CHAPITRE II

— Le Comte Dooku veut un rapport, Tonith.

L’amiral Pors Tonith, un Muun responsable des troupes d’assaut, sirotait tranquillement son thé Dianogien et souriait, ignorant ostensiblement le manque de respect que lui témoignait le commandant Asajj Ventress en lui parlant de la sorte.

— Il connaît le plan de bataille dans son ensemble, Ventress, répliqua-t-il du tac au tac, s’appliquant à répondre avec un dédain étudié.

Il posa sa tasse sur un plateau à proximité.

— Je le lui ai donné avant qu’il ne quitte la base. Il sait qu’à partir du moment où j’ai conçu un plan, je l’applique. C’est justement pour cette raison qu’il m’a désigné pour commander cette opération.

Il sourit aimablement, ses lèvres pourpres dévoilant ses dents tachées de rouge et ses gencives noires. Un des effets secondaires de ce thé. Les taches constituaient un désagrément que Tonith acceptait volontiers pour savourer en paix, la saveur et les effets légèrement narcotiques de cette boisson tirée d’une substance chimique originaire des plaines de Dianoga. Il était par ailleurs le commandant suprême d’une flotte de débarquement : aucune créature pensante n’oserait rire de lui ; quant aux droïdes, ils ignoraient le sens du ridicule.

L’expression de Ventress ne changea pas, mais ses yeux noirs étincelèrent via le transcripteur HoloNet comme deux charbons ardents.

— Un plan de bataille n’est pas un rapport, répliqua-t-elle d’une voix froide.

Elle n’était pas habituée à ce qu’on lui parle sur ce ton, surtout venant de la part de ce financier pâlichon, tout juste bombardé commandant en chef.

Tonith soupira exagérément. Il considérait cette femelle assassin comme une intruse dans une opération qui dépassait ses pauvres capacités militaires et tactiques. Mais elle n’en restait pas moins la protégée de Dooku. Il fallait procéder avec tact.

— Très franchement, je ne peux pas commander cette expédition si je suis interrompu par… Par…

Il haussa les épaules et attrapa sa tasse de thé.

— Le rapport ? insista-t-elle.

— Je suis extrêmement occupé.

— Faites votre rapport. À moi. Maintenant.

Sa voix était aussi tranchante qu’un sabre laser ; arme dont on la disait experte.

Tonith se redressa et posa les mains sur ses genoux. En fait, il trouvait cette Ventress plutôt attirante. Il sentait qu’ils avaient des points communs : elle, une guerrière impitoyable et lui, un planificateur inflexible. Quand Tonith songeait aux femmes, ce qui n’arrivait pas souvent, il les préférait avec des cheveux ; mais la totale calvitie de Ventress ne lui était pas complètement désagréable. Elle irradiait de puissance et de confiance, même à travers le transcripteur. Il la respectait pour ça.

— Nous ferions un bonne équipe ensemble, dit-il, vous pourriez m’être utile.

Elle gloussa.

— Mon tout petit, si je devais venir un jour, ce ne serait pas pour t’aider mais pour te remplacer comme commandant. Le Comte m’a hélas confié des affaires plus importantes. Alors ne me fais pas perdre mon temps et au rapport. Maintenant.

Tonith haussa les épaules avec lassitude et se résigna à l’inévitable.

— Au moment où nous parlons, dit-il, une flotte de cent vingt-six vaisseaux, dont soixante-quinze croiseurs lourds a pris position autour de Sluis Van pour empêcher tout envoi de renforts. Je suis tout juste en train de faire débarquer une armée de cinquante mille droïdes de guerre sur Praesitlyn pour faire diversion et attirer la garnison du Centre de Communication Intergalactique. Dès que cette phase sera pleinement achevée, je ferai atterrir l’armée principale d’environ un million de droïdes de guerre. Nous écraserons toute résistance via une manœuvre d’encerclement et nous prendrons le centre intact. J’ai sous la main deux cents vaisseaux de débarquement. Il est impossible que cette opération échoue. Je vous garantis que dès les premières vingt-quatre heures de l’Opération Case Blanche, Praesitlyn sera à nous. Nous tiendrons fermement le réseau de communications de la République. Nos forces seront positionnées stratégiquement pour fondre rapidement sur n’importe quel allié de la République. La prise de Praesitlyn sera un vrai coup de poignard au cœur de Coruscant.

Il agita son bras en parlant.

— C’est la bataille qui nous fera gagner la guerre, conclut-il d’un sourire confiant qui dévoila encore ses dents tachées.

— Tous ces techniciens et cette petite garnison, là en bas, n’auront pas le temps de comprendre ce qui leur tombe dessus. Bientôt, ils seront, soit morts, soit très désireux de se rallier à nous.

Il s’appuya contre son dossier de chaise et sirota son thé.

Ventress n’avait pas l’air impressionnée.

— Les contre-mesures électroniques ?

— Pleinement opérationnelles. Le centre a bien essayé d’envoyer un signal de détresse pan-galactique il y a déjà un moment, mais nous l’avons bloqué avec succès.

Il sourit, montrant ses dents rouges et ses gencives noires.

— La furtivité ? Votre flotte n’a pas été détectée ? L’effet de surprise ?

— Oui. Pas seulement tactique, mais également psychologique, sans vouloir épiloguer.

— Très bien. Le Comte Dooku aura besoin de nouvelles régulières au fur et à mesure que la situation progressera. C’est à moi que vous les donnerez. Mieux vaut vous y faire dès maintenant.

— Oui, répondit Tonith d’une voix faussement résignée, signifiant clairement qu’il acceptait une nuisance dont il se serait bien passé.

Il n’avait jamais rencontré Ventress en personne, mais on lui avait dit que c’était un adversaire mortel en combat singulier. Ça ne l’inquiétait pas le moins du monde. Seuls les idiots mourraient au combat. Et il n’était pas idiot. Là où une guerrière comme Ventress pouvait découper un adversaire en un éclair, lui les manipulait. C’était pour ça que le Comte Dooku lui avait confié cette mission. Il n’allait pas perdre de temps en combats singuliers ni s’exposer au danger. Il y avait des droïdes pour ça. Lui, il commanderait et il vaincrait.

— Ah, pendant que j’y pense, je suis très impressionnée par votre dentier, lâcha Ventress.

Pris par surprise, Tonith ne sut pas immédiatement quoi répondre. Se fichait-elle de lui ou bien était-elle sérieuse ? Il allait devoir réévaluer son intelligence.

— Je vous remercie, dit-il finalement avec une petite courbette. Quant à moi, je vous félicite pour votre coiffure.

Ventress hocha la tête et disparut.

 

Pors Tonith était le rejeton le plus brillant d’une des familles les plus impitoyables du Clan des Banquiers Intergalactiques. À ses yeux, la vie n’était pas autre chose qu’une lutte et une compétition permanentes. Il considérait le business comme une guerre. Depuis des générations, sa famille pratiquait par la force le rachat sauvage d’entreprises, et même de planètes entières s’il le fallait. Tonith avait élevé ses manœuvres déplaisantes au rang d’art à part entière. D’art militaire.

Tonith n’avait pas vraiment un aspect guerrier. Sa taille – il mesurait plus de deux mètres –, son physique douloureusement maigre et sa faible complexion lui donnaient l’apparence d’un cadavre. Sa longue tête et ses yeux noirs étincelants donnaient à son visage une allure de crâne squelettique, impression renforcée par son teint verdâtre, à tel point que les membres de son équipage tressaillaient quand ils le croisaient à bord du vaisseau amiral, le corpulentus.

Le Comte Dooku avait choisi Tonith pour diriger l’assaut sur Praesitlyn en raison de ses évidents talents de planificateur. Commander une armée de droïdes relevait plus du jeu que d’un véritable combat. Les soldats normaux saignaient, mouraient et devaient être nourris ; ils avaient des problèmes existentiels, connaissaient la peur et toutes les autres émotions communes aux espèces pensantes. Même si certains considéraient qu’une armée de droïdes exterminant des êtres de chair et de sang était un autre problème, Tonith se contentait d’observer les opérations avec tranquillité. Il y trouvait même une certaine substance, un sens, un achèvement sublime dans l’annihilation de ses ennemis.

Pors Tonith ne faisait pas que ressembler à un cadavre ; tout au fond de lui, là où d’autres avaient une conscience, il était déjà mort.