CHAPITRE PREMIER

Aucune nouvelle du général Khamar.

Des picotements de peur glacée saisirent Reija Momen des bras à la tête avant de descendre le long de son épine dorsale. Mal à l’aise, elle frissonna et se tortilla. Ce n’est pas le moment de paniquer, pensa-t-elle.

Tous les autres comptaient sur elle pour rester calmes. Elle était donc sortie assez tôt dans le jardin pour se détendre, rassembler ses pensées et se recomposer une façade avant d’aller réunir son équipe. Mais ça ne changerait rien. Soigneusement entretenu, le petit jardin s’étirait calmement dans une cour intérieure, protégé des intempéries par les bâtiments avoisinants et par un dôme solaire qui pouvait s’ouvrir en cas de beau temps. Aujourd’hui, le dôme était ouvert et laissait passer un air frais qui aurait dû la revigorer, mais ses nerfs étaient trop à vif. Les membres de son équipe avaient peur ; tous estimaient que l’absence de nouvelles ne présageait rien de bon.

Les yeux fermés, Reija s’efforça de penser à son foyer. Encore cinq ans et son contrat arriverait à terme ; elle repartirait alors pour Alderaan. Peut-être. Un coup de vent souffla à travers le dôme. Il était chargé de l’odeur végétale des herbes qui poussaient à profusion dans cette mesa, là où le Centre de Communication Intergalactique était installé. Pendant les premiers mois de son contrat, elle avait pensé être allergique à l’armoise, toussant et éternuant à répétition à chaque fois qu’elle sortait du complexe de contrôle pour inspecter les installations extérieures. Mais peu à peu, elle s’était habituée à cette fragrance envahissante, et la trouvait maintenant agréable. Elle ne s’était d’ailleurs jamais sentie aussi bien, du moins physiquement. Une de ses théories favorites, pas encore confirmée par la science médicale, voulait qu’une exposition prolongée aux herbes de Praesitlyn était bénéfique pour la physiologie humaine.

Reija Momen avait accepté le poste d’administratrice en chef du Centre de Communication Intergalactique sur Praesitlyn parce qu’elle aimait le travail. Le salaire mirobolant n’était qu’un plus notable. N’importe qui dans sa position aurait probablement pensé à la fin du contrat, à une retraite confortable sur Alderaan, peut-être même songé à fonder un famille. Bien qu’entre deux âges, elle était encore suffisamment jeune pour envisager de se poser un jour quelque part ; et elle était assez jolie, avec ses airs de belle matrone. Mais elle était satisfaite de son travail. Avec son grand cœur, son bon sens et ses solides compétences de manager, elle avait rapidement établi de très bons rapports avec son équipe composée d’humains et de techniciens Sluissi. Elle faisait partie de ces rares administrateurs à exercer son autorité avec responsabilité, sans jamais en tirer de plaisir. Elle travaillait dur et efficacement parce qu’elle aimait le travail en lui-même, et elle traitait les gens bien plus comme des partenaires au sein d’une entreprise commune que comme des subordonnés. Et à la différence de nombreux bureaucrates occupés, aveuglés par leur propre sentiment d’importance, elle savait quand et comment se détendre.

Fonder une famille ? Eh bien d’un point de vue pratique, son staff ici sur Praesitlyn jouait le rôle de famille depuis les sept dernières années ; ils l’aimaient et l’appelaient « maman Momen ».

Rentrer à la maison ? Elle était déjà chez elle ! Je renouvellerai mon contrat, pensa-t-elle. Si je vis suffisamment longtemps.

Un droïde ouvrier, modifié pour s’occuper des arbres et tenir le jardin, fouillait les buissons éparpillés sous les branches de Kahas rachitiques importés de Talasea par un ancien administrateur. En temps normal, le bruit du droïde au travail dans le feuillage aurait dû la réconforter, mais pas aujourd’hui. Reija changea encore une fois de position. Elle ouvrit les yeux et soupira. Se détendre était hors de question. Quelques membres de son équipe l’avaient déjà rejointe dans le jardin et avaient trouvé des places où s’asseoir – pas pour profiter de la pause informelle de midi, passée dans la tradition depuis qu’elle était administratrice en chef, mais pour avoir des nouvelles, pour recevoir des instructions. Le fait que leur routine soit interrompue fit naître un spasme de rage en elle. Non que leurs déjeuners aient quelque chose de spécial – juste des amis et des collègues profitant les uns des autres et tenant des conversations agréables pendant leurs repas – mais ils étaient aussi appréciables que leurs aller et retour réguliers sur Sluis Van pour les permissions.

Aujourd’hui, tout le monde parlait en murmures angoissés, à l’affût de la moindre nouvelle du Sud. Que pouvait-elle leur dire ? Ne pas savoir ce qui se passait ici était pire qu’une mauvaise nouvelle. Quelques heures standards auparavant, une flotte d’invasion avait atterri cent cinquante kilomètres au sud-ouest du centre.

— Maîtresse, avait dit le général Khamar dans son dernier message, deux de nos chasseurs en patrouille de routine au-dessus de la côte ont engagé le combat contre de nombreux appareils hostiles. Le vaisseau de contrôle qui enregistrait la scène a été abattu, mais avant qu’on perde son contact, l’équipage a signalé une grande quantité de droïdes qui débarquaient. Les envahisseurs ne semblent pas être aussi nombreux que ma propre unité, mais ils peuvent très bien n’être qu’une avant-garde qui prépare le terrain pour des troupes plus importantes. Dans tous les cas, il nous faut les annihiler sans attendre. J’emmène mon contingent principal avec moi pour les attaquer.

— De quelle taille est leur flotte ? avait-elle demandé.

— Plusieurs transports et quelques croiseurs stellaires, rien d’ingérable. Si nous avons besoin de renforts, ce dont je doute, Sluis Van nous les fournira.

— N’est-il pas plus prudent de les avertir dès maintenant, juste au cas où ?

Khamar grogna.

— C’est ce qu’on fera si on en a besoin, mais ça n’est pas vraiment une bonne tactique de demander du renfort avant même de connaître l’ampleur de la menace. Je laisse un détachement ici sous les ordres du commandant Llanmore pour assurer la sécurité du centre.

Corellien bourru, Khamar était un soldat professionnel et Reija lui faisait confiance. Elle aimait tout particulièrement le jeune commandant Llanmore ; elle ne pouvait s’empêcher de sourire devant les airs de rigueur militaire qu’il affectait en sa présence. Elle voyait clair en lui, bien entendu. Pour elle, il était un de ces nombreux fils qu’elle n’avait jamais eus.

Mais depuis quelques heures, le général Khamar gardait le silence. Si c’était une attaque massive des Séparatistes pour tenter de s’emparer du centre de communication, le confortable petit monde de Praesitlyn n’y survivrait pas.

Le dôme solaire qui couvrait le jardin se referma d’un coup sans prévenir. Il y eut un éclair brillant et un rugissement assourdissant.

Le cœur au bord des lèvres, Reija bondit sur ses pieds et courut vers la salle de contrôle principale. Slith Skael, le chef Sluissi du staff des communications se glissa à ses côtés. Elle n’avait jamais vu cette créature, habituellement si méthodique, se mouvoir aussi rapidement, ni afficher un air aussi inquiet.

— Est-ce que Khamar revient ? hésita Reija.

Elle jeta un coup d’œil dans la salle de contrôle. Habituellement, c’était un lieu tranquille et serein, peuplé de techniciens concentrés sur leur travail, de droïdes vacant silencieusement à leurs travaux. Mais plus maintenant.

— Non, maîtresse, répondit Slith. C’est extrêmement curieux.

Il se balança nerveusement.

— Je pense qu’il y a d’autres troupes d’assaut. J’ai ordonné qu’on ferme le dôme dès que les premiers vaisseaux se seraient posés. Je vous supplie de m’excuser si ça vous a surpris. Quels sont vos ordres ?

Reija avait fini par énormément apprécier Slith au cours de leurs années communes sur Praesitlyn. Sous une apparence calme et inattaquable se cachait un être dévoué et plein de compassion. Et elle savait qu’elle pouvait compter sur lui. La salle de contrôle était en plein chaos. Des techniciens bafouillaient en triturant frénétiquement leurs appareils. Un grondement sourd se propagea à travers les installations. Elle en sentit les vibrations à même le sol.

— Un grand nombre de vaisseaux atterrissent à côté de la mesa, cria un technicien d’un ton proche de la panique.

— Silence ! Écoutez-moi ! cria-t-elle fermement. Tout le monde à son poste et écoutez-moi !

Son calme et son self-control eurent l’effet désiré. Les gens cessèrent de parler et prirent leur place.

— Maintenant, dit-elle en se tournant vers Slith, envoyez un message d’alerte sur Coruscant et…

— C’est déjà fait, répondit le Sluissi. La transmission a été bloquée.

— Ce n’est pas possible ! s’écria-t-elle, stupéfaite.

— Et pourtant, ça l’est, répondit Slith comme s’il assenait une évidence.

Il se contentait d’énoncer un fait, pas d’en débattre.

— Quels sont vos ordres ? répéta-t-il.

Reija garda le silence quelques instants.

— Commandant Llanmore ?

— Je suis là, Maîtresse.

Équipé de son armure opérationnelle de combat, Llanmore s’avança et se dirigea vers elle.

— Qu’est-ce qui se passe dehors ?

La salle de contrôle était désormais totalement silencieuse, tous les regards tournés vers eux.

— De nombreuses troupes ont pris position à côté de la mesa, répondit Llanmore d’un ton précis et informatif. Nous ne pouvons pas espérer tenir sans renforts immédiats, et – il hésita – il n’y en aura pas.

— Des nouvelles du général Khamar ?

— Non, Maîtresse, et – la voix de Llanmore se brisa – nous devons supposer qu’il est… que son unité a été vaincue.

Reija mesura la situation pendant quelques instants.

— Très bien. D’une façon ou d’une autre, les envahisseurs bloquent nos transmissions. Le général Khamar ne peut pas nous aider. Nous ne pouvons pas résister. Écoutez-moi, tout le monde ! Nous ne devons pas laisser ce complexe tomber entre les mains des envahisseurs.

Elle s’interrompit une minute pour rassembler ses pensées avant d’énoncer l’ordre qu’elle n’aurait jamais imaginé donner un jour.

— Détruisez votre matériel.

Rapidement, elle commença à expliquer aux techniciens quelles pièces spécifiques il fallait détruire en premier. Mais ça prendrait du temps. Ils ne s’étaient jamais préparés à une telle situation ; et ils n’avaient pas non plus les moyens de s’assurer de la rapide et totale destruction des équipements.

— Commandant.

— Oui, Maîtresse ?

Le seul signe qui attestait la nervosité de Reija était un mince filet de transpiration qui descendait de ses cheveux et lui coulait sur le sourcil droit.

— Pouvez-vous retenir les envahisseurs ? Tout ce dont nous avons besoin, c’est d’un peu de temps.

— Je peux essayer.

Llanmore transpirait légèrement lui aussi, mais il tourna rapidement les talons et quitta la salle de contrôle. La dernière chose qu’elle aperçut de lui fut son dos droit comme un i alors qu’il se dirigeait rapidement vers son poste de commandement. Elle avait affreusement peur d’avoir envoyé le jeune homme à la mort.

— Au boulot ! ordonna-t-elle aux techniciens dont certains avaient cessé de faire quoi que ce soit pour écouter leur conversation.

Pourquoi personne n’avait-il jamais envisagé un exercice de destruction d’urgence pour un complexe comme celui-ci ? Le Centre de Communication Intergalactique était vital pour la République, et ses installations ne pouvaient pas tomber entre des mains ennemies.

Depuis les abords de la mesa leur parvint le sinistre grondement de l’artillerie. Llanmore se lançait contre les envahisseurs. Reija sentit le désespoir l’envahir. Son monde confortable n’était plus.