Château de
Saint-Ouen-en-Pail,
août 1306, ce même
jour
Vigile venait de passer lorsque Druon se réveilla en sursaut. Un rêve l’avait-il tiré du sommeil avec brutalité ou son esprit continuait-il de travailler durant les heures nocturnes ? Peu importait.
Seulement vêtu de son chainse, il traversa la salle voûtée à l’aveuglette et secoua sans ménagement le pauvre Huguelin, qui ouvrit les yeux en glapissant :
— Quoi, quoi ?
— Le père Henri !
— Il est mort, affreusement.
— Je sais, réveille-toi ! Pourquoi a-t-il pris plein sud, en direction de Saint-Julien-des-Églantiers ? À l’opposé ou presque de tous les meurtres.
— Je… ne vois, mon maître.
— Parce qu’il n’ignorait pas qu’il y dénicherait l’assassin, l’homme qui se déguise en créature. Et comment pouvait le savoir cet homme de Dieu décrit comme véritablement bon et, à l’évidence, valeureux, mais qui n’avait pas inventé l’eau tiède ?
— Euh… chercha l’enfant en se frottant les yeux.
— Une confession !
— Mon maître, l’être d’épouvante que nous cherchons ne se confesse pas. Il est en dehors de Dieu.
— Tu as grand raison. Alors, l’un de ses proches, effaré par ses actions, mais qui ne pouvait les dénoncer ? Le père Henri ne pouvait rien révéler de ce qu’on lui avait confié sous le sceau du secret confessionnel. Avec courage, mais manque de jugement, il s’est mis en tête qu’il convaincrait ce monstre de s’amender et de se repentir. Il est donc parti dans la direction où il savait le trouver.
— Il n’y a qu’à visiter toutes les habitations qui parsèment cette route ! proposa Huguelin. Vous êtes un génie, mon maître. Un jour, avec grande application et labeur acharné, je deviendrai presque aussi intelligent que vous.
Le compliment fit à peine sourire Druon tant son esprit était occupé.
— Nous allons faire bien plus simple que cela.
— Ah oui ?
— Le registre.
— Le registre ?
— Celui sur lequel sont consignées les confessions et les pénitences distribuées. Vite, habillons-nous !
Tous deux se vêtirent à la hâte et Druon fonça vers la porte pour se souvenir qu’elle était verrouillée et qu’il ne pouvait prévenir personne.
Ils cognèrent tels des possédés contre le battant, s’époumonèrent pour appeler à l’aide, en vain.
La rage de l’impuissance fit place à l’abattement et, vaincus, ils s’assirent sur leurs lits. Miracle insolent de l’enfance, Huguelin vacilla vite et se rendormit, tassé comme un petit animal fourbu. Druon, lui, s’efforça au calme. Les heures s’écoulèrent avec une désespérante lenteur. Il passa en revue ses connaissances scientifiques. Un moyen sûr de ne pas repenser au reste, au supplice de son père, à sa vie d’avant, lorsque tout paraissait si parfait qu’on se berçait du trompeur sentiment que rien de grave ne pourrait jamais survenir.
Enfin, le bruit de la clef qui tournait dans la serrure. Druon se rua vers la porte en criant :
— Ouvrez, mais ouvrez vite. Buses !
Léon, voûté, apparut et cria en retour :
— Que se passe-t-il, à la fin ?
— Avec votre stupide manie de nous enfermer… Nous avons perdu des heures précieuses ! Vite ! Faites seller les chevaux. À l’église de Saint-Ouen-en-Pail.