CHAPITRE XXVII
Dondo Foth, le capitaine de la frégate légère Mandian, était un militaire professionnel consciencieux qui passait le plus clair de son temps sur la passerelle de son vaisseau, attentif à sa bonne marche. C’était d’ailleurs l’une des raisons pour lesquelles sa frégate avait été choisie pour patrouiller dans le secteur le plus extérieur qu’Halcyon avait esquissé autour de Praesitlyn. Le Mandian était déjà à plus de cent cinquante mille kilomètres du gros de la flotte, un poil plus loin que nécessaire. De sa propre initiative, Dondo Foth avait décidé de modifier légèrement sa route.
— Juste au cas où, avait-il dit au lieutenant-colonel Vitwroth, l’officier en second. Franchement, je pense qu’on devrait s’éloigner d’au moins un million de kilomètres, suffisamment loin de la flotte pour leur donner le temps de se préparer si quelqu’un nous attaque.
— Comme vous voudrez, mais c’est plutôt désert, par ici, commandant, avait répliqué Vitwroth en souriant. J’aime être sous les feux des projecteurs et en bonne compagnie.
Trapus, entre deux âges, Foth était natif de la Nouvelle Agamar. Il rendit son sourire au second.
— Bon, voyons ces tableaux d’avancement, dit-il au droïde de protocole militaire programmé pour lui servir de scribe.
Un membre de l’équipage, sans doute avec l’accord du droïde, avait dessiné un boulon sur son front. Depuis, tout le monde l’appelait Tête de Boulon.
— Tout est prêt, parfaitement en accord avec la procédure navale standard, capitaine, répondit le droïde. Vous avez promu six membres d’équipage, l’un au grade de second-maître, deux au grade de première classe…
— Je sais, je sais, je connais même leurs noms, Tête de Boulon, l’interrompit le capitaine Foth. Je veux juste m’assurer que tu n’as pas fait d’erreur. La semaine dernière, tu as mal retranscrit deux rapports à destination de la flotte principale. Tss tss, il va falloir te serrer la vis, si ça se reproduit.
— Ce n’était qu’un minuscule bug logiciel, capitaine, protesta le droïde. Je vous assure que c’est désormais réparé.
— Tu ne m’assures rien du tout, Tête de Boulon, ici c’est moi qui t’assure, et j’en profite pour t’assurer que c’est le Trou du Veinard qui t’attend.
Le « Trou du Veinard » était un compartiment sécurisé où l’on conservait les marchandises de valeur. Le capitaine Foth éclata de rire et s’empara des plaquettes d’avancement. Même si le droïde n’était qu’une machine, il était parfois impossible de ne pas le considérer comme une créature intelligente, et Foth adorait le mettre en boîte. Il n’avait évidemment pas la moindre intention d’exiler Tête de Boulon au Trou du Veinard.
— Capitaine, s’exclama l’officier de surveillance, nous venons de détecter un objet en approche. Vingt-cinq degrés sur tribord. Trois cent mille kilomètres. Il se rapproche doucement.
— Alerte générale, tout le monde au poste de combat, répondit Foth d’un ton neutre.
Il rendit les tablettes d’avancement à Tête de Boulon.
— Je m’en occuperai plus tard.
Il se dirigea ensuite vers le lieutenant.
— Donnez-moi un visuel. Je veux savoir sa vitesse et sa course. Avertissez la flotte. Canons laser lockés sur la cible et parés à faire feu sur mon ordre.
— Alerte générale, monsieur, répondit l’officier en second(1).
— Visuel, monsieur, déclara l’officier chargé du radar et du centre de détection. Je ne vois aucun autre objet, capitaine.
— Flotte avertie, monsieur, annonça l’officier des communications.
— Vitesse, vingt et un mille, ajouta l’officier de navigation. Il se dirige tout droit sur Praesitlyn.
— Canons lockés sur la cible, déclara l’officier en charge de batteries laser.
— Vingt et un mille kilomètres à l’heure ? Qui que ce soit, il avance lentement. Où sont les images ?
L’écran révéla graduellement un objet noir informe, semblable à un nuage.
— Augmentez la définition, ordonna Foth. Ce fichu truc ne ressemble pas à un vaisseau.
— On est au maximum de définition, monsieur. Il faut attendre qu’il se rapproche.
— On n’a pas eu le temps de remplacer notre système d’observation avant de quitter Coruscant, intervint Vitwroth.
— Je sais, je sais. Canons, où en sommes-nous ?
— Au top, nous serons à portée de tir dans deux heures, vingt-sept minutes. Top.
— Bon. On attend. Sauf si la flotte nous ordonne de nous rapprocher. Vous pensez que c’est un navire espion Séparatiste ?
— C’est probable, répondit Vitwroth.
— Monsieur, un message de la flotte, annonça l’officier des communications. Transcrit et authentifié. « Maintenez votre position. Observez et signalez tout changement. Ne tirez qu’en cas de manœuvre hostile. »
— Ok. On attend, confirma Foth. Deux heures ? Deux heures et vingt-sept minutes, non, vingt-six. Ensuite, nous en saurons un peu plus.
Il avait les paumes des mains moites, mais pour l’équipage présent sur le pont, il était d’un calme glacial.
— Ouvrez l’œil. Je crois qu’on est en plein dedans.
— Nous devons faire vite et ne pas trop nous charger, déclara Anakin à sa petite troupe d’assaut rassemblée dans un petit bunker à côté du poste de commandement.
L’unité s’était vue augmentée d’un escadron complet de clones pour accompagner Erk à bord du second vaisseau. Ils assureraient la sécurité des deux engins pendant qu’Anakin et son groupe seraient à l’intérieur du Centre.
— Erk, il va falloir pousser au maximum ces transporteurs et les faire voler au ras du sol. Vous vous sentez d’attaque ?
— Oui monsieur.
— C’est surtout la sortie qui va nous poser des problèmes. Les vaisseaux sont blindés, mais il va quand même falloir qu’on évite les batteries ennemies. On va faire dans l’urgence, donc préparez-vous à un décollage vraiment brutal. Je pense aussi que nous aurons droit à un atterrissage brutal, mais on en parlera plus tard. Que tout le monde examine et mémorise autant que possible cette carte de la mesa. Regardez aussi cet écran.
Il activa un plan en deux dimensions du bâtiment principal.
— Soldat Subu, est-ce que ça vous dit quelque chose ?
— Oui monsieur. Ce long couloir, là, mène à la salle de contrôle.
Elle utilisa un pointeur laser pour désigner la zone dont elle parlait.
— Ces trois couloirs, ajouta-t-elle en les pointant les uns après les autres, débouchent sur des zones différentes. Ici, vous avez la cour intérieure où les techniciens prennent souvent leur pause déjeuner. Les compartiments, ici, sont les quartiers du staff. Là, vous avez les entrepôts et les ateliers. Où retiennent-ils les otages ?
— Dans la salle de contrôle. S’ils décident de les déplacer, je le saurai. Attention, tout le monde, regardez attentivement.
Anakin désigna une zone à l’extérieur du bâtiment principal.
— C’est ici que nous allons atterrir, au milieu de ces bâtiments annexes et de ces arbres qui, je l’espère, vont nous couvrir. On ne va pas perdre de temps, alors que tout le monde soit prêt pour un atterrissage forcé. De là, nous n’avons plus grand-chose à parcourir.
Il pointa une large porte.
— Si c’est fermé, on la fait sauter. Ça nous amène tout droit dans le couloir qui débouche dans la salle de contrôle. Il est presque impossible de se perdre en route. Par contre, il faut qu’on se méfie de ces couloirs latéraux. Ils sont idéalement placés pour une embuscade. Je veux qu’un soldat s’y poste à chaque intersection. De cette façon, la voie sera libre pour la sortie. Sergent, choisissez dès maintenant lesquels pour déploierez aux intersections. Quant à vous – il se tourna vers les deux gardes, Raders et Vick – vous montez dans ma navette. Votre boulot, c’est de patrouiller le long du couloir principal et de couvrir les soldats qui veilleront sur les couloirs latéraux. Tirez sur tout ce qui bouge à partir du moment où c’est métallique…
« Pas question de s’encombrer. On voyage léger. Armes et équipement seulement. Si nous traînons plus de dix minutes, on aura de la visite. Les otages sont bien gardés. L’effet de surprise sera notre meilleur atout. On entre, on élimine les gardes et on ramène les otages aux navettes le plus vite possible. Si je suis touché, c’est lui qui prend le commandement – Anakin désigna le clone sergent. Lieutenant H’Arman, vous restez aux commandes avec l’unité de réserve. Soldat Subu, vous me suivez. Votre rôle sera de faire avancer les otages et de les ramener aux vaisseaux.
Le soldat Vick sourit à Odie. Elle lui rendit son sourire. Erk le remarqua et, bien malgré lui, sentit une petite pointe de jalousie.
— Combien d’otages y a-t-il ? demanda-t-il en chassant Odie de ses pensées.
— Le staff au complet se compose de cinquante techniciens et spécialistes. On ne sait pas si certains ont déjà été exécutés. Je sais qu’aucun d’entre vous n’a vu le film de Reija Momen, mais elle disait que le commandant Séparatiste comptait assassiner un otage toutes les heures si on ne lui obéissait pas. On pense qu’il bluffe, mais si ce n’est pas le cas, il a cinquante victimes potentielles sous la main. Et certaines sont peut-être déjà mortes. On ne le saura pas tant qu’on ne sera pas sur place. Rappelez-vous que nous n’aurons pas le temps de chercher qui que ce soit. Les otages nous diront si tout le monde est sorti. Il va falloir leur faire confiance et prendre le risque d’oublier quelqu’un.
Tandis qu’Anakin parlait, Odie l’observa attentivement. C’était un beau jeune homme, peut-être un peu plus vieux qu’elle, mais étant donné ses paroles et sa façon de se tenir, on sentait bien qu’il maîtrisait la situation.
— Que tout le monde prenne quelques minutes pour étudier ces plans, continua Anakin. Je veux qu’ils soient marqués au fer rouge dans vos cerveaux. Ah, une dernière chose. Le signal qui donnera l’autorisation à la flotte d’ouvrir le feu est Terminé. Dès que ce mot est transmis au général Halcyon, la flotte tirera à l’arme lourde. Il faut donc qu’on soit largement éloigné du Centre quand le feu d’artifice commencera.
Anakin s’avança vers son équipe.
— Cette opération doit se dérouler suivant un timing très précis. Dès qu’ils comprendront que nous sommes à l’intérieur du centre, ils exécuteront les otages. Ils savent tout aussi bien que nous que la partie est perdue si les otages sont libérés. Bon, très bien. Décollage dans cinq minutes.
Sanglée dans le siège du copilote, Odie était tout excitée. Elle n’avait jamais volé aussi vite auparavant. Anakin maintenait le vaisseau à quinze mètres au-dessus du sol et filait à la vitesse maximale. Pour autant qu’Odie puisse en juger, il contrôlait parfaitement son vaisseau, presque sans effort. Elle avait à peine le temps d’admirer le paysage qui défilait à toute vitesse au-dessous d’eux, tant Anakin gérait impeccablement sa trajectoire.
— Déjà volé sur un de ces engins ? lui demanda-t-il sur le ton de la conversation.
— Pas dans le cockpit, répondit-elle.
Une petite colline passa en sifflant quelques mètres en dessous et Anakin ajusta son altitude.
— Vous avez déjà fait de la course de Pod ?
— Non, monsieur.
— Le lieutenant, derrière nous, est un excellent pilote, observa Anakin. On m’a dit que vous étiez douée comme éclaireuse.
Il s’adressa à son micro de gorge.
— Ok, Erk. On vire ici. Suivez-moi. Que tout le monde se tienne prêt. Vérifiez vos armes et votre équipement. Trois minutes avant atterrissage.
— Oui, monsieur, je suis assez douée comme éclaireuse.
Odie fut la première surprise du ton de sa voix. Elle avait déjà eu peur, bien sûr, vraiment peur, mais là, c’était terrifiant. Calmement, d’une main ferme, elle défit l’attache de son holster, vérifia la charge et la sécurité et remit le tout en place. De son côté, Anakin avait presque l’air guilleret de piloter un vaisseau qui pouvait exploser d’une seconde à l’autre. Erk devait ressentir la même chose lors d’un combat aérien, pensa-t-elle.
Le geste d’Odie vers son arme n’avait pas échappé à Anakin. Il lui sourit.
— Vous savez vous en servir, hein ?
Son visage déjà brûlé par le soleil devint encore plus écarlate.
— Oui monsieur.
Anakin réalisa qu’elle pensait sans doute à Grudo.
— Ce qui s’est passé avec Grudo était un accident, lui dit-il. Je ne vous en tiens pas rigueur, n’y pensez plus. Occupez-vous plutôt de ce qui nous attend et tenez-vous prête à utiliser votre pistolaser.
La mesa se découpait à environ un kilomètre plus haut. Elle rayonnait et brillait de tirs d’artillerie, sans qu’on puisse distinguer qui tirait sur qui. L’attaque d’Halcyon était lancée.
— Préparez-vous à atterrir, annonça Anakin sur le réseau radio. Erk, maintenez-vous à mes côtés. Bon, ok tout le monde, on y va !
Le vaisseau d’Anakin heurta brutalement le sol entre deux bâtiments, souleva un nuage de poussière et s’arrêta juste à côté d’une rangée d’arbres. Avant même qu’il soit totalement immobile, la rampe de débarquement était déjà à terre et les soldats déferlèrent vers l’entrée du bâtiment principal. Tout autour d’eux, l’air était saturé de lasers, d’explosions et du vacarme assourdissant des tirs d’artillerie. À cent mètres au-delà des arbres, un véritable maelström de feu s’élevait là où les canons d’Halcyon pilonnaient sans pitié les positions Séparatistes. Pour l’instant, personne ne semblait avoir repéré les deux vaisseaux. Erk atterri immédiatement après et les clones formèrent un cordon de sécurité. Le commando fit sauter la porte du Centre de Communication Intergalactique ; Anakin et Odie s’y engouffrèrent sans attendre.
— La salle de contrôle est à environ quarante mètres droit devant ! indiqua Odie.
— Déployez-vous rapidement, mais ouvrez l’œil, ordonna Anakin via le réseau radio. Ne tirez que si vous êtes sûr de votre cible. Pas de tirs intempestifs.
Suivi par le reste de la troupe, il courut le long du couloir. Les allées latérales étaient vides. Pour l’instant. Comme prévu, le clone sergent déploya ses hommes à chaque intersection. En face d’eux, un autre couloir partait sur la gauche et, au-delà, pointait droit sur les portes de la salle de contrôle.
Anakin avait activé son sabre laser. Il était à trois bons mètres en avant du plus rapide des clones quand un droïde de guerre apparut soudainement et commença à tirer. Derrière Anakin, le soldat s’effondra dans un cri. Il ne fallut qu’une seconde à Anakin pour le décapiter, mais au moins huit autres droïdes de guerre prirent aussitôt position devant la porte et ouvrirent immédiatement le feu. Odie, les clones et les deux gardes se jetèrent contre le mur et échappèrent au pire. Aucun d’entre eux ne put riposter, Anakin étant en plein dans leur ligne de mire. Pour Odie, allongée à même le sol, il lui sembla qu’Anakin était au centre d’un cyclone de lumière bleue alors que son sabre laser décrivait des arabesques trop rapides pour que l’œil les enregistre. Quasiment à bout portant, les droïdes tiraient aussi vite que possible, mais chacun de leurs tirs ricochait contre la lame d’énergie et se perdait au plafond. En un instant, les droïdes ne furent plus que des tas de débris fumants. Anakin bondit au-dessus des restes, ouvrit la porte en levant sa seule main et s’engouffra à l’intérieur. Cela ne dura pas plus de quelques secondes, et pour ceux qui avaient assisté à la scène, on aurait dit qu’Anakin s’était contenté d’effacer les droïdes avant d’entrer dans la salle.
Odie et ses compagnons reprirent leur souffle et toussèrent dans les vapeurs de métal brûlé. Anakin avait déjà disparu dans la salle de contrôle quand elle se mit à genoux et cria :
— Suivez-le !
Les droïdes en charge des prisonniers avaient reçu des consignes strictes quant à leur surveillance. Aussi, quand Anakin débarqua sans prévenir, le sabre laser levé bien haut, il leur fallut quelques secondes fatales avant de comprendre qu’il s’agissait d’une menace. L’un d’eux lui tira dessus à bout portant, mais ce fut comme si Anakin avait connu ses intentions avant même qu’ils les mette à exécution. D’un coup de sabre laser presque dédaigneux, le Jedi dévia le tir et coupa le droïde en deux. Sur ces entrefaites, Odie entra dans la salle et fut horrifiée de voir Anakin aux prises avec six droïdes. Fort heureusement pour elle, leur attention était entièrement tournée vers le Jedi. À ses yeux, les mouvements d’Anakin étaient si rapides que ceux des droïdes semblaient presque se dérouler au ralenti. Elle s’agenouilla et tira sur un droïde qui était caché dans un coin de la salle. Le sergent et ses hommes se positionnèrent rapidement, mais avant même qu’ils puissent tirer, Anakin avait déjà fait le nettoyage. Il ne restait plus le moindre droïde à abattre.
— Occupez-vous des otages ! Allez, plus vite ! Des renforts arrivent !
Pors Tonith qui, jusqu’ici, avait mené sa campagne de main de maître, n’avait commis qu’une seule erreur : transférer les otages dans la salle de contrôle. Il l’avait ordonné pour faciliter leur surveillance, sans jamais penser une seule seconde qu’on tenterait de les délivrer. En conséquence, il donna immédiatement l’ordre fatidique :
— Tuez-les ! Tuez-les tous !
Anakin était au centre de la salle de contrôle, cerné par les débris qui étaient encore il y a quelques secondes les gardiens des otages. Pour Reija Momen, qui, à peine une minute plus tôt, était assise contre le mur, entourée de ses compagnons, l’irruption du Jedi fut si brève, si inattendue et si violente qu’elle ne comprit pas immédiatement ce qui se passait.
Un clone commando s’approcha d’elle, dit quelque chose et lui offrit sa main pour la relever. Elle s’exécuta. D’autres clones aidaient ses compagnons à se mettre sur pied et les poussaient vers la porte éventrée. Mais Reija fondit droit sur la silhouette solitaire qui supervisait l’évacuation. La bise qu’elle lui claqua sur la joue fut une surprise totale pour Anakin. Via la Force, il savait que la contre-attaque droïde n’allait pas tarder et il savait même par où ils arriveraient. Il allait réactiver son sabre laser quand Reija Momen l’embrassa.
Sans même se rendre compte de son identité, Anakin passa automatiquement ses bras autour de ses épaules et l’attira contre lui. Elle lui dit quelque chose et il sourit en la regardant. Ce qu’il vit pendant ce court instant fut comme un flash de profonde reconnaissance. Dans ce maelström de mort et de destruction, dans cette situation désespérée, avec l’ennemi qui se rapprochait dangereusement, et leur fuite n’étant, au mieux, qu’une simple possibilité, Anakin fit l’expérience de la paix. L’espace de ce très court baiser, une puissante lassitude descendit sur lui comme un poids. Il aurait souhaité poser la tête contre l’épaule de cette femme et se reposer, seulement se reposer. Dormir, peut-être, quitter cet horrible endroit et ne pas avoir à se lever au matin.
Ce qui arriva ensuite eut des conséquences dont personne n’aurait pu se douter. C’était comme si Anakin Skywalker faisait l’expérience de l’épiphanie. En moins d’une microseconde, il sut ce qui finirait par se produire et où tout ceci le mènerait, mais il resta impuissant. Il eut l’impression d’être comme un enfant désobéissant forcé de s’asseoir et de regarder un spectacle de marionnettes. Un droïde de guerre pénétra dans la salle et leva son arme vers Anakin. Reija Momen se jeta contre lui au moment où le droïde tira.
Le rayon la toucha en pleine poitrine et elle s’écroula dans les bras d’Anakin, sa bouche formant un Ô de surprise. Elle ne cria pas, et ses yeux se posèrent sur Anakin en une prière muette. Il la tint dans ses bras, la regarda dans les yeux et sut que la vie l’abandonnait. Des souvenirs de la mort de sa mère le submergèrent et il sentit la colère l’envahir.
Le droïde était immobile, la tête tournée vers Anakin. On aurait dit qu’il attendait poliment que la vie ait définitivement quitté Reija Momen pour tirer à nouveau. La salle de contrôle resta silencieuse un bon moment. Seul le clic clic clic répété du droïde qui actionnait vainement sa gâchette troublait le silence. Anakin ne devait sa vie qu’à un manque de maintenance.
À cet instant, il redevint le bras armé de la vengeance.