CHAPITRE XI
Quelqu’un versait de l’eau sur le visage d’Odie. L’eau était plus chaude que la température corporelle, mais à ses yeux, elle était aussi douce et aussi fraîche qu’un torrent montagneux, lui baignant délicieusement ses lèvres craquelées et sa peau brûlée. Elle la but pour ce qu’elle était, la vie. Elle se réjouit de cette merveilleuse humidité et essaya même de rire, mais sa voix refusa tout simplement de fonctionner. Elle ouvrit les yeux et vit une silhouette sombre penchée sur elle.
Elle tenta de parler et réussit à croasser :
— Erk.
— Oui, lui répondit la silhouette.
— Erk ? demanda-t-elle encore en rassemblant les faibles forces qui lui restaient pour prononcer son nom.
Mais la voix qui lui avait répondu était curieuse.
— Qui est… fut tout ce qu’elle put prononcer.
— Sergent Omin L’Loxx, à votre service, répondit l’ombre. À qui vous attendiez-vous ?
— Le pilote, souffla-t-elle.
— Ah, celui-là ? On le ranime, en ce moment. On l’a placé sous un autre abri et on lui a fait de la place pour qu’il puisse respirer. Mon coéquipier est le caporal Jamur Narth. Bon, vous pouvez vous lever ? On prend un gros risque à rester ici, comme ça. Il y a des patrouilles de droïdes partout.
Il fit de nouveau boire Odie.
Elle se sentit moins sonnée et réussit à s’asseoir en se taisant aider. Elle regarda autour d’elle, mais ne vit personne d’autre que Erk et les deux éclaireurs.
— Qu’est-ce que vous faites ici ? demanda-t-elle.
— On est en reconnaissance. Les Séparatistes ont des patrouilles partout à la recherche des poches de résistance. Notre boulot, c’est de les gêner et de signaler les unités qui tentent d’encercler nos positions.
Il changea de sujet.
— Je vois à ce qui reste de votre équipement que vous faites partie du bataillon de reconnaissance. Où est votre motojet ?
Il lui souleva doucement la tête et la fit boire encore un peu. Il secoua ensuite la gourde.
— Vous venez de pomper deux litres. Ça va vous remettre rapidement sur pied. C’est une bonne chose que vous et votre copain soyez des humains. Ce truc est spécialement conçu pour nous. Du fluide minéral, des protéines, toutes sortes de choses qu’on perd en se déshydratant. Qu’est-ce qui vous est arrivé ? Si vous n’aviez pas tiré, on ne vous aurait jamais repéré et vous seriez morts à l’heure qu’il est.
Doucement, Odie expliqua ce qui s’était passé.
— Je… je ne me rappelle pas avoir tiré, dit-elle faiblement.
— Eh bien, ça devait être votre copain là-bas. Ou vous ne vous en souvenez tout simplement plus. Quand on approche de la mort par déshydratation, les hallucinations sont courantes. Mais bon, je suppose que vous le savez.
On a vu le flash et on est venu voir ce que c’était. Le tir est parti droit vers le ciel. On s’est dit que c’était une sorte de signal.
Odie voulait nier que Erk était son « copain », mais sans en avoir l’énergie. Elle laissa passer la remarque.
— Qui êtes-vous ? demanda-t-elle.
— Un éclaireur, tout comme vous. Vous faisiez partie de la garnison basée ici ? Pauvres diables. Allez, debout, il faut partir. Vous pouvez monter avec moi. Vous vous sentez d’attaque ?
— O… oui. Mais d’où venez-vous ? Vous ne faites pas partie de l’armée du général Khamar ?
— Non, effectivement. On vous expliquera plus tard. Pour l’instant, il faut qu’on se tire d’ici et qu’on rentre à la base avant qu’une de leurs patrouilles nous repère. Pendant que vous étiez en train de récupérer, j’ai contacté mes supérieurs et on m’a ordonné de vous ramener au plus vite. Allez, prenez ma main, il faut qu’on y aille.
Odie tituba légèrement en sortant de l’ombre et se passa presque involontairement la main sur les yeux.
— Tenez, dit L’Loxx en lui tendant son casque. Mettez-le, ça vous protégera du soleil. J’en ai un autre sur ma motojet.
Odie le prit avec reconnaissance. C’était le casque standard des unités de reconnaissance. Elle se sentait déjà beaucoup mieux. Elle ajusta le casque avec l’aisance des habitués. Erk était avec l’autre éclaireur à côté de sa motojet. C’était comme revoir deux vieux amis, Erk et la motojet. Cette dernière ressemblait beaucoup à la sienne.
— Allez, montez avec moi, soldat, dit L’Loxx. Allez ! ajouta-t-il en direction du caporal Nath, on bouge !
L’Loxx rangea rapidement quelques ustensiles dans sa motojet pour faire de la place à Odie.
— Accrochez-vous bien, prévint-il, on ne va pas perdre de temps pour rentrer à la base.
Odie sut que le sergent était un expert dès qu’elle le vit démarrer sa machine.
L’Loxx les fit précautionneusement passer par des zones très accidentées. Il fit halte le long d’une crête rocheuse.
— Juste en-dessous, il y a un lit de rivière asséché. On va le suivre presque jusqu’au bout. Vous le connaissez ?
— Oui. Votre base est proche du Centre de Communication Intergalactique ?
— C’est exact. On occupe le centre du terrain au-dessus du plateau. Leur flotte ne peut pas intervenir car nous sommes trop proches de leur propre armée. Le premier jour, on a repoussé plusieurs vagues de droïdes, et on a tenu bon. Maintenant, on a consolidé nos positions et on envoie des patrouilles pour repérer les failles. C’est un statu quo. Le premier qui a des renforts remporte la manche.
— Des renforts sont en route ?
— Pour nous ? Je l’ignore. Notre commandant a envoyé un message sur Coruscant avant qu’on attaque et qu’on entre dans la zone de brouillage des transmissions. Pour eux ? J’imagine qu’ils sont en route, ouais. Bon. Prenez votre arme. Je pilote, vous tirez.
Odie saisit son pistolaser et poussa le cran de sûreté.
— Je suis prête, dit-elle d’une voix beaucoup plus affermie qu’elle ne l’était elle-même.
— Écoutez-moi, dit L’Loxx via la radio, une longue route nous attend. Si on rencontre des patrouilles ennemies, on a un grand avantage. On a deux personnes avec nous qui peuvent tirer pendant qu’on pilote. Vous êtes capable de viser, monsieur le pilote ?
— Sûr que je peux, espèce de rampant, rétorqua Erk. Et ma copilote aussi.
L’Loxx sourit.
— Bon, on dira que c’est vous qui nous avez sauvés, hein ? L’ennemi monte des Z soixante-quatorze. Votre « copilote » sait ce que ça implique si on doit se battre ?
Odie grogna. Évidemment qu’elle le savait.
— Mais nous n’allons pas nous battre, continua L’Loxx. On va la jouer tranquille et tout se passera bien. Suivez-moi.
Ils descendirent rapidement dans le lit de la rivière. Le fond était parsemé de rochers et jonché de débris. À certains endroits, l’eau avait creusé de profonds ravins qui les cachaient dans l’ombre. Ailleurs, le lit s’étalait largement et les laissait à découvert. Malgré tout, les rives étaient suffisamment hautes pour les mettre à l’abri, à condition de manœuvrer prudemment. Ils volèrent une bonne demi-heure de cette façon.
Ils furent attaqués au moment où la rivière formait comme un vaste lac. Le premier tir passa entre L’Loxx et Odie, si près qu’il déchira sa chemise et brûla le bout de son nez. L’espace d’une courte seconde, Odie se demanda se qui se passait ; puis, son instinct prit le dessus. Elle pivota sur elle-même et fit feu dans la direction du premier tir. C’est alors qu’elle les vit. Trois motojets de type soixante-quatorze qui filaient comme le vent à la surface du lac asséché. L’Loxx se mit à l’abri, le plus proche possible de la rive et fonça droit sur eux. Des tirs mal ajustés leur passèrent largement au-dessus. Odie se pencha sur la droite et fit feu à deux reprises. Elle vit clairement l’un de ses tirs toucher une motojet, mais il fut absorbé par le blindage et se dispersa au sol en étincelles électrostatiques. L’autre tir toucha le pilote de plein fouet et il bascula en arrière.
— Yiiiiiiihâ ! cria quelqu’un à la radio, sans doute Erk.
Odie regarda sur sa gauche. À quelques mètres derrière eux, elle pouvait voir Erk tirer coup sur coup sur les deux autres motojets. Les quatre engins soulevaient des colonnes de poussière qui restèrent longtemps en suspension après leur passage.
— Break ! Break ! cria L’Loxx.
Il plongea sur la droite si vite qu’Odie toucha le sol du genou alors qu’ils passaient en trombe à côté des motojets ennemies. La manœuvre sema la confusion. L’Loxx s’approcha immédiatement de l’un d’eux à deux cents kilomètres à l’heure, mais ce dernier vira brusquement sur la gauche. L’Loxx le suivit comme son ombre, sur ses talons. Odie continua à tirer, mais ses tirs étaient systématiquement absorbés par le blindage de la motojet. Malgré tout, le pilote était forcé de baisser la tête et de se concentrer sur son engin, sans pouvoir riposter.
Un immense nuage de poussière couvrit la mêlée alors que les motojets tournaient désespérément les unes autour des autres, chacune tentant de détruire sa rivale ou de trouver le bon angle de tir. Des éclairs de laser se reflétèrent si bien sur le rideau de poussière qu’un observateur extérieur aurait juré que le nuage puisait de l’énergie électrique. Aussi étouffante qu’une seconde peau, la poussière épaisse leur collait au corps et les aveuglait. Tout d’un coup, L’Loxx stoppa et retira son casque. Odie était stupéfaite de son silence.
— Où sont-ils ? murmura-t-elle en tournant sa tête de tous les côtés, à l’affût du moindre signe des autres motojets.
Il n’y avait rien d’autre que le silence. Pas de tirs non plus. Le seul bruit venait de leur propre respiration haletante.
— Joli tir, souffla L’Loxx en se référant au premier soldat abattu par Odie. Je n’arrive pas à joindre mon coéquipier. On a dû le descendre.
Odie repoussa son casque en arrière pour mieux entendre. C’est alors qu’elle sentit la plus douce des brises lui caresser le visage. Elle leva les yeux. Le soleil transperçait la poussière comme une boule jaune, mais devenait de plus en plus brillant. Le nuage se dissipait. Tous deux se raidirent comme des animaux acculés. Fuir ou attaquer ?
Le vent forcit et la poussière disparut rapidement. Comme un rideau qu’on lève sur une tragédie en préparation, la poussière se dissipa pour révéler un soldat ennemi posté à moins de dix mètres d’eux, assis sur sa motojet. Il ne les regardait pas.
Avant qu’Odie puisse se retourner et tirer, L’Loxx bondit de sa motojet, parcourut rapidement l’espace qui les séparait et se jeta sur l’autre. Odie entendit clairement le bruit de leurs corps quand ils tombèrent dans la boue. Le soldat ennemi était grand, mais il n’était pas humain. Tous deux grognèrent et jurèrent dans leur propre langue en roulant dans la poussière, mais l’avantage revenait à leur adversaire qui n’était pas aussi sonné que L’Loxx ne l’aurait cru.
Odie attrapa son arme et les visa tous les deux.
— Rends-toi ou je tire ! cria-t-elle.
Pas bon. Elle risquait de toucher L’Loxx si elle faisait feu. Elle rangea son arme et courut vers eux.
Le soldat ennemi grogna quand Odie lui sauta sur le dos, mais il ne lâcha pas la gorge de L’Loxx. Il se releva lentement, tenant L’Loxx d’un bras par le cou et le secouant en tous sens. De son autre main, il attrapa la tête d’Odie par-dessus son épaule et la balança au loin comme une poupée. Elle s’écrasa dans la poussière, complètement sonnée. Il jeta ensuite L’Loxx à même le sol, lui posa un pied sur la poitrine et sortit une sorte de masse de sa ceinture. L’Loxx était à moitié assommé et avait du mal à respirer. Le Gamorreen fit tourner le gourdin plusieurs fois au-dessus de sa tête en grognant victorieusement dans sa langue. L’Loxx chercha son pistolaser, mais il l’avait perdu dans la lutte. Il saisit le pied qui lui écrasait le ventre et tenta de le vriller, mais le Gamorreen était bien trop fort.
Subitement, un trait de laser toucha le Gamorreen au pectoral droit. Il cria de douleur et lâcha sa massue. Il attrapa son laser de sa main gauche et fit feu.
Odie finit par avoir sa chance et lui tira entre les deux épaules. Le Gamorreen répliqua, mais son tir toucha la motojet de L’Loxx au moment où Odie lui tirait une nouvelle fois dans le dos. Il tomba à genoux.
Incapable de se retourner pour viser correctement, il mitrailla en tous sens dans la direction d’Odie, mais L’Loxx retrouva son pistolaser et tira par trois fois sur le Gamorreen qui finit par s’écrouler pour ne plus se relever.
Erk sortit de nulle part, son pistolaser fumant toujours pointé vers le Gamorreen.
— Vous n’avez pas tiré le bon numéro pour un corps à corps, dit-il.
Il aida L’Loxx à se relever d’une main tout en surveillant le corps immobile du Gamorreen.
— Combien de fois ce type a-t-il été touché avant de tomber ? demanda-t-il avec admiration.
Odie se releva.
— Au moins cinq fois. Je crois qu’il respire encore. Est-ce que ça va ?
Elle fit un large sourire comme si elle venait de reconnaître le pilote en face d’elle.
— Où est mon coéquipier ? demanda L’Loxx avant qu’Erk ait le temps de dire quoi que ce soit.
— Je suis désolé, sergent. Le méchant l’a abattu. Je l’ai descendu immédiatement. Je suis désolé pour votre copain. Vraiment.
L’Loxx hocha la tête.
— Ma motojet est fichue, mais nous avons maintenant deux magnifiques Soixante-quatorze Z. Je vais récupérer le corps de mon coéquipier. Venez avec moi, Odie, vous ramènerez l’autre motojet. Monsieur le pilote, vous restez ici. Je ne sais pas s’ils ont signalé notre présence avant de nous attaquer.
Il désigna le Gamorreen du doigt.
— Nos communications longues distances sont bloquées, alors pourquoi pas les leurs ? Mais on a quand même intérêt à dégager vite fait. Au cas où. Où avez-vous laissé Jamur ?
Erk tendit le bras vers le sud.
— Par ici. À environ cinq cents mètres.
— Très bien. Attendez-nous ici.
— J’ai besoin de renfort, Monseigneur ! dit Pors Tonith à l’image du Comte Dooku qui flottait devant lui.
L’air lugubre du comte empira sous l’effet de l’agacement.
— Je pensais vous avoir dit de gérer l’aspect opérationnel avec le commandant Ventress.
— Cette opération va échouer si ces renforts n’arrivent pas, continua Tonith en ignorant l’énervement de Dooku.
— Il va falloir apprendre à obéir à mes ordres.
Tonith pâlit sous le regard perçant du Comte. Il se rappela la dernière fois que ce dernier lui avait donné une leçon. Sur le moment, il avait ressenti soudainement comme un poids sur la poitrine qui l’empêchait de respirer correctement. Il avait dû lutter pour inspirer. La gêne avait disparu aussi rapidement qu’elle était apparue. Dooku n’était pas suffisamment prêt d’utiliser la Force sur lui, en ce moment même, mais Tonith savait qu’il n’y échapperait pas si les choses ne s’amélioraient pas.
— Mais j’obéis à vos ordres, Monseigneur ! dit-il rapidement. Il s’agit de prendre et de sécuriser cette planète. Le plan que vous avez conçu pour cette campagne, un plan que j’ai suivi à la lettre, impliquait des renforts immédiats dès que ce serait fait. Où sont-ils, Monseigneur, je vous le demande ? Cette armée ennemie me pose des problèmes, et si ce sont eux qui reçoivent des renforts avant moi, Praesitlyn ne sera pas conquise.
L’image de Dooku flotta longuement devant Tonith avant de répondre.
— Ils sont en chemin. Pourquoi n’avez-vous pas su prévoir cette intervention ?
Tonith prit sa respiration. Voilà qu’on le blâmait pour quelque chose qu’il n’avait pas anticipé ? Monstrueux ! Que le Comte aille au diable. Mais ce fut d’un ton calme qu’il répondit :
— C’est l’un des impondérables de la guerre, Monseigneur, mais nous sommes toujours maîtres du Centre de Communication Intergalactique. J’ai perdu nombre de droïdes, et bien peu sont réparables dans mes ateliers. Pour chaque mort dans leur camp, ils nous détruisent cinq ou six droïdes.
— Vous disposez d’un million de droïdes de guerre ; lancez-les tous dans la bataille et débordez-les.
— Monseigneur, répondit Tonith avec patience, j’ai désormais beaucoup moins qu’un million de droïdes. Les vagues d’assauts sont coûteuses et médiocres d’un point de vue tactique. Si je devais faire ce que vous me demandez, il ne me resterait plus qu’une armée extrêmement réduite. Leur chef est très habile. Il maintient ses lignes tout proches des nôtres afin de m’empêcher d’utiliser les armes lourdes.
— Nous devons tous faire des sacrifices, répondit sèchement Dooku.
Tonith se tut, maîtrisant sa croissante impatience.
— Seigneur, leurs vaisseaux maintiennent les miens en orbite, je ne peux donc pas espérer de renforts de ce côté-là. Et ils ne peuvent pas tirer au sol avec leur équipement gravitationnel. Je vous répète que si la République envoie des renforts avant…
— Il lui est impossible de remplacer ses pertes, n’est-ce pas ?
Dooku sourit.
— Non, Monseigneur, répondit Tonith d’un ton acerbe. Mais si la République est consciente de ce qui se passe ici, elle a forcément envoyé une armée contre nous…
— Et donc, votre ennemi est de plus en plus faible.
— S’ils arrivent avant mes propres renforts…
— Ça ne se produira pas. Maintenez la pression. Conservez vos positions. De l’aide est en route. J’ai confiance en vous.
La transmission cessa.
Loin, très loin, le Conte Dooku sourit. Ce Pors Tonith était tenace, mais un peu trop curieux. Exactement comme un banquier, somme toute. Mais c’était la personne idéale pour faire ce travail. Tout se passait exactement comme prévu. C’est juste que ça n’avait rien à voir avec le plan que croyait suivre Tonith…