CHAPITRE XX
 
Une nuit mouvementée

 

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Les deux frères revinrent donc vers la grille. Mick semblait inquiet. Il se retournait constamment.

« Je me demande si quelqu'un n'est pas en train de nous épier, dit-il. J'ai l'impression qu'un regard est posé sur moi et me suit.

— Oh ! assez ! dit François, impatiente. Fais la courte échelle et j'aurai franchi la grille en un clin d'œil ! » 

Avec l'aide de Mick, François grimpa à la grille sans trop de peine. Quand il fut de l'autre côté, il s'aperçut qu'elle était verrouillée, et non fermée à clef. Il fit glisser le gros verrou et entrouvrit un battant pour que Mick et Dagobert puissent passer.

« C'est une chance qu'il n'y ait là qu'un verrou, dit Mick. Autrement Dagobert n'aurait jamais pu franchir cette grille. Nous avons absolument besoin de lui ! »

Ils avancèrent dans l'allée qui conduisait à la maison, en prenant soin de rester du côté de l'ombre, car le croissant de lune, qui jouait à cache-cache derrière les nuages, jetait alors une pâle lueur.

Ils virent se préciser devant eux les contours d'une maison ancienne, avec de hautes cheminées. L'ensemble paraissait lourd et laid, avec d'étroites fenêtres pareilles à des yeux qui observaient. Mick se retourna une fois de plus et François le remarqua.

« Toi, tu as encore la frousse, dit-il, énervé. Si quelqu'un nous suivait, même de loin, Dagobert l'entendrait et le pourchasserait.

— Je le sais bien. Pourtant, je crois sentir une présence…

— Assez de bêtises ! Comment pénétrerons-nous à l'intérieur ? Les portes sont certainement bien fermées. Voyons les fenêtres. »

Ils firent deux fois le tour de la maison, sur la pointe des pieds, lentement, en examinant tout. Bien entendu, les portes étaient fermées à clef. Les fenêtres aux volets de fer soigneusement clos n'offraient pas davantage de possibilités.

« Si cette maison appartient à Gringo, il peut y cacher un tas de choses, car c'est une véritable forteresse ! Les voleurs ne peuvent y pénétrer !

— Nous non plus, malheureusement, soupira Mick.

— S'il y avait au moins un balcon, ou de la vigne vierge, pour nous permettre de grimper… Mais rien ! Nous allons être obligés de renoncer, murmura François avec amertume.

— Faisons encore un tour, proposa Mick. Peut-être que quelque chose nous a échappé. »

Une fois de plus, ils contournèrent sans bruit la grande bâtisse, s'arrêtant à chaque instant. Or, au moment où ils se trouvaient derrière la maison, la lune sortit de son nuage et éclaira un trou en forme de demi-cercle, dans le mur, au ras du sol.

Surpris, ils s'en approchèrent; la lune disparut. Ils éclairèrent la cavité avec leur lampe de poche, pendant quelques secondes.

« C'est un soupirail pour déverser le charbon dans la cave, constata Mick. Comment ne l'avons-nous pas remarqué plus tôt ? Regarde, il y a une petite porte, qui s'ouvre à l'intérieur, et qu'on a oublié de refermer.

— En effet. J'espère qu'il n'y a pas de piège là-dedans », dit François, inquiet à son tour.

Les deux garçons s'accroupirent et Mick dirigea la lumière de sa lampe de poche de façon à pouvoir inspecter la cavité.

« Regarde, il y a un gros tas de coke dans cette cave, dit-il. Nous pourrions sauter dessus. C'est un moyen comme un autre de nous introduire dans la maison.

— Alors, Dagobert, passe le premier, décida François Va reconnaître les lieux, mon bon chien ! »

Celui-ci ne se fit pas prier. Il sauta. Les garçons entendirent le bruit du charbon qui glissait sous ses pattes.

« Puisqu'il ne grogne pas et semble nous attendre tranquillement, c'est qu'il n'y a pas de danger, dit François, après, quelques instants de silence. À mon tour, maintenant ! »

Il sauta aussi. Le charbon sous ses pieds sembla faire grand bruit, dans le calme environnant. François alluma sa lampe de poche et regarda autour de lui. Le silence retomba sur la grande maison.

« Tu peux venir, Mick », dit-il à mi-voix.

Mick atterrit à côté de son frère, sur le tas de coke. Ils se trouvaient dans une grande cave, avec une porte au fond.

« Espérons qu'elle n'a pas été fermée au verrou de l'autre côté, dit Mick. Dagobert, reste auprès de nous et… chut ! »

Dagobert agita ses oreilles pour montrer qu'il avait compris. François ouvrit la marche vers la porte, le plus silencieusement possible. Enfin, il tourna la poignée et la porte s'ouvrit vers l'extérieur ! « Quelle chance », dit-il avec un soupir de soulagement.

Les garçons quittèrent leur tas de charbon pour se glisser dans une autre cave, où ils virent nombre de bouteilles bien alignées le long des murs, et des rayons où s'empilaient des boîtes de conserves de toutes sortes.

« Il y a assez de victuailles ici pour soutenir un siège, dit Mick ébahi. Maintenant, il s'agit de trouver l'escalier.

— Je le vois là-bas », dit François.

Il esquissa un geste, puis s'arrêta net et éteignit sa lumière.

« As-tu entendu, Mick ? On aurait dit qu'on marchait sur le charbon, à côté. Serions-nous suivis ? Dans ce cas, nous allons être prisonniers… »

Angoissés, ils retinrent leur souffle et écoutèrent. Au bout de deux minutes, n'entendant plus rien, ils prirent le parti de gravir l'escalier. En haut des marches se trouvait une porte, qu'ils ouvrirent sans difficulté. Ils entrèrent alors dans une grande cuisine, faiblement éclairée par un rayon de lune. Une ombre passa devant eux. Dagobert gronda sourdement. Le cœur de Mick bondit dans sa poitrine. Qu'était-ce donc qui glissait silencieusement sur le sol et disparaissait dans les ténèbres ? Le jeune garçon s'accrocha brusquement à son frère aîné, qui sursauta.

« Laisse-moi, voyons, dit celui-ci, c'est ridicule d'être nerveux à ce point-là ! N'as-tu pas vu qu'il s'agit d'un chat ? Heureusement que Dagobert a été assez intelligent pour comprendre qu'il ne fallait pas se lancer à sa poursuite. Nous aurions été dans de beaux draps !

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— Ouf ! souffla Mick. Où crois-tu que nous ayons des chances de trouver Claude ? En haut de la maison, peut-être ?

— Je n'en ai aucune idée, répondit François. Il nous faut chercher en prenant de grandes précautions, car elle n'est certainement pas seule ici… »

Ils visitèrent le rez-de-chaussée, ouvrirent toutes les pièces, immenses et encombrées de mobilier. Personne !

Alors, ils montèrent l'escalier le plus légèrement possible, pour ne pas faire craquer les marches. Au premier étage, ils virent un large palier, avec une fenêtre garnie d'épais doubles rideaux de velours. Dagobert se mit à grogner. En un clin d'œil, les deux frères disparurent dans les plis des rideaux. Dagobert les imita.

Une minute plus tard, Mick écarta l'étoffe pour regarder ce qui se passait sur le palier.

« C'est encore le chat, murmura-t-il à l'oreille de son frère. Regarde, il est là, sur ce guéridon, à côté de cette potiche. Pourvu qu'il ne la fasse pas tomber !

— Mais non, les chats sont adroits, dit François, qui pourtant eût aimé voir le matou abandonner sa dangereuse position.

— Il nous suit, ma parole !

— Oui, il se demande sans doute ce que nous venons faire chez lui. »

Dagobert grogna un peu plus fort et esquissa un pas vers le chat.

« Malheureux, reste tranquille et tais-toi ! » lui dit Mick en le retenant par son collier.

Le chat poussa un long miaulement plaintif, qui résonna lugubrement. Pour comble, il se frotta contre le vase, qui oscilla. Mick et François n'osaient plus ni respirer ni regarder. Alors le chat, d'un bond léger, sauta du guéridon sur le parquet… Les deux frères sortirent de leur cachette et commencèrent à explorer. Quatre pièces donnaient sur le palier. Le cœur battant, ils ouvrirent une porte. La chambre était vide. A côté, ils ne virent personne non plus. Puis ils arrivèrent devant une porte fermée à clef. En prêtant attention, ils entendirent quelqu'un ronfler.

« Ce n'est pas Claude, dit Mick. D'ailleurs, la porte est fermée de l'intérieur. »

Devant la quatrième chambre, le souffle puissant d'un homme endormi leur parvint aux oreilles.

« Elle est peut-être plus haut, dit François. Montons »

À l'étage supérieur, ils trouvèrent également un palier sur lequel donnaient quatre chambres.

Deux portes étaient restées entrebâillées. Les enfants s'y glissèrent et purent constater que dans chacune des chambres un homme dormait profondément. Ils se retirèrent sur la pointe des pieds.

« Pourquoi ceux-là n'ont-ils pas fermé leur porte ? se demandaient les jeunes garçons. On ouvre sa fenêtre, soit, mais on ferme toujours la porte de sa chambre, c’est bizarre… Peut-être est-ce pour surveiller Claude, enfermée dans une de ces pièces que nous n'avons pas encore visitées ? Allons-nous enfin la trouver ? »

Mais ils eurent la déception de constater que les deux dernières chambres étaient vides, sans un meuble…

« Nous avons tout inspecté, chuchota Mick, en promenant la lumière de sa lampe de poche sur le palier. Où donc est Claude ?

Tiens, il y a une petite porte dans le fond, remarqua François.

— Où peut-elle bien conduire ? Elle est munie d'un gros verrou », dit Mick.

François avança la main pour pousser doucement le verrou, mais il commença de grincer.

« Si nous continuons, nous allons réveiller les dormeurs, dit-il.

— Attends, je me charge de les enfermer », décida Mick.

Il s'approcha de la première porte entrouverte, prit la clef qui se trouvait à l'intérieur, referma la porte sans bruit et fit tourner la clef dans la serrure, lentement. Il répéta l'opération à côté. Personne ne bougea à l'intérieur des deux chambres, malgré un léger grincement que Mick ne put éviter.

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Ils virent là, dans ce réduit, un étroit matelas posé sur le sol.

Alors François poussa le verrou, en prenant d'infinies précautions. La petite porte s'ouvrit devant eux, vers l'extérieur, avec un faible craquement. Un murmure d'eau monta des ténèbres. « Il y a là une citerne », dit François, tout en éclairant les lieux.

Mick s'approcha et tous deux, à ce moment, durent faire un violent effort pour ne pas crier de surprise.

Ils virent là, dans ce réduit, un étroit matelas posé sur le sol. Quelqu'un y était couché, enroulé dans des couvertures; la tête même se trouvait recouverte.

François posa sa main sur le bras de Mick. Il redoutait que ce ne fût pas Claude, qu'il .s'agît là d'un autre prisonnier ou d'un complice qui donnerait l'alerte…

Mais Dagobert, lui, n'eut aucune hésitation. Il se jeta sur la forme endormie en poussant de petits gémissements… Rassuré, François s'avança vers Claude. Mick resta sur le palier et referma vivement la porte, effrayé du bruit qui, peut-être, allait réveiller les bandits. Mais Dagobert n'aboya pas, et Claude ne cria pas. La forme allongée s'assit avec un grognement. La couverture tomba de sa tête, et François vit les boucles brunes de sa cousine et son visage étonné.

« Chut ! » dit François, un doigt sur la bouche.

Dagobert léchait les mains de sa maîtresse, fou de joie mais silencieux, comme si son instinct l'eût averti du danger.

« Oh ! Dagobert ! balbutiait Claude. Tu m'as tellement manqué ! »

Mick, au-dehors, surveillait les chambres. Les hommes continuaient à dormir paisiblement

« J'espère qu'on ne t'a pas fait de mal, dit François à sa cousine. Pourquoi t'a-t-on fourrée là ?

— Je leur ai donné du fil à retordre, répondit Claude. Je me suis débattue comme un beau diable, je les ai mordus, griffés, si bien qu'ils m'ont enfermée ici.

— Pauvre Claude ! soupira François. Tu nous raconteras tes malheurs plus tard. Peux-tu venir ?

— Tu penses ! » dit Claude en sautant sur ses pieds.

François sourit en voyant de quelle étrange façon sa cousine était vêtue.

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« C'est la mère de Gringo qui m'a attifée de la sorte, dit-elle. Quand on m'a enfermée dans sa caravane, elle est allée me chercher ces vêtements. J'en ai des histoires à vous raconter !

— Chut ! dit François. J'ouvre la porte. »

De l'autre côté, tout était tranquille. Les deux frères et Claude se dirigèrent vers l'escalier en glissant comme des ombres. Malgré toutes leurs précautions, quelques marches craquèrent fâcheusement. Enfin, ils arrivèrent sur le grand palier orné de doubles rideaux de velours.

Juste au moment où Mick s'apprêtait à poser le pied sur la première marche de l'escalier qui conduisait au rez-de-chaussée, il écrasa quelque chose de doux qui miaula affreusement et lui griffa le mollet…

Mick tomba tout de son long dans l'escalier, en faisant grand bruit… Dagobert ne put se dominer plus longtemps et se mit à courir après le chat, en aboyant à pleine voix.

Deux hommes apparurent, en pyjama, sur le seuil de leur chambre. L'un tourna le commutateur et aussitôt tous deux se lancèrent à la poursuite des trois enfants. Mick se releva vite, mais s'aperçut qu'il ne pouvait marcher, car il s'était tordu la cheville.

« Sauve-toi, Claude, je m'occupe de Mick » cria François.

Mais Claude s'arrêta aussi; en un clin d'œil les deux hommes fondirent sur eux et s'emparèrent des garçons, qu'ils enfermèrent dans l'une des chambres du premier.

« Dagobert ! appela Claude. Dagobert, au secours ! »

Mais Dagobert poursuivait le chat au second étage. En entendant la voix de sa maîtresse, il se hâta de redescendre; quand il arriva, Claude était déjà sous clef avec ses cousins.

« Attention au chien, cria l'un des hommes. Il paraît dangereux ! »

Dagobert fonçait sur les bandits en montrant ses crocs impressionnants. Il grondait, ses yeux semblaient lancer des éclairs. On eût dit un fauve prêt à déchirer sa proie.

Les deux hommes ne demandèrent pas leur reste. Ils se réfugièrent dans la chambre la plus proche et firent claquer la porte au nez de Dagobert. Le chien se jeta rageusement contre le panneau en aboyant éperdument. Ah ! S'il avait pu attraper l'un de ces individus !

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