CHAPITRE V
Sicile – 21 mars 1994
Nicko Lazzari, assistant de Don Caravelli, capo dei tutti capi de la Mafia, relut le fax pour la seconde fois. Puis il éclata de rire. Un rire profond, sonore, qui emplit tout le bureau et fit sursauter le géant qui se tenait sur le seuil.
« Une nouvelle amusante, Don Lazzari ? » demanda Luigi, qui venait d'apporter le message. « Ça a l'air de vous mettre en joie. »
« En effet, » dit Nicko, souriant. « C'est une bonne nouvelle qui arrive d'Amérique. Une excellente nouvelle de l'autre côté de l'océan. Je suis sûr que Don Caravelli saura l'apprécier. Qu'elle sera pour lui une très agréable surprise. »
Les yeux de Nicko se plissèrent sous la réflexion. Opportuniste, il tâchait de tirer avantage de la moindre occasion de se rendre populaire auprès de la brigade de sécurité de la Mafia. « En fait, je soupçonne que le patron sera tellement ravi qu'il ordonnera un festin de sang pour célébrer l'événement. Ces militaires que nous a envoyés le gouvernement italien pour nous irriter sont toujours dans les oubliettes, n'est-ce pas ? »
« Oui, Don Lazzari, » dit Luigi. Colossal, mesurant plus de deux mètres dix et pesant près de cent quatre-vingt kilos, il était lent à réfléchir mais mortel dans un combat. Brujah de la dixième génération, il servait la Mafia avec dévouement, exécutant ce qu'on attendait de lui sans poser de question. « Je suis allé les voir l'autre jour. »
« Je pense qu'ils recevront ce soir leur juste récompense, » dit Nicko. « Préparez la grande salle de réunion pour un carnaval. Avec l'accord de Don Caravelli, nous pendrons ces fauteurs de troubles par les talons et les saignerons à blanc. »
Luigi acquiesça, affichant un large sourire en travers de ses traits de Néanderthal. « Le sang frais est toujours le meilleur. »
« Maintenant, laissez-moi, » ordonna Nicko. « Préparez tout, mais ne faites rien aux prisonniers avant que j'aie obtenu l'approbation de Don Caravelli. »
« Je comprend, » dit Luigi, franchissant le seuil des appartements de Nicko. « Le Don est capo dei tutti capi. Sa parole est loi. » Le géant hésita. « J'espère qu'il trouvera le message aussi drôle que vous. »
« Je suis certain que oui, » dit Nicko.
Resté seul, Don Lazzari étudia le fax. Il était rédigé selon un code complexe utilisé par les espions de la Mafia pour transmettre des informations importantes au quartier général de l'organisation en Sicile. Sachant qu'il était impossible de garantir la sûreté d'une ligne téléphonique, les cryptographes travaillant pour le cartel criminel avaient élaboré un langage secret quasiment indéchiffrable pour les communications. Le code était basé sur une séquence numérique aléatoire recalculée quotidiennement à partir des températures de vingt-sept villes à travers le monde. En tant que membre du cercle intérieur de la mafia et Brujah de la huitième génération. Don Lazzari était capable de décoder le message mentalement. Parcourant le document, il hocha la tête avec satisfaction. L'information était nette et précise. Les nouvelles n'auraient pas pu être meilleures.
Il trouva Don Caravelli dans son étude au centre de la forteresse. Le capo dei tutti capi, penché sur un ancien rouleau de parchemin étalé sur son bureau, releva la tête lorsque Nicko entra dans la pièce. Le Don sourit, mais il n'y avait aucune chaleur dans son expression. De tous les vampires qu'il avait rencontrés au fil des siècles, Nicko considérait le chef de la Mafia comme le plus dépourvu d'humanité. Il ne restait aucune pitié, aucune joie, aucune flamme chez le patron des patrons. Don Caravelli, bien qu'il ressemblât encore à un homme, n'avait plus rien de mortel. C'était un mort-vivant dans sa conscience et son esprit.
« Vous semblez excité, Nicko, » dit le Don, d'une voix de basse calme et douce comme toujours. Il roula le document et le rangea dans un tiroir de son bureau. « Qu'est-ce qui vous fait sourire ? »
« Un autre fax est arrivé d'Amérique, » dit Nicko. « Il provient directement de Saint-Louis, où notre homme dans le Midwest est infiltré dans l'entourage du Prince de la ville. »
« Je me souviens, » dit Don Caravelli, ses dents blanches étincelant en contraste avec son teint basané. « Il nous avait adressé un rapport en début de semaine au sujet de l'apparition de cette mystérieuse Mort Rouge. Le monstre qui sème le chaos partout. »
« Notre agent s'appelle Darrow, » ajouta Nicko. « Il est intelligent, poli et très ambitieux. Il rêve d'étendre et de contrôler notre branche nord-américaine. »
« Bien, » dit Don Caravelli. « J'aime l'ambition. Notre organisation est basée sur l'avidité, le zèle et l'égoïsme. Si ce Darrow veut le poste avec suffisamment de conviction, il s'en emparera, en étranglant tous ceux qui s'opposent à ses vues. »
Le capo marqua un temps. « Qu'envoie-t-il aujourd'hui ? D'autres nouvelles concernant cette macabre apparition ? » « Non, » dit Nicko, savourant le moment. Il possédait encore assez d'humanité pour aimer prendre au dépourvu son patron habituellement imperturbable. « Le Prince de Saint-Louis a reçu une visiteuse d'une autre trempe l'autre soir. Darrow a vérifié son identité avant de relayer l'information jusqu'à nous. Madeleine Giovanni est venue présenter ses respects. »
« Quoi ! » tonna Don Caravelli. Comme une fusée, il jaillit de son fauteuil et fit le tour du bureau. En trois longues enjambées, il parvint au côté de Nicko et lui arracha le fax des doigts. Vivement, le regard du capo parcourut le papier.
« La garce est aux États-Unis, » dit-il dans un sourire. « Quelle bonne nouvelle. Pour une fois, je crois que les anciens Giovanni se sont montrés un peu trop présomptueux. Cette chère, tendre Madeleine se retrouve livrée à elle-même dans un environnement hostile, sans le moindre appui. Malgré toute sa richesse, le clan n'a aucune force réelle aux Amériques. »
« Nous non plus, » rappela Don Lazzari. « Les anarchs du Sabbat contrôlent la majeure partie des Côtes Est et Ouest. La Camarilla tient le reste du pays. Nos agents sont peu nombreux et travaillent pour la plupart en sous-marin. Darrow a envoyé plusieurs Caitiffs après Madeleine, mais il doute qu'ils fassent davantage que la ralentir. »
« Sages paroles, Nicko, » dit Don Caravelli. « Cependant, les Giovanni constituent un cercle très soudé, très fermé, de nécromanciens. Ils sont universellement méprisés par les vampires ordinaires. Ce qui n'est pas le cas avec la Mafia. Si nous sommes largement craints, nous sommes tout aussi largement respectés. Nous exploiterons cette différence d'image à notre avantage. »
« Comment ? » demanda Nicko. Il se considérait comme un habile tacticien. Mais il n'était qu'un amateur en comparaison de Don Caravelli. Le capo dei tutti capi était un maître en stratagèmes.
« C'est vous qui m'en avez donné l'idée en mentionnant l'ambition de Darrow. Nous allons lui offrir la chance de concrétiser ses rêves. À lui ou à quiconque ayant la même ambition. Je veux que vous preniez l'avion pour Washington, DC, immédiatement pour superviser cette opération. Prenez tous ceux et ce qu'il vous faut. Toutes les ressources de la Mafia sont derrière vous.
« À votre arrivée dans la capitale américaine, je veux que vous mettiez immédiatement à prix le sang de Madeleine Giovanni. D'ici là, elle devrait se trouver quelque part dans cette ville. Faites passer le mot discrètement, pour éviter toute interférence possible de ces fous qui s'opposent à nous dans la Camarilla et le Sabbat. Le Caïnite qui tuera la catin sera fait capo d'Amérique. Et je lui promets une opportunité d'abaisser sa génération d'un niveau. »
« Le Justicar d'Amérique du Nord ne va pas apprécier qu'on ouvre une Chasse de Sang pour une vengeance personnelle, » dit Nicko. « Selon l'interprétation que la Camarilla donne des Six Traditions de Caïn, seul le Prince d'une ville possède une telle autorité. »
« Je place cette question entre vos mains compétentes, » dit Don Caravelli avec un sourire. « Si le problème est soulevé, résolvez-le. Les Justicars ont le bras long. Mais la Mafia aussi. »
« À vos ordres, » dit Nicko, inclinant légèrement la tête. Loin de lui la pensée de se disputer avec Don Caravelli. « J'avais pensé que, peut-être, la nouvelle serait un motif de réjouissances dans la forteresse. Puis-je suggérer un festin de sang… ? »
« Excellente idée, » dit le capo dei tutti capi. « Ces militaires capturés sur notre propriété ? »
« Tout juste, » dit Nicko. « J'ai donné les ordres nécessaires. Il ne manquait plus que votre accord. »
« Allez, et réglez tous les détails, » dit Don Caravelli avec un geste de la main. « Amusez-vous, Nicko. Mais ne tardez pas trop. Je veux que vous soyez dans un avion pour l'Amérique avant la fin de la nuit. »
« Je n'existe que pour servir mon Prince, » dit Nicko.
« Je sais, » fit Don Caravelli, ses yeux sombres flamboyant. « Autrement, votre ambition vous aurait valu depuis longtemps la Mort Ultime. Avant de partir, Nicko, encore quelques petites choses à prendre en considération. »
Les muscles de Don Lazzari se tendirent. Le patron des patrons avait l'habitude de réserver les pires nouvelles pour le tout dernier moment. « Mon seigneur ? »
« Cet humain, Dire McCann, que recherche Madeleine Giovanni. J'ignore ce qu'elle lui veut. Peut-être a-t-il fait du tort à son clan. À moins qu'il ne lui doive de l'argent. Je m'en moque. Tuez-le de toute façon. Ne laissez rien traîner. »
« Ce sera fait, dit Nicko. « Autre chose ? »
« Cette mission est importante, Nicko, » dit Don Caravelli. « Madeleine Giovanni est une épine dans mon flanc depuis de trop nombreuses années. De tous mes lieutenants, c'est vous le plus ambitieux. Voilà l'occasion de faire la preuve de votre valeur. Votre récompense pour avoir mis un terme à son existence sera substantielle. »
Intérieurement, Nicko exultait. Puis sa joie tomba en poussière tandis que la voix du capo dei tutti capi prenait la froideur de la glace. « Inutile de revenir si vous échouez. Soit Madeleine Giovanni rencontre la Mort Ultime. Soit c'est vous. »