CHAPITRE XXI

Rapidement, mais avec précaution, ils s’avancèrent jusqu’au lit asséché, s’efforçant de coller à l’ancienne rive au plus près afin de se cacher des positions ennemies, là-haut sur la mesa. C’était la bonne tactique, et peu de temps après, ils atteignirent le point où l’ancienne rivière contournait la mesa.

Le tir de barrage censé les couvrir rugissait et illuminait la nuit de flashes brillants, bientôt rejoints par les tirs des Séparatistes qui répondaient coup pour coup. L’univers entier semblait s’embraser dans un gigantesque holocauste de feu. Aucun d’entre eux n’avait jamais vu un échange d’artillerie de cette ampleur, et ils en étaient à la fois émerveillés et excités. Le sergent L’Loxx sourit discrètement : la diversion fonctionnait parfaitement.

Ils rampèrent l’un après l’autre le long de la plaine découverte qui séparait le lit des murailles pierreuses de la mesa. Partout, la présence de l’ennemi n’était que trop évidente : des pièces d’équipement, des droïdes éventrés, des impacts d’obus criblaient la zone, leur fournissant des abris bienvenus alors qu’ils rampaient à découvert. Chaque élément de leur matériel avait été soigneusement emballé pour ne produire aucun son, et L’Loxx avait pensé à prendre une fine corde destinée à ce que personne ne se perde en route. Il avait également peint de minuscules points lumineux entre les épaules de chacun. Grâce aux jumelles à vision nocturne, ce petit dispositif leur permettait de contrôler sans arrêt la position de celui qui les précédait directement. Tous portaient un pistolaser comme arme principale, mais rien de trop lourd. Après une heure de progression, ils avaient atteint un point sur les pentes de la mesa que L’Loxx identifia comme étant situé légèrement derrière l’aile droite des positions ennemies. De là, ils négocieraient la falaise étroite qui les mènerait au pied des collines qui dominaient toutes leurs lignes.

L’Loxx connaissait bien cette zone, il s’y était rendu plusieurs fois. Ces tranchées se terminaient au pied des deux petites collines qui servaient de poste de commandement au milieu de la mesa. Une petite ligne de batteries était positionnée juste au-dessus de la plaine, face à un éboulis de rochers parfois plus gros que des Banthas. L’Loxx espérait que cette configuration de terrain leur était suffisante pour prévenir une attaque. Il ordonna une halte. Dès que les trois autres se rapprochèrent de lui, il murmura :

— C’est maintenant qu’on monte. Une fois au sommet, on devrait être juste derrière leur flanc droit. Je passe en premier. Collez-moi au train.

Peu à peu, le tir de couverture cessa. Un silence surnaturel descendit sur le champ de bataille qui fut plongé dans un bain de ténèbres impénétrables.

 

Le lieutenant Erk H’Arman s’accorda une pause pour souffler. De l’air froid sifflait à travers le petit trou qu’il avait réussi à percer dans la roche. Il pouvait apercevoir les étoiles.

— On va y arriver, Odie.

Il s’affala sur le sol et s’assit pour enlever la combinaison qui lui couvrait le bras et la main.

— Éclaire mon bras, tu veux ?

Le soldat Odie Subu poussa un petit cri.

— Tu es couvert de cloques ! J’ai un kit de premier secours dans ma ceinture.

Elle fouilla dans une poche et appliqua de la pommade sur les blessures d’Erk.

— Tu es un ange, Odie. Tu crois qu’il y a une raison qui explique que nous ayons traversé tout ça ensemble ?

— Je pense qu’il y a une raison pour tout, Erk.

Erk examina sa combinaison.

— Elle a l’air de tenir le coup. C’est juste ces morceaux de roche brûlante qui n’arrêtent pas de me gicler sur le bras. Ça te dérangerait de me passer à boire, j’ai les mains plutôt engourdies…

Elle sortit sa gourde et fit boire Erk directement au goulot. Il but avidement. Quant il en eut assez, elle dit :

— Bon, je vais m’y mettre, maintenant. Repose-toi.

— Très bien, mais faisons quand même une pause, d’accord ? L’air est trop chaud, laisse-le refroidir un peu. Dès que tu commences à sentir la chaleur, arrête tout de suite. J’ai commis l’erreur de tenir trop longtemps et j’ai vraiment abusé, avec mes bras. N’en fais pas autant.

— C’est un comportement typique chez les mecs. Vous voulez toujours tout, tout de suite. Laisse faire les femmes.

Ils restèrent de longues minutes sans bouger avant qu’elle ne se lève, empoigne la combinaison et reprenne le travail. Elle fora pendant une dizaine de minutes.

— Tu entends ça ? demanda Erk.

Le rugissement de l’artillerie leur parvenait, assourdi à travers la roche, mais suffisamment fort pour qu’ils comprennent qu’une attaque massive commençait.

— La relève ? murmura Odie.

Alors qu’elle commençait à pleurer, elle se blottit contre Erk. Il lui passa son bras valide autour des épaules.

Le trou était maintenant suffisamment large pour que l’on puisse y passer la main.

Ils écoutèrent la nuit.

— Soit la relève, soit l’assaut final, finit par dire Erk. Quoi que ce soit, ça veut dire qu’on sort d’ici.

— Je suis désolée de pleurer comme ça.

Erk l’attira contre lui et enfouit son nez dans ses cheveux. Elle sentait la roche brûlée et la sueur, mais pour lui, c’était le plus délicieux des parfums.

— Laisse tomber, Odie, ricana Erk, c’est un truc de filles, tu vois.

Ils rirent.

— Alors maintenant arrête de pleurnicher et retourne bosser, ajouta-t-il avec une rudesse feinte. J’ai vraiment besoin de prendre un bon bain.

 

Ils pénétrèrent le chaos rocheux. Les à-pics les dominaient comme des bâtiments. Le silence était tel qu’ils pouvaient s’entendre respirer les uns les autres. Le sergent L’Loxx ordonna une nouvelle halte. Au-dessus d’eux, un peu sur la gauche, ils entendirent de faibles bruits métalliques. Pas besoin d’expliquer qu’il s’agissait de droïdes de guerre. Mais combien ? Comment étaient faites leurs fortifications ? Avaient-ils des armes lourdes ? Quelle serait la bonne méthode pour leur tomber dessus ? Avec ses jumelles à vision nocturne, L’Loxx repéra une ouverture entre deux rochers. Il s’y engagea, suivi de près par Grudo.

Un droïde apparut juste à gauche du sergent, et avant que ce dernier ait eu le temps de réagir, Grudo le décapita d’un seul coup de vibrolame bien ajusté. Presque aussi rapidement, le Rodien attrapa le droïde qui s’écroulait et le posa délicatement au sol. Mais personne ne put rattraper la tête qui roula en contrebas. Des étincelles s’échappèrent des circuits sectionnés.

Le cœur au bord des lèvres, ils se figèrent tous sur place. Au bout de quelques minutes, L’Loxx reprit son avancée en terrain découvert. Arrivé de l’autre côté, il leur fit signe de le rejoindre et de former un demi-cercle autour de lui.

— Beau travail, Grudo.

Il frappa du poing l’épaule du Rodien.

— Et maintenant, écoutez : à partir de maintenant, j’y vais seul.

L’un des gardes protesta.

— Non. Je suis meilleur que vous tous sur ce point. Établissez un périmètre de défense et attendez-moi.

Il enfonça un bouton sur sa montre.

— Il est zéro trois cents. L’aube est à zéro six cents. Donnez-moi une heure. Si je ne suis pas rentré, vous partez sans moi.

— Jamais, murmura le soldat Vick. On est venus ensemble, on repartira ensemble, ou pas du tout.

L’Loxx s’approcha du garde et rétorqua :

— C’est un ordre. S’ils me chopent, ils vous choperont aussi si vous ne disparaissez pas rapidement. Faites ce que je vous dis ou je vous garantis que vous ne repartirez plus jamais en patrouille.

Le soldat Vick n’en était pas sûr, mais il lui semblait que L’Loxx souriait dans le noir.

— Vous savez tous obéir aux ordres, déclara le sergent, alors obéissez.

Il détacha la corde qui le reliait aux autres et disparut sans un bruit dans les ténèbres.

Tous les trois s’assirent et attendirent. Le caporal Raders plaça sa main contre l’oreille de Grudo et murmura :

— C’est du beau boulot, monsieur le Rodien, ce droïde n’a rien vu venir.

Grudo hocha la tête en guise de remerciement.

Les minutes passèrent. Grudo était à l’aise, au côté d’autres soldats, plongé dans une mission dangereuse, avec la mort ou la gloire à quelques mètres d’eux. C’était pour ça qu’il vivait.

Il écouta ses compagnons chuchoter.

— Qu’ils y viennent, dit l’un d’eux.

— On les attend de pied ferme, répliqua un autre.

Grudo sourit dans le noir. Des vantardises de soldat, une bravade pour évacuer la peur. Se moquer de la cloche de minuit, avait-il entendu quelqu’un dire. Le genre de courage rigolard qui donnait aux guerriers la force et la confiance dont ils avaient besoin pour se battre. Il adorait ça. Personne n’était plus vivant qu’eux en ce moment, sur la corde raide qui sépare les morts des vivants. Il pensa à Anakin, qu’il avait appris à apprécier pendant tout le temps où ils avaient travaillé ensemble. Il y avait quelque chose dans ce jeune Jedi que Grudo avait senti de suite quand il l’avait rencontré dans ce bar pourri sur Coruscant. Il n’avait pas réussi à le définir immédiatement, mais maintenant il le pouvait. C’était la capacité à se faire suivre des autres, son aptitude naturelle au commandement.

Derrière eux, L’Loxx grimpa le long de la colline la plus proche. C’était étonnamment facile. Précautionneusement, il jeta un coup d’œil sur les positions ennemies depuis un rocher. À moins de dix mètres à sa gauche, un groupe de droïdes de guerre se tenait derrière un mur hâtivement construit. Avec ses jumelles nocturnes, ils lui apparaissaient comme des points blancs, la signature infrarouge de leurs batteries et de leurs circuits. Alors qu’il les observait, il y eut un flash brillant sur l’un d’eux et il disparut de son champ de vision pour faire place à une petite lueur qui allait en s’affaiblissant. L’Loxx sourit. Le droïde venait tout juste de subir un court-circuit. Formidable ! Ils n’étaient même pas correctement entretenus. Bon à savoir. Il observa consciencieusement toute la tranchée. Il aurait aimé avoir un télémètre pour pouvoir envoyer des images au QG, mais ils avaient tous décidé de ne pas les utiliser. Le risque d’une interception de transmission était trop important.

Alors qu’il examinait chaque position, son cœur s’accéléra. Voilà ! Voilà le point faible ! On pouvait contourner leurs lignes exactement ici. Il fallait absolument rapporter cette information au QG.

Il rampa vers son point de départ, s’attendant à recevoir un coup de laser, mais rien ne vint. En quelques minutes, il rejoignit ses compagnons derrière les rochers.

— On n’a plus qu’à repartir, murmura-t-il. Les gars, j’ai une info qui vaut son pesant d’or.

Il sortit son Podcom et signala qu’ils n’allaient pas tarder à revenir.

— Pendant qu’on attend leur réponse, il faut que je vous dise ce que j’ai vu là-haut. Vous n’allez pas le croire, mais…

Deux droïdes émergèrent alors d’entre les rochers. Vick les aligna tous les deux sans attendre.

— Courez ! Courez ! cria L’Loxx.

— Je reste là pour les retenir, répondit Vick.

Les trois autres se précipitèrent entre les rochers. Des tirs de laser illuminèrent la nuit derrière eux. Vick les rattrapa en courant.

— Ils sont trop nombreux ! hurla-t-il en dépassant Grudo.

Calmement, Grudo sortit son arme et attrapa deux vibrolames de sa main libre. Alors que les droïdes le chargeaient, il en coupa un en deux d’un coup de laser et en décapita un autre avec un vibrolame. En dix secondes, il en abattit six, leurs dépouilles formant un petit obstacle pour les autres.

Il garda sa position et continua à descendre droïdes après droïdes. Des lasers ricochaient sur les rochers en le manquant de peu. Deux tirs l’atteignirent en pleine poitrine. Il tituba, mais resta debout. Après trente secondes de combat, il ne restait plus un seul droïde à abattre. Grudo reprit son souffle. Il rangea son pistolaser. Silence de mort. Non ! Plus haut, d’autres droïdes arrivaient en renfort. Il était plus que temps de filer. Il se retourna et courut vers ses camarades. L’artillerie entra en action à cet instant précis, changeant la nuit en jour.

 

Odie passa la tête à travers le trou qu’elle venait de forer dans la roche.

— Encore quelques minutes, et on devrait pouvoir passer !

Elle s’assit à côté de lui.

— Comment va ton bras ?

— Oh, je suppose que quelqu’un d’ordinaire serait déjà en train de hurler de douleur, mais moi ça va… Je suis un pilote, après tout, on est entraîné à la dure.

Il grimaça, avant de reprendre plus sérieusement :

— Je suis désolé, Odie, mais je vais avoir besoin de ton aide pour sortir de ce trou. J’ai les jambes un peu engourdies, tu sais.

— Laisse-moi encore dix minutes, et on se tire d’ici !

Une fois la roche suffisamment refroidie, Odie se hissa à travers l’ouverture, aidée par Erk qui la poussait, et sortit à l’air libre.

Le tir de couverture reprit au même moment. Elle rentra immédiatement dans le bunker.

— Tu crois vraiment qu’on doit sortir par ce temps ?

— Tu parles ! Je préfère encore ça. Tout plutôt que passer encore une minute dans ce tombeau.

— Utilise ton bras valide pour agripper l’ouverture, je vais te pousser d’en bas. Mais fais gaffe, ça risque d’être un peu étroit.

Les tirs étaient si puissants qu’ils en éclairaient l’intérieur du bunker. Le visage d’Erk était pâle et tiré dans la lumière sporadique.

— J’espère qu’on ne va pas tomber nez à nez avec des droïdes, dit-il faiblement.

Il réussit à se hisser à moitié dans le trou, mais s’y coinça. Il grogna de douleur. Odie attrapa ses pieds par en dessous et, de toutes ses forces, poussa jusqu’à ce qu’il se libère et rampe à l’extérieur. Elle récupéra ensuite le fusil laser et le suivit à son tour. Ils s’étendirent quelques minutes à même le sol pour reprendre haleine.

— On a réussi.

L’artillerie rugissait et faisait trembler la terre alentour, mais aucun tir ne les visait directement.

— On dirait un duel, constata Erk, c’est ce que j’ai vu de plus beau depuis longtemps.

Des silhouettes émergèrent de l’ombre. Odie saisit le fusil et leur tira dessus.

— Ne tirez pas ! cria l’une des silhouettes, nous sommes des vôtres !

Quelqu’un se précipita sur Odie et lui arracha le laser des mains.

— Imbécile ! hurla-t-il. Tu viens d’abattre un de mes hommes ! Personne ne t’a dit qu’on arrivait ?

Il la regarda dans la lumière blafarde, puis jeta un coup d’œil à Erk qui était allongé derrière elle. Tous les deux avaient l’air d’être salement mal en point.

— Mais qui êtes-vous ?

— Grudo est gravement touché, dit le caporal Raders, elle lui a tiré en pleine tête. Allez au diable ! Qu’est-ce qui…

Il se tut en les voyant tous les deux.

— Je… Je… On était coincés dans un bunker, monsieur. Je… j’ai cru que vous étiez des droïdes. Mon coéquipier est gravement blessé, lui aussi. Je… Je suis désolée pour votre homme, je…

L’Loxx se retourna et s’agenouilla auprès de Grudo. Le Rodien tenait sa tête entre ses mains et était encore conscient. Il cligna des yeux et essaya de dire quelque chose, mais ne réussit qu’à émettre un vague gémissement.

— Attendons les brancardiers, suggéra Raders. Ils vont nous le transporter vite fait jusqu’à l’infirmerie. On ne peut rien faire.

— Si on ne le ramène pas maintenant, il ne s’en tirera pas. Et après ce qu’il a fait ce soir, on a une dette envers lui. Aidez-nous, vous deux, ajouta-t-il en s’adressant à Erk et Odie.

— Monsieur, mon coéquipier est gravement brûlé. Il ne peut rien porter.

— Ok, occupez-vous de lui, on se charge de Grudo. Et arrêtez de me donner du monsieur, je suis un… Eh ! Mais je vous connais. Vous faites partie des troupes du général Khamar. On est revenus ensemble. Je ne me rappelle pas vos noms, mais je vous ai trouvés tous les deux dans le désert…

— Sergent L’Loxx, souffla Odie.

— Comment ça va ? demanda Erk.

— Je me souviens qu’ils vous ont envoyé à Izable juste après votre rapatriement. Et bien, si je m’attendais à…

— Sergent, on bouge ? On parlera autant qu’on voudra quand on aura réintégré nos lignes, l’interrompit Raders.

En quelques minutes, ils avaient confectionné un brancard de fortune avec un hamac de toile que transportait Odie et deux barres de Duracier trouvées dans les décombres environnants. Porter Grudo fut plus facile que prévu.

 

Le sergent L’Loxx se présenta et salua Halcyon.

— Votre rapport, sergent.

— Nous n’avons pas attendu les autres pour rentrer, monsieur. J’avais deux blessés et il a fallu qu’on les transfère à l’infirmerie. Leur flanc droit est vulnérable, monsieur.

Il gagna un écran tridimensionnel.

— Il y a d’abord cette colline, là. Trop faiblement défendue. Je crois qu’ils comptent sur les éboulis rocheux en contrebas pour gêner toute tentative d’assaut. Par ailleurs, je n’ai pas vu d’armes lourdes. Ils n’ont pas installé de batterie. Au final, j’ai des raisons de croire qu’un manque de maintenance réduit les capacités des droïdes en présence. Si on les fait chauffer, ils vont griller les uns après les autres.

— Qui a été blessé ? demanda Anakin.

— Le Rodien, j’en ai peur, monsieur.

— C’est sérieux ?

— Très sérieux, monsieur. Mais laissez-moi vous dire que c’est grâce à lui que nous avons pu vous rapporter ces informations. Il est resté longtemps à nous couvrir pour nous permettre de nous éloigner suffisamment de leurs premières lignes. J’ajouterai aussi, monsieur, que vos deux gardes sont des gars solides. Ils ont tenu le coup jusqu’au bout.

— Bon, et quel est l’autre blessé, alors ? demanda Slayke.

L’Loxx expliqua rapidement sa rencontre avec Odie et Erk.

— Je me souviens d’eux, déclara Slayke, ils ont été postés à Izable avant l’attaque.

— C’est elle qui a tiré sur Grudo, reprit L’Loxx. Dans le noir, elle nous a pris pour des droïdes. C’était un bête accident. Ça arrive, monsieur, le tir ami…

— Bon, très bien, intervint Halcyon.

Il avait pris sa décision.

— Il est maintenant zéro quatre cents. Commandant Skywalker, je veux que vous vous teniez prêt à attaquer leur flanc droit à zéro six cents. Prenez le sergent L’Loxx comme guide. Il vous faudra deux brigades de votre division. Laissez la troisième en réserve sous le commandement du capitaine Slayke.

— Ne devrions-nous pas attendre le rapport des commandos, monsieur ? demanda l’un des officiers d’état-major.

— Je suis curieux de savoir ce qu’ils vont nous apporter comme renseignements, mais non.

Il pointa l’écran du doigt.

— Ici, nous avons le pivot de notre assaut. Et nous attaquerons là. Je m’occupe de l’attaque frontale avec deux de mes divisions. J’attendrai que vous soyez prêt avant de passer à l’action, commandant Skywalker. Vous attendrez dix minutes avant d’attaquer. Je pense que ça suffira pour que l’ennemi décide de faire venir des renforts depuis ses flancs. On lui a fait subir deux tirs de barrage assez gratinés pour l’attendrir un peu. J’espère qu’il prendra mon assaut pour l’attaque principale. Mais avec l’artillerie, je pense qu’on arrivera à l’en persuader. On va s’en tenir à ça, en attendant.

Il se tourna vers l’un de ses officiers exécutifs.

— Faites passer l’ordre à tous les commandants.

 

— Puis-je le voir ? demanda Anakin au docteur qui l’attendait à l’infirmerie.

— Par là.

Les épaules affaissées du docteur et ses traits tirés en disaient bien plus long sur ce que les Fils et Filles de la Liberté avaient enduré que les traces de sang qui maculaient sa blouse chirurgicale.

Grudo était étendu sur un lit de camp derrière un simple rideau. Anakin eut le souffle coupé quant il réalisa à quel point le Rodien était blessé. Le tir ami, pensa Anakin, c’était comme ça que le sergent avait qualifié l’accident. Il se demanda qui avait bien pu inventer un terme aussi ridicule. Un officier d’état-major, sans doute. Quelqu’un de bien au chaud dans un quartier général, quelqu’un qui admirait les cicatrices, mais qui n’en portait pas. Il n’y avait rien d’amical dans un tir ami. Dans un tir qui causait autant de dégâts. Et qu’importe son appellation.

Anakin lutta contre un sentiment de rage, non pas contre le soldat qui avait abattu Grudo, mais plutôt contre l’esprit militaire capable d’inventer une telle expression.

— Est-ce qu’il peut parler ? demanda-t-il au docteur épuisé.

— Il marmonne des choses sans queue ni tête. Je ne sais pas si c’est dans sa propre langue ou si ça n’a aucun sens. C’est incroyable qu’il soit encore à moitié conscient après une telle blessure. Je ne connais pas bien les cerveaux des Rodiens, mais là, vous voyez, on aperçoit le tissu cervical à travers le crâne…

— Vous ne pouvez rien faire ? l’interrompit Anakin.

Le docteur secoua la tête.

— Non, rien. Il est dans un état trop avancé.

— Il peut nous entendre ?

— Je ne pense pas. Mais cela ne change rien à son état clinique qu’il le puisse ou pas. Avec une blessure à la tête comme celle-ci, il ne tiendra pas le coup longtemps. On ne peut même pas lui administrer un sédatif, sauf si vous désirez qu’on abrège ses souffrances.

Anakin se retourna.

— Si je vous entends encore une seule fois dire une chose pareille à propos d’un de mes soldats, je vous jure que je…

Il secoua la tête.

— Maintenant, ayez la courtoisie de me laisser seul avec mon ami.

Le docteur recula, tira les rideaux et partit.

Anakin baissa les yeux sur son ami.

— Tu m’entends ?

Il s’approcha.

— Grudo. Tu m’entends ?

Grudo ouvrit un œil. Quelque chose grinça profondément dans sa poitrine, et il toussa.

— A… A… Anakin, soupira-t-il.

— Économise tes forces, tu vas t’en sortir, mentit Anakin.

— Non, murmura Grudo. Il est… temps de partir.

— Non ! Non, Grudo ! On va t’envoyer sur le Respite, une frégate hôpital ; ils ont tout ce qu’il faut là-bas pour te tirer d’affaire.

Avec un effort immense, Grudo se releva sur un coude et attrapa le jeune Jedi par l’épaule. Il approcha son visage défiguré de celui d’Anakin.

— Ne verse aucune larme pour moi, lâcha-t-il avant de retomber sur son matelas.

Anakin n’avait pas besoin de toucher Grudo pour sentir que la vie l’abandonnait. Il resta à ses côtés quelques minutes avant de se lever et de regagner le poste de commandement. L’attaque serait lancée au matin et il en prendrait la tête.

Grudo serait vengé.