XLIII

Château de Saint-Ouen-en-Pail,
 août 1306, ce même jour

Lorsque Druon, escorté de Léon, prit congé de la baronne, cent pensées tournaient dans sa tête. Le géant, lui aussi, semblait ailleurs. Il retint le jeune mire par la manche et déclara d’une voix grave :

— Je ne pense pas que je survivrais à sa mort. Plutôt, je crois que je n’en éprouverais nulle envie. Pour quoi faire ? Je l’aime du plus profond de moi, en dépit de ses défauts, ou peut-être grâce à eux.

Druon détailla le visage auquel il avait fini par trouver de l’élégance et du charme. Léon lui demanda, d’une voix brisée d’émotion :

— Va-t-elle mourir ?

— J’ai dit vrai : je l’ignore et je déplore ne pas être devin. Peut-être Igraine… ses pouvoirs…

— Ne vous fiez pas trop à Igraine, messire mire. Elle est parfois trompeuse lorsque cela la sert. Or… j’ai l’insistant sentiment qu’elle poursuit des fins personnelles, même si je suis certain qu’elle ne portera jamais préjudice à notre maîtresse.

— Ah, le beau soulagement des certitudes ! ironisa sans méchanceté le mire.

— Que voulez-vous dire ?

— Que je ne sais rien tant que je ne sais pas.

— Voilà bien une pirouette de scientifique, rétorqua Léon d’un ton peu amène.

— Non pas. Il s’agit au contraire d’une profession de foi.

— Douteriez-vous de l’attachement d’Igraine à notre seigneur ?

— Je doute de tout et de tous, avec mon respect. Je n’ai malheureusement pas le pouvoir de lire dans l’esprit des uns et des autres et ne puis me fier qu’à mes observations et mes déductions. Or, pour l’instant, deux personnes seulement n’ont pu tenter d’enherber la baronne : Huguelin et moi.

— Grand merci pour votre confiance et votre affabilité, messire, puisque j’en suis également la cible. Cela étant, si votre nature suspicieuse est désobligeante, elle me rassure. Vous ne vous laisserez pas leurrer par les apparences.

— En effet. (Hésitant, puis songeant que Léon méritait l’entière vérité, il acheva :) Messire Léon… même si nous tirons la baronne de ce mauvais pas, sachez que l’arsenic exerce encore des effets néfastes de longues années, très longues années après l’intoxication1.

— De longues années… de compagnonnage avec elle… il faudrait que je sois bien fol et exigeant pour ne pas m’en contenter.

Léon déverrouilla la porte de la confortable prison souterraine et, pris d’émotion, serra Druon contre lui, lui assénant de grandes tapes bourrues dans le dos en affirmant :

— Mire, sans votre intervention et votre science, elle trépassait sous peu. Peut-être allons-nous la tirer des griffes d’une mort indigne d’elle ? Je suis votre obligé. À jamais. Où que vous vous trouviez. Les cuisines, maintenant. L’enherbeur ne le sait pas encore, mais sa hideuse mort est proche.

1- Il est cancérigène.