CHAPITRE XXII
 
Ces enfants sont extraordinaires !

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LES quatre enfants arrivèrent à la Villa des Mouettes vers trois heures et demie du matin.

Annie s'était installée dans la chambre de Maria pour ne pas rester seule. Fort tourmentée, elle venait à peine de trouver le sommeil. Quant à Maria, fatiguée de sa journée, elle avait dormi lourdement pendant les premières heures de la nuit, mais, réveillée par un cauchemar où elle voyait les enfants aux prises avec des bandits noirs et masqués, elle veillait depuis. N'y tenant plus, elle se levait pour appeler la gendarmerie quand elle entendit la joyeuse bande arriver.

Annie, aussitôt réveillée, se précipita en bas et toutes deux accueillirent chaleureusement les intrépides. Ils voulurent raconter leur aventure et se mirent à parler tous à la fois. Enfin, Mick réussit à prendre la parole pour faire un récit correct, souvent interrompu d'ailleurs par Claude, Jo et François. Chouquette courait de l'un à l'autre, suivait Dagobert dans ses évolutions. Quelquefois, elle s'arrêtait, toute triste, en se souvenant que Berthe n'était pas là.

François alla ouvrir les volets du salon.

« Le jour se lève déjà, remarqua-t-il.

— Alors, ce n'est pas la peine de nous coucher, dit Jo, l'infatigable.

— Je vais vous faire une proposition, dit Maria. Nous allons préparer ensemble un superbe petit déjeuner, pour fêter le retour de Mlle Claude. Quand nous l'aurons pris, nous irons nous reposer jusqu'à midi. Nous sommes tous horriblement fatigués. Annie et moi nous n'avons guère dormi !

— Bravo, Maria ! Quelle bonne idée que ce petit déjeuner exceptionnel ! Je voudrais du bon café bien chaud, des œufs, du jambon, du pain et des confitures ! » s'écria Mick.

Vingt minutes plus tard, ils dévoraient encore. On eût dit qu'ils n'avaient pas mangé depuis une semaine.

« Maintenant, j'ai sommeil. Mes yeux se ferment tout seuls, dit enfin Mick, rassasié.

— Moi aussi, dit Claude, en bâillant sans discrétion.

— Eh bien, mes enfants, allez vous coucher ! proposa Maria.

— C'est curieux, il me semble qu'il y a une chose que je devrais faire, une chose urgente… », murmura François, qui titubait de fatigue en montant l'escalier. « Et… je ne peux pas… m'en souvenir… »

Il se laissa tomber sur son lit tout habillé. Deux minutes plus tard, chacun des enfants dormait profondément. Maria s'attarda pour donner à manger et à boire à Dagobert, qui retrouvait son bel appétit en même temps que sa maîtresse.

Quand il eut terminé, il courut rejoindre Claude et sauta sur son lit.

Puis la cuisinière alla s'allonger, avec l'idée de se relever trois heures plus tard. Mais elle s'endormit à poings fermés, elle aussi. Le temps passa…

Le soleil monta à l'horizon. Vers huit heures, le laitier vint déposer sur le perron ses trois bouteilles de lait. Les mouettes tournaient en rond dans la baie et lançaient leurs appels. Mais personne ne bougeait dans la villa.

Un peu plus tard, une voiture s'arrêta devant la porte, bientôt suivie d'une autre.

De la première automobile descendirent oncle Henri, tante Cécile, M. Charles Martin et Berthe.

De la seconde sortirent l'imposant brigadier et un gendarme.

Berthe s'élança vers, la porte d'entrée, et la trouva fermée à clef. Elle contourna la maison pour passer par le jardin, mais la porte en était également close.

« Papa, il faut sonner », dit-elle.

Alors, un aboiement frénétique éclata en haut de la maison. Le museau de Chouquette parut à la fenêtre du second étage. Quand elle vit qu'il s'agissait bien de Berthe, elle se jeta dans l'escalier et vint gratter à la porte d'entrée.

« Que se passe-t-il ? dit tante Cécile, alarmée.

Où sont-ils tous ? Il est dix heures du matin et rien n'est ouvert ! C'est anormal !

— J'ai ma clef », dit oncle Henri.

Bientôt Chouquette bondit dans les bras de sa maîtresse et lui lécha la figure.

Tante Cécile se hâta d'entrer dans la maison. Elle cria :

« Maria ! François ! Etes-vous là ? »

Personne ne répondit. Dagobert l'entendit pourtant; il regarda Claude, qui ne bougea pas. Il prit alors le parti de faire de même. Cela l'ennuyait de quitter Claude le temps d'aller voir ce qui se passait en bas. Pourtant, les chiens sont curieux.

Tante Cécile ouvrit toutes les pièces du rez-de-chaussée. Personne ! Elle s'étonna des restes du copieux petit déjeuner, étalés sur la table, et plus encore de la vaisselle sale. À quoi pensait donc Maria ? Où étaient les enfants ? Elle ne s'attendait pas à trouver sa chère fille, qu'elle croyait toujours aux mains des ravisseurs, mais elle supposait que les autres ne devaient pas être loin.

Elle monta l'escalier, suivie de son mari, de Berthe et du père de celle-ci. Ils entrèrent dans la chambre des garçons et virent François et Mick qui dormaient profondément sur leur lit.

« Comment ! Ils ne se sont pas déshabillés pour se coucher, et ils ne sont pas encore levés à dix heures du matin ? » dit tante Cécile, éberluée.

Elle entra alors dans la chambre des filles. Quelle ne fut pas sa surprise d'y trouver Claude, reposant paisiblement ! Elle se jeta sur le lit, embrassa sa fille et la serra sur son cœur avec transport.

« Ma chérie… Est-ce possible ? Tu es là ? » balbutiait-elle en pleurant de joie.

Claude, arrachée à ses rêves, s'assit et regarda son père et sa mère avec étonnement.

« Vous êtes revenus ! Que je suis contente ! s'écria-t-elle.

— Claude, comment se fait-il que tu sois ici, alors qu'on nous a avertis que…

— Maman, tu ne connais que la première partie de mon histoire », dit Claude.

Annie, réveillée à son tour, poussa des exclamations qui tirèrent les garçons de leur sommeil. Ils arrivèrent bientôt dans la petite chambre à coucher, pleine à craquer. Tout le monde parla à la fois et fit tant de bruit que Maria et Jo, à l'étage au-dessus, s'éveillèrent également. Elles descendirent, les yeux gonflés, échevelées. Maria s'excusa, toute confuse. Elle courut à la cuisine pour faire du café et, dans sa précipitation, heurta un gendarme dans l'entrée. Elle poussa un cri strident.

« Excusez-nous de vous avoir fait peur, mademoiselle, dit le brigadier à Maria. Nous venions au sujet de l'enquête. S'est-il produit quelque fait nouveau depuis notre dernière visite ?

— Ah ! bien, je vous crois ! s'exclama la cuisinière. Est-ce que M. François aurait oublié de vous téléphoner cette nuit ? Il devait le faire…

— De quoi s'agit-il ? demanda le brigadier.

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— Tout va pour le mieux ! déclara Maria, rayonnante. Les enfants sont allés chercher Mlle Claude. Quant aux ravisseurs, ils attendent que vous veniez les cueillir…

— Voyons, mademoiselle, que racontez-vous là ? Ce n'est pas sérieux ! dit le brigadier, sidéré.

— Monsieur François ! appela Maria, les gendarmes sont ici ! Vous avez oublié de les prévenir de ce qui est arrivé. Il vaudrait mieux qu'ils aillent tout de suite arrêter les bandits, n'est-ce pas ?

— Ah ! Je savais bien que j'oubliais quelque chose d'important, quand je me suis couché. J'étais si fatigué ! » dit François.

Tout le monde descendit l'escalier et entra au salon. Jo se montra soudain timide devant tant de monde; elle refusa de s'asseoir auprès des gendarmes.

Le brigadier se tourna vers M. Dorsel.

« On vient de nous dire, monsieur, que votre fille a été retrouvée. Il semble que la gendarmerie soit la dernière informée dans cette affaire.

— Explique-toi, François », dit le père de Claude.

Le jeune garçon toussa pour s'éclaircir la voix et commença : « Eh bien, nous avons découvert qu'un certain Gringo, propriétaire des baraques et des manèges de la fête dite « la fête à Gringo », était payé pour enlever Berthe. Une nuit il est venu rôder autour de notre villa avec des complices et, par erreur, ils ont enlevé Claude… Nous avons réussi à savoir où ils la cachaient. Alors, nous sommes allés la délivrer. Continue, Mick.

— Gringo et quelques autres bandits sont enfermés à clef dans les chambres de la maison où Claude était prisonnière. La porte d'entrée et la grille sont restées ouvertes, à votre intention. Comme vous le voyez, brigadier, nous avons essayé de vous faciliter la tâche. Il ne vous reste plus qu'à arrêter les ravisseurs de Claude. »

Le brigadier écoutait Mick avec une moue incrédule. Oncle Henri lui tapa sur l'épaule.

« Allons, dit-il, reprenez vos esprits et hâtez-vous d'agir, sinon ils s'échapperont avant que vous arriviez !

— Donnez-nous l'adresse de cette maison, demanda le brigadier.

— Je ne la connais pas exactement, dit François, mais c'est facile à trouver. Vous allez jusqu'à Laëron. Ensuite, vous prenez la route de Trédoual, vous continuez jusqu'à Guelrouzé et après ce pays vous tournez à gauche. C'est la grande maison isolée qui domine la colline.

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— Comment avez-vous fait… ? dit encore le brigadier.

— C'est trop long à raconter pour l'instant, dit Mick. Nous écrirons notre histoire dans un livre, dont nous vous enverrons un exemplaire. Nous l'appellerons… au fait, avez-vous une idée, vous autres ? C'est une drôle d'aventure, en vérité !

— Je voudrais bien boire une tasse de café, dit oncle Henri. Je crois que nous avons assez discuté. Allez attraper vos bandits, brigadier !»

Les gendarmes se retirèrent. M. Martin exultait. Il fit sauter Berthe sur ses genoux.

« Tout est bien qui finit bien, dit-il. Maintenant, je vais pouvoir reprendre ma fille avec moi.

— Oh ! non, papa ! gémit Berthe, à la grande surprise de son père.

— Que veux-tu dire ? demanda-t-il.

— Mon petit papa, sois gentil, laisse-moi ici, dit Berthe d'un ton pressant. Mes nouveaux amis sont si extraordinaires ! »

M. Martin regarda tante Cécile d'un air interrogateur.

« Laissez-la chez nous si elle le désire, dit celle-ci.

— Ouah ! » fit Dagobert, avec une telle force que tout le monde se retourna vers lui.

« Il dit qu'il est content que Berthe demeure avec nous, car Chouquette restera aussi, traduisit Mick. Ainsi, il garde sa compagne de jeu

— As-tu vraiment l'intention d'envoyer au brigadier un livre racontant cette histoire ? demanda Annie.

— Bien entendu ! répondit Mick. Une nouvelle aventure des Cinq ! Espérons qu'il y en aura encore beaucoup d'autres. Quel sera le titre de ce livre ?

— Je sais dit Claude aussitôt. Nous l'appellerons : Enlèvement au Club des Cinq. »

Ainsi firent-ils, en espérant vous plaire.

 

 

FIN