CHAPITRE VI
La lutte pour la survie du Centre de Communication Intergalactique était féroce et brutale, mais le résultat ne faisait aucun doute. Le vaillant commandant Llanmore et ses troupes humaines et Sluissi savaient parfaitement que le reste de l’armée – même si elle combattait toujours et qu’elle n’était pas encore anéantie – ne leur serait d’aucun secours. Ils comprenaient que l’essentiel de leur mission consistait désormais à gagner suffisamment de temps pour que Reija Momen et ses techniciens puissent détruire les installations. Ce qui ne progressait que lentement.
— Stop ! ordonna Reija à ses techniciens quand les premiers droïdes de guerre pénétrèrent dans la salle de contrôle. Ne résistez pas ! Je ne veux pas de morts.
Mais elle ne put tous les sauver. Trois techniciens ne l’entendirent pas et continuèrent à détruire leur matériel. Ils moururent sous le feu des droïdes.
— Je pense, Maîtresse, que nous n’allons pas tarder à être faits prisonniers, murmura Slith Skael.
Il se plaça devant Reija pour la protéger des droïdes menaçants, pendant que tout le monde levait les mains pour se rendre. Avec des cliquetis et des gestes brusques, les droïdes forcèrent les techniciens à se rassembler au centre de la salle et les encerclèrent, toutes armes dehors.
Des droïdes de maintenance s’occupèrent du corps des trois techniciens et tentèrent de mettre de l’ordre dans tout ce chaos. L’un d’entre eux, programmé pour porter de petites charges, essaya vainement de bouger l’un des corps. Frustré, il émit de petites notes de découragement mais n’en continua pas moins de toutes ses forces. Si la situation n’avait pas été aussi désespérée, Reija aurait trouvé la scène amusante.
— Qu’est-ce qu’on fait, maintenant ? demanda quelqu’un.
— Si-lence ! ordonna l’un des droïdes.
— Je sollicite un entretien avec votre chef, dit Reija d’une voix autoritaire.
Un droïde contourna Slith et frappa la poitrine de Reija avec sa crosse, lui coupant instantanément le souffle. Slith la maintint fermement pour l’empêcher de tomber. Il leva son appendice caudal d’une manière protectrice entre le droïde et Reija.
— Si-lence ! répéta le droïde.
— Ah, comme c’est touchant.
Une haute silhouette cadavérique entra dans la pièce. Il s’inclina légèrement vers Reija, à moitié écroulée sur Slith.
— Vous permettez que je me présente ? Je suis l’amiral Pors Tonith, du Clan des Banquiers Intergalactiques, et je suis dorénavant responsable de ce misérable caillou.
Il s’inclina de nouveau. Tout en simulant la timidité, il frotta son manteau pour en enlever la poussière. Il sourit ensuite à Reija, dévoilant ses affreuses dents rougeâtres.
— Je suppose, madame, que vous êtes l’administratrice en chef de ce complexe ?
Il n’attendit pas la réponse et fit signe aux droïdes de reculer.
Le silence qui régnait dans la pièce fut rompu par un bruit de servomécanisme.
— Mais quel est ce bruit infernal ?
Tonith regarda autour de lui jusqu’à ce qu’il aperçoive le droïde de nettoyage.
— Ces saletés rampantes… Détruisez-moi ça, cracha-t-il à l’un des droïdes de guerre.
En moins d’une seconde, le petit droïde fut désintégré. Quelques morceaux s’éparpillèrent et d’autres droïdes se précipitèrent pour nettoyer les débris.
Tonith sourit, rajusta sa cape sur ses épaules et se dirigea vers Reija. Slith grogna et leva son appendice caudal de façon menaçante.
— Quelle galanterie !
Tonith ricana mais eut un très net mouvement de recul.
— Menace-moi encore une seule fois, vermine Sluissi, et je superviserai personnellement ta mise à mort. Viens ici, femelle !
Il désigna le sol à ses pieds.
— Le gé-général-Khamar, réussit à dire Reija en luttant pour reprendre sa respiration, le gé-général Khamar et son armée ne sont pas loin, et ils arrivent pour…
Tonith secoua la tête d’un air faussement triste.
— Hélas, non. Votre misérable petite armée a été anéantie. Maintenant, viens ici.
— Maîtresse ? demanda Slith, répugnant à la laisser partir.
— Tout va bien, mon ami, soupira Reija.
Slith la lâcha et elle fit quelques pas malhabiles en direction de Tonith. Il sourit largement. Elle était suffisamment proche de lui pour sentir son épouvantable haleine. Élargissant son sourire, Tonith lui souffla délibérément au visage.
— J’ai toujours haï votre espèce, gronda Reija.
Des années auparavant, l’un des Clans de banquiers s’était occupé de l’hypothèque de la ferme de son père pendant les mauvaises saisons. Mais dès qu’il avait eu du retard dans le règlement des mensualités, ils l’avaient saisie. Tout ceci était bien malheureux et parfaitement légal, mais le vieil homme y avait laissé sa ferme. Les Momen avaient dû émigrer vers la ville, et la perte de l’exploitation avait profondément déprimé le père de Reija, dépression qui avait accéléré sa mort.
— Ah ?
Tonith se rapprocha encore de Reija.
— L’amour, la haine, ces émotions ne signifient rien pour moi. Exactement comme ta pauvre vie, femelle. Je suis ici pour faire mon travail, et vous n’êtes rien d’autre que des parasites pour moi. Des parasites.
Reija en eut assez. Sa main frappa d’elle-même le visage de cette créature qui avait détruit sa vie et tué ses camarades. Le bruit sec de la claque surprit tout le monde, mais personne autant que Pors Tonith, qui trébucha en arrière sur l’un de ses droïdes, la main sur la joue, avec dans les yeux un tel air de surprise que Reija en éclata de rire. Elle n’avait plus rien à perdre.
Avec une agilité et une force étonnantes, Tonith se rua en avant, saisit Reija par les cheveux et la jeta sur le sol. Slith se précipita pour la protéger, mais Tonith l’empêcha d’avancer.
— Tuez-moi ce reptile ! cria-t-il.
Le droïde le plus proche dégaina son laser et le pointa vers Slith tandis que des techniciens s’écartèrent de la ligne de mire en hurlant de terreur.
— Non ! Non ! cria Reija depuis le sol. Assez ! S’il vous plaît, assez !
Tonith ordonna au droïde de baisser son arme.
— Écoutez-moi, tous, dit-il en s’adressant au groupe. La République vous a totalement abandonnés et maintenant, c’est moi qui dirige Praesitlyn. Vous êtes mes prisonniers. Vous serez correctement traités si vous suivez les ordres.
Reija avait réussi à se remettre sur pied.
— J’ai envoyé un message de détresse à Coruscant, commença-t-elle, en sachant parfaitement que ce n’était qu’un bluff, mais bien déterminée à ne pas le montrer.
Tonith lui intima le silence.
— Vous voulez dire que vous avez essayé d’envoyer un message. Mais vous savez bien qu’il n’est pas arrivé à destination. Nous avons bloqué toutes les transmissions dans les deux sens. Aucun message n’atteindra jamais Coruscant sans mon accord.
Il sourit de nouveau.
— Personne ne sait ce qui se passe ici, et quand ils le sauront enfin, il sera bien trop tard.
Il fit un signe de la tête aux techniciens effrayés et s’inclina une nouvelle fois devant Reija.
— Bien, cette brève entrevue s’est avérée fort intéressante, mais je dois maintenant retrouver mon armée.
Il se tourna vers la porte, mais au moment où il allait quitter la pièce, il fit volte-face.
— Encore un mot, madame. Fermez-la une bonne fois pour toutes, ou je vous livre à mes droïdes.
Sur ce, il fit voler sa cape et quitta la salle.
La tempête s’était de nouveau levée, et bien pire, la température dégringolait. Odie et le lieutenant Erk H’Arman trouvèrent refuge contre un amas rocheux et frissonnèrent sous la mince couverture de survie qu’elle avait sortie de ses affaires.
— Qu’est-ce qu’on fait, maintenant, monsieur ?
— Hé, que les choses soient claires : laissez tomber le protocole militaire, ok ? Je m’appelle Erk et vous Odie. Je suis un pilote, d’accord ? Pas un officier d’état-major. Par ailleurs, si jamais on s’en sort, ça sera grâce à vous. Maintenant, si j’avais un vaisseau…
Il rit et tapa légèrement Odie sur l’épaule. Une rafale de vent menaça alors de faire s’envoler la couverture, mais ils la rattrapèrent de justesse et réussirent à la remettre en place.
L’attaque générale des vaisseaux de Tonith contre l’armée du général Khamar avait surpris Odie et Erk en les coinçant entre les premières lignes et les positions fortifiées. Les deux positions avaient été pilonnées et attaquées par des troupes d’infanterie. Incapables d’aider qui que ce soit, ils s’étaient mis à couvert et attendaient l’issue de la bataille. Une issue qui n’allait pas tarder. Grâce à ses jumelles, Odie n’avait constaté aucune résistance.
— Des droïdes de guerre, avait-elle dit d’une voix chevrotante. Des milliers.
Les droïdes de guerre étaient sur la crête, là où l’armée du général Khamar avait installé son campement. Et maintenant, comme si le temps faisait cause commune avec les envahisseurs, la tempête de sable reprenait de plus belle, forçant Odie et Erk à trouver un abri précaire.
— Quelle quantité d’eau avons-nous ? demanda Erk.
Odie vérifia sa gourde.
— Un peu moins d’un litre.
— Bon. Il est hors de question de se rendre.
— Effectivement.
— Y a-t-il un endroit où on pourrait se cacher ?
— Oui, mais ne devrions-nous pas rentrer au Centre ? Peut-être qu’ils tiennent encore.
Erk secoua la tête.
— Peut-être. Mais il est clair que c’est le Centre qu’ils veulent. Je crois qu’il faut qu’on reste ici jusqu’à ce qu’on sache qui le contrôle maintenant. En plus, vous avez vu vous-même que leur armée est extrêmement nombreuse.
Il secoua de nouveau la tête.
— Non, plus personne ne tient rien, par là-bas.
— Oh non !
Les épaules d’Odie commencèrent à trembler alors qu’elle prenait conscience de ce que ça impliquait.
— Tous mes amis ! Tout le monde…
Erk posa une main sur son épaule.
— Les miens aussi, Odie, les miens aussi… C’est ce qui arrive à la guerre. Ah, nous formions une sacrée équipe.
Il soupira longuement.
— Écoutez, nous sommes encore en vie et nous allons le rester, lui dit-il, mais c’était autant pour se rassurer lui-même. Je ne suis pas un surhomme. Je ne tiendrais pas longtemps ici si vous me laissez tomber.
— O-oui, oui. Je veux dire, non. Je ne vous laisserai pas tomber. Laissez-moi réfléchir… Il y a des grottes à environ soixante-quinze kilomètres au sud-est. Je les ai remarquées en patrouillant. On pourrait s’y cacher. Je ne sais pas ce qu’il y a à l’intérieur, peut-être qu’on y trouvera de l’eau. J’en ai encore un peu dans ma motojet. On tiendra quelque temps si on ne s’agite pas trop.
— Et vous pensez pouvoir nous y amener, malgré ça ?
Erk désigna la tempête tout autour d’eux.
— Ho, vous savez piloter un vaisseau ? Bien sûr que je peux nous y amener.
Elle eut un rire forcé.
— Vous savez quoi ? Quand tout sera fini, vous devriez vous porter volontaire pour être apprentie pilote.
Elle ricana.
— Vous êtes sérieux ?
— On ne peut plus sérieux. Vous avez un excellent comportement. Allez, on a beau être seuls, mais deux durs à cuire comme nous… Avec votre talent et ma cervelle…
— Ma cervelle et votre talent.
— Voilà ! Vous parlez exactement comme un pilote.
Il leur fallut deux jours épouvantables pour atteindre les grottes.
Leur faible quantité d’eau fut épuisée bien avant qu’ils n’atteignent l’abri et ils n’étaient pas loin de la déshydratation. Puis, enfin, ramper jusqu’à la fraîcheur des cavernes les protégea de la dévastatrice ardeur du soleil.
— Il faut qu’on trouve de l’eau, haleta Odie.
— Sans blague ? croassa Erk. Reposons-nous ici au frais, on cherchera ensuite un moyen de descendre plus bas. Il devrait bien y avoir de l’eau quelque part. Vous savez jusqu’où vont ces grottes ?
Elle secoua la tête.
— Non. On s’est arrêté ici une fois, pendant une mission de routine, mais personne n’était tenté par une petite exploration.
Ils se reposèrent quelques instants avant de rassembler leurs forces pour chercher de l’eau. Odie sortit de sa ceinture une lampe blanche très brillante.
— Ça brûlera pendant vingt minutes, dit-elle à Erk alors qu’ils descendaient précautionneusement le long d’un chemin tapissé de cailloux pointus. Ensuite, il faudra qu’on change de couleur.
— Assurez-vous d’en avoir suffisamment pour qu’on puisse sortir.
La lumière aveuglante projeta d’immenses ombres sur les murs, comme si de grotesques créatures cavernicoles titubaient maladroitement.
— Attendez ! cria Erk soudainement. Approchez votre lumière par ici.
Il lui indiqua un morceau de rocher qui semblait plus sombre que les autres. Il y plaça sa main.
— De la moisissure ! Il y a de l’eau qui coule sur ce rocher. Les affaires reprennent.
Un peu plus loin, l’étroit boyaux qu’ils suivaient s’élargit en une gigantesque caverne.
— Hé ! cria Odie.
Sa voix se réverbéra le long des parois. Elle leva la lampe loin au-dessus de sa tête.
— On ne voit même pas le plafond. Cet endroit est gigantesque !
— Écoutez !
Erk leva une main.
— Écoutez. J’entends couler de l’eau ! Vous l’entendez, Odie ? Il doit y avoir une rivière souterraine par ici.
La grotte suivait une pente douce, et le merveilleux bruit de l’eau vive leur parvint rapidement aux oreilles alors qu’ils descendaient progressivement. Au détour d’une courbe, ils aperçurent un ruisseau qui se déversait dans un profond bassin avant de disparaître dans les entrailles de la terre. Odie déposa sa lampe entre deux rochers et se jeta directement dans l’eau. Erk la suivit presque immédiatement. Ils burent tout leur soûl et s’enivrèrent de ce merveilleux liquide porteur de vie.
Ils restèrent deux jours dans la caverne pour se reposer.
— Il faut qu’on avance, déclara Odie au soir de leur seconde journée. Tout simplement parce que nous n’avons plus rien à manger.
— Pourquoi ne pas partir demain à l’aube ? suggéra Erk. On volera jusqu’à ce qu’il fasse trop chaud et on se reposera ensuite jusqu’au soir. On peut vite progresser de nuit si la lumière des étoiles est suffisante pour vous. Combien de temps pensez-vous que ça prendra pour rallier le Centre ?
— Deux jours, peut-être trois. Le terrain est plutôt accidenté, dans les parages, et puis il va falloir qu’on fasse quelques détours. Est-ce qu’on tiendra avec deux litres d’eau pour trois jours ? Tout ce qu’on a pour la transporter, c’est cette gourde.
— Il le faudra bien. On a votre motojet, ce qui nous évitera de marcher. On avancera tranquillement en essayant de perdre le minimum de fluide corporel. Odie, il n’y a rien qu’on ne puisse faire, vous et moi !
Il lui passa le bras autour des épaules et l’embrassa légèrement sur la pommette. Elle devint encore plus rouge qu’à l’accoutumée, puis se tourna et l’embrassa à pleine bouche. Ils restèrent longtemps collés l’un à l’autre.
— Ah ! s’exclama Erk, qu’est-ce que je te disais ? Tu es le meilleur équipier qu’une tête brûlée comme moi puisse avoir !
Après quelques instants de silence, Odie demanda :
— Je me demande si les nôtres ont survécu…
— Je suis sûr que c’est le cas pour certains. Viens, allons dormir.
Ils restèrent longtemps l’un près de l’autre, sans parler, chacun réfléchissant à ce qui pouvait bien les attendre. Juste avant qu’il ne sombre dans le sommeil, Erk se tourna vers Odie.
— Peut-être que nous sommes les seuls survivants sur ce fichu caillou, mais nous allons nous en sortir, ok ?
— Absolument, répondit Odie.
Elle se colla encore un peu plus contre le corps chaud de Erk.