LOUIS XIV — SES RAYONS — SES POMPES — SES ŒUVRES
— Mort de Louis XIII, fin de section ! C'est là que je descends !
Il sursaute.
— C'est pas vrai, j'ai roupillé ?
— Et moi aussi. Tu m'as largué pendant la lecture et je me suis offert une ronflette-party juste après.
— Où sont les dames ?
— Elles font la vaisselle, dis-je en désignant m'man et B.B. autour du petit brasier au milieu duquel flambent les gobelets et les assiettes de carton.
— Allons voir la ligne où ce qu'elle en est, décrète Béru en bâillant.
Nous descendons du wagon à contre-voie pour être plus vite à l'étang.
— Nom de Zeus ! brame le Mugissant, je vois plus le bouchon !
Effectivement, sa balise ne figure plus à la surface des eaux. Il cramponne la canne à pêche. Le bout de ligne décrit immédiatement un arc de cercle très prononcé tandis que ça s'agite ferme à l'extrémité du fil.
— Y a du monde sur la ligne ! observé-je finement.
— Le filochon ! crie l'Enflure. Prépare-toi pour l'accouchement sans douleur, gars. Tel que c'est parti, on va retirer un sous-marin de là-dedans. C'est bien pour dire que la fortune vient en pionçant. Tu as l'épuisette en main ?
— Je l'ai.
— Alors sois prêt à toute éventualité ! recommande mon ami, avec le visage soucieux du monsieur contrôlant le Strategic-Air-Command.
Il tient sa canne d'une main souple. Le fil tendu comme la jarretelle d'une jeune fille dans la loge d'un cinéma décrit une ronde folle.
— Rappelle-toi que ça doit être un monsieur, jubile Bérurier. C'est du beefsteak de trois livres qui se prépare, San-A. Je le noie un peu pour lui casser les pattes. La carpe a des réactions qu'on peut pas supposer. Faut drôlement la fatiguer avant de l'opérer.
Ses commentaires sont ceux d'un grand patron détaillant pour ses élèves les phases d'une délicate intervention.
— Mollo... Vas-y cocotte, énerve-toi, t'auras beau te démener c'est dans la poêle à frire de l'ami Béru que tu vas terminer ta culture physique. Si tu cherches à déconner avec moi t'auras pas le dernier mot, ma belle, j'aime mieux te prévenir tout de suite ! Vise un peu, San-A ! Mademoiselle fait ses caprices ! La Danse du Sabre qu'elle m'interprète. Elle se prend pour Lumignon de chez Rina. Regarde : je lui donne un peu de mou pour qu'elle se croye sauvée des airs, et puis je lui tire un peu sur les naseaux, commako, histoire de lui faire le coup de la douche écossaise, à cette chichiteuse...
Il se tortille drôlement, Béru. Il en oublie de soutenir sa couvrante impudique qui, à nouveau déballe ses richesses au grand jour. Il n'en a cure.
— Tu veux te faire la valise dans les roseaux, mignonne ! poursuit ce scientifique du bambou. Excuse un peu si je suis pas d'accord, mais j'ai des principes. Maintenant il va être temps de faire surface. Tu vas mater, San-A, la façon dont à laquelle j'opère. Sitôt qu'elle a le pif hors de la flotte je la fais zigzaguer en surface pour la saouler. Tout est dans le poignet, comme chez les collégiens. Si tu as le malheur de lui permettre une secousse, elle te dit « bons baisers à mardi ». Faut du vaseliné dans les relations. T'as toujours la filoche parée pour l'empaquetage final. San-A ?
— Toujours, Monseigneur.
— Quand elle se laissera glisser sur le flanc, ça voudra dire qu'elle met les pouces. A ce moment-là, tu incinères l'épuisette par en dessous et tu relèves. Mais pas d'énervement. La plus légère fausse manœuvre et on va à la catastrophe. T'avais bonne mine de me dire que l'étang à Flumet était pas poissonneux.
Il se tait, inquiet, car la carpe n'est pas encore soumise. Elle lui file de violentes secousses dans le crin végétal.
— Tu te rends compte d'une vitalité ! fait-il observer. Je vois parfaitement ce qui s'est passé. Elle s'est piquée juste la lèvre supérieure. Si je tire trop fort je lui fais un bec-de-lièvre et elle m'échappe. Tout est dans l'art et la manière de la décourager, comprends-tu ?
Mais il a beau faire, dès qu'il tire sur sa canne à pêche ça bouillonne vilain. Ce n'est que lorsqu'il donne du mou que la carpe cesse de gigoter pour s'enfoncer dans les profondeurs cloaqueuses.
— Si tu ne te décides pas, fais-je remarquer, on sera encore là demain.
J'éternue. J'ai dû prendre froid dans son abominable wagon plein de courants d'air.
— Jockey ! admet Béru. On va risquer l'opération.
Et il se met à tirer le plus lentement possible. Un éclat métallique parcourt la surface de l'eau noire.
Je m'avance dans le bourbier avec l'épuisette. Allons, bon ! V'là que j'ai les pieds dans la flotte à c't'heure. Avec mon début de rhume, c'est pas la thérapeutique idéale !
— Grouille-toi de harponner ton cachalot. Gros, je commence à ne plus trouver ça joyce.
— Plus basse, l'épuisette, San-A ! Plus basse ! Que si tu lui touches le bide avant qu'elle soye in the pochette, cette petite gueuse va nous donner le coup de reins libératoire. C'est là, le crucial de la capture. Un qui débloque avec l'enfilochage il n'a plus qu'à aller se faire considérer par les Grecs ! Elle pige tout de suite le topo, la carpe.
Il m'agace singulièrement, le Vaseux.
— Ta carpe, Gros, elle est tout de même pas licenciée en philosophie ! protesté-je. A t'écouter, on pourrait croire que c'est Einstein en personne que tu tiens au bout de ta ligne !
— Fais gaffe, San-A ! Fais gaffe, v'là la minute de vérité !
J'enfiloche, je remonte l'épuisette. Il pousse un cri de liesse.
— Faut-il vous l'envelopper, c'est pour aller loin ? hurle cet heureux Terre-Neuvas.
Deux secondes plus tard il pousse une bouille qui ferait avorter une guenon sur le point de mettre bas. Ce n'est pas une carpe qui gît au fond de l'épuisette ruisselante, mais un ventilateur de voiture. L'hameçon du Mahousse l'a griffé par une vis. Chaque fois qu'il tirait, les pales de l'objet se déguisaient en hélice de moteur, d'où cette résistance mobile.
Je pars d'un formidable éclat de rire.
— Dis voir, Bonhomme, les carpes de ton étang, elles viennent du Creusot ! C'est avec une drague qu'il faut pêcher ici !
Je sors le ventilateur du filet et le présente au Ventripotent déconfit.
— Tu mettras ça sur ta cheminée, Béru. C'est plus beau que certaines sculptures modernes et comme trophée, ça se pose là.
Vert de déception et de rage rentrée, le Mastard se saisit du ventilateur limoneux et le balance loin de lui. Mais le vent souffle fort. Aussi l'objet joue les boomerangs et au lieu de respecter la direction du jet, décrit un large arc de cercle avant de pulvériser le pare-brise de la bagnole.
Nous rentrons donc at home en plein courant d'air.
— Te tracasse pas, m'man, la rassuré-je, c'est une petite grippe saisonnière. Ça va me donner l'occasion de flemmarder un peu dans la maison.
Du coup, ça la rend secrètement toute contente, ma Vieille. Elle dit qu'elle va téléphoner au toubib, ce que je lui interdis formellement, alléguant que si on me bourre de saloperies je risque de faire une véritable maladie. On ne devrait jamais chercher à homologuer ses maux, sinon ils se prennent au sérieux et n'en finissent plus. Y a pas plus cabot qu'un microbe. Si vous le traitez par le mépris, neuf fois sur dix il se retire dans ses appartements ; mais essayez de le traquer avec des trucs en « inne » ou en « biaz », et le voilà qui se fiche en pétard et qui joue les empêcheurs de danser en rond. Je suis obligé de transiger vilain avec Félicie. Elle y croit ferme à la science d'Hippocrate quand il ne s'agit pas d'elle. Son rêve c'est de me faire gober des cachets, de me compter des gouttes et d'accueillir « la-dame-des-piqûres », une solide gaillarde qui te vous plante sa seringue dans les noix comme une crémière plante une étiquette dans une motte de beurre.
On discute ferme, m'man et moi. C'est du marché âpre, du maquignonnage forcené. On arrive à un statu quo. Elle consent à surseoir à la venue du toubib, mais en revanche je me farcirai de l'Aspro, de l'infusion de bourrache et un cataplasme de farine de lin. Et si ce soir le thermomètre débloque encore, alors ce sera le coup de grelot à qui de droit !
Cette question étant classée, je prends une pose adéquate dans mon plumard pour rêvasser. Félicie me propose le baveux qui est du jour comme les œufs coque, mais je refuse. Ce matin, les nouvelles extérieures ne m'intéressent pas.
Le monde n'a qu'à tourner sans moi. Aujourd'hui je fais relâche. C'est bon de se mettre « out » de temps à autre.
Je mijote donc quelques centimètres au-dessus de la réalité. Plus rien n'a d'importance. Je suis bien.
Au bout d'une heure de cette demi-léthargie, je réagis un peu. Vous le connaissez, votre San-A, mes amours ? C'est un homme d'action. Le farniente, il se le déguste à petites doses seulement ; même quand il a le raisin qui bout.
Félicie m'apportant un reste de sirop des Vosges, je lui réclame mon magnétophone.
— Tu vas dicter du courrier ? s'inquiète-t-elle.
— Mais non, m'man, tu me prends pour un homme d'affaires ! J'ai seulement envie d'enregistrer des trucs qui me passent par le cigare !
Elle se dit que c'est un effet de la fièvre et qu'il ne faut pas me contrarier afin d'amadouer le thermomètre. Félicie, elle croit encore que les soucis donnent de la fièvre.
Elle arrange ma petite installation. Me voilà seul âbre dans ma chambrette, avec la minuscule lumière verte du voyant lumineux.
Sur son oreiller, ce micro c'est un drôle de copain. Indiscret et attentif, je vous le dis ! je préférerais une nana blonde, mais si j'avais une bergère dans mes toiles c'est moi qui l'écouterais et non pas elle.
Je mate la lézarde du plaftard. Elle aussi c'est une amie. Je ne la remarque que lorsque je suis malade. D'une angine à l'autre je la trouve forcie. Son motif s'élabore millimètre par millimètre, donnant une forme à mes rêveries de grippé.
Aujourd'hui, elle ressemble à une fleur de lis un peu déformée. Je ferme les yeux. Le petit chuchotement électrique du magnétophone se met à me vriller les nerfs comme la roulette d'un dentiste. Alors, pour combattre son sifflement continu, je parle.
« Mon vieux Béru ! »
Le « u » de Béru distend le petit voyant vert qui palpite dans la pénombre. Au-dehors, le tonnerre roule dans le ciel de Saint-Cloud.
« Mon vieux Béru, répété-je. A cause de ta partie de campagne d'hier, je me trouve au pieu avec une crève carabinée. »
Je m'arrête. Je dois avoir une de ces voix de mélécass galvanisé qui n'est pas dans un sac de couchage. Qu'importe !
« Afin de ne pas interrompre ton éducation et pour te préparer à l'agrégation d'Histoire, je vais donc poursuivre ton instruction grâce à mon magnétophone. Je te ferai parvenir la bande que tu pourras te faire passer sur l'appareil dont la vénérable Maison Parapluie a bien voulu nous doter (on n'arrête pas le progrès).
« Cette méthode — provisoire — offre un incontestable avantage : elle m'épargne tes interruptions stupides et abrutissantes. Vu ? Bon, je poursuis.
« En 1643, donc, le grave, le frêle, le chaste Louis XIII, celui à qui l'appareil reproducteur servait uniquement d'enjoliveur, décède. Comme il a eu le temps de préparer sa croisière dans l'au-delà il a prévu pendant la minorité du petit Louis XIV un Conseil de Régence composé d'un tas degens. A ce conseil, sa dadame Anne d'Autriche qu'il tient pour une patate n'a droit qu'à une voix. Satisfait de ce sale tour qu'il joue à sa souris, il meurt apaisé.
« Anne d'Autriche chiale. De rage ! Tout au long de sa vie elle a été bafouée, humiliée, tenue à l'écart des affaires par Louis XIII et par Richelieu. Au moment où elle pourrait enfin prendre sa revanche, un testament stupide continue de la diminuer. Cette fois, elle renâcle. La vie est brève, elle veut en profiter, cette chérie. Se taper un impuissant, si j'ose dire, pendant plus d'un quart de siècle et être cocue pour finir, c'est pas supportable. La mère d'Autriche rue dans les brancards. Aidée de Mazarin qu'elle a séduit, elle fait casser le testament par le Parlement et se fait nommer régente à part entière. Son môme n'a que cinq ans. Ça représente des beaux jours en perspective. En pleine euphorie, elle épouse secrètement son complice Mazarin... »
Je me tais. La sueur coule sur mon front. Je l'essuie d'un revers de pyjama et je continue, identifiant le zon-zonnement du magnétophone à la respiration avide du Gros.
« Je sais ce que tu vas m'objecter, Béru. Comment un cardinal a-t-il pu se marida ? Laisse-moi te répondre que Jules Mazarin était cardinal mais pas prêtre. Diplomate du Vatican, il avait été envoyé à Paname par le Saint-Siège. Là, Richelieu avait découvert les qualités de ce garçon intelligent et l'avait mis dans le circuit. Au bout d'un certain temps, Julot avait pigé toutes les ressources que lui offrait la France et s'était fait naturaliser. Le v'là donc marié à Anne d'Autriche. Elle avait un coup de flou terrible pour sa calotte ! Ils sont heureux et se mettent à driver le royaume. Mais manque de bol : la Fronde éclate. Comme son nom l'indique, c'est une guerre civile pas très méchante du point de vue sanglant. Mais ça risque de coûter chérot à la monarchie absolue édifiée par Henri IV, puis par Louis XIII. Le Parlement d'abord, les Princes ensuite, se révoltent. La Régente, son fils, son Jules sont obligés de quitter Pantruche pour se terrer à Saint-Germain. Sale période pour le pays. Les provinces sont pillées, les récoltes incendiées, des épidémies se déclarent un peu partout. Mais Jules Mazarin tient bon et laisse passer l'orage. A la fin, c'est lui qui gagne et l'autorité royale est restaurée. Au passage, donnons un coup de bada grand siècle au dénommé saint Vincent de Paul, l'abbé Pierre de ces temps de famine. Il était l'aumônier des galères et il a tout mis en œuvre pour soulager les souffrances, aidé en cela par un cardinal dont le nom ne peut que te plaire, puisqu'il s'appelait Bérulle ! »
Félicie entre à nouveau, avec de l'Aspirine vitaminée. J'interromps le cours de mes émissions.
— Ne te fatigue pas, surtout, recommande m'man, alarmée par la sueur qui mouille mon oreiller.
— Au contraire, fais-je, je suis en train de raconter Louis XIV à Béru, c'est un gentil exercice de sudation aussi efficace que ta bourrache.
Elle hoche la tête et m'essuie le front avec une serviette imbibée d'eau de Cologne.
— Tu n'as besoin de rien, mon grand ?
— Non, m'man, tout est au poil, je m'écoute guérir. Demain il n'y paraîtra plus.
Elle sort, je rebranche le magnéto. Le petit voyant lumineux me refait de l'œil.
« Excuse-moi, Gros, c'était mon Aspirine. Où en étais-je ?... Attends-moi une seconde, je me fous en marche arrière. »
Les bobines enroulées à toute vibure font entendre leur chant ridicule de mouettes enrhumées. J'écoute mes dernières phrases et j'enchaîne :
« O.K. ! Me revoilà, Gros. Donc, la Fronde s'écrase et le ménage Mazarin-Anne d'Autriche poursuit son petit règne pantouflard. Pendant ce temps, Louis XIV déshonore les dames d'honneur de la Cour. C'est un futile, un cavaleur. Rien ne permet de penser qu'il deviendra le plus grand de nos rois. Il est amoureux d'une nièce de Mazarin : Marie Mancini. La jeune vierge en question n'était pas jojo mais elle avait du charme. En tout cas suffisamment pour que le roi en devînt follement amoureux. Cette gamine avait une idée de derrière le réchaud : se faire jucher sur le trône. Il était foncièrement pour, Louis XIV. D'autant plus que, pour s'exprimer comme chez la baronne de Truquemuche, elle ne voulait pas lui céder. Le Mazarin des familles avait là une sacrée occasion d'affermir sa dynastie. C'était un zig qui aimait le faste, le pognon, les œuvres d'art et les honneurs ; mais il s'était consacré à la France et à la monarchie et il a empêché ce mariage. A lui aussi je tire un coup de bitos. C'est beau de faire passer son devoir avant ses intérêts.
« Il a donc séparé les tourtereaux et s'est grouillé de marier Louis. Devine à qui ? A l'infante d'Espagne, naturlich. Y avait rien de changé sous le (roi) soleil ! On croyait toujours arrêter le rififi entre les deux pays en collant les infantes espagos dans le pageot des rois de France. Mais chaque fois c'étaient des grosses berlues politiques, vu que la castagne reprenait et que souvent on se chicornait justement à cause de la dot ou des droits de l'épousée qu'on voulait faire valoir ! Bref, Julot aussi y a cru, à la paix par la bagouze. Cette infante d'Espagne s'appelait Marie-Thérèse et crois-moi, elle n'avait rien de Brigitte Bardot ! Un peu naine sur les bords avec une bouille de carlin ; y avait pas de quoi s'acheter un slip en bronze afin de rester correct en sa compagnie.
« Louis XIV, malgré tout, lui fait une fleur. C'était pas un affligé du rez-de-chaussée comme son papa officiel, lui ! Il avait de quoi faire face à ses engagements. Néanmoins il n'allait pas passer sa vie en chien de fusil devant la niche de sa reine. Une fois les épousailles accomplies et consommées, le brave Louis a voulu renouveler le cheptel et a volé au secours de son frangin dont les mœurs spéciales ne faisaient pas l'affaire de sa femme, Henriette.
« Ah ! oui, parce que j'ai oublié de te le dire hier, Béru, mais Louis XIV avait eu un petit frère. Celui-là, c'était certainement le gars Mazarin qui l'avait mis en chantier. L'hérédité jouant, Monsieur portait des robes. Pas celles du cardinal, celles de Coccinelle. On renouait avec le bon vieux temps d'Henri III. Ce que voyant, et trouvant sa belle-sœur à son goût, Louis XIV s'est mis à lui faire du gringue. C'est beau la famille, non ? On a mugi au scandale à la Cour. Le cardinal de Mazarin s'est fichu en crosse ! Il jouait les pions, Jules. C'était un cauchemar de pucier que cet homme-là ! Défense de flirter avec sa nièce ! Défense de calcer Madame ! Et de remonter le bourrichon à Anne d'Autriche, comme quoi ça n'est pas des manières ! Et d'alerter cette folle guêpe de Monsieur pour lui dire que son frangin lui faisait du contrecarre ! Le démon rapporteur, je te dis ! Y a eu du suif dans la famille royale. Alors, Louis XIV, qui était un docile de la braguette, a moulé Henriette pour se consacrer à Mademoiselle de La Vallière !
« Tu serais là, Gros, tu me demanderais si cette La Vallière est la créatrice de la cravate du même nom. Eh ben oui, justement. Pas tellement jolie, Louise de La Vallière. Mais du charme ! Elle boitait ! Mais on ne s'en apercevait que lorsqu'elle marchait ! Au demeurant une ramoneuse de tuyaux épatante, mais qui avait de la pudeur ! Louis XIV s'est mis à l'adorer.
« Là-dessus, M. Mazarin est mort. Fallait bien que ça arrive. Ça arrive à tout le monde. A ce propos, j'espère que ma grippe n'est que passagère ! Le règne de Louis XIV commence réellement. D'ailleurs le roi l'annonce lui-même dans une déclaration au Parlement demeurée fameuse :
“Jusqu'ici, dit-il, j'ai laissé le volant au camarade Mazarin, mais maintenant je chope le manche et je vais passer la quatrième, qu'on se le dise !”
« Le grand siècle va démarrer. Le Roi-Soleil, qui jusque-là roulait en codes, allume brusquement toutes ses Wonder. A partir de 1661 seulement, donc par conséquent avec un handicap de soixante ans, il va faire le dix-septième siècle ; celui de l'élite ! Un exploit inégalé. Mais aussi, quelle heureuse conjoncture ! Quelle concentration de talents ! Mords un peu le générique, Gros, on n'a jamais pu réunir une telle distribution depuis sur une affiche. Au théâtre : Molière, Racine et Corneille ! A la poésie : La Fontaine et Boileau ! En chaire : Bossuet et Bourdaloue. En philo : La Rochefoucauld et La Bruyère ! Aux P.T.T. : Madame de Sévigné ! A l'Intérieur : Colbert. A la Guerre : Louvois ! A la batterie : Vauban ! A l'Information : Saint-Simon ! Les décors sont de Mansard, Le Brun et Le Nôtre ! Orchestre sous la direction de Lulli et de Couperin ! Directeur de la photographie : Le Nain, Champaigne, Poussin, de la Tour !
« Et la mise en scène est de Louis XIV ! Le plus long règne (72 ans) de notre Histoire commence. On joue « si Versailles m'était bâti » à guichets fermés. L'apothéose de la monarchie ! La France à l'apogée de sa gloire et de sa mission domine l'Univers. Partout dans le monde on parle, on pense, on mange, on aime français. En 1710, à Lima, on jouera les Femmes Savantes ! Nous rayonnons, de tout l'éclat de ce Roi-Soleil qui, comme le disent si justement Darras et Noiret, ressemblait à un épagneul, avec sa perruque qui lui battait les épaules. Son astuce number one, à Louis XIV ? l'Etiquette. Il a pigé que pour régner, contrairement à ce qu'affirme un proverbe idiot, il ne s'agit pas de diviser, mais au contraire de grouper.
« Alors il regroupe les Seigneurs autour de son auguste personne pour mieux les éblouir. C'est en somme sa façon de les tenir à l'œil comprends-tu ?
« Il les comble d'honneurs et crée des charges pompeuses et stupéfiantes telles que celle de « Contrôleur des perruques ! » Il les noie dans des flots de dentelles ! Il les étourdit dans les lumières de ses fêtes ! Il les fatigue à coups de bals et de chasses ! Il les mate en leur faisant jouer les larbins, mais de telle manière qu'ils se battent pour lui tendre son papier hygiénique ou pour lui verser sa camomille du matin. Loulou avait réglé ses journées avec la rigueur de la S.N.C.F. Il voulait que tous ses sujets dotés d'une montre et d'un almanach pussent dire ce que le roi était en train de faire à toute heure de la journée. Cette règle, qui aurait pu passer pour de la routine, transformait en une espèce d'office la journée du roi. On célébrait un culte dans l'accomplissement des besognes les plus quotidiennes et les plus pauvrement humaines.
« Bouge pas, voilà m'man, je te continuerai tout à l'heure ! »
Félicie, en effet, vient d'entrer dans ma chambre.
— Ça ne va pas, mon grand ?
— Mais si, pourquoi ?
— Je t'entendais parler... Tu dictes encore !
Elle a dû croire que je délirais, la pauvre chérie.
— Je ne dicte pas, m'man. Je révèle. Bérurier aura sa dose d'Histoire malgré ma grippe !
Elle hoche la tête et sourit :
— Crois-tu qu'il assimile bien ?
— Peu importe. Et puis, vois-tu, ça me fait plaisir de réviser.
— C'est vrai ? s'attendrit-elle, bouleversée soudain par ce mot qui lui rappelle mon temps scolaire.
— Depuis que je procède à cette récapitulation, je comprends une chose qui, lors de mes études, m'avait échappé, m'man.
— Quoi donc ? murmure-t-elle en s'asseyant au bord de mon lit et en me prenant la main.
Son geste est affectueux, certes, mais il comprend une part de ruse : mine de rien, elle tâte mon pouls.
— Je comprends, m'man, que les grands hommes n'ont été que des hommes. Les noms ronflants de l'Histoire c'est de la poésie, rien que de la poésie. Tout au long de la route, on rencontre des gars que le hasard et l'ambition ont placés au pouvoir et qui se sont doré le blason en dorant la pilule de leurs contemporains. C'est toujours le même procédé, la pilule même truc, devrais-je dire : donner à croire aux autres qu'on n'est pas comme eux. Vivre en se faisant célébrer ! Créer un mythe autour de sa personne ! S'envelopper de mystère ou d'oriflammes ! Une maison en or et un tombeau en marbre sont les éternels accessoires du grand homme ! Mais le grand homme n'est grand que par la connerie des autres ! Ce n'est même pas un borgne chez les aveugles, non : c'est un aveugle parmi les aveugles, mais qui prétend voir ! Et les autres croient qu'il voit parce qu'il leur raconte des trucs, des choses et des machins. Poésie te dis-je ! Je préfère les chanteurs !
— Tu es sévère, mon grand !
Elle n'aime pas la rébellion, m'man. Elle vote « oui » parce que, pour elle, c'est le plus chouette mot de la langue française après mon prénom.
— Du moment que nous avons besoin d'être dirigés et que des gens assument cette responsabilité, reprend-elle, on ne peut que les aider à le faire. Pourquoi toujours regimber, Antoine ?
— Par principe, m'man.
— Ce n'est pas un bon principe, mon grand. Tu devrais essayer de dormir un peu.
— J'ai eu mon taf.
— Tu ne veux pas boire quelque chose ? Quand on a de la fièvre, il faut éliminer.
— D'accord, sers-moi un verre de tisane.
Je bois. Elle est contente. Chaque gorgée, c'est un grand plaisir que je lui procure. Elle imagine mes microbes entraînés par ce raz de marée, submergés, noyés, foutus !
La voilà repartie, je suis brusquement environné de silence et d'ombres illustres. Que reste-t-il de ce somptueux dix-septième siècle ? Une culture ? Une certaine forme de pensée ? Des musées ? Des statues équestres sur les places ?
Je donne un coup de pouce au magnéto.
« Allô, Gros ! C'est re-moi ! Il faut que je te dise une chose : Louis XIV, malgré ses rayons, il était... comme la lune ! Tout à l'heure, je me suis laissé embarquer par un enthousiasme stupide. J'ai fait des trémolos, des effets de voix et j'ai eu tort ! Ça devait provenir de mes 39 de fièvre. J'avais le thermomètre en forme de fleur de lis !
« Le Roi-Soleil ! Je te demande un peu ! Il doit bien se marrer, le soleil, encore que lui aussi il soit en train de s'éteindre !
« Louis XIV a employé également son règne à faire la guerre. On s'est encore battus comme des chiffonniers si bien qu'à sa mort la France était à genoux. Bagarre contre les Espagos pour pas changer. Mazarin a dû l'avoir sec, là-haut, quand il matait le communiqué ! Bagarre aussi contre les Habsbourg.
« Des victoires, ça, oui. Mais c'est ce qui coûte le plus cher, une victoire. Je te les épargne. J'aime pas parler de guerres. On est obligé d'apprendre par la suite la date des traités et c'est ce qui te fait chuter dans les examens. Le traité de Westphalie et celui des Pyrénées, qu'est-ce qu'ils signifient maintenant ? On le sait qu'un pays c'est un accordéon qui s'étire ou se referme suivant les époques.
« Tu vas m'objecter que Louis a construit Versailles. Soit ! Mais cette fantaisie a coûté les yeux de la tronche ! Pendant qu'on lui bâtissait son grand temple, au Dieu en dentelles, les péquenots claquaient du bec ! Et maintenant, Versailles, faut l'entretenir pour que des touristes amerloques puissent aller coller leur chewing-gum dans les moulures des appartements royaux !
« D'ailleurs, ce château, il n'est pas si beau que ça. Majestueux d'accord ! Mais pas vraiment beau ! J'aurais préféré que son père s'en occupât. Parle-moi du Louis XIII, ça tient le coup ! C'est viril et sobre et harmonieux ! Mais avec le Louis XIV on se lance dans le fromage. C'est le style Shell (que j'aime pas) : y a de la coquille Saint-Jacques partout. S'il avait pu se faire faire des meubles à perruques il les aurait commandés. Et son plumard, dis-moi, tu l'as vu ? Il craignait pas les cauchemars, le souverain ! Quant aux nanas qui venaient l'y retrouver, elles devaient se faire reluire en Gevacolor et se prendre pour « Sissi Impératrice ».
« Faut admettre, à propos des nières, qu'il se défendait pour la gymnastique sous baldaquin, Louis XIV. Après la signorina Mancini, la señorita Marie-Thérèse (celle qui rit quand on la sacre) et Miss Cravate (autrement dit Louise de La Vallière), le voilà qui tombe éperdument dingue de la Montespan. Elle, elle lui fait Montespan dans l'œil et lui, il lui fait Montespan dans la lune, comme dirait l'ignoble Bérurier qui m'écoute. Cette gredine a mis le paquet pour séduire le roi. C'était une drôle de vénéneuse qui avait davantage confiance dans la magie noire que dans ses charmes. Elle était en cheville avec une horrible sorcière (la dame Monvoisin, plus connue sous l'appellation de La Voisin) laquelle, avec son petit ami Guibourg, célébrait des messes ultra black et procédait à des sacrifices humains. Ces braves gens achetaient des bébés à des pauvres et les égorgeaient sur le corps nu de la Montespan. Comme cette dernière croyait en la magie, elle était certaine d'obtenir le résultat escompté, comprends-tu, Gros ? Et étant sûre de l'obtenir, mon Dieu, elle l'obtenait, car c'est la foi qui sauve, même si cette foi prend sa source dans les veines d'un nouveau-né.
« Bref, elle est arrivée à ses fins. Un beau matin, Louis XIV l'a inscrite à son palmarès avec mention spéciale du jury. Et comme c'était une inquiète, dans le fond, la marquise criminelle, elle s'est mise à le bourrer de cantharide et autres mystérieux aphrodisiaques, son gros Loulou, pour le tenir en forme. Ça l'a tellement dopé, le monarque, qu'il lui a fait sept gosses sans respirer. Quand on est roi-soleil, on n'a pas le droit de se priver. C'est pas Versailles qu'il aurait dû habiter, mais un clapier. Juges-en plutôt, grosse Pomme, je te dresse un petit bilan de ses prouesses. Il a fait six gosses à sa légitime, quatre à La Vallière, sept, donc, à la Montespan, plus une bonne demi-douzaine à des dames ou à des demoiselles de passage, ce qui représente un total d'environ deux douzaines de chiares. On peut, à ce tarif-là, espérer (ou redouter) avoir de la gelée royale dans les tuyaux. Faudrait qu'un matheux se livre à un calcul de progression pour cerner mieux le problème. M'est avis que ta bouille bourbonienne peut s'expliquer de cette façon. Tu serais un reliquat de bâtard que ça ne me surprendrait pas.
« Pour en revenir à Louis-Casanova XIV rendons-lui justice tout de même. Il aimait les nanas, mais il ne s'est jamais laissé mener par le bout du tarin qu'il avait fort et par conséquent facile à empoigner. S'il a fait des folies pour Madame Tricotin-Montespan, ç'a été en dehors des affaires. Cette sacrée Montespan a commis des dégâts, malgré tout. Lorsqu'une petite frôleuse virgulait des regards trop salaces au roi, elle la faisait empoisonner pour clarifier la situation. Le poison, elle l'administrait aussi délibérément que de l'aspirine. Elle en refilait même au roi quand elle était jalouse ! Rappelle-toi que Louis XIV a dû avoir une fameuse santé pour vivre soixante-dix-sept ans en étant bourré de poisons et d'excitants de toutes sortes. C'était un petit Raspoutine dans son genre, le frisé ! Mais un jour, la vérité à éclaté.
« On a arrêté la Voisin et sa clique. Le San-Antonio de l'époque a brillamment mené son enquête et a découvert la participation de la Montespan à ces sacrifices humains. On a prévenu Loulou. Le pauvre gros n'en revenait pas. Comprenant à quel danger il avait échappé, il s'est grouillé d'envoyer la marquise dans ses terres. Puis il a écrasé le coup. Les grandes affaires finissent toujours commak, tu ne l'ignores pas. Le scandale a pour lui deux atouts maîtres : le silence et le temps. Les pièces prouvant la culpabilité de la favorite furent détruites et tout rentra lentement dans l'ordre. Par la suite, l'épagneul vieillissant se tourna vers la religion et prit pour seconde femme la gouvernante des enfants de la Montespan : la veuve du poète Scarron qui allait bientôt devenir Madame de Maintenon. Il l'épousa clandestinement en 1683, si mes souvenirs sont exacts.
« C'était pas une marrante cette vieille bigote ! Le genre servante de curé. Elle fut une bonne dame de compagnie pour ses vieux jours et le fastueux Roi-Soleil vit ses rayons s'éteindre au contact de cette banquise.
« Son interminable règne s'acheva tristement. Le Trésor était vide, le peuple affamé commençait à rêver de 1789 en 1715. Sa mère de Maintenon mise à part, Louis XIV n'avait plus auprès de lui que son arrière-petit-fils le duc d'Anjou, futur Louis XV. A une époque où l'on était un vieillard à quarante piges, ce roi de soixante-dix-sept berges faisait figure de fantôme. On se demandait si ça n'allait pas durer toujours. Une politique ne peut être prise au sérieux que si elle est neuve. La sienne avait enterré plusieurs générations et l'on ne pouvait plus la supporter. Il ne réchauffait plus personne, le Roi-Soleil ! De temps à autre, il recevait bien un illustre étranger, histoire d'amuser le public (c'est une recette éprouvée et qui subsistera longtemps), mais ça ne suffisait plus à cacher la mélancolie de cette fin de règne. Le Frisé, par sa prodigieuse vitalité, était devenu un triste fossoyeur. La mort eut enfin pitié de ses sujets et l'embarqua le Ier septembre 1715.
« Il y eut de grandes réjouissances dans tout le royaume pour célébrer l'événement. Moralement, la Révolution française commençait, mon vieux Béru, mais sur le moment personne ne le sut !
« Voilà. C'est tout ce que j'avais à te dire sur Louis XIV. »
Dans l'après-midi, m'man qui a des courses à faire va déposer ma bobine magnétique à la Maison Viens-Poupoule. En fin de journée, un planton de la boîte me la rapporte. Sa Grosseur a pris connaissance de la leçon. Il a effacé la bande et a eu la gentillesse de m'enregistrer le message suivant :
« Mon vieux San-A. Merci pour le cours enregistré. Je l'ai écouté deux fois de suite, dont une avec Pinaud qui regrette de pas avoir participé aux premières leçons. Tu m'aurais pas dit que t'avais 39 de fièvre que je l'eusse deviné. C'est pas pour te vexer mais t'as la volte-face rapide. Dans le cours dont à propos duquel tu as bien voulu me faire, tu commences par me dire que Louis XIV est le super-crack de l'Histoire et ensuite, après ta salve de suppositoires, voilà que tu le traites de va-de-la-gueule. Faudrait savoir ! Attends une seconde ! Qu'est-ce que tu dis, Pinuche ? »
Un petit ronronnement de conversation inaudible dans l'appareil. Puis, la voix du Gros redevient présente, épaisse, grasse comme de la petite friture.
« Oui, Pinaud ici présent me fait remarquer que Versailles c'est une chouette masure et il pige pas tes sargasses à ce propos. Je suis de son avis. Fallait le faire, mon pote ! Le plus beau palais du monde, c'est quand même nous qu'on l'a ! Tu dis que les bouseux crevaient de faim à l'époque, bon, admettons. Mais tu penses sérieusement que si qu'on aurait pas construit l'H.L.M. à Loulou, ils auraient eu de la jaffe en quantité suffisante ? Des clous ! Un ministre aurait enfouillé l'artiche. Et même, ça valait le coup que des mecs claquent du bec pour que la France jouissât d'une merveille aussi merveilleuse. Où est-ce que notre Général recevrait les souverains étrangers à c't'heure, sinon ? A l'Hôtel du Poux
Nerveux, réponds voir ?
« Autre chose : les bonshommes que tu m'as récités : les peintres, les esculpteurs, les écrivains et les écrivaines, s'ils ont percé, c'est grâce à Louis XIV. Moi je les ai pas lus, mais y a des gens qui les connaissent, surtout à l'étranger. Crois-moi, San-A, ça n'était pas un mauvais sujet ce roi et je me réjouis de lui ressembler un peu. De profil surtout, à ce que dit Pinaud. Si tu trouvais une photo du monsieur, j'aimerais comparer. C'est ma Berthe qui en prendrait plein les châsses, pour le coup, si je lui démontrerais que je suis descendant d'un roi pareil, ne serait-ce que par l'intermédiaire d'une bonne de bistrot.
« Pour l'histoire de ma ressemblance, y a pas que le profil : faut voir itou du côté de la bagatelle. Avec la différence toutefois que Bérurier il a pas besoin qu'une madame de Sacripan le gave de paradisiaques ! Ton Gravos, il est branché sur le courant lumière et il assure le service de jour aussi bien que le service de nuit.
« Cela dit, j'espère que ta grippe ce sera rien. Est-ce que t'as essayé le coup des chapeaux ? Tu le connais sûrement, mais je te le réitère. Moi, v'là comme je pratique : je fous un bitos sur mon édredon et je me mets à écluser du vin rouge bien sucré et bien poivré jusqu'à ce que j'en voie plusieurs. Pour les dames, la dose c'est deux chapeaux, mais pour les gringalets de notre acabit, c'est au moins quatre ! Dès que tu vois quatre badas sur ton pageot, tu roupilles et le lendemain t'es guéri. Personnellement j'opère avec du picrate d'épicier, mais j'ai idée qu'avec du pommard ça ne doit pas être déplaisant. Pinaud se joint à moi pour t'adresser le bonjour. Je signe verbalement ton Bérurier XIV. »
L'ASTUCE DES LEBÉRUL OU LE MOYEN DE S'EN SORTIR
Le chef du convoi, Joachim Lebérul, un solide sous-officier, pensait qu'il restait encore cent lieues à faire avant d'atteindre la capitale. S'il ne ménageait pas ses montures et leurs cavaliers, il risquait fort d'éprouver en cours de voyage quelques désagréments. Pourtant, comme son village natal n'était distant que de quatre lieues, il exhorta ses hommes.
— Holà, compagnons, dit-il. Je connais, plus très loin d'ici, une fameuse auberge où nous pourrons trouver le gîte et le couvert pour la nuit. Le gargotier a une cave qui vous fera rougir les oreilles, mes braves ! Un peu de courage et vous m'en direz des nouvelles !
Ces bonnes paroles firent trouver à chacun pour quatre lieues d'énergie, et la petite troupe qui se composait de six hommes et de dix chevaux atteignit à la nuit tombante auberge de L'Ecu de France et du Roi-Soleil réunis.
En voyant s'arrêter dans sa cour une voiture aux volets baissés, flanquée de valeureux cavaliers, le tavernier distribua force coups de pied aux marmitons et aux servantes afin de faire naître sur leurs lèvres ces sourires de bienvenue qui font les bonnes maisons, puis il se précipita, l'échine en équerre, à la rencontre des arrivants.
En ces temps de disette, le commerce marchait mal. Cela faisait plusieurs jours qu'il n'avait pas vu de clients, aussi le digne homme était-il décidé à dorloter ceux que le ciel lui dépêchait.
— Une chambre de maître et une chambre de valet ! aboya Lebérul.
Le tavernier ouvrit des yeux ronds.
— Mais, monsieur, bredouilla-t-il.
— Oui ? grogna le sous-officier qui détestait les objections.
— Combien donc êtes-vous ? murmura l'hôtelier.
— Sept personnes en tout, répondit Lebérul. La chambre de maître, je la partagerai avec mon prisonnier, expliqua-t-il en montrant la voiture hermétiquement close, et mes hommes bivouaqueront dans la chambre de valet !
Lebérul était un petit futé. S'il avait vécu seulement cent ans plus tard, il eût fait un excellent journaliste car il avait le don de « grappiller » sur les notes de frais. Sur celle qui concernait son équipée, il ne manquerait pas de compter sept chambres. Comme le voyage au Piémont avait duré une vingtaine de jours, le bénéfice ainsi réalisé serait assez coquet.
Par contre, Lebérul savait vivre et s'il forçait ses hommes à cohabiter, du moins ne lésinait-il point sur la nourriture. « Un ventre plein donne aux hommes courage et raison », se plaisait-il à répéter.
— J'espère que ta pitance est bonne, l'ami ! fit-il à l'aubergiste. Que vas-tu nous donner à souper ?
— Que diriez-vous d'une magnifique omelette au lard, ainsi que de chapons cuits à la broche ? J'ai en outre des fromages qui font se pâmer les plus fins gourmets et je puis vous confectionner une tarte dont vous me direz des nouvelles.
Lebérul décréta qu'il se contenterait du menu, à la condition toutefois que l'on y ajoutât un porcelet ou un agneau.
— As-tu toujours ton beaune et ton chablis ? demanda-t-il.
— Toujours, monsieur l'officier. Je vois que monsieur l'officier est un habitué ?
— Ce serait malheureux. Je suis du pays, l'ami. Agénor Lebérul, mon aîné, habite encore, si Dieu l'a conservé en vie, le hameau des Handouillettes !
— Oh ! si fait, admit le gargotier sans enthousiasme.
Lebérul vit la mine renfrognée de l'hôte.
— Tu le connais ? demanda-t-il.
— Je le connais.
— Comment va-t-il ?
— Tout d'une fesse, monsieur le sous-officier, fit l'autre en supprimant brusquement la promotion qu'il avait généreusement accordée à l'arrivant pour entrer dans ses bonnes grâces.
— Explique-toi, l'ami. Et rapidement si tu ne veux pas que j'écrive mon nom sur ta bedaine avec la pointe de mon épée !
Du coup, le tavernier retrouva son enthousiasme.
— La vie est dure en campagne, monsieur l'officier. Monsieur votre frère a eu des ennuis familiaux. Berthe, sa femme, l'a quitté pour s'enfuir avec un pommadin de passage. Depuis le cher homme se laisse aller.
— Cornes du diable ! soupira Lebérul cadet, ce pauvre Agénor a toujours été faible, veule et cornard.
Il fit signe à ses hommes de desseller les montures, puis, s'approchant de la voiture, il tira le fort verrou dont elle était extérieurement pourvue. Curieux comme un écureuil, l'aubergiste s'approcha.
— A tes fourneaux, l'ami ! hurla Lebérul en le refoulant d'une bourrade. La curiosité coûte cher à notre époque !
Le tavernier détala jusqu'à ses cuisines, sans se le faire répéter. Mais une fois dans la chaleur rassurante de ses fourneaux, il s'embusqua derrière la fenêtre. Dans la nuit tombante hachée de pluie, il vit descendre un homme enveloppé dans un grand manteau au col relevé et coiffé d'un chapeau à très large bord enfoncé bas sur la tête. Il était impossible de voir son visage. L'aubergiste dépêcha une de ses servantes qui, peu rassurée, guida Lebérul et son prisonnier jusqu'au premier étage.
— Je vais vous faire du feu ! fit la fille en s'approchant de l'âtre où un fagot tout préparé n'attendait plus qu'une flamme pour se mettre à crépiter.
Elle se pencha, sa chandelle à la main. Lebérul regarda la belle croupe tendue et avança une main émue. C'était le pays natal qu'il tripotait. Le bon pays bourguignon.
La servante se crut obligée d'émettre un gloussement d'aise.
— Cessez vos insanités devant moi, je vous en prie, fit le prisonnier.
Sa voix avait une résonance étrange, métallique. Surprise, la fille se tourna vers lui et poussa un hurlement de terreur car l'homme portait un masque de fer qui lui emboîtait toute la tête.
— Allons, calme-toi, bécasse ! sermonna Lebérul.
Mais la fille, livide, reculait en direction de la porte.
— Ce gentilhomme souffre d'un mal de peau qui enlaidit son visage, expliqua Lebérul, très embêté car on lui avait recommandé la plus grande discrétion. Il porte un masque afin de ne pas outrager la vue de ses contemporains. C'est louable à lui.
La servante était déjà partie.
— Qu'aviez-vous besoin de l'épouvanter ! pesta Lebérul.
— Je ne cherche à épouvanter personne, riposta l'homme au masque de fer. Enlevez-moi cette figure de métal et vous verrez que la mienne ne fait pas hurler les filles !
Le sous-officier haussa les épaules.
— Si ça ne tenait qu'à moi, je le ferais volontiers, Monseigneur, dit-il gravement. Mais ma mission consiste à vous conduire à la Bastille dans le minimum de temps et avec le maximum de discrétion. Je m'en tiens là.
Ayant dit, il donna un tour de clé à la porte, mit la clé dans sa poche, et s'approcha de la cheminée où maintenant le fagot embrasé chantait la jolie chanson du feu de bois.
L'homme au masque de fer ôta son manteau et son chapeau et s'étendit sur le lit tout habillé.
Quand le repas fut terminé et que le chef d'escorte se sentit la panse pleine et le cœur noble, il se mit à songer à son malheureux frère qui végétait à une demi-lieue de là.
« Je vais aller lui rendre une petite visite », décida-t-il.
Cette louable intention posait cependant un problème : celui de la surveillance de son prisonnier. Ce dernier étant au secret et ne devant communiquer avec personne d'autre que lui, il ne pouvait en confier la garde à ses gens. Heureusement Lebérul avait plus d'un tour dans son sac.
Il sonna la servante et lui enjoignit de lui ramener une chaîne et un fort cadenas, ce qu'elle s'empressa de faire plus morte que vive.
— Monseigneur, dit alors Lebérul, je vais vous prier de me pardonner, mais il est indispensable que je m'absente un moment, aussi vais-je vous enchaîner à ce lit.
Depuis des années, l'autre avait subi trop de brimades pour s'offenser ouvertement du procédé.
— Faites comme vous l'entendez, monsieur, repartit-il non sans noblesse. Vous n'êtes pas un prisonnier d'Etat, vous, et il est juste que vous alliez trousser les jupons.
Lebérul se garda de détromper le Masque de Fer et il le fixa fort adroitenent au montant du lit. Après quoi il s'assura que sa fenêtre était bien pourvue de barreaux. Puis il ferma la porte à clé et posta un de ses hommes dans le couloir par mesure de sécurité.
Le galop d'un cheval le fit tressaillir. A cette heure tardive, dans ce hameau ignoré des routes passantes, la venue d'un cavalier tenait de la magie noire. Le malheureux se demandait si ça n'était pas la mort qui, le prenant en pitié, venait enfin le chercher. Troublé, malgré cet espoir insolite, il se dressa. Le cheval s'arrêta devant sa chaumière. Un poing rude ébranla la porte démantelée.
— Qu'est-ce que c'est ? bégaya Agénor Lebérul.
Pour toute réponse, le vantail s'écarta et une forte silhouette s'encadra dans l'ouverture. Lebérul prit un tison dans la cheminée pour allumer la chandelle, puis il éleva la maigre flamme et vit le visage de l'intrus. Il fut un temps pour se rappeler cette trogne colorée d'homme bien nourri. Enfin il reconnut l'arrivant.
— Joachim, mon frère ! s'exclama-t-il.
Les deux hommes s'étreignirent. Agénor pleurait d'émotion.
Ses larmes redoublèrent lorsque le soldat tira de son manteau un poulet froid et une miche de pain.
— C'est note sainte Mère Marie qui t'envoie, fit-il, j'allais mourir... Je ne tiens plus debout.
Et, tout en se précipitant sur la nourriture, il résuma sa pitoyable condition.
— Je ne vis plus que par miracle, pleurnicha-t-il, parodiant sans le savoir une phrase célèbre de Fénelon. Je n'ai plus rien : ni terre, ni argent, ni courage, ni femme. La pauvrette s'est enfuie et je ne saurais lui en tenir rigueur du moment que je n'avais plus que mon amour à lui mettre sous la dent (32).
— Et toi ? fit son frère avec envie, que deviens-tu ? Ta position m'a l'air florissante ?
— Je suis adjudant de gendarmerie, fit Lebérul cadet. La place est bonne, je n'ai pas à me plaindre.
— Que fais-tu au pays, tu es en perme (33) ?
Le mot impressionna l'affamé. Agénor venait d'enfourner un pilon. Ses lèvres, graisseuses pour la première fois depuis des années, laissèrent échapper un soupir d'intense satisfaction stomacale.
— En mission ? Quelle mission ?
Joachim hésita. Mais il se dit que si on ne se confiait pas à son frère, à qui pourrait-on se confier !
— Tu as entendu parler du Masque de Fer ? demanda-t-il.
— Non, s'étonna Agénor, qu'est-ce que c'est, une société secrète ?
— Non ! Un mystérieux prisonnier d'Etat qui moisissait dans les geôles de Pignerol au Piémont depuis des années et que je transfère à la Bastille de Paris.
— Qui c'est, ce prisonnier ?
— Nul ne le sait, chuchota Joachim. Justement, il porte un masque de fer pour que personne ne puisse voir ses traits.
— Il en a de la chance, soupira Lebérul aîné.
Sa remarque fit sourciller le gendarme.
— Que dis-tu là, mon frère ?
— Que ce bougre de Masque a bien de la chance, réitéra Agénor. Voilà un garçon qui est logé, nourri, promené aux frais du roi ! Et cela à une période où tout le monde est sur le point de manger son semblable ! Mais après ta situation, mon frère, c'est la sienne que j'envie le plus.
Cette façon de voir les choses choqua beaucoup Lebérul cadet qui s'efforça de ne rien laisser transparaître de sa réprobation et qui prit congé de son aîné en formulant des promesses évasives.
C'est donc avec la satisfaction du devoir accompli que le sous-officier gravit l'escalier de l'auberge. En parvenant sur le palier du premier, il fronça les sourcils. La sentinelle qu'il avait placée devant sa porte ronflait comme un sonneur, couchée en travers du couloir. Deux bouteilles de chambertin lui servaient d'oreiller. Elles étaient vides comme le cœur de la Montespan. Lebérul administra des coups de botte rageurs dans les côtelettes du dormeur. Mais l'homme gorgé de vin ne parvint pas même à soulever un millimètre de paupière.
Ulcéré et vaguement inquiet, Lebérul se précipita dans la chambre. Il poussa un soupir de soulagement en apercevant son prisonnier toujours enchaîné sur son lit.
— J'espère que le temps ne vous a pas paru trop long, Monseigneur ? murmura-t-il en s'approchant pour déchaîner Monsieur X.
Il faillit crier de surprise en constatant que la main de l'homme au masque de fer était glacée. Il palpa le prisonnier et découvrit alors avec horreur qu'il avait cessé de vivre, ce qui revenait à dire qu'il était mort. En essayant de se défaire de sa chaîne, l'H au M de F (34) avait fait décrire un tour mort à celle-ci. Il s'était malencontreusement pris le cou dans le piège improvisé et était mort étranglé.
Mais on a beau exhorter un mort et lui parler poliment, il n'en devient pas obéissant pour autant.
— Je suis perdu, fit le malheureux Lebérul. Voilà où mon bon cœur m'a conduit. C'est à cause de mon goret de frère que...
Il s'arrêta. Une idée venait de le saisir par le bout de la cervelle. Pour être adjudant de gendarmerie, il faut en avoir. Lebérul en avait ! Sans perdre un instant il roula le mort dans son manteau, et, l'ayant chargé d'une secousse aisée sur ses robustes épaules, il rebroussa chemin et galopa jusqu'au hameau des Handouillettes.
Agénor Lebérul ne pouvait toujours pas dormir, car il avait trop mangé. Néanmoins, cette forme d'insomnie ne lui déplaisait pas et il pensait avec tristesse que d'ici quelques heures les crampes rongeuses l'empêcheraient à nouveau de fermer l'œil.
Il entendit, rompant le silence nocturne, le crépitement creux d'une galopade.
— Serait-ce mon frère qui reviendrait ? espéra-t-il.
C'était son frère.
— La nuit est donc si froide que tu es tout pâle ? fit-il à Joachim.
Celui-ci hocha la tête et, s'avançant sur son aîné, lui prit les deux mains avec frénésie.
— Agénor, murmura-t-il, te rappelles-tu tes paroles de tout à l'heure, lorsque tu enviais le sort du Masque de Fer ?
— Par le dieu tout-puissant, je comprends que je m'en souviens !
— Il s'est produit une chose terrible en mon absence, révéla Joachim.
Et il narra le drame à son frère.
— Ce que j'ai à te proposer est extravagant, fit-il, mais situ acceptes, tes vieux jours sont assurés et ma vie est sauve. Prends la place du défunt. Tu es de sa taille ; plus maigre que lui bien sûr, mais on rembourrerait tes vêtements et au bout de quelque temps, à force de manger de bonnes choses, tu engraisserais.
Si l'aîné des Lebérul avait eu quelques hésitations, la dernière phrase de son frère les aurait balayées.
D'un commun accord, ils se mirent au travail. Joachim rentra le cadavre, tandis que le brave Agénor préparait des outils. L'opération de « démasquage » s'avérait difficile, car il fallait ne pas endommager le masque afin de pouvoir le réemployer. Suant à la chandelle, ils œuvrèrent près d'une heure au-dessus du cadavre allongé sur la table, semblant se livrer à une quelconque intervention chirurgicale. Enfin le dernier rivet sauta, les charnières rouillées du masque grincèrent et le visage de fer fut arraché du visage de chair. Aussitôt, les deux compères poussèrent un grand cri et tombèrent à genoux en se signant (ils se signaient du même nom, étant frères).
— C'est le roi ! balbutia Agénor.
C'était bien effectivement la figure bourbonnienne de Louis XIV qu'ils avaient sous les yeux. Une figure bouffie par la détention et blême de n'avoir pas été au contact de l'air depuis tant et tant d'années !
— Je crois comprendre, chuchota Joachim au bout d'un moment.
— Quoi donc ? interrogea ? son aîné dans un souffle.
— Des bruits courent à Paris. On chuchote que notre roi Louis avait un jumeau. Cela posait un grave problème de succession. Les rois, qui rêvent toujours d'avoir un garçon, sont bien malheureux lorsqu'ils en ont deux à la fois. C'est un de trop. Et on a fait disparaître l'un d'eux...
— Le choix n'a pas dû être facile, songea tout haut Agénor.
— C'est encore un coup de Richelieu, affirma Joachim. Assurer la succession dans l'honneur et dans la dignité, c'est signé ! Je comprends que Louis le Quatorzième ait fait masquer et emprisonner cet homme. Il ne pouvait pas non plus le laisser vagabonder.
Après avoir encore émis de multiples et pertinentes considérations, ils inhumèrent le mort dépouillé de ses vêtements dans le champ voisin. Après quoi Joachim affubla son frère du masque de fer.
Le petit jour commençait à poindre lorsque les deux frères rallièrent l'auberge. Le tavernier était déjà levé, ainsi que les hommes de l'escorte. Ceux-ci ouvrirent de grands yeux en voyant arriver leur chef flanqué du prisonnier. Mais Lebérul cadet calma leur stupeur.
— Monseigneur le prisonnier avait trop mangé d'omelette et souffrait de nausées, je l'ai emmené faire un tour ! expliqua-t-il. Holà, mes drôles, vidons la bouteille de vin blanc du matin et en selle ! La route est encore longuette qui nous sépare de la Bastille.
Un instant plus tard, la petite troupe quittait le pays, laissant dans la riche terre bourguignonne le cadavre de celui qu'une stupide loterie (combien nationale) avait privé du trône de France.
Agénor Lebérul joua magnifiquement son rôle jusqu'en 1703, date à laquelle il mourut gavé de bonnes choses, d'attentions et d'honneurs.
Extrait de : Le Masque de Fer en pantoufles (Mémoires de Nini-Podchien, nièce du Gouverneur de la Bastille)