CHAPITRE XIV
Ma très chère… Non, ça ne va pas. Trop impersonnel. Il recommença.
Mon amour… Non, non et non. Trop ordinaire. Il réfléchit à ce qu’il pourrait bien écrire ensuite. Et ça ? Tu me manques plus que je ne saurai l’écrire.
Il écrivit encore quelque temps sur le même ton, fit une pause et relut son paragraphe. Non, non, non, on aurait dit un adolescent malade d’amour. C’était sa femme. Une sénatrice. Une héroïne. Une femme qui partageait sa vie avec un Chevalier Jedi, ou qui le serait bientôt… Ou mort.
Anakin Skywalker était assis dans sa cabine à bord du Ranger. D’ici quelques heures, il serait transféré du Ranger au Neelian, une corvette qui escortait les Transports. Halcyon resterait sur le Ranger pour commander l’attaque et Anakin débarquerait à terre et serait responsable des troupes au sol. Halcyon et ses croiseurs se fraieraient un passage à travers la flotte Séparatiste, ce qui devrait permettre à Anakin de débarquer sur Praesitlyn. Par l’intermédiaire des IAE – Identification Amie ou Ennemie –, seul système étanche au brouillage des communications, ils savaient que certains vaisseaux de la flotte de Slayke avaient survécu à l’attaque initiale et restaient toujours en orbite à harceler les croiseurs séparatistes.
Quand Slayke avait été pardonné pour avoir constitué sa propre année contre les Séparatistes et commissionné immédiatement après comme « corsaire », il avait donné ses codes IAE. Ces codes contenaient toutes les informations utiles de chaque vaisseau de sa flotte : son nom, sa classe et son armement, son équipement et tutti quanti. Chaque vaisseau était équipé d’un transmetteur qui, une fois les codes IAE appropriés entrés dans l’ordinateur, répondait automatiquement et donnait son identification. De fait, il était possible d’en déduire qu’il s’agissait là d’un vaisseau allié et d’éviter les regrettables incidents de type « tir ami » qui arrivaient trop souvent en pleine bataille. Halcyon était certain qu’une fois l’attaque lancée, les vaisseaux de Slayke leur prêteraient main-forte. Ensemble, ils déborderaient le blocus. Jusqu’ici, le cordon mis en place autour de Sluis Van n’avait pas l’air d’être perturbé. Si ces vaisseaux décidaient de participer à la bataille, les choses se compliqueraient salement.
La zone de débarquement sur Praesitlyn était déjà choisie : un morceau de terrain rocailleux à côté du lit asséché d’une rivière, tout près du Centre de Communication Intergalactique. Halcyon avait opté pour cette zone en se disant qu’une attaque directe sur le Centre entraînerait presque certainement sa destruction et la mort des techniciens prisonniers.
Halcyon, Anakin, leurs commandants, les troupes et l’équipage des vaisseaux avaient fait tout ce qu’ils pouvaient pour préparer au mieux la future bataille. Maintenant, il était temps de se reposer. Dans quelques heures, la flotte arriverait à destination, la portion d’espace proche de Praesitlyn que les capitaines avaient choisie pour passer en formation d’attaque. L’ennemi devait savoir qu’ils arrivaient, désormais. Ils étaient déjà entrés dans la zone de black out des communications. Halcyon avait même été interrompu en plein rapport avec le Conseil Jedi quand toutes les transmissions avaient cessé.
Anakin froissa la feuille de papiéstique et la passa au broyeur. Il en tira une autre. Un Jedi ne ressent pas la peur, le désespoir ou la solitude. Il savait que la bataille qui se préparait serait gagnée et que sa division ferait correctement son travail. Grudo le lui avait maintes fois répété, et ce dernier connaissait les armées et ses commandants. En fait, Anakin s’était montré un étudiant phénoménalement rapide dans l’art du commandement. Il s’était immergé avec enthousiasme dans les moindres aspects des tactiques et principes militaires. Pas angoissé le moins du monde, il était même impatient de se battre. Ils avaient le droit et la justice de leur côté, et ils vaincraient. Il anticipait également avec gourmandise sa rencontre prochaine avec le légendaire capitaine Slayke. Et il ne se sentait pas seul, non plus. Halcyon le traitait comme un petit frère et ils s’étaient encore plus rapprochés l’un l’autre. Quant à Grudo, le fidèle, solide et fiable vieux Rodien, il avait accompagné Anakin tellement souvent que tous deux étaient vite devenus inséparables.
Anakin connaissait pourtant bien la peur, le désespoir, la douleur et la rage, mais tout ça était désormais derrière lui. Une autre vie. Il recommença à écrire :
Tu es avec moi, là maintenant, mon amour. Je sens la chaleur de ton souffle sur mes joues, l’odeur de tes cheveux et ton corps si proche du mien. Nous avons défié la mort ensemble, mon amour, et nous l’avons vaincue. Demain, bien que je doive encore y faire face, ton amour m’accompagne et me soutient…
Il écrivit encore quelques lignes. Durant ce voyage, il avait souvent songé à utiliser l’incroyable sensibilité de la Force pour atteindre Padmé. Mais même s’il le pouvait, il ne le ferait pas. Ce serait un abus de pouvoir inexcusable pour un Jedi. Et comme il avait déjà rompu ses vœux en se mariant avec Padmé, il était déterminé à ne plus jamais le refaire pour satisfaire ses désirs personnels. Malgré tout, alors qu’il écrivait, les murs de sa cabine semblèrent s’évanouir doucement, et il fut de nouveau uni à Padmé sur les rives de ce lac magnifique sur Naboo, là où ils avaient consacré leurs vœux d’amour éternel.
Un nœud s’était formé dans sa gorge quand il en eut terminé avec la lettre. Il la relut. Son écriture n’était pas facile à déchiffrer, mais ce genre de chose ne pouvait pas être confié à un moyen de communication électronique que tout le monde pourrait lire. C’était extrêmement privé et ça le resterait. Il secoua la tête et sourit.
— Je n’arrive pas à croire que j’ai écrit ça.
Il chassa la larme qui s’était formée au coin d’un œil, cilla plusieurs fois et regarda autour de lui. Bon, il était encore là, finalement. L’austérité froidement métallique de son compartiment. La douce palpitation des moteurs du Ranger lui réchauffait la plante des pieds. La réalité. Précautionneusement, Anakin plia les feuille de papiéstique et les scella. Il écrivit des deux côtés PERSONNEL POUR LE SÉNATEUR AMIDALA et les plaça amoureusement dans sa poche. Avant qu’il ne quitte le bord pour mener l’assaut, il laisserait le message et ses affaires personnelles au commandant du Neelian, à remettre à Padmé au cas où il ne survivrait pas.
Il s’allongea sur son matelas et ferma les yeux, mais le sommeil n’était décidément pas de mise aujourd’hui. Halcyon avait accepté qu’au lieu de prendre la navette vers le Neelian, Anakin prendrait son Delta 7, customisé par ses soins. S’il ne pouvait pas avoir Padmé, il aurait au moins son vaisseau spatial comme compagnon dans les prochaines heures.
Une flotte de guerre ne dort jamais.
L’équipage des vaisseaux peut certes dormir entre les quarts, mais une flotte de guerre reste toujours éveillée, toujours en alerte. Et les soldats dorment à tour de rôle à leurs postes de combat. La tension est telle que les vaisseaux individuels et leurs équipages font partie du même organisme vivant, un prédateur prêt à fondre sur la proie qu’il a traquée depuis les tréfonds de l’espace. Mais la proie peut aussi rendre les coups. Peut-être que les clones sentaient eux aussi cette tension, bien que leur condition mentale n’en soit pas le moins du monde affectée. Et Grudo la sentait également. Pour le Maître Jedi Halcyon, c’était une sensation excitante et familière qui ne l’empêchait pas de dormir.
Halcyon avait terminé son dernier conseil de guerre avec ses capitaines, et chacun était reparti à son poste. Tout était prêt. L’attente finale avait commencé.
Quand Halcyon émergea d’un sommeil léger, il s’assit à sa table de travail et écrivit :
Mes chers Scerra et Valin… Ce n’était que la dernière lettre d’une longue série qu’il avait écrites à sa femme et à son fils, missives à leur remettre au cas où il succomberait. Il espérait toutefois avoir l’occasion de les leur remettre en main propre une fois l’expédition terminée. Il leur écrivait directement sur du papier pour garder secret – pour l’instant – leur existence et ne pas dévoiler qu’il avait rompu ses vœux de Jedi. Quand il eu finit, il plia les feuilles, les ajouta à la dizaine d’autres et les rangea dans ses affaires personnelles. Penser à sa femme et à son fils lui réchauffait le cœur.
Il écarta de ses pensées ces êtres chers et se concentra sur l’avenir. Il endurait cette séparation depuis si longtemps que la peine s’était peu à peu transformée en simple palpitation dans ses organes vitaux. Ça n’apportait rien de bon d’y penser. Il s’étira. Il irait trouver Anakin, lui donnerait des conseils de dernière minute et ils s’allégeraient l’esprit ensemble. Le jeune Jedi avait prouvé qu’il méritait son titre de commandant. Oh, tout le monde le savait courageux – ses aventures sur Genonosis et sur Jabiim, ou lors d’autres situations désespérées l’avaient largement prouvé. Sur Jabiim, il avait personnellement reçu l’ordre du chancelier suprême Palpatine de quitter le champ de bataille après un mois de durs combats, d’abandonner ses amis et de gérer l’évacuation. Et Anakin avait obéi. À contrecœur, mais il avait obéi. Il connaissait la mort, la peur et la défaite. Il savait qu’il avait un destin précis. Il était destiné à commander. Le jeune Jedi était étonnamment sensible à la Force. Il était brillant. Brillamment génial. Halcyon ne doutait pas qu’un jour, Anakin siégerait au Conseil en tant que Maître Jedi. Il avait déjà démontré ses capacités à commander, ses capacités à guider les autres, et ce petit plus qui fait que les autres comprennent immédiatement que vous avez la situation bien en main. À force de l’observer tous les jours, Halcyon était persuadé qu’Anakin avait su dépasser ses propres émotions.
Halcyon se leva. Il n’y avait qu’un seul endroit où Anakin pouvait être à cet instant précis.
— Comment ça va, Anakin ?
Surpris, Anakin se hissa hors du cockpit de son vaisseau, L’ange de l’azur II.
— Je fais quelques réglages de dernière minute.
Il sauta au sol et s’essuya les mains avec un chiffon.
— Je suis prêt.
L’aire d’envol était calme. Les autres vaisseaux – des navettes, pour la plupart –, avaient été solidement amarrés au sol pour les protéger des futurs chocs. Tous deux s’assirent sur des caisses vides.
— Encore quelques heures, et on y sera, dit Halcyon. Tu as dix mille hommes sous tes ordres, comment te sens-tu ?
— Prêt, répondit Anakin en se tapant le genou. Prêt.
— Comment va ton bras ?
— Impeccable. Mieux qu’avant, même…
Anakin plia les doigts pour le prouver.
— Maître Halcyon… Je voulais vous demander quelque chose.
Halcyon regarda intensément Anakin.
— Oui ? De quoi s’agit-il ?
Anakin hésita, puis se jeta à l’eau.
— Grudo m’a raconté votre histoire avec Slayke, et… Eh bien, je pensais que je devais vous demander…
Il haussa les épaules.
— Pourquoi, enfin, je veux dire, pourquoi vous êtes-vous battu avec lui ce jour-là ? Disons plutôt, pourquoi vous êtes-vous battu de cette façon ?
— Je me suis souvent posé la question, répondit Halcyon en soupirant profondément. Je n’ai jamais voulu courir après Slayke, tu sais. Certains disent que c’est un pirate, un rebelle ou pire, mais moi je pense qu’il a fait précisément ce que la République aurait dû faire depuis longtemps. J’avais prévu de rentrer à la maison – il se reprit – de rendre visite à des amis, de me reposer, mais le Conseil Jedi m’a affecté au commandement de cette corvette à la recherche de Slayke, et j’ai dû suivre les ordres, faire mon devoir, faire ce que j’ai juré de faire. Nous autres Jedi, nous n’avons pas de vie privée, pas de famille, comme tout le monde.
Sa voix était amère, ce qui surprit Anakin. Il avait lui aussi un peu le même sentiment. Inconsciemment, il toucha la poche de son manteau qui cachait la lettre pour Padmé.
— Et donc, continua Halcyon, quand nous sommes arrivés sur zone, je savais que Slayke n’était pas à bord de son vaisseau, et je soupçonnais à moitié Grudo de m’attendre avec ses couteaux pour faire diversion. Sur le moment, j’ai pensé qu’il était là pour m’empêcher d’aller inspecter la forêt où Slayke et son équipage devaient se cacher.
Il rit amèrement.
— Mais sur le coup, je crois bien que je m’en fichais complètement.
Anakin fut tout étonné de l’émotion qui emplissait les paroles du Maître Jedi.
— Anakin, puis-je te faire confiance ? lâcha Halcyon.
Le Maître Jedi semblait terriblement sérieux et ses yeux étaient obscurcis de tristesse. Anakin voulait lui dire bien sûr que vous pouvez me faire confiance, mais soudainement, il n’en fut plus si sûr.
— Allez-y, dit-il d’un ton incertain.
Après un moment de silence, Halcyon continua :
— Tu sais pourquoi les Jedi ne sont pas supposés avoir des liens émotionnels avec les autres, n’est-ce pas ?
Anakin ne répondit pas. La question était strictement formelle.
— C’est parce que l’émotion obscurcit le jugement, complique le sentiment du devoir, empêche de faire les choix douloureux que nos vœux nous obligent à prendre. Eh bien, j’ai échoué.
Nejaa Halcyon avoua à Anakin l’existence de sa femme et de son fils.
Au début, Anakin ne sut pas quoi répondre. Il ne put que se taire et regarder l’homme qui était devenu son mentor. Halcyon ricana et tapa doucement Anakin sous le menton.
— Elle est tellement ouverte que tu risques une dislocation de la mâchoire, dit-il en soupirant. Bon, voilà. Tu es le seul à savoir. Me dénonceras-tu au Conseil Jedi à notre retour ?
Anakin ne savait pas quoi dire.
— Non, croassa-t-il en essayant de contrôler sa voix. Je soupçonne Maître Yoda d’être au courant.
Et puis la culpabilité et l’honnêteté le rattrapèrent.
— Par ailleurs, si je vous dénonce, vous me dénoncerez aussi.
Il avoua tout au sujet de son mariage avec Padmé.
Ce fut au tour de Nejaa Halcyon de rester bouche bée. Dès qu’il put reparler, il dit :
— Marié ? Toi ?
Il secoua la tête d’étonnement.
— Alors tu t’es marié avec elle quand vous étiez ensemble sur Naboo, c’est ça ? dit-il lentement. Et personne n’est au courant ? Pas même Obi-Wan ?
Anakin rougit à l’évocation d’un tel mensonge.
— Ça n’a pas été… Facile, admit-il. Obi-Wan est mon Maître, et mon ami. Je déteste lui mentir !
Halcyon hocha la tête.
— Je sais, je sais. Nous allons à l’encontre de tout ce que nous avons appris. Contre tout ce qui fait de nous des Jedi…
Sa voix s’éteignit.
— Mais je n’ai pas l’impression que c’est mal ! éclata Anakin. Je veux dire, le mensonge, oui, mais pas l’amour ! Pas ça ! Je n’ai pas l’impression de ne plus être un Jedi à cause de mon amour pour Padmé !
— Moi aussi, j’ai lutté.
Halcyon fronça les sourcils.
— Je me demande parfois si Yoda est vraiment au courant, pour toi comme pour moi. Mais si tel est le cas, pourquoi le Conseil m’aurait-il choisi pour commander cette expédition ? Et pourquoi m’auraient-ils autorisé à te prendre comme second ? Surtout qu’ils savent parfaitement que ça nous rapprochera. Nous n’étions pas les derniers Jedi disponibles ! Il y en avait d’autres, au temple. Ils auraient aussi pu faire appel à ceux qui n’étaient pas trop loin. Alors, pourquoi ?
Il regarda Anakin et redressa les épaules.
— Je vais te dire ce que j’en pense. Je crois qu’on nous donne la chance de montrer notre valeur, ils me l’ont dit presque littéralement. Et j’en viens à penser que cette mission est une épreuve bien plus importante que ce que nous croyons.
Il donna l’impression de vouloir ajouter quelque chose, mais garda le silence et se leva.
— Bon, il est temps d’aller leur montrer de quel bois on se chauffe, tous les deux.
— Heu… Oui, en effet.
Anakin se leva lui aussi et, alors qu’ils se serraient la main, il se demanda quelle pouvait bien être cette épreuve que le Conseil leur imposait.