-je vous appeler, madame ? demanda-t-elle dans un dernier reniflement.

— Appelle-moi tante Cécile, comme mes neveux. Tu sais pourquoi on t'envoie chez nous, n'est-ce pas ?

— Oui, dit Berthe. Je ne voulais pas quitter papa. Je n'ai pas peur d'être enlevée ! Enfin, il n'a pas voulu m'écouter. Il m'a obligée à venir ici. J'ai pris Chouquette pour veiller sur moi…

— Qui est Chouquette ? demanda tante Cécile, en aidant Berthe à retirer son manteau.

— Ma petite chienne, répondit Berthe. Elle est en bas, dans le panier que j'ai apporté. »

Claude ouvrit des yeux scandalisés en entendant cette nouvelle. « Un chien ? s'écria-t-elle. Nous ne pouvons pas accueillir un autre chien ici. Le mien ne le permettrait pas. N'est-ce pas, Dagobert ? »

Dagobert fit entendre un faible grognement approbatif Il observait l'inconnue avec le plus grand intérêt. Il aurait bien voulu descendre du lit pour aller la flairer, mais Claude le tenait fermement par son collier.

« J'ai amené ma chienne et il faut bien qu'elle reste ici, dit Berthe. Le bateau est reparti. D'ailleurs, je ne peux pas me passer d'elle. Papa le sait bien. C'est pourquoi il m'a donné la permission de la prendre avec moi.

— Maman, explique-lui que Dagobert se bat férocement avec tous les chiens qui viennent chez nous ! dit Claude d'un ton pressant. Je ne veux pas d'un autre chien dans ma maison ! » 

La mère de Claude ne répondit pas. Elle ôtait à Berthe une veste de lainage. Claude se demandait comment quelqu'un pouvait supporter tant de vêtements, par une chaude nuit d'été.

Enfin, Berthe parut dans un simple pull-over et une jupe plissée. C'était une jolie petite fille, mince, avec de grands yeux bleus et de beaux cheveux blonds, ondulés. Elle rejeta en arrière sa longue chevelure et s'essuya le visage avec son mouchoir.

« Merci, dit-elle. Voulez-vous me permettre d'aller délivrer Chouquette maintenant ?

— Pas ce soir, ma mignonne, dit tante Cécile. Demain, nous présenterons Chouquette à Dagobert. Vois, tu vas dormir dans ce lit de camp. Veux-tu manger un peu de soupe à la tomate et des biscuits ?

— Oui, avec plaisir, dit Berthe. Je me sens mieux et j'ai faim. Ce que j'ai pu être malade sur cet affreux bateau !

— Défais ta valise, lave-toi dans la salle de bain si tu le désires, mets ton pyjama et saute dans ton lit, dit tante Cécile. Pendant ce temps, je vais te chercher du potage. »

Un coup d'œil sur Claude la fit changer d'avis. Pour cette première nuit, il valait mieux ne pas laisser la pauvre Berthe en tête-à-tête avec une Claude absolument furibonde.

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Elle s'approcha de sa fille et lui dit : « Je suis bien fatiguée. Veux-tu aller pour moi à la cuisine, ma chérie ? La soupe chauffe sur le poêle; tu la verseras dans un bol que tu trouveras sur la table. Prends aussi quelques biscuits. »

Claude se leva, d'assez mauvaise grâce. Elle remarqua que Berthe sortait de sa valise une chemise de nuit, et fit la moue. « Elle ne porte même pas de pyjama, pensa-t-elle. Voilà une fille qui retarde ! Quel toupet d'amener son chien chez nous ! Où peut-il bien être ? J'ai envie de jeter un coup d'œil dessus en descendant. » 

Mais sa mère devina ses intentions « Claude, lui dit-elle, je ne veux pas que tu ouvres le panier du chien. Je mettrai cette bête dans la niche de Dagobert avant d'aller me coucher. »

Claude ne répondit pas et descendit dans la cuisine. Pendant qu'elle versait le potage dans le bol, elle entendit un faible gémissement, qui venait d'un grand panier posé dans un coin. Claude éprouva la tentation de l'ouvrir, mais elle pensa que si ce chien lui échappait et courait dans l'escalier pour retrouver sa maîtresse, Dagobert aboierait… Elle ne voulut pas prendre un tel risque.

Pendant ce temps, au premier étage, Dagobert profitait de l'absence de Claude pour sauter du lit afin d'aller examiner de près la nouvelle venue. Il la flaira délicatement, et Berthe le caressa.

« Quels beaux yeux il a ! dit-elle. Mais ce n'est pas un chien de race, il me semble ?

— Je ne te conseille pas de dire cela à Claude, dit tante Cécile. Elle adore son chien et le trouve magnifique. Te sens-tu mieux maintenant ? J'espère que tu te plairas chez nous, ma petite Berthe. Je sais bien que tu ne voulais pas venir, mais ton père n'a trouvé que cette solution pour te mettre à l'abri.

D'autre part, ce sera une très bonne chose pour toi que de faire connaissance avec Annie et Claudine avant d'entrer au lycée où elles font leurs études.

— Claudine ? C'est donc une fille que vous appelez Claude ? Je n'en étais pas sûre. Mon père m'a dit qu'il y avait ici trois garçons et une fille.

— Ton père s'est trompé. Nous avons chez nous deux garçons et deux filles; voici Annie, qui dort. Les deux garçons occupent la chambre voisine.

— Claude n'a pas l'air de bonne humeur, murmura Berthe. Je vois bien qu'elle n'est pas contente que je sois ici, avec mon chien.

— Allons, tu changeras d'avis et tu t'amuseras beaucoup avec Claude quand tu la connaîtras mieux, dit tante Cécile. Tu verras comme elle est gaie ! La voilà qui revient avec ton potage. »

Claude rentra dans la chambre et fronça les sourcils en voyant Dagobert se laisser-caresser par Berthe. D'un geste brusque, elle posa le bol fumant sur la table de nuit et tira Dagobert par son collier.

« Merci, dit Berthe en s'emparant du bol avec un plaisir évident. Comme ça sent bon ! »

Claude se recoucha et tourna le dos à l'étrangère. Elle savait qu'elle se conduisait impoliment, mais ne pouvait supporter l'idée que quelqu’un eût osé amener un chien sous son toit Dagobert sauta sur le lit de Claude pour y dormir comme à l'ordinaire. Berthe observa son manège d'un air approbateur.

« Quelle bonne idée ! s'écria-t-elle. Papa laisse ma chienne coucher dans ma chambre, à la condition qu'elle dorme dans son panier, mais pas sur mon lit Demain soir, elle dormira sur mes pieds, comme celui-là !

— Non ! rugit Claude, soudain dressée. Aucun chien n'est admis dans ma chambre, excepté Dagobert ! »

Annie grogna et se retourna dans son lit.

« Taisez-vous toutes les deux, dit la maman. Vous allez réveiller Annie. Vous discuterez quand il fera jour. »

Berthe n'insista pas.

Elle sentait le sommeil la gagner, ses yeux se fermaient tout seuls. Elle dit d'une voix presque indistincte :

« Merci, tante Cécile, et bonne nuit. »

Elle tomba endormie en prononçant le dernier mot.

Tante Cécile prit le bol vide et se dirigea vers la porte.

« Claude… », dit-elle d'un ton de reproche.

La fillette ne bougea pas. Elle savait que sa mère était mécontente de son attitude. Aussi fit-elle semblant de dormir pour éviter une semonce.

« Claude, je suis sûre que tu m'entends. Tu devrais avoir honte de te conduire de la sorte. J'espère que demain matin tu te montreras un peu plus civilisée », dit sa mère.

Puis elle quitta la chambre et alla voir la chienne de Berthe. Elle la prit dans ses bras et la porta dans la niche de Dagobert, au fond du jardin. La chienne s'y trouva en sécurité, sans pouvoir se sauver, car cette niche fermait par une petite porte.

« Que va-t-il se passer demain ? se demandait la maman avec inquiétude. Claude est d'humeur difficile et les deux chiens vont sûrement nous causer des ennuis… Berthe semble assez douce, fort heureusement. Peut-être que tout ira mieux que je ne le pense ! »

Malheureusement, l'optimisme de tante Cécile ne devait pas se justifier le lendemain.