CHAPITRE VIII

Venise – 12 mars 1994 

Une silhouette noire se coulait d'ombre en ombre dans les ténèbres de cette fin de soirée. Se faufilant à travers les rues et les ruelles tortueuses de la vieille ville, elle se déplaçait sans un bruit, s'enfonçant toujours plus loin vers la place Saint-Marc, au centre de la métropole endormie.

La forme, d'apparence vaguement humaine, progressait rapidement, sans marquer la moindre tentation de s'arrêter pour admirer les magnifiques exemples d'architecture Renaissance et byzantine qui valaient à la ville sa réputation d'être l'une des plus belles du monde. Pas plus qu'elle ne ralentissait au passage des nombreux ponts qu'elle était forcée de franchir. Venise, construite sur cent vingt îlots et formée de cent soixante-dix sept canaux, comptait plus de quatre cents de ces ouvrages d'art. La tache noire volait au-dessus d'eux à une vitesse éblouissante, disparaissant à un bout pour apparaître à l'autre l'instant suivant.

La place Saint-Marc, au centre de la ville, était l'endroit le plus populaire de Venise. Elle était bordée de tous côtés par des monuments historiques célèbres. À l'extrémité est se dressait la basilique Saint-Marc, vieille de plus de mille ans. Venait ensuite le palais des Doges, construit en 814, détruit par le feu à quatre reprises, et rebâti après chaque incendie, plus somptueux que jamais. La forme ténébreuse passa devant les deux. De derrière le palais s'élançait le célèbre pont des Soupirs, qui avait conduit autrefois aux prisons de la ville. Aujourd'hui, les prisonniers avaient disparu et cédé la place à un immense gratte-ciel noir de verre et d'acier.

Beaucoup de Vénitiens avaient protesté haut et fort quand le projet de raser les fameux bâtiments historiques avait été annoncé. Les opposants s'insurgeaient farouchement contre cette vaste entreprise immobilière, déclarant que l'ancienne prison appartenait au patrimoine de la ville. Comme toujours, l'argent eut le dernier mot. La commission d'urbanisme de la ville avait ignoré les protestations et approuvé le projet.

Peu après, un certain nombre d'opposants parmi les plus virulents disparurent de Venise. Les rapports de police établirent qu'ils avaient pris ombrage du mépris des édiles locaux et qu'ils étaient partis s'établir ailleurs. Les habitants les plus cyniques de l'îlot ne firent pas de commentaire et s'accommodèrent du nouveau gratte-ciel.

Culminant à trente-neuf étages, l'immeuble était ceint d'un mur de briques de quatre mètres de haut. Une porte unique avec un poste de garde offrait le seul accès au complexe. Des rumeurs chuchotées à voix basse décrivaient de gigantesques molosses aux yeux rouges qui rôderaient, la nuit, à l'intérieur du périmètre. Personne ne savait avec certitude quels secrets renfermait le bâtiment. Hormis son numéro de rue, le gratte-ciel ne portait aucun nom. C'aurait été inutile. Parmi les habitants de Venise, le géant noir rectangulaire était simplement appelé le Mausolée.

La présence fit halte devant le mur de briques. Elle se garda bien de le toucher. Encastré, tout au long de la structure se trouvaient de petits détecteurs de chaleur qui enregistreraient la plus légère variation de température – en chaud ou en froid. Le sommet du mur était couvert de milliers d'aiguilles d'acier de trois centimètres. Chacune comportait un barbillon conçu pour réduire en charpie la peau ou n'importe quel vêtement protecteur. De puissants projecteurs balayaient l'intérieur du périmètre toutes les quelques minutes. Des animaux monstrueux arpentaient le terrain, créatures de cauchemar qui ne reconnaissaient aucun ami, seulement des proies. Tout accès au Mausolée autre que par la porte principale était impossible.

Après une pause d'une seconde, l'ombre rampa le long du mur vers l'ouverture isolée. Quatre gardes surveillaient la rue déserte. Hommes de haute taille en uniforme noir sans décoration, leurs yeux luisaient d'une clarté surnaturelle. C'étaient des goules. Soldats d'élite de la forteresse, elles vouaient leur existence à la défendre contre les intrus.

Deux étaient postés dans une guérite de verre pare-balles surélevée qui offrait une vue plongeante sur la rue déserte. Ils surveillaient un réseau vidéo et informatique complexe leur procurant un accès visuel instantané à n'importe quel point du périmètre. Leurs compagnons, qui montaient la garde à la porte, étaient armés de fusils automatiques AK-47 chargés de balles explosives de gros calibre. Derrière eux, une porte à double battant en acier de quinze centimètres d'épaisseur, commandée exclusivement depuis la guérite de contrôle, présentait un dernier obstacle à quiconque réussirait à passer le quatuor de sentinelles.

Tout était dans la synchronisation. La tache attendit et guetta le moment opportun. Elle était extrêmement patiente. Il restait plusieurs heures avant l'aube. Et elle planifiait cette opération depuis très longtemps.

Même les goules devaient ciller. Les sens humains ne pouvaient pas suivre des mouvements aussi rapides avec précision. Mais la tache n'était pas humaine.

Précisément vingt-deux minutes après son arrivée à la porte, les quatre goules cillèrent simultanément. Leurs yeux restèrent fermés moins d'un centième de seconde. C'était tout ce dont l'ombre avait besoin pour filer entre elles comme une flèche et se couler dans l'espace microscopique entre les battants massifs. Large de quelques molécules, la tache se glissa facilement à travers la fente et déboucha dans l'enceinte intérieure du complexe.

Maintenant exactement à la même température que son environnement, la flaque de ténèbres fila au ras du sol, pareille à une tache de lune en négatif. Elle n'avait ni odeur ni forme que les Molosses de l'Enfer auraient pu détecter. Créatures à l'intelligence limitée, ces derniers n'attaquaient que ce qu'ils pouvaient voir, ou sentir, ou entendre. Ils ignorèrent l'écoulement ténébreux. Nombre de vampires pouvaient se fondre dans la terre et devenir partie intégrante du sol. L'ombre mouvante était l'un des rares qui, l'ayant fait, était encore capable de se déplacer.

Une double porte de verre géante menait à l'intérieur du Mausolée. Ils portaient gravé un ancien blason familial, un symbole que l'ombre connaissait bien. Un garde solitaire, encore un goule, était assis dans une cabine au centre du hall, à quatre mètres de l'entrée. Son regard, comme celui de ces collègues à l'extérieur, ne fléchissait jamais. Passer devant lui serait plus difficile. Le hall où il se trouvait était bien éclairé et peint dans un blanc éclatant. Une tache noire serait immédiatement repérée. Elle avait besoin d'une nouvelle forme. Et il lui faudrait plus d'une milliseconde pour cela.

Rassemblant toute la force de sa volonté, l'ombre projeta une pensée unique vers le gardien. Éternue, commandait-elle, éternue. Le vigile renifla, plissant le nez. Éternue, projeta l'ombre à nouveau. Le goule renifla une seconde fois, puis, levant la main à son visage, éternua.

Involontairement, les yeux du gardien se fermèrent. Ils ne restèrent clos qu'une seconde, mais la tache noire n'avait pas besoin de plus. Pareille à une tornade, elle s'éleva au-dessus du sol, acquérant de la substance en montant dans l'air nocturne. La forme noire se transforma en brume blanche. À l'état vaporeux, l'intruse flotta à travers une fente microscopique entre la porte et le montant en acier. Comme avec la porte extérieure, aucun cadre n'était suffisamment ajusté pour barrer le passage à une vapeur. La brume se trouvait dans le hall avant que le gardien eût retiré la main de son nez.

Une fois à l'intérieur, elle monta immédiatement au plafond, contre lequel elle s'aplatit. Les caméras de sécurité et les patrouilles surveillaient le plancher, pas le toit. Blanc sur blanc, la brume dériva au-delà du poste de contrôle jusque dans le grand atrium du complexe. Il y avait d'autres postes de garde disséminés dans l'immeuble, mais l'ombre avait prévu de les contourner. Elle savait exactement comment elle prévoyait d'atteindre son objectif au sommet du gratte-ciel.

Bien que la nuit fut bien avancée, le Mausolée ne dormait jamais. Le complexe était plein d'employés. Des douzaines de personnes allaient et venaient dans les bureaux. Personne ne parlait, et on n'entendait aucune musique. Le bâtiment était silencieux comme une tombe.

Se hâtant le long du plafond, l'entité se mit en quête de la porte menant au sous-sol. Elle savait que le chemin le plus facile vers le sommet consistait d'abord à descendre. Une recherche rapide l'amena à l'entrée requise. Suintant à travers une fissure, elle passa dans les couloirs obscurs conduisant au niveau inférieur du Mausolée.

Trouver le tableau électrique de l'ensemble du complexe était l'étape suivante. L'immeuble était contrôlé par un système de surveillance informatique. Circonvenir les protections intégrées se révéla un jeu d'enfant, et l'ombre n'était pas une enfant. Mentalement, elle posa des dérivations invisibles sur les circuits adéquats. Le générateur de secours ne présenta pas davantage de difficulté. Son plan mis en place, l'ombre partit à la recherche du chemin vers le haut.

Localiser la cage de l'ascenseur de service lui fut facile. Plusieurs goules travaillaient à proximité, mais aucun n'appartenait au personnel de sécurité. Concentrés sur leur propre routine et rien d'autre, elles ne virent pas la brume blanche s'infiltrer à travers la double porte de l'ascenseur.

Maintenant un contact léger avec l'un des murs du conduit, la vapeur flotta en direction du toit. Des caméras de sécurité surveillaient tous les ascenseurs du Mausolée. Mais il n'y en avait aucune dans les cages elles-mêmes. C'était une dangereuse erreur.

S'écoulant autour d'une cabine arrêtée au vingt-et-unième étage, la brume atteignit le trente-neuvième étage en dix minutes. Prudemment, elle sonda mentalement le couloir derrière la porte de service. Il n'y avait personne. Rapidement, elle se glissa dans le couloir. Cette partie de l'immeuble était extrêmement bien protégée. Une douzaine de sorts mortels encerclaient le groupe d'appartements intérieurs. Ils réagissaient à la pensée, pas à la présence physique. Un faux mouvement et les efforts de l'intruse déboucheraient sur une fin hideuse.

Sans la moindre difficulté, la forme brumeuse désamorça les pièges. Au lieu de s'entrelacer, de sorte que la manipulation de l'un en active aussitôt un autre, ils se chevauchèrent. La conscience puissante de l'intruse recouvrit chaque sort et eut tôt fait de le neutraliser. Aucune alarme ne s'était déclenchée et cependant, en l'espace d'un quart d'heure, tout le dernier étage du principal quartier général du clan vampirique des Giovanni avait été réduit à l'impuissance face à une attaque extérieure.

Le bourdonnement d'un ascenseur montant d'en bas prévint la brume que son intervention auprès des sorts avait finalement attiré l'attention du service de sécurité de l'immeuble. Touchant mentalement les circuits adéquats, elle coupa l'alimentation des ascenseurs. Une autre manipulation mit hors-service le générateur de secours. Utiliser les escaliers leur ferait perdre de précieuses minutes. Ne se souciant plus d'une interférence extérieure, la brume s'écoula sous la porte indiquant Madeleine Giovanni. 

Comme prévu, la chambre était vide. La brume s'éleva en tourbillon et prit de la consistance. En quelques secondes elle disparut, cédant la place à une séduisante jeune femme aux yeux noirs et à la longue chevelure brune. Son teint pâle et ses lèvres rouge sang offraient un contraste saisissant avec le justaucorps noir qui était son seul vêtement.

Marchant jusqu'à une armoire proche emplie de toilettes féminines, l'intruse fouilla soigneusement jusqu'à mettre la main sur une robe de velours noir à l'ancienne. Hochant la tête, elle se glissa hors de son justaucorps et enfila la robe. Elle lui allait à la perfection, moulant sa mince silhouette comme si elle était faite à ses mesures. Plongeant la main dans un coffret sur une étagère au-dessus des vêtements, elle en sortit un magnifique collier en argent qu'elle drapa autour de son cou. Il portait les mêmes armoiries familiales qu'on pouvait voir à l'entrée du Mausolée. Une paire de chaussures à talons plats compléta son costume.

Souriant à son image dans un miroir en pied, elle traversa la chambre et gagna une seconde porte. Doucement, elle frappa au panneau.

« Entre, » grogna une voix grave de l'autre côté. L'homme qui parlait semblait plutôt mécontent. « Espèce de petite sorcière. »

Souriant largement, la jeune femme ouvrit la porte et franchit le seuil. Elle déboucha dans un gigantesque bureau en coin bordé de fenêtres sur deux côtés. Les vitres fumées offraient une vue imprenable sur la ville. Ce qui paraissait la moindre des choses, puisque l'occupant de la pièce considère Venise comme sa propriété personnelle.

« Sire, » murmura la jeune femme, sa voix rauque dissimulant mal son amusement. « Comme vous me l'avez demandé, j'ai testé le système de sécurité de notre quartier général. Je l'ai trouvé… d'une efficacité toute relative. »

« C'est ce que je vois, » dit le personnage à qui elle s'était adressée. Homme de haute taille aux cheveux grisonnants, il avait le visage d'un aristocrate. Il était impeccablement vêtu d'un costume trois-pièces de couleur sombre, avec une chemise blanche et une cravate sobre. Sa seule concession à la couleur était une rose rouge sang piquée dans sa boutonnière. Lorsqu'il vivait encore sous forme humaine, des centaines d'années auparavant, Pietro Giovanni avait eu une passion pour les belles fleurs. Sa mort n'avait rien changé à ce sentiment. En tant que directeur du Mausolée, comptant parmi les plus puissants vampires d'Europe, il pouvait se permettre de sacrifier à ses vices. Grands et petits.

Pietro se laissa tomber dans un grand fauteuil en cuir noir derrière un bureau d'ébène. Madeleine se percha sur le bras du fauteuil qui lui faisait face. Poliment, elle attendit que son sire prenne la parole.

« De tous mes infants, » déclara-t-il avec l'amorce d'un sourire, « c'est toi, Madeleine, le saboteur le plus accompli. Je doute qu'un autre membre du clan puisse pénétrer nos défenses. Malgré tout, considérant ce que tu as réussi, nous sommes à l'évidence vulnérables à une attaque extérieure. Quelles sont tes recommandations ? »

« Nous comptons trop sur les goules, » déclara-t-elle. « Ils sont fidèles mais représentent un maillon faible dans nos défenses. Les gardiens à la porte de devant doivent être mieux entraînés. Et leur équipement repensé afin de seconder leurs efforts, et non de les dupliquer. »

« Les Molosses de l'Enfer ? » demanda Pietro.

« Une force mineure, » répondit Madeleine. « Qu'on les nourrisse moins. Ils devraient être plus affamés. Faites remplacer la terre et la pelouse autour de l'immeuble par un gazon artificiel. De l'astroturf, avec renforcement en acier. Qu'on fasse passer un courant électrique entre la porte et le cadre, un peu comme un œil électronique. Même cela peut être contourné, mais non sans difficulté. »

« Rien d'autre ? »

« Faites repeindre le hall, » dit-elle, souriant légèrement. « En larges bandes. Sur une multitude de couleurs, une ombre aura plus de mal à passer sans se faire remarquer. »

Ses yeux s'étrécirent. « La goule dans l'entrée. Son esprit est trop faible pour la tâche qu'elle effectue. J'ai plié sa volonté avec un effort minimal. Elle ne s'est même pas aperçu que je manipulais ses pensées. Elle est sans valeur. Tuez-la. »

« Comme tu veux. » Pietro pressa un bouton sur son bureau. « Convoquez la goule qui surveille l'entrée du Mausolée à la salle dix-sept. Désarmez-la quand elle entrera. Donnez-lui une heure pour méditer sur ses péchés contre la Maison Giovanni et implorer son pardon. Puis jetez-la en pâture aux nouveaux-nés. » Pietro marqua une pause, puis reprit. « Assurez-vous que les autres goules assignées à des tâches de surveillance soient présentes et assistent au spectacle. Cela devrait les inciter à se surpasser. »

Le patriarche des Giovanni ricana doucement et coupa l'intercom. « Ensuite ? »

« Il nous faut des caméras de sécurité au sous-sol. Et dans les cages d'ascenseur. Des détecteurs de mouvement, réglés pour relever la plus légère perturbation, me paraissent également indispensables. »

« Aucune difficulté, » dit Pietro. « Les arrangements seront pris demain. « Rien d'autre ? »

« Les sorts protégeant votre suite sont sans valeur. Je les ai traversés trop facilement. Ils ont besoin d'être changés. »

« J'imagine que tu as des idées précises sur la manière d'améliorer les incantations, » dit Pietro. Avant qu'il ne puisse en dire plus, le téléphone de son bureau se mit à sonner. Il écouta quelques secondes, puis raccrocha.

« Avant que nous abordions cette question, veux-tu, s'il te plaît, rallumer l'électricité dans les étages inférieurs ? Mes secrétaires ne peuvent rien faire sans leurs ordinateurs. »

« Désolée, » dit Madeleine en claquant des doigts. « Le courant est désormais remis dans tout le complexe. »

« Merci, » dit Pietro. « Maintenant, explique-moi ce que tu désires que nous fassions avec les sorts. Tout ce qui concerne les arts noirs doit être soumis à l'approbation des anciens du clan. »

Ils passèrent l'heure suivante à discuter. En fin de compte, Pietro leva les mains en une parodie de reddition. « Assez. Tu m'as convaincu. Je présenterai tes propositions à nos estimés ancêtres lors de la prochaine réunion du conseil. Il n'y aura aucune objection. »

« Bien », dit Madeleine. Se dressant sur ses pieds, elle gagna la baie vitrée qui faisait face à la basilique Saint-Marc. « Vous vous rendez compte, grand-père, que je me suis livrée à cette petite plaisanterie dans le seul but de m'assurer que vous êtes convenablement protégé, »

« Oui, ma chérie, » répondit affectueusement Pietro. « Tu es mon trésor le plus précieux. Je te remercie de t'inquiéter. »

Les vampires Giovanni étaient liés par des liens plus étroits que ceux d'un sire à son infant. Tous les membres du clan étaient apparentés. Madeleine avait été Étreinte par Pietro, ce qui avait renforcé leur relation dans la mort. Elle était également la fille de son fils unique, Daniel, qui avait trouvé la Mort Ultime entre les mains de Don Caravelli, le maître vampirique de la Mafia. C'était une dette que le père et la fille avaient tous deux juré de rembourser.

L'argent et la mort étaient les deux passions motrices des Giovanni. Leur talent dans le secteur de la finance n'avait d'égal que leurs pouvoirs dans le domaine de la nécromancie. De tous les clans de la Famille, ils étaient le plus profondément impliqués avec l'au-delà. Personne ne savait vraiment quels rituels épouvantables ils accomplissaient dans les caveaux secrets des enclaves familiales. La rumeur parlait d'un incroyable complot visant à contrôler non seulement les vivants, mais aussi les esprits des morts.

Un autre mystère était l'étendue exacte de la fortune des Giovanni. Pareille à une gigantesque pieuvre financière, l'entreprise familiale avait poussé ses tentacules partout à travers le monde. Des contacts au sein de l'Eglise catholique, fermement établis pendant l'Inquisition, avaient permis au clan de pénétrer des marchés inaccessibles à n'importe quelle autre institution bancaire. Les Giovanni contrôlaient des milliards de dollars de valeurs. Un seul mot des anciens du clan pouvait précipiter le monde dans une crise qui laisserait des populations entières dans la misère.

Madeleine avait ceci d'unique au sein du clan que ses talents étaient sans relation aucune avec la nécromancie ou la haute finance. Fanatiquement dévouée à l'honneur de sa famille, elle avait consacré toute son existence à venger la mort de son père. Un siècle d'entraînement intensif et de discipline rigide avait fait d'elle un maître de l'espionnage industriel et de la surveillance d'entreprise. Elle était la dague invisible de l'empire Giovanni.

Bien qu'elle fut à l'origine d'un certain nombre des plus grands triomphes du clan, obtenus grâce à une combinaison de sabotages, de chantages et d'assassinats, Madeleine était virtuellement inconnue en dehors du Mausolée. Les mortels ou les vampires qu'elle pouvait rencontrer dans ses missions ne survivaient pas pour raconter sa légende. Lorsqu'elle chassait, la mort courait à ses côtés.

Et cependant, en dépit de ses succès, Madeleine demeurait insatisfaite. À trois reprises, elle avait tenté de s'infiltrer dans la forteresse secrète de son gibier suprême, Don Caravelli, et, les trois fois, elle avait échoué. Le chef de la Mafia, contrôlant un empire criminel qui rivalisait avec celui des Giovanni en termes de richesse et de pouvoir, vivait dans le repaire le plus sûr au monde. Caravelli savait que Madeleine guettait le moment où il quitterait la Sicile, et refusait par conséquent de voyager. Le Don n'était pas un lâche, mais ce n'était pas non plus un imbécile.

« J'ai une mission spéciale pour toi, » déclara Pietro. Il fit glisser vers elle une enveloppe de papier kraft à travers son bureau. « Tout ce dont tu auras besoin pour ton voyage se trouve ici. Tu dois partir pour l'Amérique immédiatement. Dans la ville de Saint-Louis, je veux que tu trouves un humain nommé Dire McCann. Ce ne devrait pas être difficile, car le mortel est en cheville avec le Prince local. »

« Et quand je l'aurai trouvé ? » demanda Madeleine. « Que voulez-vous que je fasse ? »

En deux mots, Pietro le lui expliqua.